Enregistrement 16/2/2015,
passage, semaine du 23/2/2015
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE DE
BENITO » N° 164
Les Musiciens et la
Grande Guerre (X)
Lorsque la barbarie nous
menace, la plus belle riposte est celle de l’art, le degré suprême de
l’humanité, de la civilisation. Nous avons déjà parlé de cette magnifique
collection des Éditions Hortus, sur les Musiciens de la Grande Guerre, un projet
sur cinq ans, pour évoquer par l’art, par la beauté, par l’humanité de la
musique, l’atrocité inhumaine de la destruction, du massacre que fut ce qu’on
appelle, hélas « Grande » Guerre par son ampleur cataclysmique
mondiale, mais qui symbolise aussi, en ce centenaire, toutes les horreurs d’une
humanité qui renouvelle avec constance son acharnement à se détruire.
Mais
attention, cette « Grande », à son échelle, collection
discographique, cette belle série de disques qui en est déjà à son dixième
album, n’est pas une longue litanie de musiques à programme, une somme d’images
de batailles, de mort, transcrites par la musique : laissons au
franquisme, aux fascistes de tout poil et barbe, le cri odieux de « Vive
la mort ! ». Si elle se réduisait à cela, ce serait un odieux défilé sonore illustrant
de façon opportuniste, surfant sur ce centenaire, la rage, les ravages, les
malheurs de la guerre, une guerre déjà centenaire qu’on rappellerait un peu
indécemment à la mémoire. Non, ce n’est pas un culte à la culture mortifère de
la guerre : c’est, au contraire, une affirmation volontariste des valeurs
humaines de l’art au milieu des ruines, aux prises avec sa négation absolue. Ces disques, de
musiciens victimes ou témoins de ce désastre sans précédent jusque-là, sont des
témoignages respectueux et parlent, rêvent de paix au milieu de l’horreur. Ils
sont une blessure au cœur et à l’esprit conscient mais, à la fois, un baume,
sinon une guérison : la musique oppose l’amour à la haine et pose la
force affirmative de la vie, de la création, face à la destruction, à la mort.
Certes, on a
du mal à écouter ces musiques d’une oreille neutre, indifférente au contexte
qui les vit naître. Mais, au-delà du sentiment, du sentimentalisme inévitable
qu’on ne peut évacuer à leur écoute, il y a aussi le bonheur de la raison de
cet hommage qui permet, au-delà des circonstances douloureuses, de redécouvrir
ou de découvrir des compositeurs méconnus ou inconnus. Ainsi, cette
dixième livraison propose deux concertos pour piano et orchestre pour la main
gauche : pour une seule main, non mutilée, non amputée par l’horrible blessure de l'autre que le pianiste Paul Wittgenstein, frère du célèbre philosophe de deux ans son
cadet, Ludwig Wittgenstein, dans cette belle affirmation de vie, de foi dans
l’art, commanda à divers compositeurs comme Prokofiev, Strauss, Franz Schmidt,
Bortkiewicz, Weigl. On lui en composa ainsi une quinzaine ! Celui que lui écrivit Ravel est bien connu, c’est pourquoi on est
reconnaissant à ce disque qui, sous les doigts de Nicolas Stavy, avec
l’Orchestre National de Lille sous la direction de Paul Polivnick, ressuscite le rarissime concerto de
Korngold et celui plus connu de Benjamin Britten (1913-1976), Diversions pour piano
main gauche et orchestre, un thème et douze variations, que le pianiste
commanditaire créa en 1942, pendant la Seconde guerre mondiale.
Le concerto
est constitué d'un thème exposé dans la première plage, grave et solennel mais en rien morbide, et de onze
variations aux titres français comme qui en indiquent le climat :
« Récitatif, Romance, marche, Arabesque, chant, Nocturne, Badinerie,
Burlesque », à part « Toccata I et II » et la variation finale,
« Tarentelle » qui réfèrent, bien sûr, au piano et à une danse
italienne. Sur la cinquième variation (plage 5) passe comme un rêve tendre de bonheur et on se laisse porter, doucement transporter.
Notons que
Britten, marqué aussi par la guerre, la seconde, écrivit un célèbre War
Requiem en
1961.
