FESTIVAL JEAN-CLAUDE PETIT
Marseille, divers lieux
25, 26, 27 et 28 février
Un
festival de quatre jours a été consacré au compositeur Jean-Claude Petit, connu
pour ses célèbres musiques de films, mais qui ne se limite pas à cela, je ne
suis pas trop mal placé pour en parler, puisqu’il mit en musique un livret
d’opéra que j’avais écrit, Colomba, créé sur notre scène lyrique en mars 2014, programmation de
Marseille 2013 Capitale européenne de la culture, et retransmis par la
télévision régionale et nationale, un succès selon la critique.
Jean-Claude Petit
nous revenait pour quatre manifestations les 25, 26, 27 et 28 février dont
l’épicentre était une création originale, un Concerto pour mandoline et cordes,
une première mondiale, interprété par le fameux mandoliniste Vincent Beer Demander, à qui est il dédié, dirigée par Petit lui-même mardi 28 février au théâtre de la Criée en
clôture de ce festival.
La première soirée, intimiste, commençait chez le luthier André Sakellaridès, pour la musique
douillet cocon, conques de luths, coques de violons sagement rangés et
lustrés dans des vitrines comme des vaisseaux au port avant de prendre le vent
et l’envol vers la musique. Tel un hôte gai et gouailleur, qui sait faire fable
affable de la moindre anecdote, de la moindre croche, sans anicroche, Vincent Beer Demander, de sa mandoline
virtuose, de son verbe et de sa verve, présentait, préludait et préparait
joyeusement, sur des musiques de films de Petit, l’arrivée discrète du
compositeur pour patronner gentiment ce programme, Jean-Claude Petit and friends,
puisqu’un hommage était aussi rendu à d’autres musiciens s’étant illustrés dans
le cinéma et la mandoline. Une sorte de condensé festif, amical, de la future
soirée, avec la complicité talentueuse de Frédéric
Isoletta au piano et de la soprano Lucile
Pessey aux yeux rieurs ou tristes selon les airs extraits de films qu’elle
interprétait avec beaucoup de conviction.
Vincent Beer Demander
Interprète
mais compositeur lui-même, organisateur de ce festival, il manifestait un
étourdissant talent d’animateur et présentateur. Né en 1982 à Paris, mandoliniste, il tourne dans le monde
entier avec son instrument qu’il a remis à l’honneur. Après avoir animé nombre
de classes d’écoles de mandoline, il enseigne actuellement au Conservatoire
National à Rayonnement Régional de Marseille et à l’Académie de mandoline dont
il est Directeur artistique et se trouve à la tête d’un orchestre de cordes à
plectre, cet onglet dont use la
mandoline. On lui doit plusieurs disques, parmi lesquels Massalia
Concerto et Mandolinomania. Dans ce dernier, par un Tombeau à Raffaele Calace (1863-1934),
il rend un hommage au plus grand des mandolinistes romantiques à cheval sur
deux siècles, compositeur et luthier napolitain, qui éleva cet instrument,
qu’on croyait dévolu aux pittoresques sérénades et chansons napolitaines, à la
dignité de la musique classique. Vincent
Beer-Demander semble avoir repris le flambeau de Calace mais, sans nostalgie
musicale passéiste, il assume la musique de son temps et la sienne vibre
parfois d’accents de hard rock.
Jean-Claude Petit
On ne sait s’il faut encore présenter Jean-Claude Petit : apparemment pas tant furent
nombreuses les manifestations de sympathie, de reconnaissance à son égard lors
de ces quatre manifestations. Mais l’arrangeur de chansons célèbres, de
« tubes », est si connu, l’auteur de musiques de films est tellement
entré dans les oreilles, qu’on en oublie qu’il est pianiste, chef d’orchestre,
et compositeur dans un grand éventail de genres musicaux ; sans les
marques d’estime publiques d’autrui, j’aurais scrupule à en parler
personnellement puisqu’il mit en musique le livret d'opéra que j’avais écrit, Colomba, mars 2014, retransmis en direct à la télé et repris le 2 décembre 2014 sur France 3
à minuit, réunissant quelque 900 000 spectateurs, chiffre officiel. Je pense
que cela m’autorise à parler de Petit sans soupçon de complaisance amicale,
puisqu’il y l’impartialité du succès sanctionné de l’extérieur, dont je ne fais
que témoigner.
