PATRIZIA CIOFI,
SOPRANO
Extrait de mon émission
allégée des exemples musicaux. À la place, des liens vers Youtube où l’on
retrouve cette magnifique artiste.
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9 FM,
Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 101
Lundi :
10h45 et 17h45 ; samedi : 12h45
Elle triomphe encore sur la scène de notre Opéra dans
cette Straniera, ‘l’Étrangère’ de
Bellini, œuvre rarissime de haute volée, de haute voltige vocale, ce qui
explique sa rareté de par le monde. Mais Patrizia Ciofi, qui parcourt ce monde
sur les ailes du chant et de sa voix ailée, est loin d’être une étrangère chez
nous : elle y est même chez elle tant le public lyrique de Marseille,
reconnaissant aux artistes de qualité, a su apprécier les siennes depuis son
apparition dans Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (2004). Ce fut
ensuite une Lucia di Lammermoor de
Bellini (2007) d’anthologie,
réglée par Frédéric Bélier-García, qui hante encore les mémoires, hallucinante
de vérité hallucinatoire, puis une Ophélie d’Hamlet d’Ambroise Thomas (2010) que personne n’a oubliée dans son air tendre,
triste et fou de virtuosité vertigineuse noyée dans sa baignoire, enfin, ce fut
Roméo et Juliette et elle
participa au concert inaugural du Silo (2011) et avait donné un récital au
Gymnase, dans le cadre de Marseille-concerts.
Adoptée chez nous, cette Italienne de Toscane, née à Sienne, a
encore émerveillé souvent notre région, à l’Opéra d’Avignon où, entre des
récitals de bel canto romantique, dans des opéras, elle a incarné mémorablement
Leïla des Pêcheurs de perles de
Bizet, Manon de Massenet, et aux
Chorégies d’Orange, dans le cadre grandiose devant huit milles spectateurs à
ciel ouvert, cette frêle et petite jeune femme est aussi chez elle, dans Lucia encore, à l’aise dans Traviata, dans Gilda de Rigoletto, dont, folle gageure, avec Leo Nucci, elle bisse la
terrible scène « Vendetta » et, l’an dernier, en récital avec le même
infatigable baryton, elle « trisse », elle répète trois fois cette
scène redoutable : un exploit digne des plus grands sportifs, mais dans un
éblouissement artistique et émotionnel de toute beauté, d’exceptionnelle
qualité. On se demande où cette femme menue, rieuse, à la flamboyante
chevelure, à la voix délicate, ronde, tendre, boisée, apparemment fragile,
puise cette énergie.
On écoutera avec bonheur des exemples révélateurs de son talent, un
dans un disque précieux enregistré en 1999, en direct du Festival della Valle d’Itria,
Marina Franca, avec l’Orchestra internazionale d’Italia sous la baguette de
David Golub de Tommaso. Elle y chante des extraits d’œuvres souvent rares dont
un chef-d’œuvre de Tommaso Traetta, (1727-1779) l’opéra Ippolito ed Aricia (1759), inspiré d’Hippolyte et Aricie, du
livret pour Rameau de l’abbé Pellegrin, d’après la Phèdre de Racine, qui narre l’histoire du jeune couple
malheureux à cause de l’amour incestueux de Phèdre pour son beau-fils
Hippolyte. En voici un extrait sur Youtube :
Oui, c’est une grande chance, un grand privilège de voir et
d’entendre souvent Patrizia Ciofi, qui parle d’ailleurs un français
remarquable, dans notre région. Car on se l’arrache internationalement :
de la mythique Scala de Milan à la Fenice de Venise dont elle assure la
résurrection en 2004 après son incendie, en passant par tous les grands
théâtres lyriques de son pays et de l’Europe et d’ailleurs, Munich, Berlin,
Barcelone, Madrid, Paris, Londres,
Chicago, New York, Moscou, Tokyo, etc, etc.
