L'OPÉRA
AU VILLAGE
Faust
et Marguerite
de
Frédéric Barbier
Faust
en ménage
de
Claude
Terrasse
Les
trois baisers du diable
de
Jacques Offenbach
26
juillet
En
changeant ou variant les lieux, mais en gardant la même équipe, du
petit cloître du couvent des Minimes à la Place du Château de
Pourrières ou au Château de Roquefeuille, l'Opéra au Village n'a
ni perdu son âme ni sa qualité. Âme de personnes de qualité qui
ont su animer musicalement un village, fédérer des dizaines de
bénévoles depuis plus de dix ans pour faire un rendez-vous obligé
de cet endroit, désormais disséminé en trois lieux, la chapelle
douillette pour les concerts d'automne et d'hiver et, pour les
spectacles d'été, la Place, admirable mirador du Château, dominant
à perte de vue une plaine viticole avec quelques mas arrimés à un
cyprès comme des barques dans la houle des sillons, entre le
Montagne Sainte Victoire à l'ouest, la chaîne de l'Étoile au sud
et, à l'est, les monts Auréliens qui, sans l'écraser, arrêtent le
regard et le chemin de la troisième scène, le beau domaine du
Château de Roquefeuille.
Lieux
patrimoniaux et patrimoine
Des
lieux patrimoniaux pour des spectacles modestes en moyens mais
généreux en réussite et ardents au travail assidu d'exhumer et
rendre vie à des œuvres d'un patrimoine ni pompeux, ni pompier et
surtout pas pompant, mais « peuple » : des
opérettes, coquette et tout aussi modeste appellation de ces courtes
saynètes musicales qui ont fait rire nos arrière grands-parents et
nous font, aujourd'hui, sourire par des livrets certes surannés,
mais qui, mine de rien, sont imbus de culture, baignent dans une
érudition musicale alors populaire. En effet, fonder des effets
spectaculaires et musicaux sur le pastiche, la caricature à force de
citations scéniques ou lyriques d'un original, ici le Faust de
Gounod, suppose au moins un fonds culturel commun entre le bourgeois
pouvant se permettre le luxe de l'opéra et le peuple se contentant
au mieux du « paradis », le poulailler, ou de la
vulgarisation populaire des parodies des vaudevilles où, finalement,
toutes les classes pouvaient se retrouver à moindres frais. Une
époque, entre Second Empire, malgré tout déjà attentif au peuple,
et une Troisième République dont la grandeur fut de veiller à
l'éducation populaire, qui nous adresse un miroir et ses reflets où
s'abîme aujourd'hui la réflexion sur la perte du patrimoine
national d'une culture, pour modeste qu'elle paraisse, identité d'un
peuple.
Il
me semble donc, sans emphase, nécessaire de souligner encore que,
grâce à la modeste gentillesse de tous ces bénévoles et le
travail acharné de l'équipe artistique, ce qui se passe à
Pourrières l'air de rien, sans prétention, est une restauration
d'un humble pan de culture perdue.
Avec
douze ans de recul, on peut juger, comparés
aux moyens en rien grandioses, les grand résultats, le bilan
impressionnant de ce festival : quatorze œuvres lyriques,
quarante-cinq spectacles, soixante solistes (des jeunes) engagés
pour deux-cent-cinquante-huit chanteurs auditionnés soigneusement,
plus trente-six choristes, trente-sept musiciens, trente cinq
concerts. L'action pédagogique a pu accueillir
quatre-cent-quatre-vingt scolaires. Sans oublier mille repas servis
aux spectateurs désireux de partager ce sympathique moment avant le
spectacle, c'est-à-dire près d'un sur dix. Car
ce festival, on me pardonnera la redite, allie joyeusement la
gastronomie, l’art de la bouche, et l’art de chanter : il
mérite le nom d’opéra
bouffe,
à tous les sens plaisants des termes, lyrique et culinaire, qu’on
arrose des généreux vins du cru généreusement offerts par des
vignerons locaux. D’autant que la solide équipe artistique qui le
préside, Bernard Grimonet
pour la scène, Luc Coadou
pour la direction musicale, tout aussi bénévoles, ont donné à ce
festival l’identité de brèves saynètes comiques, bouffes
donc.
Avec la complicité d'Isabelle
Terjan
qui dirige du piano le petit effectif musical, clarinette,
violoncelle, accordéon, ils en assurent également les arrangements
musicaux dont les partitions sont absentes.
