QUINTO
d'António
Zambujo, crooner du fado
Théâtre
de la Criée
Avec
le label MP13 mais sans un sou concédé, Marseille-Concerts
présentait, pour son dernier concert de la saison le jeune et
sympathique chanteur portugais António Zambujo dans un récital de
fados, chant typique du Portugal.
Fado :
le mot portugais dérive du latin fatum, 'fatalité',
'destin'. En espagnol : hado. Et hada, en
espagnol, c’est la ‘fée’ ; en latin, les fata
étaient les déesses de la destinée ; en italien, la fata
Morgana, c'est la fée Morgane. En français ancien, le mot fada
désigne celui qui est
'touché par les féee' à la tête, le fatuus, le sot,
l’insensé. On trouve le terme chez Agrippa d'Aubigné au XVIe
siècle, chez Brantôme au XVII e, terme repris au siècle
dernier par les auteurs provençaux, tant qu'on le croit né du
provençal. Le nom de ce type de chanson,
‘destin’, désigne donc une thématique plus qu’une forme
musicale précise, même si l’on distingue entre fado
majeur et mineur
et le fado corrido,
plus vif. Il y a des fados modernes qui sont des slows, des
fox-trots, de sortes de tangos, et toute autre forme musicale
investie par des textes exprimant mélancoliquement, avec un sens
très noir de la fatalité, les malheurs de la vie. C’est
l’interprétation et l’ornementation traditionnelle, des grands
chanteurs, qui donne au fado une patine qui semble parfois
immémoriale.
Le
fado aime à parler de lui-même et se définit en chanson.
Ainsi, Todo isto é fado, ‘Tout cela, c’est le fado, nous
explique ses thèmes :
Amour,
jalousie,
Cendres
et feu,
Douleur
et péché,
Tout
cela existe,
Tout
cela est triste,
Tout
cela, c’est le fado.
Cependant,
il y en a aussi de satiriques, humoristiques, d’une plaisante
auto-dérision.
Les
premiers témoignages sur le fado remontent à la deuxième partie du
XIXe
siècle : musique bien de cette époque pour les plus anciens connus
avec un rapport musical net entre tonique/dominante qui prouve que ce
n'est pas un genre qui remonte à très loin ; il ne possède
pas d'archaïsme ou de particularisme musical très marqué comme
dans le flamenco.
Même si on l'élargit et le confond parfois avec des genres musicaux
provinciaux, notamment quand le régime de Salazar voulut en faire
une sorte d'emblème national, le fado, surtout lisboète, est une
chanson urbaine, portuaire (comme le tango, porteño, du port de
Buenos Aires) et naît ainsi au milieu du XIXe
siècle dans le foisonnement trouble du monde marginal de la
prostitution, des bordels, des tavernes à marins. On
parle d’un mode de vie « fadista », voyou, bohème,
prisé par les aristocrates encanaillés. Le fado Todo isto è
fado, 'Tout cela est le fado' nous en donne aussi l’atmosphère :
Almas
vencidas, Âmes déchues,
Noites
perdidas, Nuits perdues,
Sombras
bizarras, Ombres bizarres.
Na
Mouraría Dans la Maurerie
Canta
un rufiã, Chante un ruffian,
Choram
guitarras. Et les guitares s'en vont pleurant
On
polémique sur les origines du fado : certains lui cherchent des
lettres de noblesse en antiquité, en nationalisme, inventent le
mythe d'un fado aux origines plus nobles. Mais le fado lui-même se
moque de ces tentatives bien-pensantes pour en gommer les origines
louches et gênantes. Ainsi, dans cette Biografia
do fado , ‘Biographie
du fado’ que je traduis aussi :
Mais
ses aïeux
Etaient
des gueux
Un
jour peut-être embarqués
Sur
les caravelles de Vasco de Gama ;
Sale
et déguenillé,
Il
roulait des mécaniques
Comme
un marin enivré
Dans
les ruelles antiques
Du
vieux quartier d’Alfama.
Né,
certes dans un port, dans un peuple de navigateurs et découvreurs
pur lesquels partir c'était souvent mourir, le fado, cette chanson
fataliste, amère, exprime la saudade,
le spleen ou blues portugais. Il chante les flots amers dans des airs
nostalgiques dont les mélismes, broderies vocales, ornent et mettent
en valeur le mot. C’est comme une petite frange d’écume
musicale comme venue de cet Atlantique d’où le fado semble aussi
issu dans ce peuple de marins et ce pays de brumes.
Discrédité
après la mort de Salazar et la Révolution des œillets comme
identifié au régime, après un bref purgatoire, le fado refit
surface, d'autant que la grande Amália Rodrigues, qui lui
donna rivage et visage universels, vivait encore. Après sa mort,
telle une ombre du Commandeur planant sur le fado, on enterndit de
jeunes chanteurs s'en détacher —ou n'oser si mesurer— ouvrir au
fado d'autres voies, lui donner d'autres voix, d'autres instruments,
l'imprégner d'autres influences, d'autres cultures : jazz,
bossa nova.
De la
dernière génération d'interprètes, António Zambujo est
devenu célèbre au Portugal en
incarnant le mari d'Amalia Rodrigues dans une comédie musicale à
succès retraçant la vie de la reine du fado. Né dans
l'Alentejo, il s'est bercé et imprégné de la tradition locale, le
cante alentejano. Il
en fit, presque a cappella, une émouvante démonstration dans deux
airs de moda alentejana, mais dans la discrétion, qui le
caractérisent ou le retiennent, qui lui font gommer la pathos,
lisser les aspérités, parfois même trop, au profit d'une
interprétation certes toute en finesse, en douceur qu'on voudrait
parfois moins monocorde.
Le premier
morceau, Casa fechada, 'Maison fermée', émeut par son
intériorité pudique et laisse espérer une gamme plus large
d'expression des sentiments. Mais ce sont surtout les rythmes, les
instruments qui varient : aux traditionnelles guitares espagnole
(qui tient lui-même surtout arpégée) et portugaise à cordes
pincées (Bernardo Couto), il a ajouté la couleur sombre de
la contrebasse (Ricardo Cruz) et des vents, clarinette (José
Conde) et même trompette (João Moreira), instrumentistes
excellents dont les nuances de timbre répondent à celles du
chanteur vedette. Ce dernier ne change guère de ton, conserve cette
douceur extrême, mais, sans grands mélismes, varie les nuances les plus subtiles, maîtrise
la technique en virtuose, passant de la voix de poitrine légère à
la voix de tête, au fausset, en un souffle parfaitement contrôlée
et filé. Mais il nous promène dans des rivages moins proches du
fado traditionnel du Portugal que des rives et dérives suaves,
mauves et guimauves souvent, de chanteurs brésiliens au volume
confidentiel, de Caetano Veloso en
particulier, João Gilberto, ou même du crooner Chet Baker.
Bref,
c'est le fado au risque du fade. Ainsi, ce ne sont pas ces «larmes
de Lisbonne » comme certains appellent le fado qu'il faut chercher
chez le souriant António Zambujo.
Il avait repris un succès de la grande Amália Rodrigues, Amor
de mel, amor de fel ;
'Amour de miel, amour de miel'. Le fado, si Amália en était
l'ombre, le fiel, il en est l'ambre, le miel. Au risque du sirop.
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