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W. A. Mozart, Fantasy,
Florent Albrecht, pianoforte Baumbach 1780, CD label Triton / Hortus
C’est la dernière tendance des interprètes en musique : sans doute lassés ou trop prudents pour nous asséner encore la énième version d’une œuvre archi-connue et archi-rabâchée de tel grand compositeur qui sera forcément passée au prisme risqué de la comparaison avec d’autres prestigieuses interprétations qui saturent le marché, faute d’en renouveler le catalogue forcément répertorié, classé, numéroté, finalement limité, à partir de ce matériau usé de tant d’exécutions et répétitions, ils s’en fabriquent un à leur goût, à leur mesure, ou à celle de leur instrument. D’où la vogue des transcriptions d’œuvres qui sommeillaient paisiblement dans la ouate interprétative de la tradition, soudain éveillées, réveillées, arrachées à nos oreilles au paresseux confort du ronron de la routine, par une originale adaptation, qui en enrichit l’approche, en renouvelle l’écoute.
Certes, il y a, grâce aux chercheurs en musicologie, souvent les interprètes eux-mêmes, aujourd’hui mieux formés et historiquement informés, la découverte ou redécouverte de compositeurs inconnus, méconnus ou simplement oubliés, un grand nombre de compositrices, advenant enfin à la lumière grâce à des labels discographiques audacieux qui se risquent à les lancer dans un marché encombré essentiellement par les grands noms qui font les grandes ventes.
Ainsi, le même label Hortus avait permis au même Florent Albrecht, pour son premier disque, déjà sur un pianoforte historique de Carlo de Meglio (1826) sinon de nous découvrir John Field (1742-1837), le créateur du nocturne dont Chopin sera largement débiteur, du moins de lui rendre une juste place grâce à sa poétique interprétation.
On notera, dans les deux cas, que le nom de l’instrument historique st précisé avec justice sur le titre du CD et, ici, ce pianoforte Baumbach, qui aurait appartenu à l’abbé Vermond, confesseur, lecteur, secrétaire de Marie-Antoinette à Versailles après d’avoir été son précepteur, sans doute musical, à Vienne. On soulignera aussi, dans l’intérieur de l’album, après la dédicace à son père, une épigraphe latine tirée d’un sermon de saint Augustin :
« Dilige et fac quod vis (‘Aime et fais ce que tu veux’), et même si la citation est tronquée car biaisée hors de son contexte, sans doute Florent Albrecht fait ce qu’il veut de ce qu’il aime, du moins ici dénomine-t-il « Fantasy », Fantasie, ces pièces « libres et inclassables » que ni Mozart ni la tradition mozartienne n’avaient ainsi nommées, ne lui en attribuant précisément que quatre.
Pour Florent Albrecht, « c’est une erreur évidente ».
Il dénonce, je cite : « La même tradition [qui] a toujours établi de manière précise et exhaustive la liste des autres œuvres du compositeur viennois, sonates, rondos, concertos, danses, etc. », excluant de cette manie taxinomique, classification et numérotée ces modestes fantaisies, considérées sans doute comme trop « fantaisistes » pour figurer sérieusement dans le dénombrement et la nomenclature des œuvres d’un compositeur sérieux. Et je rappelle, bien sûr, que Mozart (1756-1791), eut au moins la chance de voir très tôt une ébauche de répertoire de ses œuvres, commencée par son père, poursuivie par lui-même jusqu’au célèbre catalogue Köchel ou Köchelverzeichnis, inventaire chronologique de ses œuvres, dressé par Ludwig von Köchel en 1862, qui explique le fameux K qui suit le titre de ses œuvres et en précède le numéro, comme le BWV celles de Bach.
Comme il l’avait déjà fait pour les Nocturnes de Field, cette forme sans forme, sans moule fixe, cette atmosphère ou vague paysage musical, Florent Albrecht s’attache ici à réhabiliter sous le nom de Fantasie huit morceaux, sinon hors classe de Mozart, déclassés, délaissés, délestés de ce nom dans les catalogues. Ainsi, la première, en fa mineur qu’il reconstruit lui-même. Le piano, entrant d’un trait franc, semble se chercher, hésiter, troué de silences avant de tisser une ligne mélodique continue :
1) PLAGE 1
C’est insolite, troublant, difficile à raccorder spontanément dans ce que la tradition nous a accoutumés à reconnaître du style d’un Mozart bien lissé, bien peigné, perruque bien poudrée. Il est entendu aussi, par paresseuse tradition, que Mozart n’a fait qu’hériter des formes musicales de son temps, qu’il a toutes dépassées, les portant au sommet de leur perfection, mais sans en créer de nouvelles. Je rappelle qu’on peut lire parfois que si toute la musique de Mozart disparaissait, ce serait certes une catastrophe pour la musique mais que l’histoire de la musique n’en serait nullement changée car il est un compositeur inégalé mais fermé sur lui-même et sans héritier.
Florent Albrecht s’inscrit naturellement en contre de ces manières de penser, il les questionne et renverse ce monument de croyances solidifiées par l’habitude grâce à cette collection d’œuvres non classées qu’il nous propose sous le nom de fantaisies. Car l’insaisissable fantaisie, forme inaboutie, est aussi presque indéfinissable. Le pianiste cite le Dictionnaire de Diderot et d’Alembert qui en risquent une :
« Pièce de musique instrumentale qu’on exécute en la composant », l’associant ainsi à l’improvisation, bien difficile aussi à cerner, comme le capriccio cousin ou voisin par l’évasion d’une forme. Florent Albrecht annexe au monde de la fantaisie ce Capriccio ainsi nommée dans le Catalogue de Köchel, numéro 395 :
2) PLAGE 5 CAPRICCIO
Mais dans ces formes, petites par leurs dimensions, Florent Albrecht salue « cette débauche d’invention, et créativité sans limite qui impose à l’oreille du mélomane un « nouveau » Mozart. » Qu’il n’hésite pas à qualifier de révolutionnaire, récusant que ces fantaisies comme simples exercices de laboratoire de formes musicales, inscrivant ce Mozart que l’on disait unique et seul, sur les traces et les modèles de Carl Philippe Emmanuel Bach.
Le CD des nocturnes de Field, avait une insolite photo : le pianiste sérieux semblant pianoter une octave de touches du piano figurées par des bougies blanches et noires allumées. Dans ce nouveau CD, dans un rigide couloir aux sévères lignes droites, sur la ligne rouge d’un tapis comme une longue tradition en perspective géométrique déroulée sous lui, en tenue noire et basquettes blanches, bras ouverts à hauteur d’épaules, jambes croisées, un pied sur la pointe, l’autre à plat, le facétieux mais rigoureux Florent Albrecht semble ébaucher une joyeuse et fantaisiste danse.
Nous le quittons sur la Fantaisie en ré mineur K 397, achevée par August Eberhard Müller, élève de Mozart :
3) PLAGE 8 : FIN
Émission N°783 de Benito Pelegrín
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