Pour les auditeurs de Radio-Dialogue, elle me reçoit dans le grand
foyer de l’Opéra de Marseille, la veille de la générale de la Straniera. Je lui manifeste mes scrupules de la faire parler
la veille d’une représentation et lui propose de la revoir un autre jour :
la voix, le timbre, sont choses d’une extrême fragilité et les chanteurs
évitent de parler pour ne pas les fatiguer la veille d’une représentation,
certains allant jusqu’à se mettre du sparadrap sur la bouche pour s’épargner la
tentation de la parole, funeste au chant. Elle me rassure en riant et, quand je
veux faire court pour la laisser se reposer, elle ne ma mesure ni son temps ni
sa parole et devance souvent même mes questions.
Le 13 juillet 2012 à Orange, après le Requiem de Mozart, Benito Pelegrín raconte une blague à Patrizia Ciofi prête à éclater de rire… (Ph. Stéphane Seban) |
Bref, même en la connaissant un peu au hasard des rencontres
amicales après ses représentations à Orange, je croyais trouver une diva mais
je découvre une femme, d’une simplicité directe, avec beaucoup d’humour, de
lucidité sur elle, sur sa carrière, avec une morale, une philosophie humaine de
la vie qui touche et fait réfléchir. Je lui parle métier, musique mais, au-delà
de la musique, qui est sans doute une éthique autant qu’une esthétique, c’est
une sagesse qu’elle m’exprime et m’imprime : oui, dans la vie, il y a de
grandes douleurs, inconsolables, inoubliables mais, au lieu de nous fermer
égoïstement sur nous, elles doivent nous ouvrir sur le malheur des autres. Et,
dans tout cela, sans renoncer au souvenir qui fait mal, il faut garder le bon,
le beau, remercier la vie, donner des chances à sa propre vie.
Alors, à côté de cela, mes questions sur les bons souvenirs de mise
en scène ou les mauvais, les conflits éventuels avec le metteur en scène, le
chef d’orchestre, sont vite balayées : même en venant aux premières
répétitions avec une idée personnelle sur le personnage musical qu’elle doit
interpréter, après une écoute modeste des disques des grandes cantatrices qui
l’ont précédée, Patrizia Ciofi fait « tabula rasa » de ses
conceptions personnelles, même pour des rôles qu’elle a interprétés cent fois,
pour s’ouvrir aux propositions des autres, s’en enrichir même dans la
contradiction, pour se faire des surprises et fuir la routine, et se laisser
guider par la musique.
Mais on se laisse, sans se lasser, guider par elle dans ce disque
remarquable, dans le même Festival, mais en 2000, et guidée par la baguette de
Paolo Arribabeni, le chef de la Straniera, elle nous bouleverse dans l’Otello, non de Verdi, mais de Rossini, avec la « chanson du saule »,
« Assisa a pie d’un salice », poétique Desdemona qui faisait trembler
la pauvre Malibran aux prises avec son tyrannique père Manuel García dans le
rôle de l’époux jaloux.
El le rêve de cette grande dame toute menue, attendrissante, hors de
la scène, c’est de vivre chez elle une vie normale de tous les jours, en
conservant la rigueur d’une hygiène de vie ménageant la voix, prenant garde à la nourriture, en
évitant le stress qui créée ou intensifie les problèmes, mais en fréquentant
les amis, en cuisinant pour eux, et surtout, dans ce métier aux constants
voyages, de pénible solitude, elle
sait combien il faut prendre soin de l’autre comme de soi-même, l’aimer et
s’aimer en couple en harmonisant l’équilibre délicat des habitudes.
Son
avenir ? Le futur de sa voix ? Elle a chanté le baroque, et de Mozart
à la musique contemporaine en passant par tous les grands rôles de soprano
lyrique coloratura. Mais il faut accepter, avec le temps, que les choses
changent, que le corps parle, résiste, sans le forcer. Il faut l’accompagner
dans son évolution sans s’accrocher à ce qui n’existe plus de ses possibilités.
Elle adore explorer ses limites mais sans les exposer, les faire exploser
inutilement : savoir ce que peut et veut sa voix et ce qu’elle ne peut et
veut plus.
