L’ESTIVAL DE LA BÂTIE
Du 5 au 21 juillet
Loire
La Loire à lire, à dire, à voir
L’Astrée, d’Honoré d’Urfé, écrit de 1607
à 1627 : cinq parties, quarante histoires en soixante livres pour un total
de près de 5400 pages, le plus long de la littérature française, est bien ce
qu’on appelle, sinon une série, un roman
fleuve. Comme la Loire, dont certains paysages l’ont inspiré, le plus long
des fleuves français, aussi bien et mal connue que l’incernable roman. Bref, la
longue Loire, ses rives, ses dérives et ses rivages, ponctués des visages bien
identifiés, souriants, de châteaux Renaissance, très en aval. Mais, bien en
amont, le fleuve en apparence aimable mais indomptable, pas navigable, s’étire,
ondoie, louvoie, creuse capricieusement des mystères dans le roc, la roche, la
montagne qu’elle baigne, lèche, mais pour la mordre, puis s’étale, s’endort en
apparences de lacs paisibles propices aux baignades, aux escapades en voiliers,
barques, canots, canoës, s’enfonce, se love voluptueusement dans des gorges
profondes boisées, prisées des randonneurs, que ne soupçonnera jamais son large
et plat estuaire dompté et navigué dans l’Atlantique lointain.
Un château, une chapelle romane
avec un retable baroque, un promontoire : vue plongeante sur ces gorges de
la Loire, presque inconnues, au fond desquelles vogue le pétale d’une voile sur
une eau ne dormant que d’un œil, tenue à l’œil, sans doute aussi par ces
châteaux qui hantent encore des sommets, perchés, fantômes pétrifiés, tel celui
de Saint-Paul-en Cornillon ou, étrange navire immobile de
pierre, celui bien nommé de Château de la Roche, posé sur l’eau de
toute sa masse comme un improbable et impondérable rêve médiéval merveilleux où
le minéral n’aurait que le poids d’une feuille d’automne mirant son double
inversé flottant sur un miroir.
Le Forez d’Honoré d’Urfé
Au-delà de
ces monts décoiffés, hérissés et touffus, la plaine du Forez peigne doucement
la molle ondulation de ses bocages tendres et des souvenirs universitaires de
lectures se retrempent en douceur et couleurs dans ces petits cours d’eau
paisibles qui sont le cadre arcadique de l’Astrée,
ainsi ébauché par Honoré d’Urfé dans l’incipit de son roman :
« Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant,
il y a un pays nommé Forez, qui en sa petitesse contient ce qu’il y a de plus
rare au reste des Gaules […] divisé en plaines et en montagnes […] Au cœur du
pays est le plus beau de la plaine, ceinte, comme d’une forte muraille, des
monts assez voisins et arrosée du fleuve de Loire, qui prenant sa source assez
près de là, passe presque par le milieu, non point encor trop enflé ny
orgueilleux, mais doux et paisible. Plusieurs ruisseaux en divers lieux vont
baignant la plaine de leurs claires ondes, mais l’un des plus beaux est Lignon,
qui vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source, va serpentant
par cette plaine depuis les hautes montagnes de Cervières et de Chalmazet
jusqu'à Feurs où Loire le recevant, et lui faisant perdre son nom propre,
l’emporte pour tribut à l’Océan. »
En ces lieux pacifiés par la géographie, dans une Gaule mythique du Ve
siècle, peuplée de bergers galants chantant de bucoliques et mélancoliques
amours, d’Urfé situe son roman pastoral qui se veut une réplique française aux
romans pastoraux célèbres, italien de l’Arcadie de Jacopo
Sannazaro (1502), espagnols de Jorge de Montemayor, la célébrissime Diana
(1559) en prose et vers, passionnément lue dans toute l’Europe pendant plus
d’un siècle, et la proche Galatea (1585), roman d’analyse psychologique
de Cervantès que l’auteur de Don Quichotte considérait son chef-d’œuvre.
