LA BELLE HÉLÈNE
Opéra bouffe en trois actes de Jacques Offenbach
(1819-1880)
Livret de Henri Meilhac (1830-1897) et Ludovic Halévy
(1834-1908)
Création : Paris, Théâtre des Variétés, 17 décembre
1864
Marseille, Théâtre Odéon
16 octobre 2016
Sacrée
famille !
Hélène, dite à tort de Troie, en droit Hélène de Sparte, la
belle Hélène, selon Homère, fut cause de la Guerre de Troie. Cette Hélène,
quelle fatale hérédité ! Quelle famille ! En effet, du côté
généalogique, elle est née des amours de sa mère, la reine Léda, avec un cygne,
en réalité Zeus, pour les Grecs, Jupiter, pour les Romains, Dieu des dieux, un
vilain coureur de jolies filles et même de beaux garçons (ne se fit-il pas
aigle pour enlever le mignon Ganymède et en faire, entre autre son échanson
dans l’Olympe ?), bref, ce coquin de Jupin (pour les amis), métamorphosé
en ce volatile pour tromper et détromper la vigilance de sa jalouse de femme,
Héra pour les Grecs, ou Junon pour les Romains, emblématisée par le paon, le
pa/on-pan chez Offenbach et ses compères librettistes. Côté famille, du même
œuf, Hélène a pour frères Pollux, puis Castor, les jumeaux, les gémeaux. Elle
aura une fille, la jalouse Hermione de l’Andromaque
de Racine qui fera tuer son amant infidèle par son cousin Oreste amoureux fou
d’elle ; quant à sa sœur, Clytemnestre, aidée de son cousin et amant, elle
assassinera son mari, le roi des rois Agamemnon au retour de la Guerre de Troie
car ce père indigne a fait sacrifier leur fille, la douce Iphigénie pour avoir
des vents favorables et Clytemnestre sera à son tour assassinée par son fils
Oreste, poussé par sa sœur Électre, pour venger le père. Et laissons de côté
Atrée et Thyeste, frères ennemis, dont l’un fera manger à l’autre la chair de
ses enfants, ses neveux. Ouf ! Même issue es dieux, cette famille sacrée
est une sacrée famille !
Histoire de pomme
Et pourtant, née d’un œuf et même sans faire une omelette, elle
causera bien des ravages, notre chère Hélène, héroïne bien innocente encore,
enjeu d’un jeu qu’elle ignore, disons le jeu non de l’oie ni de paume, mais de
la pomme, le fruit. Eh oui, la pomme, pas celle d’Ève ni la pomme d’Adam mais
la pomme de Discorde, la rageuse déesse (de là vient l’expression), qui pour
faire râler les dieux de l’Olympe qui ne l’ont pas invitée à leur fête, la
troublera, parce que c’est sa nature, en jetant sur la table du banquet une
pomme d’or avec l’inscription : « À la plus belle ». À la plus belle ? Trois miss(es), non,
trois déesses se mettent sur les rangs, Et les voilà sur le podium, non, le
Mont Ida : Héra (Junon), Athéna (Minerve) et Aphrodite (Vénus),
compétition guère divine mais bien humaine et féminine, bref, un concours de
beauté couronné de la pomme pour la gagnante du titre de « la plus
belle ». Pâris, le beau prince troyen, passait par là comme simple berger.
Elle s’en remettent au jugement du jeune homme. Ce dernier offre le prix à
Vénus qui, recevant la pomme de la plus belle déesse, promet à Pâris la plus
belle des mortelles, Hélène de Sparte, mariée au roi Ménélas, hélas ! Il
l’enlèvera et l’on verra la suite funeste : la Guerre de Troie.
La Guerre de Troie n’aura pas lieu
Du moins chez Offenbach et ses deux érudits librettistes qui
nous en présentent les héros, avant la tragédie, en pleine comédie de ces
boulevards tracés par le Second Empire en gloire et en fête : Hélène en
cocotte, Pâris en jeune premier rusé, Oreste en fils à papa débauché,
Agamemnon, roi des rois bien vivant encore (où est passée Clytemnestre?),
Achille bouillonnant et vibrionnant myrmidon au cerveau limité par le casque,
et Ménélas, en exemplaire parfait des cocus du vaudeville français du temps, la
poire de l’affaire.