Nous la voudrions encore et on la quitte à regret mais avec la
consolation de la retrouver dans ces disques et sur ce précieux finalement
Youtube et l’on conseille d’écouter sa voix douce, boisée, feutrée, son
français si fluide, dans cette belle interview, dont on ignore l’auteur, élégamment discret, laissant la parole à la cantatrice qui parle si
intelligemment de l’opéra balcantiste romantique à propos de Lucia de
Lammermoor qu’elle interprétait
alors à Paris.
Ci-dessus, parmi ses très nombreux enregistrements, un disque très éclectique de Ciofi et deux disque de musique baroque où excelle cette voix instrumentale mais faite de chair et d'âme.
PETIT FLORILÈGE DE CRITIQUES PARUES DANS CE BLOG
SUR PATRIZIA CIOFI
LUCIA DE LAMMERMOOR, Marseille
vendredi, avril 20, 2007
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2007/04/lucia-de-lammermoor-marseille.html
Mais, voix et jeu, physique,
Patrizia Ciofi, les possède et transmet, miraculeusement. Orange, écrin de
titans, avait consacré, sacré cette frêle silhouette dans cet étau de pierre.
Ici, cette fragilité corporelle, toute de légèreté, cette tendresse de la voix,
aux aigus extrêmes d’une extrême douceur, sans arêtes, qui se joue des pires
difficultés, si musicale, nous arrive avec une évidence sensible qui va droit
au cœur : les vocalises ont du sens, les soupirs sont des hoquets de douleur,
avec un naturel confondant : on redécouvre la partition archi-connue. D’entrée,
on sent la faiblesse de l’héroïne, dans la fébrilité, dans le regard égaré,
hagard dans la folie, colombe harcelée par la horde, le vol nocturne des
oiseaux de proie mâles : on a envie de la protéger, de la prendre dans ses
bras, mais on se dit égoïstement que le malheur va si bien aux femmes dans
l’opéra… Des ovations saluent ses airs, les coupent aux charnières : l’émotion
de la salle la gagne et nous regagne. La salle salue debout, comme un seul
homme, spontanément. Elle pleure, nous aussi. Sa dernière Lucia? Disons, pour
nous, la première.
LES PÊCHEURS DE PERLES, Avignon
08 mars 2007
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2007/03/les-pecheurs-de-perles-avignon.html
Que dire de Patrizia Ciofi
sans se répéter? Même grippée, elle est toute présente, petit Tanagra indien,
légère comme un oiseau dont elle a les vocalises et les trilles dans un air
vertigineux qui anticipe celui de Lakmé vingt ans plus tard, un peu moins aigu,
voix d’une rare musicalité, tendre, moelleuse et délicate, toujours à fleur
d’émotion : un bonheur.
LA TRAVIATA, Chorégies d’Orange
jeudi, juillet 16, 2009
La traviata, c’est Patrizia Ciofi, minceur juvénile, jolis
gestes gracieux, rieuse et grave, extravertie et intérieure. Elle n’est pas
défigurée par une énorme voix : sa Violetta, c’est bien elle, cette silhouette
agile, ce timbre rond, de miel, d’une musicalité de rêve, une volubilité qui
fait voltiger les vocalises comme des bulles de champagne ou des interrogations
de l’âme. Une incarnation touchante dans la délicatesse qu’on voudrait protéger
jointe à la puissance tragique qui bouleverse.
HAMLET, Marseille
juin 2010
http://benitopelegrinchroniques.blogspot.fr/2010/06/hamlet.html
Et quand Ophélie est Patrizia
Ciofi, légère comme un moineau au milieu
de sombres corbeaux morbides, sautillant, pépiant tout doucement sans jamais
s’intégrer à leurs vols funèbres ou bals frivoles, c’est le frisson de la grâce
qui passe, dès son mélancolique premier air : doux legato dessinant un
flottant horizon déjà lointain. Regards égarés, bras aux envols brisés
retombant, désespérés d’étreintes rejetées, sur la pointe des pieds pour
atteindre un inaccessible Hamlet dressé comme un roc dans son obsession qui le
rend insensible, livre à la main, elle est l’image, et le son idéal, de
l’abandon, de la détresse douce et bleutée qui va l’étreindre dans sa brume
aquatique. Et tout cela avec cette voix tendre, moelleuse jusque dans l’extrême
aigu, jonglant, aérienne, avec notes piquées, trilles d’oiseau, roulades,
cadences irréelles, avec un aisance bouleversante qui fait vivre ce sommet de
l’art, l’artifice de cette haute voltige vocale, comme tout naturel. […]
Gageure réussie dans un
lieu unique : Ophélie ne va pas se noyer dans un étang extérieur mais ici,
au milieu de la scène, dans une baignoire ; en faut-il plus à une enfant
fragile et gracile pour sombrer dans sa folie et se noyer dans ses
larmes ?
