SHIRUKU
CANTICUM NOVUM, OLIVIER BARDON,
SUR LA ROUTE DE LA SOIE,
label Ambronay
La Route de la soie, immémoriale, reliant autrefois l’Asie à la Méditerranée, est redevenue d’actualité avec le projet actuel de la Chine de la réinventer, d’inclure dans son trajet l’Afrique et la Russie, pour servir ses intérêts. Celle que nous propose ce CD est simplement et superbement artistique, humaine, pour ne servir que le rapprochement des peuples par leur culture.
Créé en 2009 par Olivier Bardon, l’ensemble Canticum Novum, fait, en tissant des musiques anciennes traditionnelles, un chant nouveau, comme l’indique son nom, qui est vocation et programme, tissant des liens entre la musique d’Europe occidentale et le répertoire du bassin méditerranéen, riche de l’union du monde chrétien et d’un orient marqué d’une double hérédité juive et mauresque, dont l’Espagne fut un temps le réceptacle miraculeux, longtemps pacifique. On se souvient de leur premier disque de 2011, dont le nom, le vœu rêvé de paix, en espagnol, arabe, hébreux, Paz, Salam, Shalom, hélas, est resté un vœu pieux à la triste lumière des événements récents.
Avaient suivi d’autres ambitieux déchiffrages et défrichages de cultures profondes, qui nous semblent lointaines et exotiques, mais qui nous sont pourtant un terroir commun d’une Méditerranée élargie, dont les flots et vagues culturelles ont porté plus loin que les vaines et artificielles frontières politiques qui séparent arbitrairement un continuum humain difficilement séparable, qui n’a pas de compartiments étanches. Nous avions ainsi salué, Aashenayi (2015), ‘Rencontre’ en persan, un programme de musiques issue de l'Empire ottoman au temps de Soliman le magnifique au XVIe siècle ; Ararat (2017) sur ces musiques arméniennes peu fréquentées d’un peuple martyr que la terrible actualité rappelle à nos mémoires ; Laudario (2019), musiques au temps de saint François d'Assise ; Al-Basma (2021), un retour, un ressourcement dans la péninsule ibérique, où coexistèrent pacifiquement un temps, à l'époque médiévale, dans le fascinant Al-Andalûs, les cultures arabo-musulmane, du judaïsme arabophone et du christianisme. Samâ-ï (2022) était centré sur Alep la cosmopolite, dans cette quête d’interrogation des identités, de l’oralité, de la transmission et la mémoire, à partir de lieux symboliques et culturels de rencontres et non d’affrontements de cultures. Ajoutons que certains de ces programmes, de ces concerts aussi très visuels, spectaculaires, avec la mise en évidence, en audience, d’instruments insolites, anciens ou actuels venus d’ailleurs, on fait l’objet de captations pour la télévision par les Films de la Découverte. On comprendra que l’ensemble soit conventionné par le Ministère de la Culture.
Après ces recréations et créations musicologiques à partir de documents rares ou de témoignages recueillis dans les brumes de la mémoire ou bégaiements de la transmission orale, à partir du noyau de l’Al-Andalus ibère et séfarade aux chants d’amour nomades des steppes d’Asie, en passant par des mises en musique de poèmes afghans ou perses, turcs ou arméniens, voici enfin, une percée vers l’Extrême-Orient tout frais sorti et non encore en vente à l’heure heureuse de cette émission, Shiruku (2023), qui signifie ‘soie’ en japonais. Pour ce disque, géographiquement audacieux, s’adjoignant les services talentueux de trois musiciens traditionnels japonais, Emmanuel Bardon pousse ou tisse les limites ou confins de sa Route de la soie jusqu’au Japon, qui en était bien loin depuis son île séparée du continent asiatique. Mais, dans le texte introductif du CD, très documenté, d’Annick Peters Custot de l’Université de Nantes, on en voit la justification : en effet, l’hispanique futur saint François-Xavier, dont je rappelle qu’on pense qu’il parcourut quelque 80 000 kilomètres en Asie (et songez aux moyens de l’époque !), dans sa foi missionnaire et visionnaire de jésuite, de l’Inde au Japon, tissa des liens, mourant en 1552 sur l’île de Sancian, face à Canton de cette Chine qu’il rêvait d’évangéliser. En somme, si le grand empereur Mongol Kubilaï Khan (1260-1294) qui régnait sur la Chine échoua dans son désir de conquérir l’archipel nippon, bien pacifiquement, Emmanuel Bardon annexe pour notre plaisir curieux cet Empire du Soleil levant dont voici un air de la Préfecture de Toyama, une invitation au chant par un musicien accompagnateur :
