NOS FOLLES ANNÉES
FANTAISIE-OPÉRETTE EN DEUX ACTES
JACQUES MÉTÉHEN
LIVRET DE MARC CAB
CRÉÉ À AVIGNON EN 1968
Odéon, 23 octobre 2022
Salle comble pour public comblé : quand les salles de spectacles post Covid peinent à remplir leur jauge, l’Odéon de l’opérette fait le plein.
On ne dira pas pourtant que ce livret assez vide nous emplisse d’admiration, simple prétexte à enfiler des airs, des pas de danses qui donnent le pas, préséance à une pleine troupe de chanteurs, comédiens, danseurs, dont l’allant, le talent, intelligemment mis en valeur par une mise en pas, en place, en scène très aérée, très rythmique, de Jacques Duparc, font le sympathique prix malgré, à l’évidence, celui modique, des moyens. Même l’orchestre, réduit à piano, violons et batterie, invisible, ne s’invisibilise pas, bien individualisé comme faisant contre mauvaise fortune, bon cœur et corps, grâce au dynamisme de Didier Benetti.
Sur un fond uniforme, la rituelle modeste rampe de six marches de la scène de l’Odéon suffiront à Duparc pour étager clairement tour à tour deux réverbères, des fauteuils, des chaises Second Empire dorées et, sans brouillonne confusion, sa foule de personnages clairs et nets, même dans le tableau de groupe pyramidal entre les rideaux se fermant en fin de spectacle. C’est une élégante équation à tant de monde sur un plateau réduit.
Fin de première Guerre Mondiale puis liesse du 11 Novembre de l’Armistice : drapeau, poilus bleu horizon, infirmière de blanc vêtue, symbole vivant de l’horreur de la mort et des blessés, vêtements avec encore des vestiges de la mode de la feue Belle Époque, melon des hommes, chapeau des dames ornées d’aigrettes, de plumets, étole de renard, mais robes encore longues couleur de la grise décence d’un temps de contrition qui ne feront qu’éclater les couleurs d’un temps sans contrainte à venir : les Années folles oublieuses en folie de ce passé sanglant, et sans doute NOS Folles années de 68 où fut créé ce divertissement.
La transition entre la transe guerrière et les transes frénétiques à venir est habilement amenée par la Madelon, douce chanson emblématique de la guerre, entonnée, gravement, à mi-voix, dans une pénombre névrotique par Juppin/ Pivoine en poilu, puis se poilant, se pliant au rythme nouveau vivifiant, repris par tous, enterrant, sinon les morts, trop nombreux du désastre guerrier, du moins les visions
d’horreur pour amorcer et mordre à belles dents la vie présente et celle qui reste à venir.Le livret ne brille pas par ses trouvailles : on rit du cynisme de l’ancien concierge nouveau riche (Jacques Lemaire) énonçant dignement, en évidence sans réplique, le marché noir comme devoir patriotique ; un clin d’œil à Gabin/Morgan : « T’as de beaux yeux, tu sais… ». Des allusions aux scandales financiers de l’époque de l’argent facile, « la financière » (Marthe Hanau innommée), l’escroc à la Stavisky, l’élégant et fringant Argentin Colonel/Amadou (Grégory Arrieta). On rit à la métamorphose de la raide Baronne des Tournelles, Caroline Clin clinquante et claquante aristocrate plus démonétisée que diamantisée, soudain saisie par la débauche, métaphore filée de son soudain désir ardent, « Ça chauffe ! », « Tout feu tout flamme » pour son beau rastaquouère, proche adultère énoncé et annoncé, non dénoncé, par son fils qui en perd son bégaiement Amédée (Florian Cléret), d’abord alluré aristo puis déluré à l’allure de la perte de son pucelage tardif, tandis que le Baron (Claude Deschamps) campe noblement sur ses vieux quartiers de noblesse, équarris par femme et fils passés aux temps nouveaux.
Le couple automnal d’anciens concierges nouveaux riches par le marché noir, les Trinchart (Jeanne-Marie Lévy, qu’on voudrait entendre plus souvent, et Jacques Lemaire toujours excellent) vit un printemps de prospérité sans scrupule dans un salon aux fauteuils Louis XVI (tout de même) et gâché par le mauvais goût d’animaux empaillés et une statue orientale vivante ; elle, la matrone en bigoudis en plein dans son époque a un maître à danser sans doute gigolo ambigu (Loïc Consalvo), c’est une bourgeoise gentilhomme rêvant de bonnes manières : ratées dans la scène aux plaisantes symétries/dissymétries de baise-main, chassé-croisé de shake hand (même réussite de comique répétitif dans les scènes de coups sur Amédée ou des gifles). Ils cherchent à caser leur fille, en la mariant au rejeton pour l’heure bègue des aristos ruinés. Ruinés à leur tour, ils auront un joli duo du regret de leur modeste et paisible vie d'autrefois.
