COUVENT DES MINIMES,
POURRIÈRES, 16 JUILLET
CRÉATION, RECRÉATION, RÉCRÉATION
Don Quichotte et Sancho
d’après Florimond Ronger dit Hervé
et
Don Quichotte, berger
ou la nouvelle Arcadie
Livret de Florimond Ronger dit Hervé
Musique de Jean-Michel Bossini
Loin des fastes néfastes de MP13, dont les lumières trop vives
laissent crûment dans l’ombre nombre de manifestations qui mériteraient un
éclairage digne d’elles, le festival l’Opérauvillage de Pourrières organisé par des bénévoles du lieu,
dans l’apaisement en douceur de la ligne de crête de la Sainte-Victoire, au
creux du petit couvent des Minimes, pierres décroûtées caramel et pain d’épice,
à l’abri du délicieux petit cloître auquel une seule branche de marronnier est parasol
et dais végétal, poursuit son petit bonhomme de grand chemin.
Sur le charme du lieu, de ce rituel dîner convivial à thématique
culinaire en rapport avec le spectacle, mitonné par les bénévoles du village,
dégusté sous les vénérables marronniers et accompagné des vins du terroir
offerts par les vignerons du cru, on se reportera dans ce même blog aux dates
où j’en ai rendu compte (4/8/2008, 26/7/ 2009, 23/7/ 2010, 26/7/ 2012). On s’y retrouve avec un plaisir
jusqu’ici jamais trahi.
Fort d’une équipe solide et soudée pour la réussite par un
compagnonnage généreux, après nous avoir habitués à des productions originales,
loin des sentiers battus, en exhumant des œuvres lyriques inconnues, méconnues
(rappelons Cendrillon de Pauline
Viardot, Djamileh de Bizet, Philémon
et Baucis de Gounod, etc), l’Opérauvillage
se paie le luxe de nous offrir du
même coup, une création et une recréation, sympathique et heureuse récréation
musicale.
L’œuvre, les œuvres
Qu’est-ce qui est mieux qu’une opérette ? Deux : une
moderne, Don Quichotte berger ou la nouvelle Arcadie enchâssant joliment l’ancienne Don Quichotte et
Sancho (1847) de Florimond Ronger
dit Hervé (1825 – 1892). De ce
dernier, auteur d’une bonne centaine d’opérettes, on a presque tout oublié malheureusement (sauf sa tardive Mam’zelle
Nitouche de 1883) mais les
organisateurs de Pourrières nous
rafraîchissent la mémoire avec cette œuvre et nous apprennent qu’à l’hôpital,
il avait pu monter une pièce avec les médecins et les malades, l’Opéra de
Bicêtre, belle anticipation de la
musicothérapie, de l’art thérapie timidement en vogue aujourd’hui. Son Don
Quichotte et Sancho eut un joli
succès mais fut balayé par la proche révolution de 1848.
Ce serait, nous dit-on, la première opérette mais ce serait se contenter
d’un regard franco-français puisque ce genre court, en un acte, mêlant paroles
et chant sur une intrigue bouffonne existait déjà depuis plus d’un siècle et
demi en Espagne, appelée la tonadilla escénica, elle-même dérivée des sainetes, intermèdes musicaux du théâtre et de la zarzuela
baroques (ayant donné dans la
Naples encore espagnole l’opera buffa), d’où dérive d’ailleurs le mot
« saynète » qui définit cette œuvre.
D’autre part, les chercheurs érudits de l’équipe, en fouinant avec
bonheur dans les documents du fonds Hervé de la bibliothèque de l’Opéra, ont
trouvé, entre autres, un livret d’Hervé, complet, mais jamais mis en musique.
Ils ont eu la bonne idée d’en confier la musique au compositeur Jean-Michel
Bossini, qui signe par ailleurs la
subtile adaptation, pour un effectif instrumental léger, un septuor, de la
masse orchestrale de l’opérette complète d’Hervé, Don Quichotte et Sancho.
