MACBETH
de Shakeaspeare
Théâtre Toursky, 9
octobre 2015
L’œuvre
Contexte
théâtral : théâtre de l’horreur
Tout
en s’en démarquant quelque peu, la tragédie de William Shakespeare (1564-1616),
Macbeth (entre 1603 et 1607),
demeure, par sa brutalité, les scènes de meurtre, dans la veine d’un théâtre
européen de l’horreur à cheval sur les XVIe et XVIIe
siècles dont, en France, Les Juives
de Robert Garnier (1583), par leur violence imprégnée de celle des Guerres de
religion, demeurent un exemple. Shakespeare, avec son Titus Andronicus (vers 1590/1594), ne déroge pas à cette inspiration
barbare des pièces élisabéthaines de la fin des années 1580, prodigues en
scènes atroces (cannibalisme, mutilation, viol, folie). Il y renchérit même sur
les œuvres plus que violentes de ses rivaux, tels Christopher Marlowe qui porte
à la scène avec crudité la Saint-Barthélemy (Massacre de Paris, 1593) et
la cuve d'huile bouillante de son Juif de Malte (1589)
ou Thomas Kyd et sa Tragédie
espagnole. Macbeth fut le plus
grand succès public de Shakespeare, longtemps rejouée, traduite en allemand par des compagnies itinérantes. Mais ce mélange
d'horreur et de pathétique, dérogeant aux règles de la bienséance classique, la
pièce sera reléguée après avoir régalé le grand public.
Le dramaturge anglais
s’inspire librement d’une chronique médiévale relatant des événements
historiques, la vie de Macbeth, roi des Pictes, qui régna en Écosse de 1040 à
1057 ; il monte sur le trône en assassinant Duncan, le roi légitime. Mais
de cet événement, un régicide, le meurtre d’un roi, somme toute banal dans
l’histoire, Shakespeare tire la peinture, le portrait d’un assassin ambitieux
certes, mais timoré, freiné puis tourmenté par des scrupules moraux. Cependant,
il est incité par sa machiavélique femme, Lady Macbeth, qui le pousse dans la
marche au pouvoir qui ne se soutient que par l’enchaînement inexorable de crime
en crime. Le couple maudit, rongé par la crainte d’être découvert et le
remords, acculé à la surenchère criminelle pour se maintenir au sommet de la
puissance, dans son escalade criminelle, trouve son expiation, son châtiment,
lui, saisi d’abord d’hallucinations croyant voir même dans un banquet, au
milieu des courtisans, le fantôme de Banquo, l’ami qu’il a fait
assassiner, elle, Lady Macbeth, son âme damnée, sombrant dans le somnambulisme
qui la trahit, dans la folie, lavant sans cesse des mains tachées du sang du
régicide.
Shakespeare
ajoute au drame historique une dimension surnaturelle : ce sont des
sorcières, qui, après une glorieuse bataille, saluant Macbeth, seigneur de
Glamis, du titre de seigneur de Cawdor, seront les agents de sa fulgurante
ascension politique et de sa chute. En prophétisant ce titre inattendu de
seigneur de Cawdor, que lui décerne sur le champ le roi Duncan pour prix de sa
victoire sur les Norvégiens envahisseurs, et en lui prédisant qu’il sera
également roi d’Écosse, les sorcières enclenchent la mécanique de l’ambition,
qui déclenche la tragédie. Elles sont peut-être la manifestation de son inconscient.
À son ami, l’autre général, Banquo, elles prédisent également que, sans régner
lui-même, il sera l’origine d’une lignée de roi. Quoiqu’il en soit, Macbeth
écrit ces prédictions à sa femme et met en route en elle l’ambition fatale qui les perdra tous deux.
RÉALISATION
Toute création a des
risques nécessaires, aussi, ce n’est pas aux écueils et dangers de naufrage
qu’il faut la mesurer mais au courage, nécessaire aussi de l’entreprise.
Collaboration entre l'Association Européenne France-Roumanie (AEFR) Mnémosyne,
qui anime avec
générosité et enthousiasme des liens culturels franco-roumains avec le Toursky,
cette production était sans doute annoncée avec trop de pompe, sinon
pompeusement par des superlatifs auto-laudateurs (« Une première mondiale
choc », « une réinvention de Macbeth ») pour ne pas
décevoir : à trop vanter d’avance la marchandise, on ne peut que la
dévaluer après coup. Trop de « trop » crée un moins et l’attente,
trop entretenue, ne peut être comblée.
Pourtant, les atouts
étaient grands, à commencer par Edward Berkeley, metteur en scène américain,
spécialiste de Shakespeare et directeur des études d’opéra à la Juilliard
School, qui a judicieusement rempli la partie visuelle de son contrat, et la
participation du groupe Léda atomica, omniprésent musicalement (Phil Spectrum) et scéniquement, remarquable de
bout en bout.
L’évident manque de
moyens des temps de pénurie est cependant magistralement tourné en avantage, un
minimalisme sûrement forcé que le metteur en scène utilise au maximum : vaste
scène vide qui sera toujours efficacement utilisée et sans solution de
continuité, sans coupure de rythme, dans un beau continuo, constamment remplie,
entrées, sorties, avec une grande fluidité. Quelques panneaux verticaux
(dimensions de panneaux électoraux), tachés de mains sanglantes (déjà celles
des Macbeth), délimiteront des espaces, des lieux clos, et, tournés, argentés,
dorés, ils suffiront pour suggérer le faste du palais et son banquet. Un banc,
une table, sont les accessoires réduits qui suffisent à meubler le plateau dans
des lumières sombres, expressives jusqu’au sang, de Philippe Catalano, très sobrement réussies.
