ARPÈGES
ANDALOUS
Lucero Tena, castagnettes,
Xavier de
Maistre, harpe
TOULON,
Tour royale,
8 juillet
TOULON,
Tour royale,
8 juillet
Le Festival de musique de Toulon, hivernal et estival, anime au sens premier, ‘donne une
âme’, à des lieux patrimoniaux, par la musique. Parmi ces lieux, la Tour royale,
démocratiquement posée au-dessus d’une plage populaire, s’impose en bout de
ville comme une sentinelle désormais souriante de la cité. Nous l’avions
découverte avec bonheur justement grâce au concert des Voix Animées de Luc Coadou,
remarquable ensemble a cappella toulonnais, bien connu internationalement. Et
je la retrouvais, en attente d’un autre plaisir musical, telle que je l‘avais vue la première
fois, château de sable à l’échelle des titans, concrétisé en pierre au fil des
siècles.
Cette Tour
royale de Toulon, au bout d’une presqu’île, domine désormais paisiblement la
rade, sans canons, tambours ni trompettes autres que ceux des orchestres, en
géant débonnaire, dépositaire d’un passé guerrier aujourd’hui heureusement
révolu : elle accueille désormais dans son creux, dans sa cour, la paix
universelle de la musique. Et l’on y allait donc au crépuscule, planté sur la
sérénité du vert tapis du parc à ses pieds, enfants sortant de la baignade,
quand la mer reflète en soie rose le rougeoiement velouté intense du soleil
avant qu’il ne sombre avec faste et s’éteigne, semblant éclairer la mer par en
dessous, relais lumineux de l’astre enfui. Miraculeuse courtoisie du temps, ce
soir-là, pas un souffle de vent, et l’étoile du Berger, de Vénus, à l’ouest,
éblouissant diamant épinglé au manteau lentement nocturne du ciel sur les flots
sereins, témoin brillant et bienveillant passant à l’est à l’issue d’un concert
placé de la sorte sous son patronage.
Ciel et terre
Étrange oiseau
doré posé sur un pied sur la scène face à la nuit tombante et la mer silencieuse,
la harpe déploie une aile immobile striée de l’or aérien de ses cordes.
Instrument que l’on prête aux anges, voué au paradis, la harpe est associée ce
soir en harmonie, insolite union, aux percussives castagnettes, en bois ou
matière dure (Carmen s’en improvise en cassant une assiette pour en
jouer) : la terre et le ciel, la
tour sous les étoiles.
Les étoiles
(préférons-les aux « stars ») sont Lucero Tena, aux castagnettes, et Xavier de Maistre à la harpe : instruments immémoriaux des
musiques primitives, percussions et corde vibrante, arrivés jusqu’à nous dans
un raffinement extrême. Elle, minuscule grande dame qui a donné ses lettres de
noblesse aux castagnettes, les faisant accéder de l’arrière-salle des tavernes enfumées
du flamenco originel au-devant de la scène des plus grandes salles de concert, enflammant
les plus grands orchestres sous la direction de chefs prestigieux. Lui, solide athlète, homonyme
de l’auteur savoyard du Voyage Autour de ma Chambre, Toulonnais
d’origine, même ancré comme professeur à la Musikhochschule de Hambourg, court
le monde désormais, harpiste multi-primé et prisé aussi par les plus grands
ensembles orchestraux. Une discographie imposante déjà à son actif et pas moins
que la création, l’an dernier, à Tokyo, du Concerto
pour harpe de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho. Lucero Tena, ancienne danseuse de
classique et de flamenco, ex-professeur au Conservatoire de Madrid, dédicataire
de deux danses espagnoles de Joaquín Rodrigo, bien qu’ayant fait ses adieux
officiels à la scène, privilégie néanmoins sa collaboration avec Xavier de Maistre et ce couple
attachant de musiciens prestigieux, la dame menue que ce grand gaillard amène et ramène sur
la scène avec une tendresse filiale, connus à Madrid, arrivent jusqu’à nous sur
le fil de leurs tournées acclamées, pour un concert que, sans emphase ni
dithyrambe, on peut qualifier d’exceptionnel.
Associées en
général au flamenco les castagnettes sont en fait utilisées dans toute la
Péninsule ibérique et la guitare, populaire, si espagnole dans l’imaginaire musical,
fait oublier aux musiciens que la harpe, aristocratique, a connu un essor
considérable en Espagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, de
la même famille des cordes pincées, comme le clavecin, mais avec les doigts. Le
programme en fut une brillante démonstration.
Le premier
morceau, d’une proportion toute classique à la Haydn et d’une grâce mozartienne,
dans une transcription de Xavier de Maistre, est la Sonate en ré majeur du prêtre basque espagnol Mateo de Albéniz (1755-1831) fleuri de
rythmes de danses espagnoles, où pointe le fandango tellement en faveur à l’époque
même au-delà des Pyrénées. C’est, d’avance, tout le condensé des qualités des
deux interprètes, leur connivence, leur musicale et souriante complicité :
précision des attaques, des paraos, des arrêts secs que même la
musique classique hérite de la populaire : je pense, bien sûr, à ce cantar limpio, ce ‘chanter propre’, cette
caractéristique exigence du chant espagnol qui demande des ornements, des
mélismes, même les plus subtils, précis, détachés, nets, sans bavures, jamais savonnés, d’un rythme impeccable
et implacable, que peu d’interprètes non espagnols, malheureusement, savent
rendre dans leur quintessence hispanique.