Le livret retrouvé, Don Quichotte berger ou la nouvelle
Arcadie est également une
saynète en un acte, d’après l’épisode pastoral du roman original, le moment où
le héros, non pas lassé de la chevalerie, mais comme un complément littéraire,
la bergerie étant le pendant lyrique du roman épique de chevalerie, envisage de
se faire berger, le berger Quichottis. C’est le prétexte pour la célèbre tirade
utopique du retour au mythique Âge d’Or de l’humanité, magnifique discours où
Cervantès, par la voix de son héros si généreusement humain, exprime son rêve
humaniste, humanitaire, que n’auraient pas désavoué les premiers socialistes
saint-simoniens de la Révolution de 1848, rêveurs de la fraternité universelle.
Les deux livrets d’Hervé, même dans leur condensation, manifestent
sa connaissance profonde de cette œuvre qui ne passait pas encore pour le
premier roman de la modernité (Gustave Doré et ses gravures n’est pas loin), seules ses graphies
de certains personnages étant inexactes : Tereza au lieu de Teresa pour la
paysanne, idéalisée en Dulcinée par le chevalier, Carasco au lieu de Carrasco,
péchés véniels en regard de sa langue exacte et bien venue, fleurie de quelques
jeux de mots plus ou moins gros. Sa musique est charmante, coule avec aisance,
grâce souvent.
Réalisation et
interprétation
L’adaptation de Jean-Michel Bossini est respectueuse de l’original, habile musicalement,
efficace. Quant à sa propre musique sur le second livret d’Hervé, il a le bon
goût, l’élégance de n’en pas faire une machine à écraser son
prédécesseur : elle est moderne, d’aujourd’hui, mais sans outrance, et
l’on doit même lui reconnaître le mérite de ne pas créer une solution de
continuité entre les deux qui soulignerait grossièrement les coutures entre la
musique et le texte originaux d’Hervé et celui qu’il met personnellement en
musique. Il a de belles trouvailles comme ces bêlements de moutons de l’Arcadie
qui se souviennent peut-être de l’instrumentation humoristique par Mozart de
tel passage pastoral du Messie de
Händel. Il a joliment servi son septuor d’instrumentistes tous à louer. Ses
mélodies sont agréables, bien chantantes.
Là où la bât (de l’âne invisible mais audible de Sancho) blesse,
c’est le traitement qu’il inflige aux chanteurs, les forçant, de son propre
aveu, à des tessitures extrêmes pour leurs voix. Ainsi, on peut déjà trouver
étonnante la silhouette longiligne d’un Sancho rond et mangeur qui répondrait
plutôt à celui du Chevalier à la Triste Figure, mais en faire une voix suraiguë
et détonante en la confiant à un contre-ténor (Bernard Dazin) qui n’est plus ni contre ni ténor par la partition
qui lui est confiée, contraint à des sauts, à des cris, des criailleries
souvent pénibles quel que soit son talent réel d’acteur, est bien arbitraire,
et, dans la méconnaissance de la partition d’Hervé, même en admettant la
liberté absolue de toute œuvre par rapport au modèle, l’on ne parlera pas du
contresens hispanique puisque, dans l’Espagne du Siècle d’Or, on méprisait les
voix aiguës et nasales françaises dont on disait qu’elles étaient plus de poule
que de coq gaulois.