La Bâtie d’Urfé
Bastion médiéval fortifié, allégé en agréable bastide, bâtiment de plaisance,
à la Renaissance, la Bastie ou Bâtie d’Urfé offre au regard, de son origine
moyenâgeuse, un solide corps de bâtiment frontal à la française, coiffé d’un
vaste toit d’ardoise grise , mais deux
ailes latérales vous accueillent de leurs deux bras largement ouverts. Celle de
droite, aligne une arcature légère en pierre grise sur le blanc de chaux, dans
la pureté d’épure florentine, supportant une galerie, une aérienne loggia de
fines colonnettes.
Cercle, triangle des frontons de portes et fenêtres, tout le
rêve géométrique de la Renaissance est discrètement inscrit dans ces
pierres : à l’univers idéal, mathématique, parfait, créé par un Créateur architecte,
doit répondre, ici-bas, l’imparfaite matière domptée par la symétrie, la
proportion, synonymes alors de beauté, tentative de perfection humaine pour
approcher celle de Dieu. Même la danse du temps, fondée sur des lignes
symétriques et des cercles, doit être l’image terrestre, comme la polyphonie,
de la musique et de la géométrie des sphères.
Jardin clos
Jouxtant la galerie italienne, le jardin est un écho végétal à l’idéal
géométrique de la Renaissance : hortus conclusus, ‘jardin clos’
hérité de la tradition mystique et poétique, qui remonte au Cantique des
cantiques de Salomon avec cette sentence :
« Hortus conclusus soror mea, sponsa ; hortus conclusus, fons signatus. » (4, 12),
(‘Ma sœur et bien-aimée est un jardin enclos ; le jardin enclos
est une source fermée. » L’hortus conclusus est un
thème iconographique de l'art religieux européen qui représente souvent la
Vierge Marie ou la Dame parfaite des troubadours peintes en leur jardin intime,
secret. La Renaissance donnera un
autre sens, profane et humaniste à l’hortus conclusus : jardin enclos, comme ici, de murailles crénelées
aux allées de plantes taillées très géométriquement (sans être encore le jardin
dit « à la française »). Centré comme en un point focal sur une petite
rotonde en forme de temple, avec ses parterres en carré et ses allées
symétriques, le jardin métaphorise la culture défendue jalousement par ses murs
contre la nature inculte qui l’assaille de l’extérieur, dont les fourrés
touffus, les frondeuses frondaisons menaçantes débordent par-delà les murs
protecteurs.
Un impavide Sphinx de pierre préside la montée
de la rampe, symbolise le savoir et une grotte dans le goût maniériste,
rocailles, mascarons en matériaux naturels, stalactites, galets, cailloux et
coquillages multicolores, statues des saisons, fontaine, allégorise un lieu de
réflexion culturelle avant l’entrée cultuelle d’une petite mais somptueuse chapelle
où les symboles chrétiens semblent se refuser à toute identification fanatique
du dogme.
Aïeul d’Honoré, Claude d’Urfé (1501-1558),
ambassadeur de François Ier à Trente, pour le fameux Concile de
la Contre-Réforme, gouverneur du Dauphin, a imprimé et cultivé en ce lieu, en
pierre et végétaux, sa culture et ses idées humanistes dès 1535, puisant
l’inspiration dans ses séjours en Italie.
L’Estival de la Bâtie
En ce lieu de rêve s’en concrétise un
autre : L’Estival, festival, musical,
familial, de la Bâtie. Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel en sont les parrains cette année.
