A
DEATH IN THE FAMILY
Opéra en trois actes
d’après le roman éponyme
de James Agee et la pièce All the way home de Tad Mosel
Livret
et musique de William Mayer
Opéra-théâtre
d’Avignon
Dimanche
9 juin, 17h00
Passionnante
saison à l’Opéra-théâtre d’Avignon. Pour s’en tenir au
lyrique, on a pu y entendre des jalons essentiels de l’histoire de
l’opéra, du fondateur Orfeo de Monteverdi au XVIIe
siècle au Wozzeck de Berg, à Jenufa de Janacék, La
Voix humaine de Poulenc pour le XXe en passant par les
classiques Barbier de Séville, Traviata, La Veuve
joyeuse, et comme couronnement de la programmation, création de
A Death In The Family, opéra de 1983, inconnu en France.
L’œuvre
Sous
le titre de A
Death In The Family
les Américains connaissent surtout le
roman (1958),
de James Agee,
scénariste du film devenu classique La
Nuit du Chasseur,
de Charles Laughton, avec Robert Mitchum dans le rôle d'un
inquiétant pasteur aux pulsions criminelles et d'Africain
Queen de John
Huston entre autres. Laissée
en état de manuscrit par la mort brutale de l'auteur, la parution
posthume du livre lui vaut le Prix Pulitzer et Tad
Mosel, autre
scénariste, en tira une pièce All
the way home
(1961), gratifiée de ce même prix. en tira une pièce l’œuvre a
acquis un statut quasiment mythique. Le compositeur William
Mayer, des
deux œuvres, tira
un livret pour en faire cet opéra créé en 1983, et connut un
succès public et critique immédiat.
Livret
confus
Faute
de connaître le roman, devenu mythique nous dit-on, et la pièce,
force nous est de nous en tenir à ce qu'en dit l'abondant dossier de
presse et du programme : roman largement autobiographique sur
une famille du sud des États-Unis lors de la grande dépression, de
la crise donc, confrontée à un décès dans la famille, celle du
père. Cependant, force est aussi de constater que, pour maintenir
l'intérêt du spectateur, le théâtre, l'opéra, qui en est une
terrible condensation, nécessitent une exposition, un nœud de
l'action, un conflit puissant et des péripéties qui maintiennent en
haleine jusqu'au dénouement. Or, ici, nous avons d'emblée quatorze
personnages sur scène apparemment sans grands problèmes, dont on ne
devine pas très bien qui est qui, les interpellations par les
prénoms n'étant parlantes sans doute que pour les Américains qui
connaissent, on l'espère, l'arrière-fond du roman ou de la pièce.
Leurs relations entre eux ne sont claires sauf, à l'évidence, que
pour le père, l'enfant et la mère, d'autant qu'il semble que
certains, adultes, jouent parfois des enfants…
Les sous-titres
calamiteux, bourrés d'incorrections et de fautes d'orthographe
n'arrangent pas la compréhension. Car, pour ce qui est sujet, un
décès dans une famille, s'il est un drame pour les parents, c'est
malheureusement bien quotidien pour prétendre à la grandeur de la
tragédie même que requiert l'opéra, d'autant que cette mort, par
accident d'auto, bien annoncée par l'alcoolisme du conducteur, qui
intervient à la fin de la seconde partie sur trois, au bout d'une
heure quarante de musique sur un peu plus de deux, ne crée guère
d'angoisse ni de suspense. Quant à l'exclusion, ce soit-disant
problème racial dont on nous parle aussi dans les notes d'intention,
il faut bien reconnaître qu'il nous demeure bien étranger : à
part l'allusion au prénom de l'enfant et la cuisinière noire, on ne
voit pas trop où il se situent. Bref, ici, nous n'avons pas le
background ,
le bagage culturel américain qui comblerait les vides du livret et
identifierait pleinement les personnages, nous permettant d'apprécier
les jeux et enjeux du texte : sans ce contexte, une tranche de
vie naturaliste ne suffit pas à remplir une scène. Même Louise
(1900)de
Charpentier, « roman musical », modèle du genre
réaliste, possède un conflit entre l'autorité parentale et le
désir d'émancipation d'une jeune femme, entre deux classes
sociales, qui fit juger l'œuvre scandaleuse. Ici, malheureusement,
tout est statique, suite de scènes de genre dont l'intérêt
dramatique n'est pas très sensible, à part un vague conflit entre
la foi de l'épouse et l'athéisme du père.