Cela accuse
artificiellement le contraste recherché par Bossini avec ce Don Quichotte trop
jeune et beau (François Echassoux),
confiné dans des graves trop bas pour sa pourtant belle voix de basse, sans
même en appeler au texte où Sancho se « quichottise » clairement,
assumant l’idéologie chevaleresque de son maître, tout comme Leporello et Don
Giovanni deviennent vocalement identiques. Même traitement infligé à l’autre
basse, Nika Guliashvili en Sansón
Carrasco, réduit à sa corde la
plus grave, la moins timbrée, celle qui passe le plus difficilement la rampe même
dans cet espace réduit. Le baryton Denis Mignien (Núñez) s’en tire un peu mieux encore que
l’imposition à tous ces chanteurs de notes en voix de tête à partir de ces
graves trop lourds donne des sons approximatifs et les faussets sonnent
forcément faux. Anouschka Lara
(Juanita), soprano léger mais encore trop sollicitée dans des aigus, tire son
épingle du jeu et la mezzo Patricia Schnell, en
accorte Teresa/Dulcinée, a plus de chance avec une partition plus propice à son
timbre rond et charnu et ce confort lui laisse plus d’aisance dans la
théâtralité. Car l’insécurité des chanteurs leur cause une incertitude vocale
qui corsète leur jeu et, malheureusement, le public leur attribue des manques
qui semblent n’être que le résultat du trop-plein de difficultés imposées
inutilement par le compositeur. Mais on apprécie la précision qu’il apporte à
la direction musicale des deux œuvres.
Du moins à cette première, toujours angoissante, le jeu sans doute
souple de Bernard Grimonet dans
sa mise en scène, à la juste gestique, se
ressent un peu de ces contraintes. On goûte les jolies trouvailles, l’action
située à Pourrières même (après tout, un chevalier errant se déplace !)
avec en fond, sous les arcades de la scène, la ligne bleue abstraite de
Sainte-Victoire, la fontaine pyramidale du village commémorant la victoire de
Marius sur tes Teutons (Pourrières tirerait son nom du charnier où pourrirent
les corps des barbares vaincus) qui s’ouvre en trône et dais seigneurial pour
le seigneur (scénographie de Jean de Gaspary), le long licou de l’âne invisible de Sancho, le
petit mouton à roulettes de l’Arcadie. Les costumes, comme les décors, comme
toujours confiés à des gens du village, sont beaux, joyeux, joliment stylisés à
l’espagnole, et aussi frais que ce petit chœur et ce spectacle à la fois
modeste et ambitieux, qui mériterait bien de tourner.
Pourrières,
l’Opéraavillage
Couvent des
Minimes, 700 chemin de la santé
83910
Pourrières, 16, 18, 20, 22, 24 juillet 2013
Don
Quichotte et Sancho
d’après
Florimond Ronger dit Hervé, adaptation Jean-Michel Bossini,
Don Quichotte berger ou la nouvelle Arcadie,
livret
d’Hervé, musique de Jean-Michel Bossini , création
.
Direction
musicale, Jean-Michel
Bossini ; direction d’artistes, Luc Coadou ; mise en scène, Bernard
Grimonet ; scénographie, Jean de Gaspary ; arrangement, Frédéric
Carenco ; régie lumière : Sylvie Maestro.
Distribution :
Don
Quichotte : François
Echassoux ; Sancho : Bertrand Dazin ; Juanita : Anouschka
Lara ; Núñez : Denis
Mignien ; Teresa/Dulcinée :
Patricia Schnell ; Carrasco : Nika Guliashvili.
Chœur : Emilie Cavallo,
Eymeric Mosca,Michael Paparone, Laura Stamboulis.
Septuor instrumental : Stéphanie Perin (alto) ; Sarah Friedmann
(violon) ; Virginie Bertazzon (violoncelle) ; Jean Bernard Rière
(contrebasse) ; Aurélia Céroni (clarinette basse) ; Marilyn Pongy
(cor) ; Isabelle Terjan (piano).
Tél : 06
98 31 42 06
Photos : Bernard Grimonet (CLIQUER SUR LES PHOTOS POUR LES AGRANDIR):
1. Le
berger Quichottis plaidant pour le retour à l’Âge d’Or ;
2. Don
Quichotte et Sancho : François Echassoux, Bertrand Dazin ;
3. Saluts.
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