Des incidents techniques,
informatiques, bien indépendants de ma volonté ayant retardé mes chroniques, je
comble, peu à peu, le retard.
RETOUR SUR L’ODÉON
(I)
Avec
une programmation (on s’en tient au musical) qui réveille un répertoire endormi
d’opérettes, l’Odéon veille sur un répertoire patrimonial de culture populaire
en déshérence que les aînés, les grands aînés, très grands aînés, parents,
grands-parents et même plus qui font le gros du public, rêveraient de
transmettre à leurs enfants. Ceux-ci ne
sont pas oubliés avec des spectacles à eux destinés, comme Hänsel et Gretel, dont, à
défaut de l’avoir vu, on imagine la féerie : l’essentiel est le premier
pas, qui ne coûte pas cher pour les enfants, de franchir le seuil d’un théâtre
et de s’installer dans un fauteuil en attendant que le rideau s’ouvre pour que
la magie opère, opérette ou opéra. Le
goût acquis dans l’enfance se cultive toute la vie.
Photo Christian Dresse |
On
tirera vite le rideau sur Rêve de valse d’Oscar Strauss,
fadasse fadaise mal fichue du livret : même la plus haute fantaisie
irréaliste a besoin d’un grain de réalisme pour qu’on marche à son irréalité.
Alors, ce grand dadais d’officier français marié de force à une jolie princesse
aimante (Charlotte Bonnet), un jour
appelée à régner, qu’il dédaigne pour courir un problématique guilledou avec
une également jolie musicienne de taverne (Cécilia
Arbel), alors que rien ne l’empêche d’avoir les deux, n’est guère crédible,
même incarné en belle voix et allure par Lionel
Delbruyère. Le convenu couplet sur la nostalgie de la coupe de champagne
des libations parisiennes ou valses viennoises, horizon bien limité des
ambitions du pâle héros, ne fait guère pétiller l’ensemble, malgré la pétulance
de Cécile Galois et Dominique Desmons seul duo drôle de la
pièce qui frôle l’indigence théâtrale malgré le savoir-faire de Jack Servais, d’excellents chanteurs, et l’intelligence de la direction d’Emmanuel Trenque qui dirige avec
finesse l’Orchestre de l’Odéon,
faisant briller des détails délicats, il est vrai, de cette musique.
Avec
bonheur, on retrouve Emmanuel Trenque flamboyant, plein de fougue et de
feu de la baguette aux souliers rouges comme certaines cravates, nœuds
papillons, fleurs, châles ou chaussettes des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Marseille qu’il
enflamme pour Broadway symphonique,
tonique concert qui soulèvera l’enthousiasme de la salle.
Le premier
morceau, A salute to Richard Rodgers faute
d’explication d’un très sommaire programme, est sans doute un ‘ Salut’, un hommage
à Richard Rodgers (1902-1979), immense
compositeur à l’importante influence sur la musique populaire bien au-delà de l’Amérique,
auteur de quarante-trois comédies musicales, de musiques de films et de neuf
cents chansons mondialement connues dont My
funny Valentine, The lady is a tramp.
Ce pot-pourri, cette probable miscellanée (bon, osons medley pour être dans le ton) de morceaux en ouverture, commençant
par un glissando tempétueux, passant par des plages calmes, de tendres valses, des
crescendos a tutti moins agressifs que jouissifs, à grand renforts de toniques vacarmes
de cuivres excitants, exaltants, percussions, batterie, timbales, marimba, tout
un orchestre déployé et déchaîné dans une fête de couleurs de timbres, sera la
caractéristique de cette musique de la soirée : une image sonore d’une Amérique
triomphante, à la joie communicative, de juste après la fin de la Grande
dépression et… de la prohibition jusqu’à pratiquement nos jours. Non pas cette frileuse
« America first » du repli égoïste de Trump, mais une Amérique
débordante d’énergie contagieuse, de joie de vivre à partager.
Les
moments lyriques sont assumés par deux jeune et beaux chanteurs, le ténor Gregory Benchénafi, déjà salué à l’Odéon,
et Marion Taris, soprano. L’orchestre se fait délicatement
nocturne pour le « Tonight » tiré de West side story de Bernstein,
enveloppant tendrement le jeune couple découvrant l’amour, et Benchénafi se fait magiquement le jeune Roméo newyorkais pour
murmurer rêveusement « Maria », le réciter comme un chapelet, une
litanie, une religion d’amour, émerveillé de sa douceur, jusqu’à le clamer, le
proclamer éperdument comme une évidence de la vie. Avec un art consommé de la nuance, de la
demi-teinte et du fausset, avec un engagement physique très expressif, il sera
l’émouvant Marius des Misérables de Claude-Michel Schönberg (un Français, d’origine
hongroise) chanté en anglais. Son médium corsé, certes aidé par le micro, lui
permet de barytonner la déclaration passionnée de Porgy « Bess o, Bess,
you is my women now » à laquelle répond avec force et douceur Marion Taris, magnifique duo de Porgy and Bess de Gershwin. La jolie soprano émeut avec un autre air et nous caresse
avec la tendresse déchirante de la fameuse berceuse « Summertime ».
Au
programme encore, un brillant extrait du fameux Chicago de John Harold
Kander, un autre de Wicked de Stephen Schwartz et le concert
termine, mené toujours de main de maître par Trenque, avec une irrésistible
vitalité, par Symphonic Reflections,
un medley tiré des œuvres Andrew Lloyd Webber, célèbre compositeur
britannique, auteur, entre autres succès, des comédies musicales Jésus Christ super star, du Fantôme de l’Opéra, etc : des mélodies
passent dans l’orchestre, fredonnées par le public, preuve qu’elles ne passent
pas.
Dans
ce concert marseillais si américain, sur sept compositeurs de musiques « américaines »
jouées à Broadway, un Français, un Anglais, et trois des plus grands, d’origine
juive : une belle image de l’Amérique ouverte que nous aimons, pas de l’étroitement
WASP (White Anglo-Saxon Protestant) à la Trump
replié en ses frontières mentales de nationalisme étriqué, mais du melting pot de nations, de races et de
cultures vivantes qui la constituent et qui font la musique universelle.
Merci, Emmanuel !
Théâtre
Odéon
Marseille,
Broadway symphonique
Orchestre
philharmonique de Marseille
Direction
Emmanuel Trenque
Marion
Taris, soprano ; Grégory Bénéchafi, ténor
Musiques de
Bernstein, Gershwin, Rodgers, Schwarz, Schönberg, Webber.
30 novembre
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