Leur fille Marguerite, Daisy par la grâce de son amoureux aviateur anglais (chaleureux chanteur Steve Chauvry), signe précis de la nouveauté de cette guerre avec l’aviation, mais erreur quand on assure que, attendu à New-York pour une expo, le peintre Jacques Thomas Viollau va prendre l’avion, les vols commerciaux réguliers n’ayant commencé qu’après la Seconde Guerre Mondiale. Ténor léger, il pâtit de son premier air malencontreusement devant le rideau de velours qui absorbe le son et ne le projette pas. Mais, tenant, entre ses bras sa Daisy retrouvée, il retrouve verve et voix. On n’en est pas étonné qu’on on sait qu’elle est incarnée par Caroline Géa, voix toujours facile et fruitée. Ils forment le couple obligé de jeunes premiers figés séparés par les quiproquos, le dépit amoureux, sans autre relief que leurs airs.
À l’inverse, comme souvent, le couple second dans le style valets de comédie serviteurs avisés de leur maître, souples et agiles, devient premier dans l’action, servis par la sémillante et pétillante Agnès Pat’, virevoltante, digne compagne du toujours espiègle et acrobatique, même sans acrobaties, Grégory Juppin égal à lui-même, chanteur, danseur, vrai meneur de jeu de cette histoire sans enjeu notable.
Mais comment ne pas applaudir à la belle Zézé d’Estelle Danière, qui semble anticiper avec humour une bien dansante Cyd Charisse, tout en restant empanachée comme la Marseillaise Gaby Deslys, la vraie introductrice du jazz en France avant les Alliés Américains de 1918. Quant au curé canaille puis évêque d’Antoine Bonelli mariant à toute mains et goupillon tout le monde, cherchant Dieu partout, même dans les cabarets, pas de problème de conscience, nous l’absolvons et lui donnons une autre promotion : à Rome.
On salue la justesse chronologique, comme d’habitude, des costumes des productions de l’Odéon et le réalisme artistique des tableaux, dans les styles du temps de l’atelier de Jacques, avec le bel autoportrait de Tamara de Lempicka, emblème de ce temps libéré sexuellement, comme on le voit au clin d’œil de l’Apollon de Deauville, troublant toutes les femmes mais partant avec un homme.
On retrouve cette exactitude, avec bonheur, dans les airs, les rythmes qui font le réel plaisir de ce divertissement, abondance de marches, puis de foxtrots black bottom, anticipant les charlestons, une habanera et, naturellement, le tango, avec le classique El choclo. Mais comme de vibrants leitmotive, le chœur se donne à cœur joie avec le fameux Alexander’s ragtime band d’Irving Berlin et le gospel Halleluja.
Encore une fois, la troupe de ballet remporte tous les suffrages.
DISTRIBUTION :
Direction musicale : Didier BENETTI
Mise en scène : Jacques DUPARC
Chorégraphie : Lætitia
ANTONIN
Décors, costumes et
accessoires : ART MUSICAL
Ketty : Agnès PAT’
Madame Trinchart : Jeanne-Marie LÉVY
Daisy : Caroline GÉA
Zézé : Estelle DANIÈRE
La Baronne des Tournelles : Carole CLIN
Jacques Chastenet : Thomas VIOLLEAU
Pivoine : Grégory JUPPIN
Amédée des Tournelles : Florian CLÉRET
Baron des Tournelles : Claude DESCHAMPS
Victor Trinchart : Jacques LEMAIRE
Edward : Steve CHAUVRY
Le Professeur de danse : Loïc CONSALVO
Le Colonel / Amadou : Grégory ARRIETA
Le Curé / L’Imprésario : Antoine BONELLI
Orchestre de l’Odéon
Alexandra JOUANNIÉ, Bernard CHAPPE, Alexandre RÉGIS, Didier BENETTI, Caroline DAUZINCOURT
Ballet
François AUGER, Guillaume CABALLE, Roman CONRAD, Axelle RABIA, Anaïs SUCHET, Anne-Lise THÉBAULT
PHOTOS CHRISTIAN DRESSE :
1. Armistice 11 novembre 1918 ;
2. Bourgeois et aristos : demande en mariage ;
3. Zézé, le peintre, l'escroc;
4. Les jeunes premiers ;
5. Les jeunes seconds ;
6. Bonelli en gloire.
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