MANON, Avignon,
3 mars 2009
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2009/03/manon.html
Patrizia Ciofi, c’est cette
grande dame du chant international qui, loin de cultiver ses succès, prend le
risque de prises de rôles, il y a peu, à Avignon, Leïla des Pêcheurs de
perles et, aujourd’hui, Manon, qui
nécessite vélocité et agilité dans l’air virtuose du II mais aussi un solide
médium dramatique dans la scène de Saint-Sulpice. Même si la voix accuse une
certaine fatigue dans l’air du Cours-la-Reine, chez cette grande artiste, on
l’éprouve comme un charme touchant de plus d’une héroïne qui n’est « que
faiblesse et que fragilité », humaine en somme, faillible. Mais la rondeur
boisée, le miel musical de son timbre, son art des nuances, des couleurs, son
jeu convainquant de bout en bout, tour à tour mutine, câline, coquine, sincère,
mouvante et émouvante, en font une Manon d’exception.
RÉCITAL Patrizia Ciofi,
Marseille-Concerts
dimanche, mai 08, 2011
http://benitopelegrin-chroniques.blogspot.fr/2011/05/recital-patrizia-ciofi.html
La cantatrice Patrizia Ciofi n’est pas une diva. Mieux qu’une diva, elle est Patrizia Ciofi, c’est-à-dire,
une chanteuse qui sait faire de l’art le plus consommé du chant, de la
technique la plus absolue, une seconde nature, ou sa première. À sa voix d’une
exquise musicalité, souple, perlée, au timbre doucement fruité, riche en
harmoniques, elle sait donner un arc-en-ciel séduisant de nuances, feutrées,
veloutées, irisées, toujours au service de la musique et du texte, de
l’interprétation, en musicienne et actrice. Personnalité à la nature charmeuse
sans effet de charme, silhouette gracile, sourire gracieux et yeux malicieux,
elle dialogue aimablement avec une salle bon enfant à la méditerranéenne, qui
l’interpelle gentiment ; après d’époustouflantes interprétations des
héroïnes folles du romantisme le plus fou, on lui réclame abusivement en bis Lucia, elle réplique :
« Lucia ? Je
ne suis pas un juke-box ! »
[…]
Ici, en seconde partie, de noir vêtue, elle offre une panoplie de
ces rôles tragiques du romantisme généralement prétextes aux compositeurs
du temps d’en faire des morceaux de bravoure, avec de fameuses scènes de folie
que s’arrachaient les plus fameuses cantatrices, occasion pour elles de faire
étalage de leur maîtrise vocale, de leur virtuosité, avec toute une pyrotechnie
de vocalises, de notes piquées, de fusées, roulades, glissandi, sauts et autres
agréments acrobatiques du chant placés, après un premier mouvement, dans les
cabalettes finales. Vertigineuse virtuosité pure que l’air de Fiorilla de Il
turco in Italia opéra-bouffe de
Rossini, de demi-caractère dans la Marie de La Fille du régiment. La tragédie et le délire fondent les vocalises dont
se hérisse le rôle de Maria Stuart dans la Maria Stuarda de Donizetti, la reine perdant la tête avant de la
perdre tout court. Toute la technique impeccable de Ciofi est là. Mais avec
l’air de Juliette des Capuleti e Montecchi de Bellini, le grand arc lyrique bellinien devient poésie vocale pure
dans la voix de Patrizia qui nous transmet toute la nostalgie douce et
mélancolique des grandes âmes trahies par la vie dans l’air rêveur de La
Sonnambula.
Photos : les crédits respectifs figurent dans chaque article dont je donne le lien.
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