Enregistrement 20/4/2015,
passage, semaine du 18/5/2015
RADIO DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE
BENITO » N° 176
AASHENAYI
Alors que les fous d’un Dieu réinventé par eux
dans le mal, l’horreur et la destruction, ne cessent de vouloir faire expier à
l’Occident d’aujourd’hui ses croisades d’autrefois, il y a heureusement des
esprits élevés qui cherchent à reconstruire par l’art, par la musique, une
harmonie perdue entre notre monde et cet Orient, qui, autrefois, je voudrais le
signaler, servait de repère puisque « orienter », qui vient du mot
orient, signifie repérer, à partir de lui, les autres points cardinaux. Être
désorienté, c’est donc avoir perdu l’orient et c’est ce rêve pieux de le
retrouver que caressent, implicitement, des disques récents. Je présenterai
aujourd’hui celui de l’ensemble Canticum Novum, Aashenayi (label Ambronay), qui signifie ‘rencontre’
en persan.
Emmanuel
Bardon,
fondateur en 1996 et directeur de cet ensemble, au nom latin de Canticum
novum,
’Chant nouveau’, ou ‘Nouveau chant’, renouvelle et élargit avec ce CD le projet de son précédent disque, intitulé Paz, Salam et Shalom (voir dans ce blog le 22 mai 2013) à savoir, ‘Paix’,
déclinée en espagnol, en arabe et en hébreu. Beau message pacifique en trois
langues différentes, mais qui ont en commun la langue universelle de la musique. Mais aussi issues de trois cultures du Livre,
monothéistes, avec une origine commune malheureusement oubliée, passant de
l’embrasement passionnel et guerrier à l’embrassement fraternel ici par la
musique, du conflit à l’harmonie, comme je le disais déjà. Car ces trois
cultures et leur religions, si elles se sont combattues et continuent, hélas,
encore de se combattre, ont eu des parenthèses heureuses de coexistence
pacifique, comme dans l’Andalousie médiévale où coexistèrent longtemps en paix
les communautés chrétiennes, juives et arabes, exportant par des traductions le
renouveau de la culture antique dans toute l’Europe du Moyen-Âge.
Contexte historique
Mais, cette fois-ci, ce n’est plus cette
Espagne musulmane éclairée qui est le centre donateur de sens culturel —du
moins avant ses expulsions et diaspora des derniers arabes et de ses juifs en
1492. Cette fois-ci, l’épicentre culturel du disque, c’est l’empire turc de
Soliman le magnifique (1495–1566) à son apogée. Encore faut-il préciser les faits
historiques oubliés dans les présentations du CD : les Ottomans, mettant
fin à l’empire byzantin, après les Balkans, ont conquis Constantinople en 1453,
rebaptisée Istanbul, et dominent toute la rive de la Méditerranée
arabo-musulmane. Le roi François Ier, désireux de desserrer l’étau impérial
espagnol qui étrangle la France sur toutes ses frontières, s’allie à Soliman II
et ce dernier pousse ses conquêtes jusqu’à la Hongrie, prend Buda, face à Pest,
et en 1529 assiège même Vienne, défendue par l’Empereur Charles Quint, qui,
lui, s’est allié au Shah de Perse, pour prendre les Turcs à revers.
Géopolitique sans merci de ces trois géants de la Renaissance qu’on aurait aimé
trouver un peu explicitée dans ce disque pour préciser le contexte de son
programme.
Notre première escale sera donc ottomane, une
paradoxale rencontre homme/femme dans une culture qui pourtant les sépare,
hélas, un duo au texte poétique à lire sa traduction de Dimitri Cantemir, dont rien,
malheureusement ne nous est dit, ni l’époque, pas plus que des deux interprètes. Pourtant, quel plaisir à écouter cette plage 2!
Silences regrettables
On aurait également apprécié des précisions sur
ces instruments aux noms insolites pour nous : tar, shourangiz,
nyckelharpa
(dont on croit comprendre sans être grand clerc que c’est une harpe avec du
nickel) ; mais l’on aimerait savoir ce que sont le kamensheh, les flûtes kavals, si l’on sait ce qu’est l’oud, qu’on dira en français la
ud (laúd en espagnol) avant
de le contracter en luth, la fidula, instrument à cordes frottées avec un archet,
semblable au rebec médiéval, et le kanun, sorte de cithare sur table. Ce silence est
un peu ingrat pour les remercier de ces sonorités étranges, venues de loin, qui
font l’un des charmes de ce disque. D’autant qu’on aurait aimé les voir
rapportés à ces musiciens d’origines nationales très diverses et ces musiques
centrées sur la Sublime Porte mais arménienne, turque, kurde, afghane, perse,
séfarade, galaico-portugaise, de la tradition orale ou conservées par écrit, ce
qui n’est pas précisé non plus, mais qui est le cas des deux extraits de ce
monument médiéval espagnol que sont les Cantigas de Santa María d’Alphonse X le
Savant de Castille.
On aurait aimé en savoir plus sur l'envoûtante mélopée arménienne, Nor
Tsaghik de la plage 7. Et pour commémorer pacifiquement le centenaire du génocide
arménien par les Turcs, rêvons, dans l’idéologie heureuse de ce disque, que ces
frères ennemis s’embrassent comme dans cet air traditionnel de Turquie de la plage 8.
Introductions bavardes
En introduction, Emmanuel
Bardon se fend d’une pétition de principe aussi généreuse et lumineuse
qu’un peu innocente dans ce désir de rencontre et de métissage et échange
culturels qui sont, il faut bien le dire, un peu la bien-pensante tarte à la
crème un peu sucrée et généralisée depuis des années —mais l’on préfère cette
innocence-là naïvement utopique aux criminelles terreurs obscurantistes qui
veulent s’imposer à nous. Quant à Aline Tauzin, membre du comité
scientifique du CCR d’Ambronay, elle replace le travail de Canticum Novum dans
le cadre du cahier de charges polyculturel du fameux Centre à l'intense travail qu'on salue. Mais l’on aurait
préféré que ces textes, intéressants mais trop généraux, fussent un peu plus
courts pour laisser une place malheureusement absente pour les morceaux
interprétés, leur origine, le traitement musical et leur interprétation et qui interprète tel ou tel morceau. Il
faut donc recourir à l’érudition personnelle dont on peut attester au moins
pour les textes d’origine hispanique, des cantigas en galaico-portugais
d’Alphonse X le Savant, du ladino séfarade (bien prononcé ici malgré la
transcription textuelle de manifestes erreurs orthographiques) mais l’on ne
pourra donc rien témoigner de l’arménien, du turc, de l’afghan ou du perse
sinon le charme étrange de ces langues et musiques inconnues de nous. Malgré ce
regret qui montre qu’on reste sur notre faim à leur propos, on se retrouvera bien
sûr, du côté de ceux qui veulent créer des ponts, non des frontières, qui recréent (ou inventent) des
passages entre les cultures et les peuples.
Nous nous quittons en
écoutant un extrait de ce poétique romance sépharade, judéo-espagnol, retrouvé
dans les Balkans, Durme, hermosa donzella, ‘Dors, belle jeune fille’,
chanté, murmuré, on imagine, par Emmanuel Bardon, avec une prenante douceur. Mais cette plage 10 donnée à écouter n'épuise pas le charme instrumental et vocal de ce disque.
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