Enregistrement
4/1/2016, passage, semaine du 11/1/ 2016
RADIO
DIALOGUE RCF (Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de
Berre : 101.9)
« LE
BLOG-NOTE DE BENITO » N° 208
Lundi,
12h15, 18h15, samedi à 17h30
AIX EXALTÉE PAR CAMPRA (1660-1744)
Je
le disais dès l’annonce de ce disque l’an dernier :
« une nouvelle heureuse, une nouvelle rose, en ces temps gris
et moroses : Guy
Laurent,
infatigable animateur des Festes
d’Orphée,
découvreur et explorateur des terres inconnues ou méconnues
aujourd’hui de la musique baroque provençale d’hier, après
avoir exhumé et ressuscité en 2014 dans un concert qui ravit le
public, une œuvre perdue de Campra, le grand compositeur aixois
(1660-1684), veut lui donner la vie pérenne d’un
enregistrement. » Eh bien, malgré les difficultés
financières, c’est fait, nous avons enfin en mains et dans
l’oreille charmée Les
Muses rassemblées par l’Amour,
un CD précieux qui vient de nous arriver comme pour ouvrir de
rose et heureuse façon une année nouvelle dont nous espérons
qu’elle ne sera pas, je ne dis plus « grise et morose »,
mais qu’elle ne sera pas noire et triste des malheurs qui nous ont
tous accablés en frappant Paris. Et ce magnifique disque d’une
musique d’hier tellement vivante sonne comme un symbole revigorant
de notre récente et sinistre actualité,
fêtant l’amour, célébrant la fête, bref, chantant,
affirmant la vie après des heures noires de fureur mortifère.
Et il faut écouter ces vers du premier air de l’œuvre, chantés
par l’Amour, le fils de Vénus, qui revient en des lieux ravagés
par la mort :
Une
épouvantable
Furie
A
trop long tems désolé ces climas ;
Qu’un
doux repos succéde à tant de
barbarie,
Et que l’image
du trépas
De
vos plaisirs nouveaux à jamais soit bannie. »
On
les croirait écrits d’aujourd’hui. Mais il suffirait encore
d'écouter un bref extrait de la plage 6, un autre air —ils sont
toujours très brefs dans la tradition imposée par Lully— où une
Musicienne, ici, Catherine
Soubrouillard,
dessus, c’est-à-dire, soprano, fait encore allusion aux angoisses,
aux dangers passés et exhorte l’Amour, grâce aux charmes du
plaisir, à souffler, insuffler à un monde désolé, ravagé,
l’espérance et le désir, bref, de rallumer la vie.
Car
cette idylle, un texte pastoral dans la tradition poétique
mythologique, située à Aix, est une allégorie du retour à la vie
par l’amour, après un fléau sans que ce dernier soit dit, nommé,
explicité, auquel il est fait allusion par des périphrases que nous
avons entendues : « Une épouvantable
Furie » qui
a désolé ces climats, cette région, en fait, la Provence, qui a
semé les trépas, causant toutes ces alarmes. Les contemporains ne
s’y trompaient pas si, pour nous, il ne s’agit que d’un
souvenir historique, parfois illustré dans quelque tableaux
terribles, ou symbolisé par telle statue, celle du Chevalier Roze.
Il s’agit de la terrible peste de 1720 qui ravagea à partir
Marseille eet la Provence, causée déjà par l’appât du gain de
marchandises contaminées débarquées indûment d’un navire en
quarantaine.
Et
cette œuvre, élégante, pleine de charme, de gaîté, Les
Muses rassemblées par l’Amour
à Aix, sont comme un vœu exaucé,
ex-voto rétrospectif en quelque sorte pour le salut de la cité.
