Off
N'Back
Pourrières, 15 juillet
En
douze ans, unis par le goût, l’amour désintéressé du chant, Ingrid, Suzy, Isabelle, Bernard, Luc, Frédéric, dans le
désordre alphabétique, sans hiérarchie, de ma sympathie d’abord,
puis de l’amitié, de l’affection enfin, nourries de l’estime, auréolés, épaulés d’autres
généreux bénévoles gentiment anonymes, auront fait du village de Pourrières
plus qu’un estival rendez-vous lyrique et musical, un amical rituel avec leur
festival Opéra au Village, des spectacles de choix, souvent des inédits, des
opérettes oubliées ou ressuscitées. La belle aventure se clôt ce 15 juillet :
le joli festival off , en
marge des grands festivals on,
signait sa dernière page.
La jeunesse du cœur et de
l’esprit ne suffit pas, plus, pour assurer, assumer la lourdeur assidue des
recherches en bibliothèque d’ici et de l’étranger de pièces rares, les doter
d’un accompagnement musical souvent absent, auditionner de jeunes chanteurs,
préparer la mise en scène, les costumes par des bénévoles aussi du village, s’occuper
de l’administration, de l’intendance, de la communication et de ce sympathique
repas à thème selon l’ouvrage précédant les représentations, pour accueillir un
public de plus en plus grand, devenu d’heureux habitués souvent venus
de loin, tous désolés, non de ne plus fêter, mais de célébrer avec nostalgie cette ultime rencontre. Oui, les
meilleures bonnes volontés sur lesquelles semble compter de plus en plus,
comptant ses maigres sous, une institution de moins en moins publique,
finissent par s’user. Pourtant, comme on aimait se retrouver ainsi, sous les
grands marronniers, le long du mur de pierres rousses une à une montées par des
moines au XIIIe pour édifier ce modeste Couvent des Minimes lovant
en son cœur ce petit cloître idéal, avec les grands yeux de ses brèves arcades
ouverts sur une scène improvisée dans un coin de la courette qu’un protecteur
marronnier séculaire, du bras amical d’une seule branche couvre presque tout
entier, laissant aimablement filtrer, à travers la dentelle de son feuillage,
les étoiles de la nuit!
On ne
l’oubliera pas, mais rappelons encore ce qu’il fut.
Histoire et lieu
L’histoire :
un jour, un beau jour, un ténor irlandais, Uele
Dean, passe par Pourrières, en est charmé, s’y installe, donne des cours de
chant, des concerts, crée un jumelage entre ce village minuscule du sud avec
Armoy, en Irlande. Malheureusement, pour des raisons de santé, il abandonne son
projet mais, œuvrant pour les voix, il ouvrait une voie, et les chanteurs qu’il
avait formés, décidèrent de poursuivre l’aventure, bel hommage à l’initiateur
malade.
Avec une poignée de bénévoles, Ingrid Brunstein, une Allemande
amoureuse aussi de la région, porta sur les fonts ce qu’elle appela « l’OpérA/u
Village », assumant pendant trois ans la
présidence, qui deviendra tournante, assumée, jusqu’à la fin, par Suzy Charrue Delenne. Jean de Gaspary, propriétaire, ayant
mené la restauration du petit Couvent
des Minimes, désireux d’y accueillir des artistes, mit ce lieu à leur
disposition. Ainsi naquit le premier spectacle Orphée et Eurydice, de Gluck. Cette première expérience imposa la
nécessité de faire appel à des professionnels.
Apparaissent alors, en 2006, deux
artistes, Bernard Grimonet et Luc Coadou, passionnés
par le projet qui décident d’assumer bénévolement les responsabilités,
respectivement, de metteur en scène et de directeur musical. Les chanteurs sont
recrutés sur audition par un jury de professionnels et l’association, le jeune
festival affirme son double objectif : produire des opéras comiques rares,
parfois inédits et donc inouïs, à
découvrir ou redécouvrir et offrir une première scène à des jeunes chanteurs,
entourés d’artistes aguerris. S’ajoute, par
ailleurs, l’organisation de concerts et des événements artistiques de qualité
avec des artistes de renom, pas moins que la pianiste Anne Queffelec le 24 mai
dernier. Bref, dans ce coin de Provence, un festival éclot, s’implante, sème et
essaime dans le village, récoltant la bienveillance, par définition, de
bénévoles, qui forment une vaste équipe d’accueil des artistes et des
spectateurs, brassés dans une convivialité chaleureuse où le programme musical
se mêle au menu culinaire à thème adapté de l’œuvre, concocté par les
villageois eux-mêmes et dégusté éventuellement, avant le spectacle, dans un
lieu unique, dont je me dois de reparler.