Mais La Belle Hélène
(1864) est aussi connue que méconnue. Qui, en effet, aujourd’hui, peut
identifier, pour s’en délecter, toutes les références généalogiques,
mythologiques, détournées de façon comique, qui tendent, comme l’arc d’Ulysse,
le texte hilarant mais très érudit d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, les
duettistes librettistes futurs auteurs de Carmen ?
Ainsi, une seule allusion rapide d’Achille combattant « à un contre
mille », « grâce à [son] plongeon » ne se comprend que si l’on
sait que sa mère, pour le rendre invulnérable, le plongea, enfant, dans les
eaux du Styx, fleuve des Enfers, pour le rendre immortel, le tenant simplement
par les talons, seules parties non trempées qui resteront ainsi
vulnérables : il en mourra d’une flèche de Pâris, lors du siège de Troie.
D’où l’expression, le talon d’Achille, la part, le maillon faible de quelqu’un.
Mais à texte savant, musique virtuose, qui décomposant des mots de manière
surréaliste déjà, a sans doute fixé dans la tradition et la mémoire collective
ces noms de rois, ainsi, le bouillant Achille, « le roi myrmidon »,
ce roi « barbu, bu qui s’avance, c’est Agamemnon », Ménélas,
« l’époux, poux de la reine », qui partira « pour la
Crète », l’île aux cornes qui orneront sa tête après que Pâris sera parti,
avec sa femme Hélène, pour Troie.
Réalisation et interprétation
Beaux décors (Éric Chevalier, Ateliers de l'Opéra de Marseille)
à la grecque, portiques, frise et vue sur le Parthénon ou un temple de ce type.
Nous sommes pourtant à Sparte chez la reine Hélène et le roi Ménélas qui en a
obtenu le trône en dot par son mariage. Une Sparte peu spartiate par la
débauche —déjà— des superbes coiffures, parures, de magnifiques costumes, luxe
et luxure d’une Grèce de fantaisie heureuse, de la comédie et non de la
tragédie (Frédéric Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne), très
habillés ou déshabillés pour la Belle des belles qui peut se le permettre par
l’impeccable plastique de Laurence Janot,
qui l’incarne, littéralement, en chair justifiant qu’elle est le prix de la
pomme « à la plus belle » promise à Pâris par Vénus qui la voit sans
doute comme son double, et qui la chante et nous enchante par une voix ronde,
ductile, facile, suavement sensuelle, nuancée, par une marche et démarche toute
d’élégance souveraine : morceau de choix, morceau de roi, de rois (qui
tous, se la disputèrent : cent candidats fiancés !) . Son récit dramatique,
parodie d’opéra italien (« Ciel, l’homme à la pomme… ») avec ses
cadences cocottantes virtuoses, est d’anthologie.
Le cabinet où la Belle barbote en sa baignoire en méditant
gravement sur la fatalité familiale d’une vertu ballotée, cascadée par les facéties
de Vénus, a pour portrait de famille une élégante et érotique sculpture
néo-classique de XVIIIe siècle libertin, maman Léda caressant le col
phallique de papa le cygne. La scène de sortie de l’onde nous vaut
d’affriolants aperçus de ses charmes dans le simple appareil d’une beauté arrachée
à son bain, qui n’a rien à dissimuler : Vérité du Beau, du Bon, du Vrai,
on est dans le platonisme le moins platonique mais le plus esthétique qui soit.
Cependant,
même issue d’un œuf, Hélène n’est pas une cocotte —minute, papillon, « what did you
expect ? » — elle demande
à la belle Bacchis (Carole Clin) une chaste robe non décolletée, montant jusqu’au col, pour ne
pas allumer, enflammer le bon berger, l’homme à la pomme, Pâris. Celui-ci (Kévin Amiel)
est physiquement plus rustique berger que Prince altier mais ses aigus pénétrants
du mont Ida sont les promesses d’un coq non en pâte ni empâté, qui chante tout
la nuit, et même si « Ce n’est qu’un rêve », que serait-ce, pauvre
Ménélas, dans la réalité ? comme le reproche la belle épouse choquée par l’impolitesse
d’un mari peu galant homme rentré de la Crète à l’improviste sans aviser d’avance
sa femme, s’exposant de la sorte à des désagréments matrimoniaux. Joué par la
reine, jouet malmené des autres rois qui, pour sauver la Grèce de l’épidémie de
luxure envoyée par Vénus vexée de le voir contrarier ses projets d’amour entre
Hélène et Pâris, le somment, l’assomment d’exhortations à l’immolation maritale
de cocu consentant, sommet de drôlerie (Dominique Desmons), ébahi, ébaubi, faraud effaré mais pas
effacé du tableau du déshonneur conjugal où il reste, à jamais, dans l’Histoire,
le premier des « Ménélas de l’avenir ».
