THE FAIRY QUEEN
D’HENRY PURCELL
Opéra Grand Avignon
10 février 2016 février 2016
Présenté comme semi-opéra, The Fairy Queen est, plus précisément ce que la
tradition anglaise, depuis le XVIe siècle, appelait masque ou mask, une suite de divertissements
scéniques musicaux, qui deviendront des intermèdes à des pièces de théâtre
parlé au cours du XVIIe siècle, et l’on connaît la qualité de ceux
de Purcell. Ainsi, la pièce fameuse de Shakespeare A Midsummer Nigth’s
Dream, ‘Le Songe
d'une nuit d'été’, fut dotée d’un livret (Elkanah Settle ?) en résonance
mais sans correspondance précise avec l’intrigue de la pièce principale, ce qui
eût été une redondance avec le texte principal, qu’il mit en musique. La
première eut lieu au Dorset Garden à Londres, en avril 1692. La partition,
perdue deux fois au XVIIIe siècle (sans doute non imprimée) fut
redécouverte en 1901.
RÉALISATION ET INTERPRÉTATION
Depuis la Tétralogie de Chéreau à Bayreuth en 1976, déjà
précédé par Ponnelle, depuis donc un demi-siècle, nous sommes habitués –ou
résignés– au règne des metteurs en scène qui trouvent sans doute indigne de
leur talent de s’abaisser à
respecter la volonté historique des auteurs et s’adonnent à la
« modernisation » arbitraire des œuvres avec ce désormais académisme
du prétendu non académisme dans une naïve surenchère de l’originalité de leur
« relecture », devenue un lieu commun des plus communs sur tous les
théâtres. Certes, on peut difficilement
dater les fantaisies oniriques de Shakespeare et Purcell, A Midsummer
Night’s Dream
(entre 1592 et 1595) et The Fairy Queen (1692) qui en était des intermèdes : leur monde d’elfes et de
lutins sans âge laisse de la latitude temporelle au metteur en scène. Tout en
concédant la liberté créatrice inaliénable de l’interprète qu’est le metteur en
scène, le bond, –ou le gouffre– que lui fait franchir la par ailleurs
talentueuse Caroline Mutel est sidéral, sidérant, en situant The Fairy Queen, cette ‘Reine des fées’, durant la
Grande Guerre, même couronnée par l’Armistice à drapeau victorieux au vent ou
fraternisation du soldat à casque à pointe couronnée d’une aigrette avec le
Français, casque du coquettement paré d’un plumet tricolore, trinquant
allègrement. En sorte que, à deux ans des commémorations du centième centenaire
de la Grande Guerre, ou en plein anniversaire de la bataille, dix mois, de
Verdun commencée en février 1916, dans ce belliqueux contexte, le texte
humoristique de la pièce ne prête guère à rire, ni même à un lourdingue Sourire
d’une nuit d’été de
Bergman et le Songe et sa féerique musique, dans un décor de ruines (Denis
Fruchaud et
Analyvia Lagarde),
des costumes d’époque (Pascale Barré) où ne manquent ni l’infirmière des urgences inutiles ni le
prêtre, pour l’extrême-onction sans doute, s’engouffrent ici davantage dans le cauchemar de la
terrible boucherie de 14/18.
Ainsi, Le poilu, uniforme couleur
horizon, arrivant par la salle, fusil à l’épaule (sans pacifique fleur), un
fanal à la main (souvenir de la lune de Pyrame et Thisbé de la pièce
originale ?), jouant ensuite, livre à la main, le poète ivre, désamorce
par l’explicite connotation guerrière du personnage, non son arme mais la
plaisante chanson bachique bégayée qui est supposée faire rire malgré
toute la beauté du timbre sombre de Frédéric Caton (Poète ivre / Sommeil / Hiver /
Hymen). On a l’impression que tout est construit, passerelle un peu surélevée
pour le monde des elfes, qui descendent ou condescendent vers les humains, que
tout converge sur le lamento magnifique « O, let me weep… », chanté
de façon déchirante par la mezzo Sarah Jouffroy (Deuxième fée / Le Mystère) sur le
casque du soldat disparu. Mais la déploration sur la perte d’un être cher est
intemporelle et le drame individuel se relativise et s‘amoindrit dans la tragédie collective ou les
pertes se comptaient par millions.
D’autre part, le
livret de Purcell est très loin du texte de Shakespeare, et la distance que
prend Mutel de celui-ci nous en éloigne tant –d’autant que, pour compliquer
l’affaire, presque tous les chanteurs interprètent plusieurs personnages– il
faudrait une clé des songes pour décrypter qui est qui et ce qui se passe sur
scène, ce qui devient, au critique un « cauchemar plein de choses
inconnues » comme disait Baudelaire de Goya, et la nécessité laborieuse de
recourir aux photos des « bios » du programme pour identifier les
interprètes.
