Des problèmes techniques et physiques ne m'ont pas permis de publier plutôt les articles suivants.
DE L’AIR !
Journée dédiée aux
instruments à vent
SALLE DE CONCERT MUSICATREIZE
Jeudi 19 mars
Au pays du mistral, le
souffle des vents. La rose des vents de l’orchestre déployant l’éventail de
leurs souffles divers, l’arc-en-ciel de leurs couleurs au prisme de
compositeurs jouant magistralement du spectre sonore de ces formations rares,
qu’on croirait de plein air, mais qui, dans l’intimité du salon, font passer la
délicatesse quintessenciée des brises, des murmures, des soupirs.
Après une matinée vouée
à une Master class de jeunes interprètes
et, à partir de 14h30, une scène
ouverte aux jeunes interprètes (entrée libre), il appartenait aux grands aînés
du Quintette à vent de Marseille (Thomas Saulet, flûte ; Bernard Giraud, hautbois ; Daniel Paloyan, clarinette ; Frédéric
Baron, basson ; Didier Huot, cor), d’ouvrir grande la fenêtre
pour laisser passer justement cet air, non pas de l’extérieur à l’intérieur,
mais de l’intimité chambriste à notre dehors d’auditeurs avides d’horizons
musicaux renouvelés.
Au programme, d’abord
Le Tombeau de Couperin (1917)
de Maurice
Ravel, à l’origine
pour piano, réduit
aux Prélude, Menuet et Rigaudon, hommage du musicien, démobilisé par force, à
la fois à Couperin et Scarlatti, et à des amis tombés pendant la Grande guerre.
Orchestré en 1919, ici transposé, arrangé poétiquement par Mason Jones, qui en préserve les couleurs, les
saveurs distillées entre le piano et, naturellement, les pupitres des vents de
la version orchestrale, qui retient la voix particulièrement sensible, du
hautbois. On y retrouve toute la clarté, la rigueur et un équilibre supposés
français (réalité ou mythe inventé et volontairement construit), affichés
patriotiquement en cette période de nationalisme exacerbé par la guerre. Mais
rien de morbide dans cette élégance aristocratique exaltant plus la vie que la
mort. On goûte le Prélude, le frémissement des triolets, le bouillonnement
d’ondes claires de la clarinette, du hautbois, les brefs éclats dorés du cor,
le gazouillis de la flûte sur la chaleur caressante du basson, le charme
rythmique du menuet aux rêveuses vapeurs verlainiennes, la révérence de la
cadence d’un pianissimo sur la pointe des pieds comme une gracieuse sortie de
scène. Le Rigaudon, avec sa flûte primesautière et les rondeurs ronflantes du
basson, les couleurs des trois autres vents, a quelque chose de joyeux,
d’arlequinesque mais traversé d’un souffle de nostalgie. C’est exécuté avec une
belle manière, sans maniérisme aucun.
Après le
néo-classicisme de Ravel ou, plutôt, son néo-baroquisme ou rococo en accord
sonore avec les grâces féminines de l’Art Nouveau, sans la géométrisation plus
réellement néo-classique du proche Art Déco, venait Arnold Schönberg. Néo-romantique d’abord,
expressionniste en musique un peu comme le Der Blaue Reiter en peinture, mouvement auquel se rattache une
partie de la sienne, partant du constat de la dégradation de la tonalité dans
la musique de la fin du XIXe siècle par un élargissement constant à
force de modulations, chromatisme, d’accords allogènes, etc (Wagner, Liszt,
entre autres), Schönberg part à la conquête du nouveau territoire musical de
l’atonalisme par l’usage systématique des demi-tons de la gamme chromatique,
qui cause, un peu comme Picasso dans la peinture à la même époque, un abandon
du sentiment de perspective, la perte des repères des tons entiers et la balise
des dominante, sous-dominante qui perdent leur fonctionnalité. Pour ne pas
livrer ce matériau sonore, à une anarchie compositionnelle, Schönberg mit au
point une rigoureuse méthode (Reihenkomposition) de ‘composition sérielle’, en vue
d’organiser toute cette pâte, cette palette chromatique indéfinie : un peu le dessin précis qui donne forme
à l’indécision de la couleur en l’enfermant dans un moule. Ce sera la
« série ». Signalons qu’à la même époque, Le Corbusier, dans sa revue
l’Esprit nouveau,
propose aussi une méthode architectonique nouvelle basée sur une sorte de
série, un module, ce qu’il appelle le Modulor qui doit structurer les
ensembles, leur donner une nouvelle harmonie.
La « série »
des douze sons de l’échelle chromatiques dans un ordre délibéré ne doit pas
répéter deux fois le même son. Inversée, en miroir, transposée, dans la hauteur
immuable de ses intervalles, elle structure tout le morceau qui en découle, cadre
formel (corset, carcan diront ses opposants) substitutif de la tonalité.
