DEUX DE LA CANEBIÈRE
Marseille, Odéon,
16 mai
Qu’est-ce qui vaut mieux QU’UN de la Canebière ? À l’évidence
(ce qui se voit) et à l’audience (ce qui s’entend) : DEUX. Du moins quand ils sont de la trempe de Simone Burles et d’Antoine
Bonelli, qui ne trompe personne. Sûrement pas le public des fidèles de l’Odéon
qui, empressés d’entendre ces deux piliers des spectacles d’opérettes qui s’y
donnent, se pressent dans la grande salle, le foyer où se donnent en général
ces spectacles Une heure avec…
résultant trop petit pour un trop grand public. Parmi lequel, des amis acteurs
et chanteurs venus les soutenir, Dominique
Desmond, Caroline Géa, Marc Larcher, Marie-Ange Todorovitch et le célèbre ténor Charles Burles que
les Marseillais n’ont pas oublié.
Ce spectacle était préparé par
Simone Burles, une spécialiste du genre « marseillais » qu’elle a
illustré avec les illustres Jackie et
Fernand Sardou, même si elle ne s’est pas bornée à ce domaine, partenaire
aussi d’Henri Génès dans des
spectacles divers, des opérettes entre autres qui ont beaucoup tourné, sans
parler de ses propres productions.
Cette Avignonnaise avait annexé le
Marseillais Antoine Bonelli, solide figure de la troupe de l’Odéon que le
public salue et applaudit toujours à son entrée avant même qu’il n’ouvre la
bouche, et il est vrai que son charisme théâtral est immédiat et l’on n’échappe
pas à la contagion à voir paraître sa rondeur joviale et son joyeux visage
orond, mobile, passant de la candeur d’enfant à un froncement de sourcils
menaçant, mais jamais méchant.
Après Paris, chanté depuis toujours
en poèmes et rengaines, dont certaines ont fait le tour du monde, Marseille est
assurément la ville de France la plus chantée dans une forêt de chansons dont les
deux compères nous offrirent un florilège. La plus ancienne de 1927, la plupart
des années 30 à 36, avec deux incursions en 1958 : C’est un pays près d’Avignon (Romani/d’Anduze/ Nègre/Philipp) et Marseille, tais-toi, Marseille (Vidalin/Datin).
Mais bien en situation, la première, clin d’œil souriant de Simone Burles à sa
ville natale, la seconde, dramatique allusion à une triste réalité marseillaise
de l’époque où tant de filles, rêvant de voyage, venaient échouer dans cet
encore grand port, devenant des épaves, à moins d’être embarquées, au propre et
au figuré, pour nourrir en chair blanche la prostitution de la traite aux
quatre points cardinaux de cette déjà agonisante Porte de l’Orient, dont l’année
58 marquait le début de la fin du trafic colonial...
Si les chansons marseillaises n’ont pas
forcément fait le tour du monde, la réputation sulfureuse et joyeuse de la turbulente
ville oui, et le public chantait avec conviction en chœur avec nos duettistes
cette vérité d’autrefois tirée justement de Un de la Canebière de Sarvil/Scotto :
Notre Cane... Cane... Canebière
Et partout elle est populaire
Notre Cane... Cane... Canebière.
Elle part du vieux port et sans effort
Coquin de sort, elle exagère.
Elle finit au bout de la terre
Notre Cane... Cane... Canebière
Les deux partenaires, en marinières
rayées et casquette, soutenus, poussés par le piano complice de Marion Liotard, elle aussi en marinière,
arrachée à ses accompagnements lyriques et création contemporaines pour plonger
dans cette joyeuse rade de Marseille, nous promenaient dans un univers aux textes
délibérément naïfs d’Alibert, Sarvil, immortalisés par la musique de Vincent
Scotto, délicieux clichés sur un certain art de vivre local, même parfois
complaisamment caricaturé, le repas le dimanche au cabanon (un privilège, tout
de même pour ceux qui en avaient !) au bord de l’eau (on vient de détruire
les derniers de la Pointe Rouge !). Sur des rythmes de javas, de valses,
de fox-trots, de marches et bien sûr du Plus
beau tango du monde, on écoutait cela non sans nostalgie, touchantes
vignettes d’un passé révolu. Mais la calanque, les rochers, les pins (qui n’ont
pas brûlé), les voiles, le ciel (même aujourd’hui horriblement pollué), la
Vierge de la Garde et autres images emblématiques demeurent encore, cadre,
lieux qu’un nouvel afflux de touristes croisiéristes ne cessent désormais d’immortaliser
(?) dans leurs selfies dont nous
espérons qu’ils fixent autant la ville que leur vidage ébahi.
Simone Burles garde dans la voix une
tradition d’émission vocale perdue dans la variété, passant, sans les mêler, du
registre de poitrine à celui de tête aux toujours jolis aigus. La voix rebelle
d’Antoine parfois s’encanaille et déraille mais il la raille et la remet sur
les rails en souriant.
La deuxième partie, après un thé ou
café collectif au bar, rituel goûter offert par le théâtre, fut un sketch, Au Tribunal, autrefois interprété par Raimu
et Blavette à la radio, inénarrable, avec un irrésistible Antoine en épouse
assassine délurée et une Simone en juge dépassé. Acquittement assuré avec nos
bravos et applaudissements.
Marseille, Odéon,
16 mai
Deux de la Canebière
Un spectacle de Simone Burles
Sur des chansons de Vincent Scotto, Cadet,
Koger, Romani, Vidalin, etc.
Avec Simone Burles et Antoine
Bonelli.
Photos :
1. Burles et Bonelli (Marc Larcher) ;
2. Marion Liotard.
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