Réalisation
et interprétation
D'autant
que la mise en scène, même très agréable à regarder de Róbert
Alföldi,
minimaliste et symbolique, crée un hiatus avec le naturalisme des
situations, par la contradiction entre ce réalisme textuel et
l'abstraction du traitement, réduisant le sentimentalisme du
mélodrame à une sorte de brillante parade de personnages un moment
masqués, dansant, jouant comme au train avec un entrain de comédie
musicale et, facteur d'émotion essentiel, centre du jeu, l'enfant
n'est qu'un pantin, une poupée passant de main en main, cantonné à
une voix off. Les
costumes de Gergely
Zöldy Z sont
contemporains, sa
scénographie intéressante :
un cube à
diverses entrées, joliment diversifié par les lumières bleutées de Zsolt Burján,
surmonté
d'une passerelle ou galerie, tient lieu de maison dont les battants
vides s'ouvrent et ferment mais avec une répétition un peu trop
mécanique. Un autre cube intérieur tient lieu de mobilier à usages
multiples.
Musique
et chant
Il
reste que la musique est passionnante : avec un substrat, on
dirait mieux un terreau ou des racines américaines plongeant dans le
folklore, le gospel, avec parfois des rythmes syncopés de ragtime,
accents dansants de foxtrot, on l'entend à l'écoute de la musique
de son temps, tonalités élargies, éclatées, tout en restant
néanmoins très personnelle et très lyrique. Les chœurs récurrents
à bouche fermée, rappelant Puccini, sont nostalgiques, très beaux.
Quant aux chanteurs, quatorze sur scène, ils ont une cohésion de
troupe aguerrie et tous sont remarquables vocalement et scéniquement,
bons acteurs et même danseurs. C'est l'efficience américaine fondée
sur le travail le plus rigoureux. On ne peut citer que ceux qui sont
identifiables par les rôles importants : Philippe
Brocard,
baryton français, admirable d'émotion paternelle ; Adrienn
Miksch,
est fragile et touchante en Mary, sa femme ; Gabriel
Manro
est un Père pasteur et un grand-père imposant et Joshua
Jeremiah,
un frère et beau-frère très séduisant ; en quelques
répliques très gospel, Judith
Skinner,
en cuisinière noire, se taille un succès mais toute la troupe,
répétons-le, est admirable.Il
faut reconnaît que la direction
musicale de Sara
Jobin à la tête
de l'admirable Orchestre
Symphonique de Szeged,
en Hongrie, est exemplaire de maîtrise et de rigueur, sans brider
l'essentielle émotivité lyrique de cette musique.
On
peut regretter que ce remarquable spectacle du
Centre d'opéra contemporain de New York,
qui a remporté le Prix
de la meilleure production de la Armel Competition and Festival/Arte
2012, n'ait été
donné qu'un dimanche après-midi, et à 17 heures. Mais enfin, c'est
déjà heureux qu'un opéra ait osé le programmer.
Opéra-théâtre
d'Avignon 9 juin
A
Death in the family de William
Mayer
Orchestre
Symphonique de Szeged, direction musicale de Sara Jobin
Mise
en scène : Róbert Alföldi ;
décors et costumes : Gergely Zöldy Z
Avec :
Adrienn Miksch ; Jami Leonard ; Vira Slywotsky ; Nora
Graham-Smith ; Sarah Miller ; Brooke Larimer ;
Deborah Lifton ; Judith Skinner .
Philippe
Brocard ; Oliver Holmes ; Gabriel Manro ; Todd
Wilander ; David Neal ; Joshua Jeremiah ; David
Gordon ; Aaron Theno.
Photos :
1. Une mère pieuse (Adrienn Miksch) ;
2. Un père identifiable (Philippe Brocard) mais une famille masquée ;
3. Tendresse du père berçant la poupée… ;
4. Un adulte figurant un enfant avec sa nourrice (Judith Skinner).
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