1) PLAGE 9
« Comment peut-on être Persan ? », s’étonnait un naïf badaud parisien des Lettres persanes de Montesquieu. Alors, imaginons, au XVIe siècle, ces hardis navigateurs européens chrétiens, se croyant jusque-là le centre, le nombril du monde, découvrant ces terres lointaines, ces cultures étrangères, étranges, qui relativisaient ou questionnaient la nôtre ! Presque à la fin de la République, au début de l’Empire, les Romains connaissaient, par l’Égypte, les soieries chinoises d’un pays très lointain, bien au-delà de cette Inde jusqu’où était arrivé Alexandre le Grand. Par la fameuse longue poudreuse et poreuse Route de la soie parvinrent en Europe des inventions chinoises, la poudre, la boussole, l’imprimerie et, naturellement, la soie ou le thé. Le Livre des merveilles (en italien Il Milione) récit magnifique et mirifique de Marco Polo, décrivant l'empire mongol et chinois de Kubilaï Khan pour lequel le Vénitien travailla de 1275 à 1290 comme « messager » ou émissaire impérial, tout en faisant rêver, ouvrait grandes des portes jusqu’alors à peine entrouvertes.
Constantinople, sur les deux rives du Bosphore, entre Orient et Occident, riche des héritages grecs et latins, byzantins, perses et turcs et de leur transmission à un Occident et vers l’Orient, était une charnière, un relais essentiel sur cette route. Coupée par les Turcs après la prise de Constantinople en 1453, contournée par l’Afrique par les Portugais en quête de la conquête des épices, par la voie maritime nous parviendront plus tard les fascinantes porcelaines. Cependant, l’habile Venise, jouant sur les deux tableaux, plus économiques que politiques, commerçait toujours avec les Turcs et faisait payer très cher aux occidentaux ce qu’elle en avait obtenu. D’où la présence logique de musique vénitienne dans ce CD, cette jolie aubade où un amant chante à sa belle qu’il est temps de se réveiller : « Sù, sù, leva, alza le ciglia… » :
2) PLAGE 7
Bien sûr, la Grèce était aussi un aboutissement des ramifications multiples de cette route de la soie. Voici une jolie chanson chantée, de la tradition de l’Épire, Petit citronnier…, dont je rappelle qu’il est venu, depuis très longtemps, du Cachemire, aux confins de la Chine :
3) PLAGE 13
On apprécie donc le vaste panorama musical, symbole de toute la culture qui, par cette Route de la soie que veut aujourd’hui actualiser la Chine, embrassée par ce disque. Du Japon, à l’Europe, ces routes, dans les deux sens, dans le temps long de l’Histoire, mais d’autant plus profond, grâce à des explorateurs et des missionnaires, échangèrent des marchandises, brassèrent des idées, creuset d’échanges, de syncrétisme, tissant une millénaire chaîne de rencontres. Ne peut manquer ici l’Espagne des trois religions et le poète Alphonse X le Sage qui, au XIIIe siècle s’en proclamait roi. Mais nous quittons ce CD su un beau romance sépharade, de ces Juifs chassés d’Espagne, ayant transporté leur culture dans la multiculturelle Constantinople, une douce berceuse à l’aimée : « durme, durme, hermoza donzella… », inverse de l’aubade pour la réveiller :
4) PLAGE 19
CANTICUM NOVUM
Akihito Obama, shakuhachi (flûte droite japonaise)
Yutaka Oyama, tsugaru-shamisen (luth japonais à trois cordes)
Tsugumi Yamamoto, koto (instrument japonais à 13 cordes
pincées s’apparentant à une cithare)
Barbara Kusa, Emmanuel Bardon, chant
Valérie Dulac, Emmanuelle Guigues, vièles
Nolwenn Le Guern, vièle & luth
Philippe Roche, oud
Spyros Halaris, kanun
Guénaël Bihan, flûtes à bec
Léa Maquart, flûtes kaval & ney
Henri-Charles Caget, Ismaïl Mesbahi, percussions
Emmanuel Bardon, direction musicale
La Route de la soie, le projet actuel de la Chine de la réinventer, d’inclure dans son trajet l’Afrique et la Russie:
ÉMISSION N°702 DE BENITO PELEGRÍN
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