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SUR L’ODÉON
(II)
L’Odéon c’est aussi cette
bonne idée d’inviter des artistes engagés pour un spectacle à se produire en
solo ou duo dans le foyer pour des récitals, devenus un rituel d’une heure, une
heure marseillaise bien sûr, toujours débordante, débordante de plaisir, c’est
sûr, heure et jour accessibles, les mercredis à 17h15, comme le prix, 7 euros.
À l’entracte, un thé amical à siroter, avec quelques biscuits à grignoter, est
offert gracieusement et l’on voit d’adorables vieilles dames ne pas rater une
occasion de venir rencontrer du monde et bavarder aussi avec les sympathiques
artistes
UNE HEURE AVEC…
CAROLINE GEA ET MARC
LARCHER
Caroline
Oliveros, piano
Mercredi
6 décembre
AUX PORTES DE L’ESPAGNE
Ainsi ces deux artistes avaient-ils modestement intitulé leur récital,
mais ils sont loin d’être restés aux marges et portes de l’Espagne : ils y
étaient pleinement dedans, j’en témoigne, non pas simplement parce que Caroline
est née à Madrid, non pas parce que Marc a toujours proclamé ses attaches
culturelles hispaniques, mais par un choix des plus représentatifs d’airs loin
de l’espagnolade, et surtout interprétés avec un style et un accent
impeccablement espagnols. Ils ont l’Espagne au cœur et, j’oserais même dire, au
corps par l’allure et figure comme on dit en Espagne :
elle, longue robe
fourreau rouge mettant en valeur sa silhouette fière de danseuse de flamenco,
lui, brun hidalgo en élégant habit et plastron, dignification du corps par
l’habit pour habiter la dignité de cette musique.
Un admirateur disait à Caroline
Gea qu’elle lui rappelait Berganza —pas pour rien autre Madrilène. Je ne sais
par la voix, si certainement par l’aisance stylistique vocale, mais à coup sûr
à mes yeux sinon mes oreilles par un port, une façon d’être d’une noble
simplicité, parée d’un sourire enjôleur sans vouloir enjôler, tout comme son
partenaire était séduisant sans jouer les séducteurs : une double belle
image d’une Espagne anticipant celle de leurs bons choix musicaux.
Essentiellement, des airs de zarzuela. Tiré du Barbierillo de Lavapiés (1874) du grand compositeur F. A. Barbieri,
Caroline Gea commence, toute liberté et grâce primesautière, par la célèbre
chanson de Paloma, ‘Colombe’, l’héroïne qui associe avec humour son prénom au
nom du fameux quartier populaire de Madrid et du volatile, avec ses phrases
musicales finales vocalisées comme un battement, un claquement d’ailes, nettes,
précises, sans bavures, parfaite maîtrise, dans tout ce qu’elle chantera, de
ces délicats mélismes espagnols qui, du flamenco au chant lyrique, exigent le
cantar limpio des
vocalises, qui doivent être à la fois staccato mais sans dureté, bien détachées
mais liées à la fois, jamais « savonnées ». Les
« carceleras » en flamenco stylisé des Hijas del Zebedeo (1889) de R. Chapí, avec ses roulades caractéristiques
et son lyrisme étourdissant du grave à l’aigu, qui ferment son récital, en sont
une savoureuse et virtuose illustration. Entre ces deux parenthèses, la
berceuse, la « Nana » des Sept
chansons populaires (1915) de M.
de Falla, chantée comme un murmure émouvant de douceur avec ses appoggiatures
comme des caresses. La réalition par Marc Larcher de la partition guitare de
la célèbre « Andaluza » extraite des Danzas españolas (1890), ‘Danses espagnoles‘ de Granados, manifeste
à la fois son goût pour la qualité musicale et la couleur andalouse de ses
choix, caractéristique que l’on retrouve encore dans le « Zapateado »
de La tempranica (1900) de G.
Giménez, la plaisante tirade contre la tarentule accusée de piquer les garçons,
qui donne lieu à l’exorcisme de tant de tarentelles prétendant écraser la
bestiole sous le pied et le soulier rageurs dans le bassin méditerranéen. Cela
convient parfaitement à la couleur de son timbre doucement ambré et ombré dans
le grave, à son art des nuances finement perlées. La chanson romantique de
Marinella, de La canción del olvido
(1916) de J. Serrano, qui aura raison d’un Don Juan à Naples, la nostalgique
habanera de Don Gil de Alcalá (1932)
de M. Penella, en duo avec Larcher tout comme l’inusable Granada (1932) d’A. Lara et l’universelle Amapola (1920) de J. M. Lacalle ( arrangées pour deux voix par Larcher) échappent à ces caractéristiques, encore
que non exemptes d’autres difficultés hispaniques dont se jouent ces
remarquables chanteurs.
Marc Larcher, que nous suivons avec plaisir depuis longtemps avec une admiration
déjà ancienne mais toujours neuve, déploie la lumière de son timbre, égal du
grave à l’aigu éclatant, avec des couleurs désormais cuivrées dans le médium. Il
commence par un air brillant tiré de Luisa
Fernanda (1932) de F. Torroba, une ambitieuse comédie lyrique, au livret historique
très élaboré du dramaturge Federico Romero Sarachaga et de Guillermo
Fernández-Shaw, qui eut un énorme succès ; créée un an après le début de la
Deuxième République espagnole (1931), elle narre une intrigue amoureuse et
politique du temps qui vit, en 1868, la Première république en Espagne. Larcher
incarne avec vaillance l’air héroïque, « De este apacible rincón de Madrid », un
classique pour ténor aujourd’hui, chanté par Javier, séducteur pauvre partant à
la conquête de la gloire militaire en profitant du trouble des temps :
franchise de l’émission, précision des attaques, générosité de l’aigu, aisance des
quelques vocalises paraphant des phrases, c’est chanté avec panache et élégance.