Occupant un vaste
espace du plateau, l’orchestre des Nouveaux Caractères est sur scène à jardin, trompette et
percussions à cour, tournant court forcément les déplacements des acteurs dans
un espace rétréci, ouvert sur le fond, avec inévitable perte sonore pour les
chanteurs selon leur place, la musique,
et encore plus les voix, que le veuillent ou non les mises en scènes
« modernes », étant toujours fatalement spatialisée. La fraîcheur du
joli soprano de Virginie Pochon (première fée) en fait les frais pour sa projection ainsi
que le contre-ténor Christophe Baska (Le Secret / Été) trop distant. Derrière un voile nocturne
en fond de scène, plus puissante, Caroline Mutel (La Nuit / Première femme) déploie
le charme d’un soprano rond et voluptueux, déroulant ses belles et langoureuses
vocalises. Mieux servi en ses déplacements vers l’avant-scène, le ténor Thomas
Michael Allen,
d’abord en insolite soutane (Automne / Un Chinois), s’impose agréablement. La
soprano dramatique Hjördis Thébault, campe une Seconde femme qui mérite d’être première par la
force et la souplesse d’un timbre séduisant, fruité, et d’une virtuosité qui
défie la vertigineuse dentelle de vocalises de sa partie.
Corydon est le nom
traditionnel des bergers de l’Arcadie poétique. Est-ce alors un souvenir
malicieux du premier vers des Bucoliques de Virgile : « pastor Corydon ardebat
Alexim », ‘le berger Corydon désirait Alexis’, qui nous vaut la seule
scène vraiment plaisante du spectacle, ce mariage gay qui clôt joyeusement la
série matrimoniale entre un l’hilarant ténor Julien Picard (Mopsa) et un fort en gueule et
voix magnifique Ronan Nédélec (Corydon)? Singularisé par une seule apparition finale en
Phoebus affublé d’un pectoral doré très aztèque, le baryton Guillaume
Andrieux est
rayonnant en souriant astre du jour.
Si l’on discute cette
mise en scène, sans féerie ni surtout la folie dont se réclame la metteur en
scène dans sa Note d’intention, d’une partition et d’un texte qui nous promènent dans les
lieux rhétoriques du baroque lyrique fixés par Cavalli et adoptés dans
toute l’Europe, La Nuit, le Sommeil, le Secret, le Mystère, les Saisons, il
reste, heureusement, la merveille, vraiment féerique, impalpable et si concrète
de cette musique de Purcell qui se cite, comme l’amorce de la gamme descendante
du lamento de Didon, tel jeu sur des mots privilégiés.
À la tête des
Nouveaux Caractères, Sébastien d'Hérin dirige cet ensemble baroque, certes
apparemment moins nourri que celui dont bénéficia Purcell pour la création, de
manière à la fois souple et précise, assez nourrie cependant, répondant bien à
la chair des voix des interprètes qui, malgré les handicaps soulignés de la
scène, ne sont pas éthérées ou décolorées par une conception moderne bien
erronée de la réalité de la vocalité baroque attestée en documents. Longue
suite de danses, dont une somptueuse chaconne finale très développée presque
symphoniquement sertie du joyaux de songs, peut-être une simple version concert eût-elle suffi
à notre bonheur.
Même si certaines
images, on ne le niera pas, sont belles, dont le dernier groupe de mondains
festifs, avec ces lumières ombreuses de Fabrice Guilbert, entre veille et rêve, qui jouent avec
art à paraître un éclairage baroque « naturel », avec rampe, cette
rêveuse Nuit en transparence, la lumière dorée baignant l’orchestre, caressant
les instruments. Mais, rapporté au texte, le traitement scénique guerrier, sans
être pour autant effrayant est effarant plus que féerique.
l'Orchestre
des Nouveaux Caractères.
Direction
musicale : Sébastien d'Hérin.
Mise en
scène : Caroline Mutel. Décors : Denis Fruchaud et Analyvia Lagarde.
Costumes : Pascale Barré.
Lumières : Fabrice Guilbert.
Distribution :
Première
fée : Virginie Pochon.
La Nuit / Première femme : Caroline Mutel.
Seconde
femme : Hjördis Thébault.
Deuxième fée / Le Mystère : Sarah Jouffroy.
Le Secret /
Été : Christophe Baska.
Automne / Un Chinois : Thomas Michael Allen.
Mopsa :
Julien Picard.
Poète ivre / Sommeil / Hiver / Hymen : Frédéric Caton.
Corydon
: Ronan Nédélec.
Phoebus : Guillaume Andrieux.
Photos fournies par l'Opéra grandAvignon
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