Né
en 1943 à Paris, études au Conservatoire National Supérieur de
Musique de Paris où il obtient, tout jeune, de nombreux premiers prix. Pianiste
de formation classique, donc, Petit s'oriente néanmoins vers le jazz et
accompagne notamment Dexter Gordon, Kenny Clarke, Johnny Griffin. Il se tourne
ensuite vers la chanson de variété, devenant arrangeur, orchestrateur et
compositeur très sollicité pour Juliette Gréco, Marie Laforêt, Julien Clerc,
Gilbert Bécaud, Serge Lama, Claude François, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday,
John Baez, Michel Sardou, Alain Souchon, etc... On se l’arrache. Il en parle avec humour et modestie. Il collabore également à des comédies
musicales (La Révolution française
; 36 Front populaire). Parallèlement,
n’ayant jamais abdiqué sa fibre première, il dirige de grands orchestres
classiques un peu partout dans le monde,
et rien moins que le London Symphony Orchestra, le Munich Symphony
Orchestra, et les non moins prestigieux Orchestre de Paris, Orchestre de
l’Opéra de Paris, l’Orchestre National de France.
À
partir des années 1980, c’est la grande aventure des musiques de film et, en
dix ans, il remporte un César, deux Victoires de la Musique, un British Award,
est nommé aux European Awards et
plusieurs fois aux Oscars. À Jean
de Florette, 1985, de Claude Berri succède, du même réalisateur, Manon
des sources, 1986, et une longue liste de succès, une trentaine de films, un
Cyrano de Bergerac de Jean-Paul
Rappenau, 1990, primé, désormais un classique ; le dernier film, Dalida, de Lisa Azuelos, est de 2017.
Dans
le domaine des variétés, s’il compose parallèlement des génériques pour
des émissions télévisées célèbres, il écrit aussi des pages symphoniques et met en musique deux opéras, Sans
famille, 2007 à Nice et notre Colomba, 2014, à Marseille. Il n’a
donc jamais abandonné la composition « classique » que Michel Legrand, autre compositeur
célèbre de musiques de films, commence joyeusement aujourd’hui, à
quatre-vingt-trois ans…
Le
lendemain, dimanche 26 février, on
le retrouvait dans l’église Sainte-Marguerite, pleine malgré le soleil et la
concurrence de l’OM dans le voisin Vélodrome, pour un large programme, petit échantillon de la diversité de ses
cordes, entièrement consacré exclusivement à sa musique qu’il dirigera
lui-même, musiques de films ou pièces
instrumentales. Le concert était préludé avec des thèmes célèbres de ses
musiques de films, dont le fameux Cyrano
en entrée par André Rossi, titulaire de l’orgue, compositeur et professeur d’orgue et
d’improvisation au Conservatoire de Marseille : sur la vague ombreuse de
l’orgue, envol de clarinette mélancolique avant une houle perlée d’écume
d’argent. On retrouvait avec plaisir, avec la mandole aguichante et guillerette
de Beer Demander, la désinvolte et piquante musique de Beaumarchais l’insolent (1996) d’Edouard Molinaro.
Le compositeur nous offrait ensuite sa récente
orchestration des Six épigraphes
antiques de Debussy pour piano : une amorce voluptueuse du violon
vaporisé rêveusement par les vents avant le chant de la clarinette ; appel
albugineux du solo d’argent et réponse crépusculaire des cordes graves, auréole dorée de cor
et frisson d’exotique xylophone…Tout le spectre instrumental de la formation de
chambre jouant et déjouant le sentiment tonal, entre majeur, mineur, modal,
oriental parfois par la couleur. Il faudrait réentendre, pour la savourer cette
œuvre nouvelle qui, amoureusement, donne chair et couleurs à la percussion
pianistique de l’œuvre initiale de Debussy, respectueusement habitée et
habillée par Petit. On comprend, dans cette souveraine liberté debussyste
d’essence si moderne, échappant fièrement aux carcans des écoles, des chapelles
et des systèmes musicaux impérieux qui vont s’imposer à cette époque, la
fascination de Petit pour Debussy, la libre germination d’une musique non
inféodée aux modes dogmatiques du temps :
ses deux quatuors, d’une
rigoureuse construction sur une brève cellule initiale, tant pour son Quatuor à cordes que pour son Quatuor pour saxophones, une brève
cellule initiale développée et déclinée sur l’éventail des possibilités des
instruments respectifs, démontraient,
même en une première et sommaire écoute, cette liberté de Jean-Claude Petit,
même dans la contrainte formelle de cette forme, quintessence de la composition
classique, et sa connaissance et fine maîtrise de ces pupitres divers de
l’orchestre.