Mais, à gauche,
occupant un grand espace, un tréteau, une scène dans la scène, hérissé
d’instruments étranges, de micros qui, dans l’ombre ambiante et les ombres
portées, donnent une hallucinante impression d’enchevêtrement, de fouillis, de
toile d’araignée quelque peu diabolique, surmontée, en fond d’une tourelle en
tubes métalliques, échafaudage ou sorte de tour de guet de stalag, inscrit plus
qu’elle ne délimite un monde inquiétant, puisque, occupé par les sorcières qui
déborderont sur la scène et le jeu. C’est le règne de Léda Atomica, ses
musiciens convertis en sorcières, d’où partent des sons, grésillements,
vibrations, hululements, stridences, et même air musette, véritable décor
sonore, vêtement et revêtement de l’action d’une grande tension
dramatique : une réussite totale.
Les dégagements à cour
et jardin des acteurs, loge de balcon comme tour, chambre ou basse fosse angoissante
des meurtres, élargissent l’espace visuel d’invisibles lieux où se trament les
complots et se commettent les crimes. C’est une leçon d’occupation de l’espace
et de rythme haletant. La toilette, le maquillage de Lady Macbeth est une belle
trouvaille et la scène du banquet et du spectre de Banquo est saisissante.
Les costumes (Polina
Komarova) sont
d’une sobre beauté inventive : pulls comme cotte de maille, mais écharpes
et ceintures à carreaux pour signifier les clans écossais. L’uniforme moderne
du roi avec épaulettes et d’autres
vêtements sacrifient à la mode du mélange des époques mais les diverses robes
de Lady Macbeth sont d’une simplicité élégante et magnifiquement portées, il
est vrai. Les bonnets des sorcières sont aussi expressifs et agressifs dans
leur étrangeté. Dans l’économie de moyens, c’est aussi une autre réussite bien
taillée.
INTERPRÉTATION
C’est là que le bât
blesse… Troupe généreusement hétérogène d’acteurs divers en origines,
un manque de cohésion, non dans le rythme mais dans le jeu et la diction,
afflige le spectacle. Et pourtant, malgré une voix frêle, le Malcolm de Jean
Goltier et le
délicat Fléance de Cécile Petit (par ailleurs, Dame, enfant, Siward jeune), en quelques
répliques murmurées préparant leur fuite après le meurtre du roi leur père,
font passer toute l’angoisse des héritiers menacés, avec une diction
frissonnante toute naturelle. Tout le métier d’Yvan Romeuf fait de Duncan un monarque
vainqueur, sûr de lui et de ses vassaux, mais il campe un Portier clown dans un
costume d’Arlequin, truculent à souhait, sourire dans l’horreur, par ailleurs
grave Docteur. La même aisance scénique
et vocale est sensible dans le Ross de Bruno Bonomo. Avec beaucoup de force naturelle, Olivier
Corcolle est un
Banquo d’abord ami narquois, complice, puis inquiet et père affolé remarquable.
Cristiano Wsianko
est à la hauteur du rôle tragique de mari et père accablé par le lâche
assassinat de sa famille. Albert Huline et Jérôme Pastini complètent une distribution qui est comblée par la
participation du groupe de Léda Atomica, tour à tour sorcières et sicaires, aussi excellents
musiciens que bons acteurs, notamment Marie Démon et Phil Spectrum, aux sourires criminels, avec leurs acolytes Tom Spectrum et Alain Bordes.
Le problème, hélas,
c’est le couple titre, Neyssan Falahi et Ilinca Kiss, respectivement Lord et Lady Macbeth. Beaux comme des
dieux, ils ne sont pas à la hauteur d’un texte d’une divine et infernale
beauté. S’ils ont quelques accents remarquables (elle, pendant le banquet et
son maquillage), lui dans le combat de la fin, en fait des phrases brèves et
hachées par l’émotion et la tourmente du moment, ils ne se tirent pas des
tirades longues et serpentines de Shakespeare, elle, par une voix sans aucune
noirceur ni puissance, pauvre en nuances ; lui, par un ton déclamatoire
monocorde, chantant et geignard, languissant de monotonie. Sans doute le
metteur en scène américain, bien que tous deux passés par l’Amérique, a été
trahi par sa méconnaissance du français pour juger, mesurer et corriger leur
pauvreté d’énonciation du texte.
Bref, un Macbeth sans le couple maudit, il reste au
moins la bénédiction du texte. Et
cette musique. Ce qui n’est déjà pas si mal…
Macbeth, Théâtre Toursky
9 octobre 2015
Avec : Neyssan Falahi, Ilinca Kiss, Bruno Bonomo, Ivan Romeuf, Olivier
Corcolle, Cristiano Wsianka, Marie Démon, Phil Spectrum, Alain Bordes, Tom
Spectrum, Cécile Petit, Jean Goltier, Albert Huline.
Musique : Phil Spectrum. Chorégraphie : Malina Andrei. Lumières : Philippe Catalano. Assistante
mise en scène :
Emmanuelle Schelfhout
À signaler le site de Macbeth, remarquable : http://www.macbeth-theatre.com
Photos Florent Fabrègues :
1. Après la bataille ;
2. Le couple maudit ;
3. Saluts.
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