Son Quintette à
vent
(1923-1924), dont le Deuxième mouvement était au programme est sa première
œuvre d’envergure à appliquer radicalement son programme. Elle offre la
fascination intellectuelle de ce système poussé à ses limites et, malgré le
temps, se laisse mal capter à l’écoute immédiate de l’esprit critique,
échappant à l’analyse en chemin, opposant dans sa course, sa dynamique, son
défi à l’analyse statique et, dans le renoncement à tout en suivre et
comprendre, on jouit de l’abandon à cette richesse sonore irradiante, au
plaisir voluptueux de couleurs, ce que ce musicien et peintre appellera si
justement : Klangfarbenmelodie, ‘mélodie de couleurs de timbres’. Oui, sons et couleurs se
répondent.
Si le Christ n’est pas
responsable de ce que firent les chrétiens de son message, ni Marx de ce qu’en
firent les marxistes, on n’imputera pas à Schönberg ce qu’en trahirent des épigones
dogmatiques fanatisés et leur radicalisme expérimental du sérialisme intégral
ou intégriste.
Fort heureusement
échappée des portes étroites des théories, la musique de notre temps suivait
d’autres voies, put —même difficilement— faire entendre sa voix singulière,
comme le prouve Lucien Guérinel (1930) qui faisait suite avec ses Six Bagatelles. Présent dans la salle, le
compositeur y était un peu chez lui par la complicité qui le lie à
Musicatreize, souvent commanditaire de certaines de ses œuvres. Quant au
Quintette à vent de Marseille, fondé en 1987 par cinq solistes de l’Orchestre
philharmonique de Marseille, il en fut longtemps le Président. L’un des
premiers concerts de l’Ensemble fut effectivement consacré à la création des Six Bagatelles, qui s’imposèrent
d’ailleurs au second tour du Premier Concours International Henri Tomasi en
2001. Ces six brèves pièces, d’une minute à une minute trente, l’œuvre sans
doute la plus jouée de tout le répertoire de Lucien Guérinel, a été interprétée plus de cinquante fois par le
Quintette à vent qui jouait donc sur du velours.
Alternant tempi vifs
et lents, les Six bagatelles, lumineuses couleurs sonores, ont la brièveté, sinon des
haïkus, du moins de certaines des strophes poétiques de Guérinel, remarquable
poète par ailleurs, et l’on ne voit pas trop de compartiment étanche entre son
écriture et sa musique, sinon ici, comme le veut le genre badin de la
bagatelle, la fantaisie, les fantasques éclats, babillement, bourdonnement,
ronronnement ou ronchonnement de l’aigu au grave des timbres. La première,
primesautière, est comme une brève ouverture et fermeture sur une chute
cocasse. Dans la seconde, adagio nostalgique, la flûte solo s’élève sur un
tapis sombre, moelleux, avec des pointes, des pointillés, délicats : un
frisson d’eau sur de la mousse. Refus de toute lourdeur, même de la mélancolie,
la troisième secoue avec entrain la brume légère avec un tournoiement, un
tourbillon obstiné et se clôt sur un point sec. Longueur, langueur,
engourdissement et réveil brumeux, ralenti, de la quatrième qui accélère la
course avec des pépiements de flûte qui tire des rideaux de lumière des autres
instruments paresseusement tirés et étirés comme des membres encore somnolents
s’éveillant au soleil. Le cor, dans la cinquième, rattrapé par le basson semble
présider à une course entre les timbres, une querelle d’oiseaux râleurs avec
trilles, élans et envolées. Appel pompeux du cor qui annonce, s’énonce et
reçoit les réponses des autres pressés, empressés, murmurant, protestant,
vibrant, vibrionnant, commentant à voix basse, en apparent désordre, pour la
sixième. C’est frais, facétieux, gracieux, souriant et l’on apprécie les
touches délicates de l’Ensemble qui colorent de teintes pastel ces tableautins
humoristiques aux délicieuses harmonies.