DIABLERIES
AU PROGRAMME
Cette
année, l'Opéra au Village se donnait, s'adonnait joyeusement au
diable, avec deux opérettes inspirées du célèbre opéra de
Charles Gounod, lui-même inspiré du fameux Faust
de
Goethe, dont le facteur commun, un lever de rideau, un Prologue,
était un extrait de Faust
et Marguerite
(1868) de Frédéric
Barbier (1829-1889),
prolifique
compositeur d'opérettes bouffes en un acte,
sur
un texte cocasse de Bernard
Grimonet,
d'après le livret de
Bumaine
et Blondelet. Deux chanteurs devant incarner Faust et Marguerite dans
l'opéra de Gounod, à force de tergiverser, de cabotiner, ratent
non seulement la répétition mais leur entrée en scène, et
camouflet à leur vanité de cabots, sans grand dommage apparemment
pour le spectacle puisqu'on apprend que le metteur en scène moderne
(clin d'œil de Grimonet), plus que minimaliste, a pu se passer des
héros à la grande satisfaction du public. On goûte « J'ai
cassé ma bretelle… » qui évoque irrésistiblement «Votre
habit a craqué dans le dos… » de l'antérieure Vie
parisienne
d'Offenbach (1866) et l'air du maquillage et ses coquettes et
cocottantes notes joyeuses des joyaux faustiens. La soprano
Claire
Baudouin
et le ténor Olivier
Hernandez,
belles et claires voix,
bons acteurs, s'échauffent ici agréablement pour les deux pièces
qui suivent, leurs diverses incarnations de Marguerite et Faust et
ils ne rateront pas leur entrée, ces deux fois !
Faust
en ménage
Opérette bouffe posthume (1924)
de
Claude Terrasse (1867-1923),
connu pour sa musique de scène d'Ubu
Roi d'Alfred
Jarry (1896), considéré comme un hériter d'Offenbach. C'est une
claire et hilarante suite à Faust
de
Gounod. Sinon vingt ans, c'est quinze ans après que l'on retrouve
nos héros, mais bien fatigués sauf la fringante Marguerite, la
beauté du diable, fatiguée justement de la fatigue de son Faust
d'époux que la complaisance du méphitique Méphisto a sauvé de
l'enfer, se condamnant lui-même à l'ire de Satan sauf à se
racheter par l'âme de Marguerite poussée à l'adultère dans les
bras d'un Siebel désormais homme et soldat.
En
couple amoureux usé inégalement par le ménage et le temps, nous
retrouvons les excellents Claire
Baudouin
et Olivier
Hernández auxquels
se joignent le puissant baryton
Thibault Desplantes en
Méphisto décrépit
et
le contre-ténor Raphaël
Pongy,
dont la voix est judicieusement et plaisamment choisie ici sans doute
pour incarner, par sa force, l'homme, et par son ambiguïté
sexuelle, le travesti du Siebel original. Une accorte et acariâtre
comédienne, Béatrice
Giovannetti,
campe avec drôlerie une Dame Marthe servante du couple, à l'accent
allemand à couper au couteau, bien capable d'attraper le pauvre
diable par la queue.
Plus
que le texte, le comique de qualité vient des citations musicales,
exactes ou détournées, variées, suggérées, de l'opéra de
Gounod, la ballade du roi de Thulé, air des fleurs, le duo, «
le Veau d'or… », « Anges purs… » etc,
pétillantes de verve et d'intelligence musicale dans leur
enchaînement. L'air de Marguerite est des plus jolis et celui « Le
sucre est hors de prix », digne du loufoque Offenbach. Les
beaux costumes d'époque (Mireille,
Anne-Marie, Michelle, Nouch)
contrastent avec la cape et bonnet pointus fatalement rouges de
Méphisto, hébété, titubant malgré sa canne, réduit ici,
dépossédé de ses pouvoirs, au rôle de « Diable honoraire
d'opérette », ratant par excès de plus ou de moins un
rajeunissement de la dernière chance de Faust, retombé en enfance
ou dans un gâtisme précoce, inutile aux vœux charnels d'une rouée
Marguerite qui ne file plus doux le sien, finalement comblée par le
fuseau du frais et fringant Siebel.
Les
trois baisers du diable
Sur
un texte de ses habituels comparses Henri Meilhac et Ludovic Halévy,
les duettistes librettistes futurs auteurs du livret de Carmen
, Offenbach, en 1858, met en musique Les
trois baisers du diable,
une œuvre un peu inhabituelle dans sa prodigieuse production. Au
lieu de la bouffonnerie boursouflant la bourgeoisie que à laquelle
nous a habitués « le petit Mozart des Champs-Élysées »,
cette œuvre, une plutôt insolite scène paysanne avec musique de
musette pastorale souvent, bascule et baigne dans une féerie dont
Offenbach, qui rêvait de sortir de son rôle d'amuseur permanent
dans ses opérettes, nimbera son grand opéra, Les
Contes d'Hoffmann,
qu'il ne verra malheureusement pas sur scène puisqu'il meurt l'année
précédant la création de 1881.