Car la
géographie, elle fait aussi partie du charme du lieu. Venant d’Aix, du nord-ouest, là
où s’apaisent les rudes dentelles de la Sainte Victoire en molles ondulations,
se hausse, du col de son clocher provençal à campanile en fer, ce village de
Pourrières, face aux vagues montantes des monts Auréliens au sud-est, où
serpente parmi les vignes la route qui vient de Trets, de Marseille via
Gardanne. Route et autoroute tracent leur ligne bleue sur le plateau qui
conduit à Saint-Maximin, vers la Côte d’Azur. Nous sommes, effectivement, dans
une côte et cote d’amour qui s’infléchit en un chemin creux vers le petit
couvent des Minimes.
Un toit
oblique chapeauté d’un plat clocher triangulaire ajouré, aiguisé de deux
pignons pointus, offre sa façade de guingois à un fronton classique, mince
frontispice dorique rappelant le XVIe siècle de la
construction de la chapelle jouxtant le couvent ancien : humble construction que des moines campagnards bâtirent
patiemment en assemblant à l’ancienne, une à une, ces pierres roses ou rousses,
liées d’un peu de mortier. Une muraille en moellons apparents, soulignée et
ombragée d’une ligne de marronniers séculaires, sous lesquels se dressent
ordinairement les joyeuses tablées du repas à thème servi par les bénévoles du
lieu, embrasse plus qu’elle ne ceinture, le couvent.
Beau bilan
Avec douze ans de recul, on peut juger, comparés aux
moyens en rien grandioses, les grand résultats, le bilan impressionnant de ce
festival : quatorze œuvres lyriques, quarante-cinq spectacles, soixante
solistes (des jeunes) engagés effectivement pour deux-cent-cinquante-huit
chanteurs auditionnés soigneusement, plus trente-six choristes, trente-sept
musiciens, trente-cinq concerts. L'action pédagogique a pu accueillir
quatre-cent-quatre-vingt scolaires. Sans oublier plus de mille repas servis aux
spectateurs désireux de partager ce sympathique moment avant le spectacle,
c'est-à-dire près d'un sur dix. Car ce festival, on me pardonnera la redite,
allie joyeusement la gastronomie, l’art de la bouche, et l’art de
chanter : il mérite le nom d’opéra
bouffe, à tous les sens plaisants des termes, lyrique et culinaire,
arrosé des généreux vins du cru généreusement offerts par des vignerons locaux.
D’autant que la solide équipe artistique qui le préside, Bernard Grimonet
pour la scène, Luc Coadou pour la direction musicale, tout aussi
bénévoles, donnèrent à ce festival l’identité de brèves saynètes comiques,
bouffes donc. Avec la complicité d'Isabelle Terjan qui dirigeait
du piano le petit effectif musical, clarinette, violoncelle, accordéon, en
assurent collectivement les arrangements musicaux dont manquent les partitions.
Je me suis régulièrement exprimé sur ces réussites pour que je ne récapitule
pas, avec nostalgie, une histoire qui voit, écrire, ce soir, son dernier
chapitre.
Off N'Back
Et jusqu’au bout, jusqu’à l’annonce au
micro de la Présidente Suzy Charrue Delenne présentant le spectacle qui devait être le dernier,
j’aurai cru à une blague à ce jeu de mots du titre, comme un malicieux clin d’œil en anglais de Bernard Grimonet au plus français des compositeurs allemands,
Jacques Offenbach, OFF’N BACK : COME
BACK à OFFENBACH, retour aussi à Offenbach, aux amours, aux succès
du festival, et au lieu initial de sa naissance, ce cloître des Minimes… Hélas,
linguiste et assez anglophone, je n’avais pas songé à la polysémie de ce off, qui signifie aussi ‘annulé’,
‘fermé’ : ‘fini’… La fin de ce beau petit festival…
C’est
donc plein de nostalgie que l’on assistait, avec ce rideau de fin, à cette
levée symbolique de celui de la dernière : en fait une rétrospective
imaginée par Bernard Grimonet de quelques
uns des moments marquants de l’histoire trop brève pour nous de l’Opéra au Village, stylisés en quelques airs tirés des œuvres qui furent des succès de
la petite scène, chantés par les mêmes jeunes interprètes.
