LYRICOPÉRA
LA VOIX DES SENTIMENTS
De la tradition au Baroque
Christian Mendoze
Marseille, Temple Grignan
17 septembre 2016
Comme souvent, Marthe Sebag avec sa première affiche de son LyricOpéra, comme toujours en toute simplicité et modestie, ouvrait
le ban de la saison lyrique marseillaise au Temple Grignan. Elle nous a
habitués à la qualité des récitals de chant de jeunes chanteurs qu’elle déniche,
présente et couve maternellement, leur offrant la possibilité d’un concert à
Marseille et, à nous, le plaisir de la découverte de nouveaux talents. Ses
programmations font désormais partie du paysage lyrique marseillais.
Elle ouvrait donc la saison musicale avec
un programme intitulé La voix des
sentiments, de la tradition au Baroque, toujours dans le nid douillet du
temple Grignan en confiant un programme à un grand aîné international de chez
nous, Christian Mendoze, ancien danseur étoile converti à la
direction d’orchestre, flûtiste virtuose, le pionnier du Baroque en Provence
avec son ensemble Musique Antiqua, huit cents concerts dans toute l’Europe
et quarante disques à son actif, lauréat de prix prestigieux. Il dirigeait la
soprano russe Lidia Izossimova,
Corinne Betirac au clavecin et Audrey Sabatier au violoncelle, partenaires de son
ensemble Musiqua Antiqua Provence en formation réduite, lui-même assurant, avec
la direction musicale, la partie soliste de la flûte à bec.
Parallèlement, elle participe aux concours
de chants internationaux, obtient le Grand Prix du Concours La voix d'argent de Moscou en 2011, puis
le 2e Prix du concours Jeunesse
Russie-Europe de Marseille en 2013. Elle se produit également dans des
festivals de musique, notamment à Marseille et en Pologne et chante en Russie,
sous la direction musicale de de chefs d'orchestre renommés.
Son répertoire est large : de la musique
baroque à l’opéra russe, italien, français romantique en passant par Mozart ainsi
que la mélodie russe et allemande et les romances françaises, sans oublier les
chansons traditionnelles de son pays dont elle nous offre un bouquet savoureux,
parfois douloureux.
Jolie et souriante jeune femme, qui n’est
pas défigurée par une grande voix, timbre parlé aussi doux que celui de son
émission lyrique, Lidia Izossimova, présente
elle-même, simplement, ces chansons. Ce sont de courtes vignettes colorées, sur
des rythmes de danse presque toujours, s’accélérant à la fin sur une strette
vive et entraînante et un arrêt sec comme dans le flamenco dansé, de brefs
paysages (‘Tempête de neige’, ‘Promenade en barque’…) à la fois extérieurs et
intérieurs, des états d’âme comme ces ravissantes ‘Fleurs clochettes’ que le
cavalier regrette de piétiner sous le sabot de son cheval.
Un voile de nostalgie nimbe souvent cette
musique. Les chansons de mariage, comme nous l’explique la chanteuse, ne sont
guère des épithalames joyeux, mais des complaintes tragiques sur le sort des
femmes asservies à l’époux et au ménage, rejoignant en cela notre tradition de
« La mal mariée ». Sa voix, large et égale sur toute sa tessiture,
avec un vibrato très slave est expressive et elle chante ces textes et airs de
chez elle avec une prenante et communicative émotion. Au clavecin et à la viole
de gambe, ponctués de quelques traits de la flûte de Mendoze, les
accompagnements sont délicats et réussis.
En spécialiste, Christian Mendoze, de sa
flûte volubile et joyeuse, régale le public d’interludes de danses slaves
auxquelles il se consacre avec passion, illustré par un disque.
La deuxième partie, deux cantates, était
dévolue au chant baroque, complètement pourrait-on dire tant la Sonate opus 5 N° 12, La follia, de Corelli (version pour
flûte à bec de 1702) donne à l’instrument soliste une vocalité qui ne le cède
en rien—ou excède—à la chantante virtuosité, flûte affûtée rivale de la voix.
La première cantate, de Händel, Nel dolce del’ oblio, ‘Dans la douceur de
l’oubli’, était le thème du sommeil de l’aimé(e), lieu commun baroque depuis
les opéras de Cavalli, dans la coupe traditionnelle de deux arias à da capo, de
rythme contrasté, deux stases développant un affect général précédées de récitatifs
exposant la situation. La voix de la soprano est tendre, d’une douce fragilité
apparente, au médium fruité. Les aigus sont sûrs et elle survole avec légèreté toute
la gamme de l’ornementation baroque, la vélocité de la flûte survoltant la
dynamique requise du morceau de genre. La seconde cantate, All'ombra di sospetto
, ‘À l’ombre du soupçon’, de Vivaldi , pour soprano , flûte à bec et basse
continue, de même coupe, offre encore un feu d’artifice de traits brillants,
trilles, notes piquées, longues phrases fleuries de vocalises auxquelles la flûte
apporte ses broderies et piquants commentaires, sur le ruissellement argenté du
clavecin de Corinne Betirac et les
ondes dorées, mordorées, du violoncelle d’Audrey Sabatier. Oui, ce sont bien
des cantates à deux voix, la voix comme instrument et l’instrument comme une
voix.
Si par l’équilibre de ses formes Arcangelo
Corelli (1653-1713) préfigure déjà un certain classicisme, à entendre sa Sonate opus 5 N° 12, La follia, on doit bien reconnaître que la symétrie externe des parties garantie
par la sagesse de la basse continue, est subvertie ici par le fourmillement
interne le plus baroque des ornements de la flûte dont on a le sentiment que,
sans la contention de la mathématique métrique, métronomique, la forme volerait
en éclat, dans une explosion de la ligne en pure myriade de traits d’une
vertigineuse virtuosité. D’entrée, la flûte expose le célèbre thème de
sarabande, et, à partir de là, dès la seconde exposition variée, on n’arrive
plus à en capter le nombre. Prudemment, les Variations
Diabelli de Beethoven, reviennent à la fin, de façon inattendue, au thème
initial de la valse, dont on avait perdu la perception tant elle était variée,
variation centripète qui ramène, même d’ironique façon, au début oublié. Chez
Corelli, la variation est centrifuge et semble fuir et viser l’infini (rêve que
j’ai défini comme consubstantiel au Baroque) puisque varier la variation de la
variation n’implique de limite, de fin, que celle, arbitraire, en un moment, du
compositeur —ou l’exténuation de l’interprète ! À part les plages des
mouvements lents, eux-mêmes tricotés, maillés d’ornements, d’arabesques, de piaillements
d’oiseaux, les rapides nous laissent sans souffle à entendre Mendoze, sans s’essouffler,
sollicité ou défié par la basse continue en folie aussi, déployer cette
prestesse, cette prestidigitation, plus qu’étourdissante : folle. Jamais l’ibérique folia ne mérita mieux son nom.
La Voix des sentiments
De la tradition au Baroque,
Chansons traditionnelles de Russie,
Händel, Corelli, Vivaldi
Marseille, Temple Grignan,
17 septembre
Ensemble Musica
Antiqua Mediterranea
Lidia Izossimova, soprano,
Corinne Bétirac, clavecin,
Audrey Sabatier, violoncelle,
Christian Mendoze, flûte à bec et direction.
Photos :
1. Lidia Izossimova ;
2. Corinne Bétirac et Christian Mendoze ;
3. Audrey Sabatier.
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