Le
quarteron des autres rois de la Grèce est à la hauteur, sinon de l’Histoire,
de cette histoire drolatique : tout d’autorité vocale digne du Roi des
rois, Philippe Ermelier est un Agamemnon dont le nom dispense d’en dire
plus long ; Jean-Marie Delpas, c’est Achille, moins bouillant que
bredouillant, sinon de la voix tonnante, d’un esprit détonant dans la Grèce de
la raison ; Jacques Lemaire et Yvan Rebeyrol, Ajax I
et II, Dupond et Dupond de l’Antiquité, d’inénarrable manière les
campent et Samy Camps, par la voix et le physique, est un séduisant fils
à papa sans maman à tuer, gay ou gay Oreste, dans un rôle dévolu à une femme, escorté
d’accortes compagnes (Nelly B, Lorrie Garcia) des plaisirs et des jeux. Grandiose voix d’intrigant
grand augure qui inaugure le spectacle, grand Prêtre qui se prête aux manœuvres
de Vénus, tricheur et frauduleux, Michel Vaissière, est un irrésistible
Calchas.
Tous ce monde joue, chante, danse dans une mise en scène inventive
de Bernard Pisani, fourmillant
de trouvailles cocasses ou même poétiques (la colombe, volante danseuse),
dynamique, sans un temps mort,
intégrant avec fluidité le quartette léger et virevoltant des danseurs dont la
longueur des noms semble faire une troupe complète (Chloé Scalèse, Liya
Semenkova-Tobiass, Ángel Gabriel Cubero Alconchel, Grégoire Lugue Thébaud).
Intégré aussi dans l’action et le
mouvement, le Chœur Phocéen bien préparé (Rémy Littolff) mérite des éloges tout comme l’Orchestre du
Théâtre de l'Odéon, en notables progrès. Il est vrai qu’à leur tête, Emmanuel
Trenque, chef de chœur de l’Opéra de Marseille, s’avère aussi un chef d’orchestre
remarquable, ayant tout son monde à l’œil, le menant à la baguette vive et
souple. Digne successeur de Pierre Iodice à ce poste, directeur d’orchestre
également, on souhaite à Emmanuel d’avoir vite, comme son prédécesseur, une
phalange à lui.
Une nouvelle production qui mériterait
de tourner.
La Belle Hélène
de Jacques Offenbach,
Marseille,
Théâtre Odéon
15 et 16 octobre,
Chœur Phocéen, chef de
chœur : Rémy LITTOLFF
Orchestre du Théâtre de
l'Odéon
Direction musicale : Emmanuel TRENQUE
Chef de chant : Caroline OLIVEROS
Mise en scène : Bernard PISANI
Assistant mise en scène : Sébastien OLIVEROS
Décors : Éric CHEVALIER (Ateliers
de l'Opéra de Marseille).
Costumes : Frédéric
Pineau, Opéra théâtre de Saint-Étienne.
Distribution :
Distribution :
Hélène : Laurence JANOT
Bacchis : Carole CLIN
Parthénis : Nelly B
Loæna : Lorrie GARCIA
Pâris : Kévin AMIEL
Oreste : Samy CAMPS
Calchas : Michel VAISSIERE
Agamemnon : Philippe ERMELIER
Ménélas : Dominique DESMONS
Achille : Jean-Marie DELPAS
Ajax I : Jacques
LEMAIRE
Ajax II : Yvan REBEYROL
Photos : Christian Dresse
1.Un grand augure pris de luxure ;
2. Les rois de la Grèce ;
3. La reine et le berger ;
4. La belle en son bain ;
5. Hélène et Pâris ;
6. Hélène et Calchas : demande d'un rêve…
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