MÉLODIES D'AÈDES
(Amours, délices et cordes)
Création originale autour de
l’exposition Le Banquet
au Musée d’archéologie de Marseille
Sous l’égide
de Marseille Concerts, qui fête ses
trente ans, infatigablement animée par Robert
Fouchet, sous la rubrique Muséique,
‘Musique au Musée’, sont proposés aux mélomanes marseillais, dans des lieux
patrimoniaux, des concerts raffinés, échos sonores aux œuvres visuelles
exposées. Marseille, avec plus de deux-milles-six-cents ans d’histoire, prise trop
souvent de vandale ivresse, se penche désormais, en son troisième millénaire,
sur ce passé et, à la faveur de travaux dans le noyau de la cité antique, d’émouvantes
découvertes archéologiques, modestes restes de vaisselle, dans le joyau
architectural de la Vieille Charité, ont motivé une petite mais passionnante
exposition, Le Banquet, de Marseille à
Rome. ‘Plaisirs et jeux du pouvoir’ (jusqu’au 30 juin 2017).
C’était
l’occasion de laisser à la soprano marseillaise courant la France Isabelle Bonnadier, avec la savoureuse complicité
de Laurent Vercambre, le plaisir de
dresser la table musicale, le menu d’un délicieux concert dans le creux
hospitalier de la chapelle ovoïde de la Vieille Charité, pleine littéralement
presque comme un œuf, banquet manquant de banquettes, le public n’ayant trouvé
place assise nonchalamment mais inconfortablement appuyé debout contre les murs
et colonnes et, les mieux lotis, assis sur des marches ou à même le sol.
La Vieille Charité, sur les plans du
génial et malheureux Pierre Puget, architecte baroque local rejeté par
Versailles, hôpital au XVIIe siècle pour les indigents, aujourd’hui centre
culturel et muséographique, c’est un sévère quadrilatère, un portique festonné
d’arcades sur sa base, élevant deux étages d’arcades symétriques, telles des paupières
rêveuses aveugles, avides de regard sur la coupole en œuf coiffant la chapelle
centrale de la cour, rigueur d’épure égayée cependant par cette rare pierre
rose de l’Estaque épuisée, déjà prisée par les Romains, usée aussi pour la
Tourette, le clocher Saint-Laurent, les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas,
fermoirs du collier du Vieux Port : l’histoire pétrie dans la chair d’une
pierre. Digne des intimistes églises
romaines de Borromini par sa structure élaborée, mais dans l’élégante sobriété
ornementale de la pierre nue, l’intérieur ellipsoïdal de la chapelle sous la
voûte ovoïde soutenue de pilastres et colonnes cannelés adossés, est, sur les
côtés, taillé d’encoches à hauteur d’homme ouvrant sur de petites galeries, telles
des coulisses, et la balustrade de la tribune semble le balcon d’un faux
théâtre du vrai Baroque.
Dans une encoignure jouxtant une table avec des
nourritures terrestre et spirituelle (fruits, vin, livre) une mince estrade,
deux pupitres, et, dans le fond des instruments de musique : un creux, un
écrin pour les duettistes.