On est impressionné de voir les mains géantes
de ce grand garçon courir sur les fils ténus de la harpe avec une légèreté arachnéenne,
mais jamais sans mièvrerie, toujours viril, insolite et séduisante harmonie de
cet instrument toujours abusivement rapporté aux femmes, ici sensuellement associé
à ces castagnettes, métaphores faciles des attributs mâles, jouées, frappées,
entrechoquées vigoureusement par une petite bonne femme. Plus qu’une simple sonate, les deux
artistes en font, et feront des morceaux suivants, un concerto, un dialogue
concertant entre les deux instruments : la harpe propose, les castagnettes
répondent, ponctuent, relancent, soulignant des cadences et toujours dans un
incroyable accord dans les forte et les piani
ou double piani. De ses doigts
puissants, avec une volubilité virtuose, délicate, le harpiste tisse, tresse
des sons légers, impondérables, des ruissellements irréels de finesse et de
fantaisie. De son côté, on est abasourdi, non assourdi, des castagnettes de
Lucero qui, parfois obsédante basse continue de musique baroque, savent se
faire intimes, réussissant des gruppetti,
des grappes de sons, pratiquement des trilles avec une souplesse qu’on ne prêterait
pas à la sécheresse du bois rigide de ses instruments. C’est tout aussi
impressionnant.
Loin des accords ou arpèges andalous du titre
du programme, dans une transcription encore personnelle, Xavier de Maistre proposera en solo deux œuvres de Jesús Guridi (1866-1961) dont le Zortzico
zarra, ‘Vieux Zortico’, danse typique basque à 5/8 de ce prolifique
compositeur, pleine de vigueur montagnarde. Il donnera aussi la lumineuse Sonate
pour harpe en ré majeur du Padre
Antonio Soler (1729-1783) dont
on connaît surtout les innombrables pièces pour clavecin, toute rythmées, comme
chez Domenico Scarlatti, de danses espagnoles.
Pour la part
andalouse —toute relative car autant
Isaac Albéniz (1860-1909) qu’Enrique
Granados (1867-1916) sont catalans, mais espagnols dans l’âme malgré la
crasse ignorance de certains séparatistes actuels, et Francisco Tárrega (1852-1909), aragonais— Manuel de Falla (1876-1946), authentique andalou de Cadix, ne pouvait
manquer. C’est bien, inspirée de thèmes populaires ou inventés, une vision
musicale intime de l’Andalousie, sans négliger d’autres régions (Aragon,
Asturies) que nous offrent ces compositeurs espagnols et que nous rendent avec
une émotion qu’ils nous font partager ces deux interprètes communiant en une même
hispanique ferveur, respectueuse, sans nul effet folklorisant. Tout sonne
juste, je dirais, vibre, nous fait vibrer.
Du premier,
avec Torre Bermeja, où même les
castagnettes deviennent rêveuses, nous seront présentés des extraits de la Suite espagnole, « Granada », «Zaragoza ».
Difficile de tout détailler dans ces interprétations d’une noble beauté mais comment
n’être pas bouleversé par celle d’Asturias
d’Albéniz, fourmillement musical insensible, obsédant, scandé de traits
cinglants, rageurs, troués de silence ? Du second, la fameuse « Andaluza »,
extrait aussi de ses Danzas españolas,
transcrite pour harpe par de Maistre, comme aussi Recuerdos de la Alhambra, ‘Souvenirs de l’Alhambra’, de Tárrega, qu’il donne en
solo frémissant de trémolos, de trilles d’une grande douceur, un frisson d’eau
sur la mousse des jardins du Generalife : le harpiste recrée, toute la finesse
du rasgueo et punteado, ‘arpégé et piqué’, pincé, de la guitare avec son instrument. L’interlude
de La vida breve, la "Danse numéro 1", de
Manuel de Falla qui concluait en drame le
concert, pinçait et claquait dans le rythme inéluctable, fatal, de la tragédie.
En bis, merveilleuse
surprise, les deux artistes nous firent le cadeau de l’interlude de La boda de Luis Alonso, zarzuela sur un
maître de ballet andalou, de Géronimo Giménez
(1854-1923), brillantissime pièce sur
des thèmes de danses traditionnels pour certains (une jota joyeuse), dont même Liszt s’inspire avec
sa pièce sur les Folies d’Espagne.
Les deux artistes s’en donnèrent à cœur joie pour la nôtre.
Festival de
Toulon
Tour royale, 8
juillet
Arpèges
andalous,
Lucero tena,
castagnettes, Xavier de Maistre, harpe.
Musiques de Mateo Albéniz, Isaac Albéniz, Manuel de Falla, Jesús Guridi, Enrique Granados, Antonio
Soler, Francisco Tárrega.
Photos :
1. B. P.
2, 3, 4. Tedeschi
On signalera le programme, anonyme, extrêmement bien fait (que je n'ai eu qu'en partant).
On signalera le programme, anonyme, extrêmement bien fait (que je n'ai eu qu'en partant).
Serenata española :
https://www.youtube.com/watch?v=5k_ix0Ya2Y4
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