Johann Sebastian Bach - Les Variations Goldberg
par Jean-Luc Ho
(2CDs) Encelade
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Sommet mythique de la production clavier de Bach, ce monument musical connu sous le nom de Variations Goldberg est sans doute aussi un mythe, une mystification, sûrement une légende. En effet, le vrai titre donné à ce recueil de 1742 par Bach, au crépuscule de sa vie mais au plein éclat de son génie, (BWV 988) est Aria mit verschiedenen veränderungen vors Clavicembal mit 2 (zwei) Manualen (‘Aria, air, avec différentes variations pour un clavecin à deux claviers’). Cela en faisait la quatrième et dernière partie de son Clavierübung, ‘Pratique du clavier’ de 1735.
Mais la légende auréole l’œuvre légendaire d’un joli conte à tiroirs : on raconte que le comte von Keyserling, ancien ambassadeur de Russie auprès de la cour de Saxe, souffrant d'insomnies, cherchait l’apaisement et le sommeil dans la musique que lui prodiguait son jeune claveciniste Goldberg qui aurait été élève de Bach. On rapporte, il est vrai, que Bach offrit au comte un exemplaire des Variations, et ce dernier en récompensa le compositeur par une coupe remplie de pièces d’or après les avoir entendues interprétées par son claveciniste personnel Goldberg, qui en usurpe le titre. Légende dorée, conte à dormir debout, mais à la langueur caressante et rêveuse avec laquelle Jean-Luc Ho promène ses doigts sur le clavier, qui résisterait à la douceur berceuse de cette tendre sarabande invitant au sommeil, mais l’empêchant par le bonheur oniriquement curieux d’en connaître la suite ?
1) Spotify PLAGE N° 1 : Aria
Cette douce cantilène n’est pas non plus de Goldberg mais de Bach lui-même, qu’il reprend du second Clavierbüchlein qu’il avait composé pour sa seconde femme Anna-Magdalena en 1725 après en avoir écrit un premier en 1720 pour son fils Wilhelm Friedemann.
La variation est une technique essentielle de la composition musicale classique, on la retrouve dans tous les genres musicaux, et le jazz en a fait pratiquement une marque de fabrique, une signature. La variation consiste à poser, exposer un thème principal bien marqué et à le modifier par de multiples phrases musicales sous forme mélodique, rythmique et harmonique. Il arrive parfois que le thème original devienne presque méconnaissable dans le cas de la variation « centrifuge », qui le fuit, qui s’en écarte de plus en plus jusqu’à ce qu’on l’oublie. Ainsi, dans les Variations Diabelli sur l’air d’une valse de ce compositeur, le motif est tellement varié, changé, qu’on en perd la sensation et lorsque Beethoven le réexpose pour conclure, c’est pratiquement une surprise parce qu’on avait oublié le motif de départ.
Les variations de Bach, on les dirait centripètes, tournant plutôt autour du thème que le fuyant, elles ne perdent jamais la sensation du centre premier en conservant presque toujours la tonalité initiale, solaire, de sol majeur, avec trois rares modulations mineures, (13e, 15e, 21e) ce qui, avec la permanence de la basse obstinée, mais assez souple pour répondre aux diverses variations rythmiques, renforce le sentiment d’unité de l’ensemble. Un canon intervient toutes les trois variations : un canon est un procédé polyphonique de voix en imitation qui se répètent l'une l'autre avec un décalage dans le temps, comme « Frère Jacques, Frère Jacques, dormez-vous, dormez-vous ?» est la plus simple expression. Évidemment, ceux de Bach sont d’une tout autre ampleur et complexité.
Écoutons ainsi la variation numéro trois, enrichie du premier des dix canons celui-ci à l’unisson, où l’interprète voit « gémellité, symbole de perfection » :
2) PLAGE 4, Var. N° 3
Jean-Luc Ho, qui signe de plus un livret riche et détaillé et analyse les dix canons, voit dans la forme du canon, procédé contrapunctique, cette reprise par le bas ou après un motif exposé en haut, ou d’abord, une forme d’injonction à se plier à une loi supérieure, une loi divine selon lui, à laquelle obéit cette construction dans une recherche d’unité, une quête de perfection. Le canon serait le « symbole de la science de l’art, de la fore interne qui sous-tend la beauté. » Il ajoute : « Du Canon vient la teneur hautement scientifique, spirituelle de Variations. »
À la suite de Glenn Gould, qui en signa une fameuse version piano, les pianistes se sont appropriés de cette œuvre, explicitement destinée par Bach pour un instrument précis, un clavecin à deux claviers. Le compositeur indique que certaines variations sont expressément écrites pour ce clavecin à deux claviers ; pour les autres, un clavier sera suffisant ; enfin, pour trois d'entre elles, l'interprète a le choix entre un ou deux claviers. Une précision de grande importance technique : l’œuvre a des exigences virtuoses, semée de difficultés qui ne font que croître du début à la fin, obligeant l’interprète à une complexe gestuelle qui en fait aussi un spectacle visuel (du moins, précisons, pour le spectateur assez près de cet instrument intimiste), avec des passages de mains croisées, des martèlements d’accords pour assurer ces glissades chromatiques, ces arpèges rapides. Selon Jean-Luc Ho, dans ce monument à la fois sérieux et fantasque, plein de fantaisie, « Bach explore comme jamais l’indépendance des claviers. » Gageure impossible dans l’étroitesse du clavier unique du piano.
En revanche, en respectant le vœu explicite de Bach des deux claviers, jouant sur un instrument, copie d'époque, fidèle au style et à l’esprit, Jean-Luc Ho, déploie agilité et gravité dans cette œuvre également ludique, comme cette foisonnante variation en mineur.
3) PLAGE N°13, Variation 28 à 2 claviers :
Nous quittons ce beau disque sur sa fin, qui est son début, le da capo, le retour au thème :
4) PLAGE 16: Aria da capo e fine.
ÉMISSION N°689 DE BENITO PELEGRÍN
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