D’Isabelle
Bonnadier, chanteuse, comédienne, auteur et musicienne, je crois avoir dit,
il y a longtemps, qu’elle était par, nature, gracieuse sans gracieuseté, et on
lui retrouve avec bonheur ce charme intact, indéfinissable. Sans chercher à
enfermer cette libre artiste dans les limites fermées d’une définition
définitive, on pourrait du moins, à travers le spectacle proposé, la cerner un
peu dans sa palette si diverse par le même type de formule de qualités nuancées
de rien de trop qui pèse ou pose : intelligent sans intellectualisme,
simple sans simplisme, même enfantin sans enfantillage (comptines) en somme,
cultivé sans vain étalage de culture. Qu’on en juge : on nous sert, sans
solution de continuité, avec humour et sourire, du parlé au parlé-chanté, on
passe à la chanson, du rap au lyrique ; pour les musiques on vogue de mélodies
grecques antiques à Dowland et Purcell, du sarao
de la chacona, picaresque danse du Siècle d’Or, chacone recueillie par
Cervantès, à Marin Marais, de Brahms, à Verdi, en passant par Mozart, Offenbach
et son inénarrable hymne au galop du « Jambon de Bayonne », des
chansons de Charles Cros à Trénet, Brel, Brassens, Gainsbourg, Ricet Barrier, et
Vercambre lui-même, etc, dans un pot-pourri rieur de textes d’Euripide, Ovide,
Posidonius, Alcée, pour les anciens, d’Hugo à Rilke, de Neruda à Michel Butor,
Marie Rouanet, en passant par des poèmes grecs et indiens… Quant à son compère Laurent Vercambre, le moins qu’on
puisse dire, c’est qu’il a plus d’une corde, même vocale, à son arc, frottées
et pincées (même sans rire) : il passe avec aisance de la guitare
espagnole à la lyra crétoise, du violon
italien au bouzouki grec, au nyckelharpa suédois,
sorte de vièle à clavier. Isabelle grattera aussi un peu la guitare, mais
scandera certains morceaux des percussions du daf persan et du tambourin napolitain. Laurent Vercambre, véritable
homme-orchestre par ses multiples dons d’instrumentiste doué et multi-primé,
apporte, à la voix ductile d’Isabelle, une note, des notes, ses notes souvent,
drolatiques, pimentées, contrepoint facétieux à la douceur d’Isabelle Bonnadier.
Textes et musiques, que j’ai rangés par la chronologie
par commodité, étaient joyeusement dérangés, arrangés, assaisonnés, selon l’ordonnance
d’un succulent menu concocté par un fil conducteur, Les Âges de la table, la TABLE ou plutôt l’autel culinaire auquel notre
duo sacrifiait avec gourmandise, étant personnifiée, avec, en entrée, une « Création
du monde » d’Euripide, la « Genèse », une « Cosmogonie »
indienne et grecque, avec, en amuse-gueules, la « Création » récréation
de l’Homme et de la Femme. « L’Enfance », on aurait voulu la retenir,
bien sûr, avec sa plaisante Litanie des
noms de pommes (où manquait je crois — ouf ! — la pomme d’Adam qui nous
reste en travers), ses comptines et une chanson vraiment poétique de Trénet, Une noix.
On ne peut décliner par écrit, qui risquerait l’indigestion
pour un petit appétit, la richesse plantureuse mais très digeste à l’audition
de ce banquet, mais on retiendra la liste des fromages arrosée de l’air du vin
de Don Giovanni (gaillardement au féminin) qui espère que la sienne s’allongera
de l’ivresse de la danse, mais le remarquable éloge grinçant des Pissenlits (M. Boukay, M. Léguay), qu’on
finit par bouffer par la racine et « À mon dernier repas » (Jacques
Brel/Laurent Vercambre), apportaient une note grave, sinon funèbre, à ce terrestre
et hédoniste repas, dont on se lèche les doigts.
On en reprendrait volontiers et l’on rejoint cette
savante femme qui réclame au plat poète (mais moi à ces deux artistes) :
« Servez-nous promptement votre aimable repas. »
Isabelle Bopnnadier et
Laurent Vercambre
Mélodie d’aèdes
(Amours,
délices et cordes)
Création
originale autour de l’exposition Le
Banquet
au Musée
d’archéologie de Marseille
Marseille, Vieille
Charité, 5 mars 2017
Musiques : Brahms, Dowland, Marin
Marais, Mozart, Offenbach, Purcell, Verdi, etc
Textes :
Alcée, Butor, Euripide, Gautier, Hugo, Neruda, Posidonius,
Rilke, Vercambre, etc…
Chansons : Barrier, Brassens, Brel, Cros, Ferrer,
Gainsbourg, Misraki, Trénet, etc.
Photos :
1 et 2, B. P.
3. : François Suquet.
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