Grimonet
avait imaginé, comme vu déjà d’une autre planète et d’un autre temps dans le
futur, ce festival découvert par des archéologues, ses costumes étranges, ses
partitions, qui seront évoqués, convoqués par magie ou science par des
personnages jouant et chantant et dansant, surgissant des ombres et limbes du
passé, des arcades jouxtant la scène. Faute d’assurance de recevoir les rares
subventions à temps, honnête et responsable, l’équipe bénévole n’avait donné le
feu vert pour monter ce spectacle qu’après avoir la garantie de pouvoir payer
les artistes engagés : trois jours avant… Le miracle, c’est qu’en ce temps
ridicule de travail et de répétitions, ces jeunes, hélas pliés à la précarité
des temps mais au solide métier rôdé justement dans ces nécessaires lieux d’accueil
de leur talent, préparés exprès par le metteur en scène Grimonet, ont réussi à
nous donner l’illusion d’un travail parachevé : à coup sûr, mission (apparemment
impossible) accomplie.
On a la surprise
première du grand Luc Coadou,
directeur musical (et talentueux animateur des Voix Animées polyphoniques a
cappella), s’avérer ici acteur et meneur de jeu, sorte d’Indiana Jones baroudeur,
chanteur solide, ce que l’on savait déjà, sur scène, comme la pianiste
infatigable et inventive Isabelle Terjan. Il était escorté d’un longiligne barbu
ou écuyer barbu en haut de forme déglingué, tristounet Sancho humoristiquement maigrelet
de ce Don Quichotte souriant, la basse caverneuse Cyril Costanzo, capable de faussets hilarants. Luc nous régalait
justement, de sa large et solide voix, de la romance du Don Quichotte de Florimond Ronger Hervé et son Sancho, de l’air de
Vulcain de Philémon et Baucis de
Gounod.
L’Opéra au Village n’avait pas
encore fait de l’opérette son identité et avait monté l’œuvre rare de Bizet, Djamileh, opéra en un acte, que l’on ne
joue presque jamais et où nous découvrîmes la voix cuivrée, le beau legato
expressif de la mezzo Yete Queiroz,
que l’on retrouvait avec bonheur, qui avait fait ses armes ici et fait carrière
ailleurs. Mais le reste du programme était des extraits d’opérettes très
applaudies ici, par les mêmes interprètes, la fraîche soprano Anne-Claire Baconnais (participant aussi
aux Voix Animées), aux aigus percutants, jouant les divas nerveuses, hystériques,
avec une voix et jeu sans faille, faisant couple (avec tous, et même la « toute »
Yette), faisant paire suffisante avec le ténor ténor Denis Mignien, plein de mignardise
lyrique ironique d’une grande efficacité, élégant dans un air de Guétry, et
faisant aussi couple, naturellement, avec le galant baryton Mikhael Piccone, militaire à juste titre se croyant toujours aimé
comme chez Offenbach, par grisettes et grandes duchesses, avec son abattage
habituel. Chacun eut son air soliste brillant mais tous furent irrésistibles
dans des ensembles inénarrables dont ceux d’Offenbach.
L’Opéra au Village, à plusieurs
reprises, avait rendu un hommage à la grande Pauline Viardot García, sœur de la Malibran, contralto fameux, élève
de Liszt, compositrice et égérie de Berlioz, Gounod, Saint-Saëns. On l’avait
évoquée dans un joli spectacle avec sa grande amie, autre grande dame, George
Sand. Comme un luxe, on nous offrit un inédit d’elle : La Partie de whist pour piano dont nous
berça la fidèle Isabelle Terjan,
comme un adieu ému.
Adieu l’Opéra au Village, mais au
revoir pour les concerts, moins lourds à porter, qui continueront dans la petite
chapelle.
L’Opéra au Village
14 et 15 juillet 2017
Off N' Back, scénario de Bernard Grimonet,
Direction
musicale : Luc Coadou,
Isabelle
Terjan : piano.
Avec :
Anne-Claire
Baconnais, soprano ; Yette Queiroz, mezzo ; Denis Mignien, ténor, Mikhael Piccone, baryton ; Luc Coadou,
baryton-basse ; Cyril Costanzo, basse.
Photos : Bruno Grimonet
1. Le cloître, le marronnier, B. Grimonet au milieu ;
2. Mignien, Coadou;
3. Costanzo, assis ; Baconnais et Queiroz ; Coadou et Terjan au fond ;
3. Costanzo, assis ; Baconnais et Queiroz ; Coadou et Terjan au fond ;
4 .Piccone, en militaire.
5. Mignien, Baconnais, Piccone, Costanzo.
6. Queiroz (Djamileh, 2009).
5. Mignien, Baconnais, Piccone, Costanzo.
6. Queiroz (Djamileh, 2009).
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