Depuis huit ans déjà, ce lieu si riche en Histoire et histoires, est
amoureusement investi par les arts vivants, la culture sous toutes ses formes
avec, en facteur commun la musique sans frontières déclinée en genres :
classique, jazz, variétés, danse, sans faire aucun genre ni chichis, musiques
du monde et un monde de musiques. On y passera gaiment des deux rives de la
Méditerranée à l’Atlantique du Rio de la Plata grâce au Plaza Francia Orchestra, maîtres du néo-tango, en clôture le 21
juillet,
Mais le Festival s’ouvre le 5 juillet, après un apéro-concert à 19h30
de jazz flamenco (des tapas espagnoles au menu, non ?), en
grande pompe musicale, sans être pompeux ni pompier ni pompant, avec L’Orchestre symphonique européen (beau
symbole d’ouverture de frontières) dirigé par Daniel Kawka avec, au programme, Berlioz, Ravel, Dvořák.
Le 6 juillet, après le rituel encore
apéro-concert, La Petite symphonie & Les Lunaisiens, huit chanteurs, enchanteront
aussi la cour d’honneur autour de Daniel Isoir, avec ses textes adaptés
pour en rendre plus facile l’accès, avec rien moins que La Flûte
enchantée, poétique, cocasse, touchante, bouleversante, où, la veille
de sa mort, le compositeur laisse parler en lui, pour nous, pour la dernière
fois, l’enfant Mozart.
Du 5
au 8 juillet, dès 16h30 jusqu’à 20 h., la magnifique idée si mozartienne :
des « Spectacles en herbe », pour jeunes pousses de
spectateurs, à partir de trois ans ! Instruments de musique géants pour
les familiariser concrètement avec l’orchestre, projections de films animés, du
théâtre musical, Tutto Figaro, Le Barbier de Séville et Le
Mariage de Figaro, une course contre la montre en 30 minutes, jouée et
chantée par une troupe pleine d’humour et d’amour. Et même Hamlet, la
longue, longue tragédie de Shakespeare condensée en une heure pour enfants
sages à partir de six ans et parents passant, on l’espère, par là. Spectacles
qui seront repris d’autres jours, et pour 5€ seulement.
La Méditerranée semble cette année irriguer ces
paysages de la Loire et du Lignon, des chants de la côte algérienne au flamenco
andalou, en passant par la tarentelle napolitaine, mais je me dois de préciser
que cette danse tourbillonnante, est un rituel antique dans tout le bassin
méditerranéen, consistant à l’origine en un rituel exorcisme physique et
musical : écraser la tarentule,
male araignée piquant dangereusement les jeunes mâles et que le piétinement de
la danse doit impitoyablement écraser. Cela donna justement le zapateado
du flamenco, ce fascinant battement rapide et expressif des pieds, des pointes
et talons, qui rivalise avec celui des castagnettes ! Mais ici, c’est le
groupe Disperato qui réinvente
Naples en chansons dans Lalala
Napoli (20 juillet).
Étoile brillante du flamenco moderne, élargi aux sonorités du saxo et du
marimba, sans oublier ce piano qui précéda la guitare à la fin du XIXe siècle
dans les premiers spectacles publics, la blonde Rocío Márquez, avec son spectacle Firmamento, (7 juillet)
montrera que la tradition, loin d’être poussiéreuse, se régénère par la greffe à
l’actualité en accompagnant de sa voix le danseur et chorégraphe Israel Galván. L’autre rive de la
Méditerranée, telle une Vénus surgie de l’onde, enverra le 19 juillet Souad Massi et son Trio de musique méditerranéenne folk dans
les jardins cos mais ouverts au monde.