Dans la
pochette du CD, on lira avec les courtes biographies de ce chef américain
remarquable Paul Polivnick, du brillant pianiste Nicolas Stavy, qui a choisi lui-même ces
deux concertos pour la main gauche parmi un grand nombre d’autres, non seulement
à cause leur intérêt circonstanciel dramatique lié à la blessure du riche
commanditaire Wittgenstein mais pour leur beauté musicale intrinsèque. Mais Nicolas
Stavy signe un texte bref mais très éclairant sur « La main gauche » au piano. En effet, on
trouve peu d’œuvres simplement pour la main droite alors que, nous
explique-t-il, en dehors de l’anecdote historique de l’écriture de ces
concertos pour un pianiste amputé de la main droite, il existe un répertoire
« non négligeable » pour la main gauche. En effet, morphologiquement,
le pouce à droite permet l’exécution de la mélodie tandis que les quatre autres
doigts en font un accompagnement. Mais cela se paie par un déplacement
prodigieux de la main valide qui est une contrainte périlleuse relevant de
l’exploit. C’est parfaitement illustré par le morceau suivant.
Le second concerto du disque, Concerto
pour piano (main gauche) en ut
dièse op. 17 de Korngold est, chronologiquement le premier
puisqu’il fut composé en 1923, à peine quatre ans après la guerre, et créé par
Wittgenstein l’année suivante en 1924. Le compositeur n’avait que vingt-six ans, mais
n’en était pas à son coup d’essai. En effet, Erich Wolfgang
Korngold (1897-1957), Autrichien, fut un enfant prodige ; on
l’appelait
Wunderkind, ‘l'enfant
merveilleux, l’enfant génial’ : à treize ans une de ses œuvres avait été
jouée devant l’empereur d’Autriche. Son opéra post-romantique Die tote
Stadt, ‘La Ville morte’ (1920), d’après le roman Bruges-la-morte de
Rodenbach fut un triomphe. C’est l’une des rares œuvres de lui qu’on continue
à jouer car, fuyant son pays occupé par les nazis, il s’exila, avec nombre
d’autres compositeurs, aux Etats-Unis. Il y fit une carrière remarquée de
compositeur de musiques de films, dont le fameux Robin des Bois, avec
Errol Flynn qui lui valut un des
cinq Oscar sur ses 18 musiques de films. Le VIIIe mouvement a quelque chose de puissamment passionnel, entre post-romantisme et expressionnisme.
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Miracle ou magie de l’art, à l’écoute, on a du mal à entendre qu’une seule main valide joue cette musique. Bel
exemple de ce que le génie humain peut donner pour dépasser l’effet dévastateur
de la malignité humaine.
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Programme détaillé | ||
HORTUS 710 | CD DDD ℗ Hortus 2014 | T.T. 57'07 | ||
Benjamin Britten (1913-1976) | ||
Diversions | ||
pour piano main gauche et orchestre | ||
1. | Thème | 1'14 |
2. | Variation 1 : Récitatif | 1'51 |
3. | Variation 2 : Romance | 1'30 |
4. | Variation 3 : Marche | 1'18 |
5. | Variation 4 : Arabesque | 1'52 |
6. | Variation 5 : Chant | 2'41 |
7. | Variation 6 : Nocturne | 2'13 |
8. | Variation 7 : Badinerie | 1'33 |
9. | Variation 8 : Burlesque | 1'58 |
10. | Variation 9 : Toccata I | 0'47 |
11. | Variation 9 : Toccata II | 2'13 |
12. | Variation 10 : Adagio | 4'30 |
13. | Finale : Tarentelle | 2'37 |
Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) | ||
Concerto pour piano (main gauche) en ut dièse op. 17 | ||
14. | I. Mässiges Zeitmass | 3'28 |
15. | II. Ruhig, weich und gesangvoll | 2'56 |
16. | III. Wie im letzten Takt | 2'18 |
17. | IV. Dasselbe breite Zeitmass | 5'49 |
18. | V. Reigen, Sehr mässige ga nze Takte | 2'12 |
19. | VI. Sehr ruhig, viel langsamer | 2'58 |
20. | VII. Mit Grösse, sehr breit | 3'37 |
21. | VIII. Ganz langsam beginnend | 1'23 |
22. | IX. Langsam, fast im let zten Zeitmass | 3'08 |
23. | X. Mit Schwung und Begei sterung | 2'41 |
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