MUSIQUE ET PATRIE
(II)
La musique, l'art, n'ont pas de patrie. Mais, aux nationalismes qui affectent et infectent la pensée et réduisent l'horizon aujourd'hui, à leur air raréfié et vicié, on ne saurait trop opposer le vent vivifié sans frontières qui, comme on le disait du Saint Esprit, qu'on soit croyant ou pas, souffle où il veut et se trouve partout chez lui, comme la musique. C'est pourquoi je rappelle ce disque, entre autres, qui en est une belle illustration, auquel j'avais consacré une émission.
Enregistrement 4/05/2015, passage,
semaine du 25/5/2015
RADIO DIALOGUE (Marseille : 89.9
FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE BENITO » N° 179
À
ceux qui rêvent de s’enclorent frileusement chez eux, de créer de nouvelles
frontières, de nouvelles séparations, des compartiments étanches entre les
cultures et les hommes voici un disque de l’audacieux label Indé !SENS qui vient
nous rappeler opportunément que la musique n’a pas de frontières si elle a des
pays et, si elle a des nations d’origine, au final elle n’a plus de
nationalité. Paradoxalement, c’est en mettant en regard, ou plutôt, en écoute,
en écho, trois compositeurs contemporains, deux Estoniens Arvo Pärt (né en 1935), Jaan
Rääts (né
en 1932) et un Russe, leur aîné Dimitri
Chostakovitch
(1906-1975), mais il est vrai, sous le label commun alors de l’Union soviétique qui
englobait abusivement les pays baltes. C’est ainsi donc que ce CD élégant,
intitulé Orient-Occident, en somme
est et ouest, nous prouve la vanité des étiquettes nationalistes.
En
effet, si aujourd’hui les pays baltes, dont l’Estonie ont pu secouer le joug
soviétique et russe, ce disque rappelle malgré tout, les affinités entre les trois
compositeurs d’autant que les deux Estoniens, sous la férule soviétique, y avaient
étudié et travaillé, si l’on peut dire, sous son ombre ou sa lumière.
Nous trouvons donc dans ce disque, par l’Orchestre
des Pays de Savoie sous la direction de Nicolas Chalvin, avec, en
solistes, Éric
Aubier,
trompette et Roustem Saïtkoulov, piano, en premier, de Jaan
Rääts,
écrit en allemand, inutile coquetterie, son Könzer für Trompete, Klavier und Orchester, en tout simple français, son ‘Concerto pour piano, trompette et orchestre à
cordes’ opus 92 ; ensuite, d’Arvo Pärt, écrit cette fois en italo-allemand,
Concerto
piccolo über B-A-C-H, für
Trompete, Streichorchester, Cembalo und Klavier, en somme, si l’on traduit, ‘Concerto piccolo sur
B-A-C-H (à savoir les notes Si
bémol-la-do-si bécarre dans le système
allemand) pour trompette, orchestre à cordes,
clavecin et piano. Nous avons ensuite, toujours d’Arvo Pärt, mais en anglais cette fois, Cantus in memory of
Benjamin Britten, ‘Chant à la
mémoire de Benjamin Britten’ le grand compositeur britannique. Suit enfin
l’opus 35
du Russe Dimitri Chostakovitch
mais
toujours en anglais, Concerto number one for piano, trumpet and orchestra, ‘Concerto numéro 1 pour piano, trompette et orchestre’ et l’on finit sur un
autre morceau de Pärt qui donne son
titre au disque, Orient und Occident für Streichorchester, bref,
‘Orient et Occident pour orchestre à cordes’. D’accord, la musique est la
langue internationale qui se passe de traduction mais les titres des œuvres,
sûrement pas. Seule concession que nous faisons, non au nationalisme, mais à la compréhension linguistique nécessaire entre les peuples : savoir au moins quoi est quoi.
Nous
écoutons un bref extrait Concerto pour trompette, piano et orchestre de Jaan
Rääts, où le piano, instrument à cordes percutées par de petits
marteaux est vraiment traité comme un instrument de percussion dans un début
aux accords rageusement martelés par la fougue de Roustem Saïtkoulov :
PLAGE 1. Nous avons l’occasion dans cet exemple d’entendre la sonorité lumineuse de la trompette qui intervient après.
PLAGE 1. Nous avons l’occasion dans cet exemple d’entendre la sonorité lumineuse de la trompette qui intervient après.
Arvo
Pärt, compose en 1994
son Concerto piccolo pour trompette solo, orchestre à cordes,
clavecin et piano sur le motif musical B-A-C-H, le nom de
Bach transcrit en notation allemande, je répète B (si bémol), A (la), C (do) et
H (si bécarre), comme le faisait, pour s’amuser, le grand compositeur baroque
lui-même, signant de cette façon ludique certaines de ses œuvres. Le musicien
estonien s’en inspire, joue avec ce motif et ce souvenir, avec l’écriture de
Bach, emploie même le clavecin, l’instrument fondamental de la musique baroque,
aux cordes pincées, qu’il oppose au piano aux cordes percutées, très percutées
ici aussi, et détourne certaines citations musicales parfaitement tonales de
son grand aîné pour les tirer, bien sûr, vers une atonalité moderne. Écoutons un
extrait significatif, le mouvement « Lent » du concerto où la
magnifique trompette d’Éric
Aubier déroule un nostalgique motif enrubanné de vocalises baroques,
qui sombre dans un fracas orchestral de cordes hors du ton avant de ressurgir
comme d’un sombre nuage avec la volute d’un trille solaire :
PLAGE 3.
PLAGE 3.
Jaan Rääts avait un an, Arvo Pärt, naîtra deux ans plus tard
quand Chostakovitch compose en 1933, à vingt-sept ans son
Concerto n°1 pour piano, trompette et orchestre à cordes. C’est un compositeur
officiel en Union soviétique, et, loin des recherches révolutionnaires de la
musique occidentale d’alors,
l’œuvre est sagement néoclassique, mais fantaisiste aussi, et même
fantasque, qui ne dédaigne pas des accents jazzy ironiquement mêlés à une
trompette aux accents de trompe guerrière. Quant
aux différentes esthétiques du jeu pianistique, elles sont en perpétuel
renouvellement. L’émouvant deuxième mouvement Lento, telle une valse lente, est
d’une splendide douceur. Nous en écoutons le troisième mouvement, Moderato, où
le piano de Roustem Saïtkoulov perle délicatement ses notes avant que le
chef Nicolas Chalvin ne soulève l’orchestre dans une magnifique vague :
3) PLAGE 8 .
Le dernier morceau, la
dernière plage revient à Arvo Pärt ; à une composition de 2000 qui donne
son titre au disque, Orient & Occident pour orchestre à cordes, dont il avoue
l’inspiration religieuse, sans en citer ouvertement les sources. Musicalement,
l’Orient, avec un orchestre homophonique, jouant le même motif, est traduit par
des effets de glissandi, glissements descendants entre les notes et les
intervalles de demi-tons, mêlés à des résonances qu’on dirait de cathédrale,
dont la mosquée de Cordoue, qui mêle harmonieusement le gothique à l’art arabe
originel, donnerait peut-être l’image. Écoutons-en un extrait :
4) PLAGE 10
On recommande don ce Un beau
CD INDESENS : œuvres
d’Arvo Pärt,
Jaan Rääts,
Dimitri Chostakovitch solistes, Éric Aubier, trompette et Roustem Saïtkoulov, piano, Nicolas Chalvin dirigeant l’Orchestre des Pays de Savoie qui fête heureusement ses trente ans.
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