On ne va pas défiler ici toute la riche programmation qu’un clic plus
bas sur le site du Festival suffira à dérouler avec prix et horaires. On
signale simplement des points forts, tel, le 12 juillet, le spectacle de danse par la Compagnie Julien Lestel
La Jeune fille et la mort /
de Schubert suivi par le Quartet sur la musique « répétitive »,
obsédante, de Philip Glass, interprétée par le remarquable Quatuor des Solistes de
l’Orchestre Philharmonique de Marseille. Ayant eu la chance d’assister à la
création de cette première œuvre l’an dernier, j’en citerai ma conclusion sur
classiquenews, en revoyant cette jeune fille harcelée, assiégée par une mort
démultipliée dans les autres danseurs :
« ses enchaînements fouettés, ses jetés, ses sauts, ses
grands battements, battements d’ailes des bras, autant de battements de cœur
haletant au rythme de cette inéluctable danse macabre, ne s’opposent pas à
cette Mort sans arêtes, sans angles, arrondie, toute en ondes, ondulations,
tout est délié et même cette superbe image plastique où la sombre grappe
mortuaire agrippe enfin l’ardente jeune fille, groupe un instant suspendu,
c’est le renversement pluriel de cette Mort s’attachant désespérément,
amoureusement, à la vie. La jeune fille, Aurora Licitra, vive flamme que la grisaille et les
tenailles de la mort cherchent en vain à atteindre, étreindre, éteindre,
c’est la Vie dansant la Mort. »
Le lendemain, le 13 juillet, on retrouvera encore Julien Lestel et sa
Compagnie pour trois autres chorégraphies sur des musiques de Debussy,
Ravel Le
Faune / Boléro / et l’emblématique et révolutionnaire à sa création
Le Sacre du Printemps de Stravinsky
dont j’ai eu aussi la chance de voir une reprise et je livre aussi quelques mots
de ma critique sur ce rituel d’une jeune vierge, l’Élue, sacrifiée pour sauver
la tribu :
« malgré ce côté tellurique, terrien, râpeux, rampant de
la chorégraphie de la tribu, en contraste, élans souvent aériens de cette jeune
fille. Bras parfois de noyée se débattant contre l’onde humaine qui la happe,
la frappe, la tire vers le fond, avec ses mouvements qu’on dirait aussi
palpitants de
battements d’ailes, ses frémissements de tout un corps en agonie, comme en
apesanteur parfois, l’Élue semble s’abandonner, devoir sombrer fatalement, même
élevée en hostie du sacrifice, avec le flou, l’inconsistance d’un fin foulard
de soie suspendu dans l’eau calme d’un temps et d’une musique brutale suspendus
après l’orage et l’orgie du sacrifice. »
Mais
la Bâtie, inclut aussi le cirque et en on aura une belle démonstration les 14 et 15 juillet par la grâce du duo d’équilibristes de la Compagnie d’irque & fien
Sol bémol.
Sans
préjudice de tant de spectacles foisonnants dont on trouvera le détail dans la
programmation globale, on ne saurait passer sous la main le concert justement
du Pianiste
aux 50 doigts, Pascal Amoyel lui-même, parrain du Festival avec sa complice Emmanuelle Bertrand. Ce mercredi 18 juillet, ce sera un émouvant
exercice passionné d’admiration d’Amoyel à Georges Cziffra, dont il fut un des
rares élèves. À partir de sa loge, palpitant
moment d’émotion avant l’entrée en scène, Amoyel débute le spectacle dans son
propre rôle et se glisse peu à peu dans la peau de Georges Cziffra. Il déballe ses partitions et retrouve une
enveloppe adressée au n°16 de la rue Ampère, où Amoyel et Cziffra se sont
succédés. Il replonge dans le temps : sa première rencontre avec le Maître, à treize ans, et nous entraîne dans la vie romanesque
de ce légendaire pianiste hongrois. Une réappropriation amoureuse du maître
disparu par l’élève admirable et admiratif.
Fête, festival,
familial, amical, pour tous, petits et grands, château ouvert aux visites entre
deux spectacles et ce merveilleux jardin, quadrillé de ces pelouses, vertes nappes pour des pique-niques
de modeste Glyndeborne à la portée de tous.
Programme
complet, horaires, tarifs, sur le site :
estivaldelabatie.fr
Photos : B. P.
Photos Festival : Gil Lebois
Photos : B. P.
Photos Festival : Gil Lebois
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