Composée et jouées en 1723, elles sonnent telle une éclosion,
résonnent de la résurrection
de l’espoir après la cataclysme : c’est une gracieuse action de
grâce comme on les conçoit au XVIIIe
siècle, délicatement enrubannée de vocalises et de guirlandes de
roses. Et il faut entendre, dans le style de Campra, magnifique
synthèse de la musique italienne et française de son temps, ces
ornements joyeux qui ondulent avec virtuosité dans la grande voix de
basse de Guy Laurent se faisant joliment légère, qui incarne le
dieu Mars, et le chœur foisonnant, frissonnant, qui se lance aussi
dans des notes piquées du plus bel effet. Mais il faut aussi
entendre, comprendre l’Amour, qui par la voix de Laure
Bonnaure,
dessus, expose, pratiquement un projet culturel pour la ville d’Aix,
en rappelant son passé romain, n’oublions pas que son nom latin
était Aquæ
sextiæ, les
eaux thermales de Sextius (on connaît le cours Sextius) :
Les
Romains, autrefois, ornèrent cette ville,
Elle doit plaire à vos
regards,
Je veux qu’elle serve d’asile
Aux jeux, aux
plaisirs, aux beaux Arts. (Plage 9)
Un
vrai programme urbain digne déjà de l’Office du Tourisme : Aix,
ville d’eau, ville d’art… et ville de jeux avec son casino !
Et rappelons que l’âge d’or de l’architecture d’Aix est
justement ce XVIII siècle, l’époque de Campra et de son
librettiste.
Non
seulement le passé romain d’Aix est évoqué au détour d’une
phrase, mais, également, en une époque où revient dans la
littérature et la musique un goût du Moyen-Âge à travers les
inusables romans de chevalerie espagnols et les opéras tirés
de l’Arioste et du Tasse, l’Amour, par allusion rapide, évoque
d’un simple mot « rime », le temps des troubadours
provençaux qui inventèrent et enseignèrent les Leys
d’Amor, la
rhétorique de la virtuosité poétique de l’amour courtois et rêve
de ressusciter son ancienne Cour d’Amour où les dames jugeaient
les cas d’amour, les délits amoureux des amants policés. Les
seigneurs maris partis en quête de croisade laissant à leur femme
les rennes du pouvoir, celles-ci, comme les villes libérées du
poids féodal, font la conquête de leur émancipation : la
femme, qui n'est plus le simple butin de guerre du chevalier
triomphant, règle et régit enfin l'amour où le héros n'est plus
le brutal guerrier vainqueur mais le vaincu et blessé d'amour soumis
au service envers sa Maîtresse, au sens littéral de ce mot galvaudé
depuis.
Sous
sa brièveté, d’une durée d’une heure à peine, après
l’horreur de la peste, cette idylle est une ode à la gloire passée
et présente d’Aix. En effet, commande de l’Académie d’Aix au
plus grand compositeur de la ville célèbre à Paris, également
académicien, l’œuvre fut composée sur un texte de l’académicien
aixois Denis-Marius
Perrin, par
ailleurs premier éditeur des lettres de Madame de Sévigné. C’est
donc une œuvre triplement aixoise par sa genèse et sa finalité
explicite :
exalter
l’exception,
l’excellence d’Aix.
Aix, Aix, Aix. Campra viendra lui-même dans sa chère patrie blessée
en diriger la création.
Cette
idylle musicale, allégorie du retour à la vie par l’amour, sinon
inédite,
était restée inouïe jusqu’au
miracle de sa redécouverte et enregistrement par Guy Laurent.
En
une époque où le statut des femmes est insidieusement grignoté par
les intégrismes, où la peste de la barbarie mortifère nous
assiège, le seul refuge vivant, c’est l’art, la culture, et leur
quintessence, la musique.
On
pourra savourer aussi, comme un autre chant aux couleurs de la
Provence, les accents provençaux de l’air interprété par Bastien
Caillot,
contre-ténor (Plage 19).
Un
régal.
Les
Muses rassemblées par l’Amour,
un CD PAR LES FESTES D’ORPHÉE, « Les Maîtres Baroque de
Provence », vol. V.
Toute la discographie des Festes d'Orphée sur leur site :
www.orphee.org
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