17 SEPTEMBRE, LA CRIÉE, MARSEILLE-CONCERTS
CONCERT
Patricia Petibon & Susan Manoff
QUER CODE SANS CŒUR
Après avoir fait assez longuement la queue (comme une image à notre petite échelle de celle des proches funérailles de LA Reine), pénétrant enfin dans la salle, on cherche (comme toujours difficilement sa place au chiffre caché sous la couche du fauteuil) et surprise : pas de programme. Pour annoncer que le spectacle va commencer, une ouvreuse, au micro, révèle, après coup, que pour avoir le programme, il fallait « flasher » un QUER CODE affiché dans le hall ou bien le trouver sur le site du théâtre… Résultat : les rares spectateurs qui avaient été avertis à temps (par qui et où ?) de cette innovation qui va sauver la planète en économisant un peu de papier recyclé (mais en multipliant le taux carbone d’internet) vont garder leur smartphone ouvert durant toute la soirée, ou tenter d’aller sur le fameux site pour s’informer du programme. Tant pis pour les malheureux sans smartphone, anciens, distraits ayant laissé à domicile ce compagnon obligé de vie moderne, ou public largué par l’aride route informatique.
Ce sera la grande surprise de la soirée. Car, pour ce qui est de Patricia Petibon, quand on la connaît depuis des années et qu’on l’a même aimée, pas de surprise : on sait, avec elle, que le gadget prime le gazouillis, donc, pas besoin de programme, dont se fiche à l’évidence la majorité du public, apparemment moins sensible à la musique, au chant qu’aux facéties très annoncées de la diva qui, de merveilleux soprano léger aux aériennes et acrobatiques vocalises quand elle est corsetée par une mise en scène, livrée à elle-même dans ses récitals, plombe lourdement son tour de chant par des numéros de clown relevant du cirque avec tout un encombrement d’objets de comique enfantin, force faux nez, lunettes, poissons de plastique, peluches, ballon, chapeaux, etc, un fatras tiré du foutoir du piano qui n’en devient pas « arrangé » comme celui de John Cage, mais dérangé par ce fouillis fabriqué, artificiel, sans rapport avec la musique, toujours un placage extérieur arbitraire, gratuit. Sans compter ses miaulements, ses feulements, ses mimiques, qui parasitent l’ouïe en accaparant l’œil ou même ses sanglots longs, non de violons verlainiens, surajoutés à telle mélodie espagnole dramatique de Granados.
Bref, il serait trop long de décrire toutes les pitreries de la chanteuse qui donnent une piètre idée de ce qu’elle interprète par tout cet ajout surjoué, pléonastique par le redoublement du sens, comme le chapeau de la joyeuse mélodie de Poulenc, Les gars qui vont à la fête, comme si nous n’avions pas compris : on ne dira pas « Chapeau ! »
Pourtant, cela commençait bien : simple robe blanche floue et petite plume sur sa rousse chevelure, avec de jolis gestes simples, on retrouve la Patricia aimée, tendre, délicate, avec Auprès de la Rose, et Postouro sé tu m’aymo, les poétiques vignettes des Chants d’Auvergne de Joseph Canteloube. On goûte la même intériorité, la douleur retenue, le drame en trois strophes d’Alphonse Daudet dans Trois jours de vendange mis en musique par Reynaldo Hahn. Après Lok Gweltaz un beau solo de piano de Yann Tiersen par une Susan Manoff toujours exacte et fidèle, Cela se gâte, hélas, avec « A la mar » (extrait de Melodias de Melanconia) du contemporain Nicolas Bacri. Alors que le piano ondoie, ruisselle d’écume, de vagues, penchée sur les cordes la diva y va pécher un poisson en plastique, effet comique superficiel causant des rires cassant toute poésie, la grossièreté, la prolifération des signes noyant littéralement la signification.
Il en sera ainsi, à côté de rares îlots, quelques pages de grâce contenue, la scène telle des plages débordées de bris et débris d’objets polluants comme après un naufrage ou, chez nous, après les orages violents.
Dans la deuxième, partie introduite par un extrait trop court de la Danse Espagnole No. 2 « (Oriental ») d’Enrique Granados, lointaine évanescence, réminiscence, jouée avec une touche poétique et nostalgique par Susan Manoff superbe en ses solos, les mélodies espagnoles de Granados, Turina, ou Granada du Mexicain Agustín Lara, et El vito malicieusement endiablé, air populaire harmonisé par Obradors, on concèdera, que Patricia Petibon est stupéfiante de justesse (comme dans son disque Nouveau Monde sur le baroque hispanique) tant rythmique, avec ces redoutables ornements espagnols sans bavure (« limpio », ‘propre’ dit-on en Espagne même pour le flamenco), que linguistique : une prononciation parfaite.
La Bonne Cuisine, cette célèbre série de recettes en français mises en musique par Leonard Bernstein, se prête, certes aux faciles facéties de la fantaisiste chanteuse. On rit, bien sûr, à la pianiste et diva attifées en cuisinier et marmiton mais, le texte, qui est drôle par son sérieux doctoral gastronomique et le contrepoint, disons, le contrepied musical humoristique, voit (on n’entend pas…) toute sa saveur diluée dans la lourde et redondante sauce, le gloubi-boulga enfantin d’ingrédients, d’excessifs accessoires comiques. Encore une fois, trop, c’est trop : cette cuisine en devient indigeste.
En somme —à trop additionner— c'est un moins : on n’est guère emballé par ce déballage embarrassant scène et musique. Certes, un public non averti (ou à l’excès averti par des effets d’annonce (on va voir ce qu'on va voir. Et entendre?) peut accrocher à ces effets démagogiques ; l’autre, décroche comme on l’a entendu aux commentaires ; clameurs oui, mais non nombreux rappels : un seul bis, un tango, il est vrai hilarant, sur les chaussettes blanches.
Est-il besoin de racoler pour caracoler en tête ?
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