La
vocalité, hors quelques procédés qui sont la marque du maître ès
décomposition des mots, affiche ici une autre ambition : airs
brillants, air à boire, ensembles, longue scène concertante et,
dans ce registre visant le « grand opéra », tous les
chanteurs cités dans l'opérette précédente (un enfant, muet,
complète la distribution) sont à féliciter de leur grande maîtrise
technique et musicale pour un résultat de toute beauté : on
les sent heureux de donner leur mesure. L'instrumentation
passionnément et ludiquement forgée en commun par les musiciens est
encore remarquable, l'on ne peut que le dire en passant, sans les
épuiser, au fil d'une plume épuisée à tenter d'en capter les trop
rapides trouvailles musicales humoristiques en tachant de n'en pas
perdre l'écoute : frissons, ronflements diaboliques,
grincements d'archet du violoncelle, ricanements de l'accordéon,
cris perçants de la clarinette, piano scandant ou ponctuant
l'angoisse à petit pas du Diable : ils se sont fait plaisir et
nous le communiquent. Avec sa précision habituelle, mais aussi sa
liberté, Luc Coadou dirige
ce petit monde, plateau et ensemble, avec alacrité, un sensible
bonheur qu'il nous fait partager.
Dans
un simple décor pratiquement semblable et prestement modulable, loge
de théâtre, intérieur d'appartement bourgeois ou paysan (sans
autre précision onomastique comme les costumières, dans une amicale
dénomination,Gérard, Jacky,
Dominique, Alain, Jean-Pierre, Michel),
Bernard Grimonet
joue avec aisance d'une grande palette scénique à
laquelle ces jeunes chanteurs se plient avec souplesse : gestes
typés, stéréotypés, outrés des cabotins dans une plaisante
gestuelle d'autrefois entre convention de théâtre et de cinéma
muet, fluidité et accélérations ou ralentissement des
déplacements ; les personnages sont savoureusement campés,
croqués. Mais, diablerie ? on avoue n'avoir pas saisi comment
ce diable d'homme, sans moyens techniques extraordinaires, réussit
les scènes féeriques, des myriades, des constellations d'étoiles
que l'on garde aux yeux avec l'émerveillement de l'enfance, sans
réelle volonté réaliste d'en percer le mystère, tout au plaisir
bienheureux de s'abandonner à cette nuit des étoiles en avance.
Encore
une réussite sans tambour ni trompette de ce festival aux confins des Bouches-du-Rhône et du Var, qui n'est pas au Diable Vauvert.
L'Opéra
au Village
Faust
et Marguerite
de Frédéric Barbier
(adaptation B. Grimonet)
Faust
en ménage de
Claude Terrasse,
Les
trois baisers du diable de
Jacques Offenbach.
Pourrières,
23, 24, 26 et 27 juillet
Direction
musicale : Luc Coadou,
Mise
en scène : Bernard Grimonet.
Avec :
Claire
Beaudouin, soprano ; Thibault Desplantes, baryton ; Olivier
Hernández, ténor ; Raphaël Pongy, contre-ténor ;
Béatrice Giovannetti, comédienne, Annabelle (l'enfant).
Ensemble musical :
Isabelle
Terjan
(piano), Claude Crousier
(clarinette), Angélique
Garcia
(accordéon) et Virginie
Bertazzon
(violoncelle).
Décors :
Gérard, Jacky, Dominique,
Alain, Jean-Pierre, Michel.
Costumes :
Mireille,
Anne-Marie, Michelle, Nouch.
Régie :
Sylvie Maestro et MDE Sound Live.
Photos :
© JL.Thibault
1. Des comédiens outrepassés, dépassés (Faust et Marguerite), Cl.
Beaudouin, Th. Desplantes ;
2. Faust retombé en enfance sous l'œil de Marguerite, déconfite et de Siebel soldat (R. Pongy);
3. Ménage à trois, Faust, Marguerite, Méphisto, plus Dame Marthe (B. Giovannetti) ;
4. Les trois baisers du Diable Baudoin, Pongy, Hernández, Annabelle) ;
5. Le diable Gaspard (Baudoin, Desplantes) ;
6. Jeanne/Marguerite sauvée par les constellations (Baudoin).
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