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LUCREZIA,
PORTRAIT D’UNE FEMME
Par les Paladins, direction Jérôme Correas
Sandrine Piau, soprano (Montéclair)
Amel Brahim-Djelloul, soprano (Scarlatti)
Karine Deshayes, soprano (Haendel)
Lucile Richardot, mezzo-soprano (Marcello)
label Aparté little tribeca
Avec ce programme sur le personnage de Lucrezia, Lucrèce, violée par une brute, Jérôme Correas, le chef de l’ensemble des Paladins, en vrai et preux chevalier au service de cette Dame de l’Antiquité, célèbre la libération actuelle de la parole des femmes, la donnant à la voix lyrique d’un quatuor de grandes chanteuses, trois sopranos Sandrine Piau, Amel Brahim-Djelloul, Karine Deshayes, et une mezzo-soprano, Lucile Richardot, chacune défendant à parts égales une cantate de l’époque baroque, opéras de chambre, mettant en scène la victime outragée.
Si le viol d’une femme est aujourd’hui un thème de brûlante actualité, à l’exception de cette héroïne légendaire, on ne s’est guère préoccupé historiquement de ce sans doute banal incident de la force masculine désirante sur la femme désirée, définie comme sexe faible. Ainsi, le Dictionnaire de Furetière de 1690, s’il définit bien le viol comme le « crime de celui qui connoist une femme par la force », il donne cet exemple : « le viol et l’incendie et ont été défendus aux soldats en ce pillage. » Ce qui signifie, bien sûr, que le viol et l’incendie n’étaient pas toujours défendus dans d’autres pillages, le pillage étant la prime des soldats, ou souvent la seule solde de mercenaires mal payés et le viol, leur récréation. Quant au viol, hélas, toujours courants aujourd’hui au civil, démultipliés dans les guerres, il faut rappeler, que c’était une pratique systématique et politiquement pensée : les enfants nés de ces unions forcées, engendrés d’un ennemi, lui restaient liés forcément par le sang, donc moins hostiles à la nation du violeur devenu père.
Mais celui de Lucrèce est le premier viol répertorié de notre Histoire, qui changea celle de Rome selon l’historien romain Tite-Live. La belle et sage Lucrèce, épouse fidèle, vainement courtisée par Tarquin le Jeune, fils du Roi Tarquin le Superbe, est violée par ce jeune prince, après l’avoir menacée de maquiller le viol en adultère avec un esclave, qu’il aurait tué et placé dans son lit, si elle s’opposait à lui. Le père et le mari de Lucrèce, alertés du forfait par la femme abusée, qui se suicide pour préserver leur honneur de mâles, ameutent les Romains qui renverseront le roi et son tyrannique fils violeur, érigeant le royaume en République en 509 avant notre ère.
Cependant, même si la femme se sentait souillée et coupable, la faute du viol ne retombait pas sur la victime. Augustin lui-même, le futur saint et Père de l’Église absolvait de péché les femmes qui confessaient la honte d’avoir éprouvé du plaisir du viol subi pendant le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric en 410 ou celui d’Hippone par Genséric en 430.
Honneur des hommes
Il faut savoir que, pendant des siècles, l’honneur n’appartenait pas intrinsèquement à la femme : elle était la dépositaire de celui du père, frère et mari, de la famille en somme. À plusieurs reprises, dans les cantates, Lucrèce parle de « notre honneur », qui a été souillé involontairement à cause de sa beauté. Lucrèce se suicidera pour laver dans son sang l’honneur de son mari et de son père. C’est sans doute pourquoi, si l’Europe baroque abonde en représentations picturales du viol de Lucrèce, on n’en trouve guère en musique alors que la mort de Didon de Carthage, se suicidant par amour après son abandon par Énée, est le thème le plus couru en opéras et cantates, comme si la figure, mythique, de Didon, mourant par amour, était plus humainement vraisemblable que l’héroïne, historique, se tuant pour son mari, pour la lignée masculine.
Toutes en italien, couvrant une quarantaine d’années de compositeurs entre XVIIe et XVIIIe siècles, chaque cantate se compose traditionnellement de brefs récitatifs posant, introduisant l’affect, l’état d’âme de l’héroïne : d’abord poursuivant de ses vaines imprécations le violeur qui s’enfuit, éructant de fureur, apostrophant les dieux, le ciel consentant le crime, appel à père et mari à la vengeance, désespoir et résolution au suicide. Ensuite, un air da capo, avec retour orné, va gloser lyriquement cet affect.
La première cantate, Morte di Lucretia, du Français Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737) est confiée à Sandrine Piau. Voici un extrait du premier air :
1) PLAGE 2
Contrastant avec cette longue et lente déploration sur une longue tenue de souffle, la fin est originale puisqu’un très bref récit sur la décision de mourir (Cosi more Lucretia, « Ainsi meurt Lucrèce ») introduit un air très court d’exaltation de son triomphe posthume et dernier soupir. On les écoute enchaînés :
2) PLAGES 6 ET 7 ENCHAÎNÉES
La cantate d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) Lucretia romana, offre à Amel Brahim-Djelloul, de faire jouer la fraîcheur innocente de son timbre qui rend plus horrible l’attentat qu’elle vient de subir. Écoutons ses imprécations contre le « Barbare qui a vaincu et s’enfuit » lâchement :
3) PLAGE 10
Et voici sa course à la mort, son dernier souffle, « adieu » :
4) PLAGE 11 : 1’30’’
La Lucrezia de Haendel (1685-1759) est la plus connue et la plus interprétée. Le Saxon qui fixe l’opéra napolitain en fait l’opéra de son temps et en devient le modèle. Il condense ici toute sa grandeur et tous les recours de son style baroque. Puissante et humaine, Karine Deshayes, voix ronde et pleine, agile et facile, y est bouleversante dans des récitatifs, dans la pyrotechnie paroxystique des vocalises exprimant la rage, le désespoir. Voici ses adieux à père et mari, la victime se disant coupable d’avoir souillé involontairement leur honneur et de n’avoir pu se tuer avant l’outrage.
5) PLAGE 21
6) PLAGE 22
La dernière cantate est de Benedetto Marcello (1686-1739), qui reprend le texte de Scarlatti. Elle est servie par l’exceptionnelle mezzo Lucile Richardot qui se rit des sauts de registre du très grave à l’aigu, qu’exige cette version par la maîtrise de sa tessiture impressionnante dont elle fait théâtre, drame, tragédie. Un exemple :
7) PLAGE 29
On saluera les six instrumentistes des Paladins, dirigés par Jérôme Correas au clavecin et à l’orgue, qui entrent dans la théâtralité des cantates sans jamais rivaliser avec les voix. Ils offrent deux intermèdes instrumentaux enrichissant le programme : la Sinfonia nostalgique d'Il martirio dei santi Vito, Modesto e Crescenzia de Bernardo Pasquini, et le Concerto a cinque de Marcello.
Nous les quittons sur les adieux à père et mari de Lucile Richardot :
8) PLAGE 32
Émission N°781 de Benito Pelegrín du 13/11/2024
https://www.rcf.fr/culture/la-culture-en-provence
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