Du même ouvrage, en duo avec Caroline, il prêtera sa voix à l’officier de
retour qui a réussi, que tente de séduire justement la Duchesse Caroline,
coquette et coquine Gea, dans un ravissant duo.
La tabernera del puerto (1936),
livret encore des duettistes Romero Sarachaga et Fernández-Shaw, musique de P. Sorozábal,
de l’année du soulèvement franquiste contre la République, est désormais
mondialement connue par son air, passé au répertoire classique des ténors, « No
puede ser » où le héros Leandro s’interroge avec une passion presque
dramatique sur la moralité de Marola, la femme qu’il aime, sur laquelle roulent
des médisances. C’est un air très bref mais intense et, sans rajouter un pathos
pléonastique, le chanteur nous émeut par une touchante sincérité. Égale douloureuse
introspection jalouse de Fernando, « Por el humo se sabe » de Doña Francisquita (1923), livret déjà du
duo Romero Sarachaga et Fernández-Shaw, comédie lyrique, basée sur une pièce de
Lope de Vega transposée du XVIIe au XIXe siècle
romantique. Sacrifiant au thème andalou et torero, « Torero quiero sé », ‘J’veux
être torero’, modèle archiconnu du pasodoble, tiré de El gato montés (1916) de M. Penella, lui donne l’occasion de jouer
de l’accent gitan, auquel répond, avec le même humour ravageur, Caroline Egea,
et l’on pardonnera, pour le brio exaltant de cette musique, la cause barbare,
mais heureusement perdue aujourd’hui, qu’elle promeut. Les deux chanteurs se
feront récitants, en disant à deux voix un long extrait du Llanto por Ignacio Sánchez Mejías
de García Lorca, élégie funèbre sur la mort du torero poète où l’on aurait tort
de voir une glorification de l’atroce corrida, puisque c’est « le sang
répandu » que déplore Lorca.
La pianiste Caroline Oliveros, qui accompagnait
cette musique guère facile souvent (comme l’attaque d’Andaluza de Granados), s’exprime sous leurs mots, égrenant joliment Granada d’Albéniz.
Aux portes de
l’Espagne
Caroline Gea, soprano ;
Marc Larcher, ténor ; Caroline Olivéros, piano;
Musiques d’Albéniz, Barbieri,
Chapí, de Falla, Giménez, Granados, Lacalle, Lara, Serrano, Sorozábal, Torroba,
Penella, Vives.
3 décembre
Photos
Antoine Bonelli
POUR CAROLINE QUI CHANTE ADORABLEMENT CES DEUX AIRS
POUR CAROLINE QUI CHANTE ADORABLEMENT CES DEUX AIRS
El barberillo de Lavapiés
( F. A. Barbieri)
CHANSON DE PALOMA
(Version chantable)
Comm’ je suis née dans la rue de la Colombe,
De ce nom de Colombe l’on me surnomme,
Et depuis mon enfance on me le donne
Car gaiement par la ville, je cours et vole.
Bien que mon cou jamais, jamais ne s’irise,
Ma chevelure propre ondule et frise
Et si mon pauvre corps n’a aucune plume,
Il est tout frais et blanc comme l’écume.
Toute proprette, Colombe suis,
Et je sautille quand on me suit,
À ce nom je suis fidèle :
Je n’ai ni serres, je n’ai ni serres,
Je n’ai ni serres, non, ni de fiel.
Ma fenêtr' du ciel est toute proche
Et les colombes volent et s’en approchent,
Quand viennent les rayons d’une belle aurore,
Je rêve qu’avec elles, moi je m’envole.
Mais voyant au marché qu’on les consomme,
Et que les pauv' passent à la casserole,
Mon enthousiasme tombe, l’envie retombe
À voir l’inconvénient d’être palombe.
Car je roucoule, Colombe suis,
Je chante, chante, jusqu’à la nuit,
À ce nom je suis fidèle :
Je cherche, cherche, je cherche, cherche,
Je cherche,
cherche un colombin.
Un colombin, un
colombin !
Adaptation © Benito Pelegrín
Canción del olvido
(José Serrano)
(Version chantable)
MARINELA
Marinelle, Marinelle
Par sa triste cantilène
Se console de sa peine
Si cruelle,
Mari, Marinelle.
Pastourelle, pastourelle,
Comme errante tourterelle,
Chanterelle
Qui appelle le bonheur,
Pauvre tourterelle,
L’amour dont tu rêves
N’est plus qu’un songe trompeur !
Cette brise
Murmure à l’oreille douces paroles que sur tes lèvres
Elle a apprises
Dans des nuits lointaines d’amour.
Des chansons d’époques meilleures,
Des chansons qui leurrent,
Des chansons qui grisent
Et bercent de rêves d’amour.
Marinelle,
Par sa triste cantilène
Se rappelle son amour.
Pauvre Marinelle,
L’amour dont tu rêves
S’est envolé pour toujours.
Adaptation © Benito Pelegrín
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