Plus qu’humour,
raillerie, satire, les sept pièces de Médiatissées, guère plus longues, me paraissent
relever, par leur propos aimablement pamphlétaire, d’une autre veine de
Guérinel, théâtrale. Dans le domaine poétique, on appellerait cela des
épigrammes, courtes pièces de vers se terminant par un effet inattendu une
saillie, une chute, un trait piquant. Guérinel lui-même, explique le nom et
donne la couleur, la tonalité ironique de ces brèves vignettes qui épinglent
malicieusement les médias et leur effectisme immédiat mais éphémère. La
première, offre une plaisante parodie de La
Marseillaise martiale qui se déglingue mais
finit par un garde à-vous laconique, comique. La seconde, endeuillée, c’est le
ton sombre, compassé, empesé d’annonce média des catastrophes, regard assorti à
la télé, mais simple parenthèse lugubre dans l’enjouement et le sourire obligé
du présentateur ou de la présentatrice qui a dit son « sujet » et
passe à un autre, presque un caressant « Bonne nuit, les
petits ! » (l’incident est clos). Même touche solennelle, guère
touchante d’une « Entente
cordiale » à laquelle on ne croit pas, perturbée par un dérèglement
soudain bourdonnant et bedonnant de l’étiquette, de l’ordonnance politique et
policée. Frivolité publicitaire dénoncée par les timbres obsédants, vrillant
insidieusement le cerveau. « L’extase dodécaféinée » est une
plaisante parodie du dodécaphonisme dogmatique et raide de café, mais la série,
affectant le sérieux théorique d’abord, n’est pas sans grâce dans sa nervosité
si bien captée. « Les messages indésirables » bourdonnent de
parasites intempestifs, répétitifs, et la série des épigrammes musicales se
clôt sur une litanie de musique répétitive dont le charme se dissipe en
agaçante affèterie.
On écoute, on
rêve, et l’on croit voir se concrétiser
en images, de théâtre ou de cinéma, ou même de dessins animés, ces œuvres si
élégamment humoristiques et si légèrement servies par cet admirable Quintette à
vent, sans rien qui pèse et qui pose : oui, de l’air, du plus bel air
eût-on dit autrefois.
Jules Mouquet (1867-1956), néo-romantique teinté
d’impressionnisme, sans doute marqué, dans ses thèmes, par une certaine
ambiance antiquisante que l’on trouve aussi dans la peinture et la poésie
symboliques à laquelle n’échappent ni Debussy ni Ravel avec leurs Faune, Bilitis, Daphnis et Chloé, finalement très Art Nouveau,
faisait la fin heureuse, consonante (consolante pour certains spectateurs) de
cette première partie, par ailleurs avec le concours de l’Ensemble
Arabesques Trio
d’anches de Hambourg,
qui assurait la seconde. Fin d’une parenthèse ouverte avec Ravel et close avec
Mouquet, enserrant prudemment (embrassant amoureusement pour moi) les compositeurs plus dérangeants, le
fondateur Schönberg et le frondeur Guérinel, l’un créant sa propre étiquette,
l’autre échappant à toutes.
Le second concert
était assuré par cet autre magnifique et délicat ensemble. Fondé en 2010, l’Ensemble
Arabesques, composé
de Rupert Wachter,
clarinette, de Christian M. Kunert, basson, et de Nicolas Thiébaud, hautbois, rassemble
trois solistes de l’orchestre de l‘Opéra de Hambourg. Ils se produisent
pour promouvoir un répertoire original de cette formation de chambre.
Le programme
comprenait une œuvre du compositeur coréen Isang Yun (1917-1995) mais ayant vécu
essentiellement en Allemagne et lié aux avant-gardes musicales, comme le
démontrait son ambitieux Rondel, une découverte mais qu’on aurait aimé entendre, écouter,
sans doute au début et non au terme d’une longue série de concerts, guère
propice, à son terme, à l’appréhension d’une œuvre inédite, inouïe jusqu’ici,
pour lui rendre sérieusement justice. Mais il faut rendre aux interprètes
l’hommage de leur engagement à défendre cette œuvre ardue, parfois plaintive et
déchirante, dentelée de trilles, de vibratos, de tendres ondulations, et l’on
admirait la sûreté des attaques, la finesse, le sfumato des sons finis.
Le Concert
champêtre d’Henri
Tomasi nous
ramenait sur un terrain mieux connu, une terre commune, esquissée en cinq
mouvements, cinq tableaux, le premier tout joyeux, capricant, pimpant ; le
second déployait une couleur archaïque, médiévale, des vrilles lumineuses
autour du tronc sombre du basson, embrassements sensuels ; même saveur
ancienne dans le troisième, fête rustique, danse paysanne aux cadences plagales.
Comme un soir ou lendemain ou de
fête, le quatrième s’étirait lentement d’un sommeil ou d’une torpeur, éveil
vaguement vaporeux, voluptueux, rêverie brumeuse ou crépusculaire et, le
cinquième, éclatait de couleurs, réveil percutant de timbres aigus verdissants,
avec des pirouettes, des tournoiements enivrés de saltarello, dans une ivresse
frénétique de vie.
Le Divertissement de Jean Françaix venait aussi trop tard sinon dans un monde trop vieux, dans une
longue journée pour en apprécier pleinement la grâce mesurée, contenue,
l’esprit bien français qui finit par une pirouette. Il méritait bien la reprise
en bis de l’une de ses parties, arc-en-ciel de couleurs pour la rose des vents
du spectre délicat du trio d’anches.
Air, brise, zéphyr de
cette belle journée dévolue aux vents. Très dense.
Photos d'instruments empruntées à La Lettre du Musicien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire