Enregistrement
17/5/2018, passage, semaine 28/ 5-1/6/618
RADIO
DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de
Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N°
319
lundi : 18h45 ; mercredi : 20 h ; samedi :
17h30
Partenaire
de Radio Dialogue RCF, l’association culturelle Horizontes del sur, dans sa rubrique « Cultures
d’Espagne », et dans le cadre global de Marseille 2018 Oh quel amour !, présente son festival annuel du
26 mai au 10 juin, dont le titre est Un
Amour d’Andalousie. Dire
« Andalousie », c’est dire Séville, et « Amour » lié à
Séville, c’est inévitablement évoquer Don Juan et sa version féminine, Carmen. Ayant beaucoup parlé sur d’autres ondes et
beaucoup écrit dans mes livres, pièces et essais, sur ces deux personnages
sévillans, on m’a chargé d’une conférence à leur sujet, le vendredi 1
juin à 18h30 au Conservatoire de Marseille, suivie d’un concert de musique
espagnole. Je me
permets d’en faire pour vous un très succinct résumé.
Pour moi, les deux fameux
Sévillans, au-delà de leur statut légendaire de héros de l’amour, sont des
hérauts, au sens de chantres, de la liberté. Faute d’espace, je ne ferai
qu’évoquer Don Juan.
Il faut d’abord situer le
contexte historique et social dans lequel apparaît, sans qu’on sache la date
exacte de sa création, dans le premier tiers du XVIIe siècle
espagnol, la pièce attribuée à Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla, qui impose ce mythe du séducteur
impénitent : tout jeune, il tue le Commandeur, père de Doña Ana, avant
d’être terrassé par sa statue vengeresse. Son histoire va courir l’Europe, de
la Commedia dell’ Arte italienne à l’opéra, en passant par Molière. Sans doute
n’est-ce pas un hasard.
Sans entrer dans des détails
trop complexes pour être contés ici, il me semble important d’évoquer ce cadre
plus vaste de l’Europe de ce temps et les convulsions qui l’agitent : en
butte aux sursauts des grands féodaux défendant leurs exorbitants privilèges,
les monarchies tentent d’instaurer des régimes absolutistes sur des pays
unifiés. Au XVIe siècle déjà, Luther, fragmente l’unité de la
chrétienté, en défiant l'autorité papale. Luther est un moine, un fils de
l’Église : sa révolte est bien celle d’un fils contre un Saint Père qui
règne encore sur les rois, qui sont aussi d’autres figures patriarcales.
Jusqu’au milieu passé du XVIIe siècle, où s’affirment des monarchies
ou des régimes absolus sur des nations pacifiées, l’Europe n’est que discordes
civiles, révoltes, contestations violentes contre les pouvoirs centraux :
en Angleterre, le roi Charles Ier est décapité en 1649 par Cromwell,
qui devient dictateur. En France, le règne de Louis XIII est traversé de
complots dirigés contre le cardinal de Richelieu figure autoritaire de père
inflexible : le dernier, l’année même de sa mort, est celui de Cinq-Mars,
favori du roi, qu’il fait décapiter à Lyon à vingt-deux ans. Ce seront ensuite
toutes les conspirations contre le cardinal Mazarin, parrain, père symbolique du jeune Louis XIV, autre figure
paternelle, qui, avec la régente Anne d’Autriche, essaie de soumettre les
Grands insurgés pour établir un pouvoir absolu.
Exemplaire, ce futur Prince
Condé : soumis à l’autorité d’un père écrasant, il s’en libère à vingt et
un ans, après avoir battu à Rocroi (1643), une armée espagnole invaincue depuis
un siècle. Dès lors, il voudra absolument abattre Mazarin et mettra la France à
feu et à sang durant la Fronde, avant de passer aux Espagnols. Sa sœur cadette,
la belle et séductrice duchesse de Longueville, amazone révoltée, séductrice
redoutable, on l’appelait « Diablesse au visage d’ange », proclamait
avec cynisme : « Je n’aime pas les plaisirs innocents. ». Symboliquement,
c’est la révolte des jeunes, impatients de prendre leur place contre les vieux
qui détiennent le pouvoir. Ils sont jeunes, puissants, ambitieux,
révoltés : tout paraissant
possible, ils se permettent tout, même le sacrilège.
Nous allons illustrer cette
frénésie, cet appétit juvénile de plaisir, de puissance, par celle, sexuelle,
qu’exprime Don Juan , Don Giovanni, dans l’air dit « du champagne » de Da Ponte et
Mozart : à la faveur de la fête qu’il donne et de l’ivresse du vin et des
danses, il compte augmenter sa fameuse liste d’une dizaine de femmes. C’est Cesare Siepi qui l’incarne sous la
baguette de Wilhelm Furtwängler
dirigeant le Wiener Philharmoniker :
1) DISQUE I, plage 22
Quant à l’Espagne et son
immense empire, qu’on en juge : dans les colonies d’Amérique, la révolte
des nobles rêvant de se tailler des royaumes, est endémique. En Europe, les
Flandres espagnoles sont révoltées depuis près d’un siècle ; en 1640, le
Portugal, s’émancipe à jamais de la couronne espagnole, la Catalogne tente de
le faire la même année, suivie par Naples.
La
société espagnole est faite par les hommes, pour les hommes. L'état fonctionne
comme une famille et la famille, comme un état, autoritaires tous deux. Au
centre, à la tête de l'un, le Roi, et de l'autre, le Père. Au-dessus de tous,
Dieu le Père. Le Père est évidemment un mari au centre de la famille, pierre
angulaire de la société. Dans cette société patriarcale si centralisée autour
du mâle, hiérarchisée (Père, Roi, Dieu), toute atteinte à cet ordre immuable
est subversif . Et, en effet, face à un Dieu répressif ou à un possesseur
exclusif de la femme, le libertinage, qu'il soit religieux ou érotique, est affirmation
de l'individu. Don Juan est le premier homme qui ne se prévaut pas, pour parler
aux femmes, de ses prérogatives religieuses, paternelles ou maritales : en toute liberté, il leur parle d'homme à
femme, de mâle à femelle, de sexe à sexe : d'égal à égal.
Au
premier degré, donc, Don Juan joue de cette société mâle : il est l'épouseur à
toutes mains et obtient des victoires par la promesse fallacieuse du mariage
envers des femmes soumises à la loi. Mais, au fond, il déjoue, subvertit cette
société : il défie Dieu, les Maris, les Pères. A Dieu, il enlève la religieuse,
au Mari, la femme, la fille au Père. Autrement dit, il lui montre une autre
voie, qui n'est pas celle tracée par l'ordre des hommes, mais celle de la
nature, du désir. Et le sexe ne connaît pas de hiérarchie sociale, pas d'autre
loi que celle de sa satisfaction. Le libertin fait passer le souffle de la
liberté. Il n'est pas étonnant que Don Juan soit poursuivi par les maris, les
pères, par Dieu, par ce Commandeur (ambassadeur du Roi, Père et mandataire de
Dieu), les incarnations de la société patriarcale, car il contribue à la
sédition des femmes.
Nous
écoutons encore Don Juan invitant tout le monde à sa fête, qui est celle de la
liberté :
2) DISQUE II, plage 8
Faute
de temps, j’ai sacrifié Carmen « oiseau rebelle qui n’a jamais connu de
loi ». Mais je lui rendrai justice le vendredi 1 juin à 18h30 au Conservatoire de
Marseille en la couplant avec Don Juan, lors de ma conférence qui sera suivie d’un concert de musique
espagnole par les élèves du Conservatoire.
Conférence suivie d’un concert de musique
espagnole par les élèves du Conservatoire.
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