Ces pièces classiques du compositeur, séduisante
découverte, alternaient avec des extraits de ses musiques de films, ainsi,
ouvert à l’espace, l’air largement ventilé du Château des oliviers, fameuse série télé de 1993 qui bâtit des
records d’audience, un hommage à cette terre de Provence qu’il avait aussi
célébrée avec bonheur dans Jean de
Florette et Manon des sources. Le
générique de Mayrig du
Marseillais Henri Verneuil (1991), avec Claudia Cardinale et Omar Sharif, qui
se situe à Marseille lors de l’arrivée des Arméniens rescapés du génocide turc
(et des rues de cette ville en perpétuent le cruel souvenir) fut un moment
d’émotion, hier et aujourd’hui confondus en migrants, douleur aiguisée par la douceur
poignante du doudouk, sorte de
hautbois, rare instrument immémorial arménien classé par l’UNESCO, joué, comme
dans le film, par Yvon Minassian lui-même qui venait amicalement
apporter son concours au compositeur qui en fit l’instrument emblématique d’un
peuple martyr.
Jean-Claude Petit, qui présentait avec humour et
simplicité les œuvres, dirigeait ensuite l’Orchestre à plectres de Vincent Beer Demander, celui-ci
en soliste, gros de quarante musiciens, en général des jeunes, sérieux, mines impressionnées
de se voir dirigés par ce monsieur guère impressionnant par son sourire et sa
simplicité.
Petit, Beer Demander, Pessey, l'Orchestre à plectre |
Cinéma
Mondolino
On retrouvait le lendemain, 27 février, Beer
Demander et Petit à l’auditorium de l’Alcazar
où le compositeur était soumis aux pertinentes questions de Frédéric Isoletta, pianiste entre
autres talents, sur son parcours et
sa dernière création, le Concerto
pour mandoline, création au cœur du programme du 28 février à la Criée, la
grande soirée Cinéma Mondolino, sous l’égide de Marseille-Concerts.
Riche
et joyeuse soirée à la gloire de la mandoline organisée et présentée par
Vincent Beer Demander, programme consacré à quelques uns des plus grands
compositeurs de musique de films du XXe siècle qui ont écrit
pour la mandoline, tels Michel Legrand, Ennio
Morricone, Nino Rota, Mikis Theodorakis. Nombre de chansons de films furent
également interprétées avec sensibilité et humour par la délicieuse soprano Lucile Pessey oubliant le
lyrique pour nous séduire en
chanteuse de charme ; quelques « tubes » cinématographiques
furent élargis à l’Orchestre à plectre conduit par Beer Demander, décidément au
four et même aux moulins de mon cœur.
Mais toute la première partie était, en somme, une sorte d’hommage qui lui
était rendu, à sa mandoline, puisque, de Claude
Bolling, Francis Lai, Vladimir Cosma (deux pièces), créations
de 2015, à celle de Jean-Claude Petit
qui allait se créer, tous les morceaux lui étaient dédiés, réponses aimables de
ces compositeurs illustres aux sollicitations inlassables de Beer Demander pour
faire vivre son instrument en complicité avec un ensemble de cordes.
On
ne boudera pas son plaisir à ces musiques
d’agrément, très agréables assurément, touchante et personnelle Romance de mon enfance de Lai, Concertino encore assez jazzy de
Bolling, Fantaisie de Cosma et son Concerto mediterraneo, où, avec humour,
il recycle habilement, des musiques de ses films. La création du Concerto
pour mandoline avec orchestre et
cordes dirigé par Jean-Claude Petit lui-même, en soliste Beer Demander, le
dédicataire, affichait, dans une durée de dix minutes, une autre ambition. Forme
française classique dans son équilibre contenant tous les développements d’une
cellule mélodico-rythmique d'entrée, écriture horizontale ponctuée des efflorescences verticales
d’un contrepoint harmonique virtuose, où passent, sans s’attarder, des accords
de jazz ; tonalité tenue, contenue dans des limites cependant très
élargies. Les cordes pincées de la
mandoline polyphonique sont nappées, nimbées des cordes frottées monodiques ou
piquées de délicats pizzicati, dans un harmonieux dialogue entre l’instrument
soliste et le concertino. Beer Demander, consulté, se réjouira du « traitement
habile de la polyphonie à la mandoline, soit [par développement des] résonances
d'un accord de 3 sons soit en utilisant la force rythmique de la mandoline par
des accords de 4 sons organisés comme une grille, un riff », bref motif ou ostinato. En présentant son œuvre,
Jean-Claude Petit disait avec un sourire au public avoir semé « de
pièges » la partie dévolue à la mandoline, poussé par les possibilités de
l’instrument qu’il venait d’explorer et piqué d’émulation par la virtuosité du
soliste mis à l’épreuve. Celui-ci ne me dissimule pas le défi exaltant d’avoir
affronté, sinon des pièges, les difficultés qui « découlent de son
écriture très dense et notamment des gammes et arpèges complexes, des
enharmonies et de l'agencement de la partie de mandoline dans ce contexte
"frotté" qui demande une grande précision rythmique. La fin est
redoutable. » Mais exaltante pour l’interprète qui reçoit le cadeau,
auquel il répond admirablement, d’une très longue cadence virtuose, comme un
sacre de la mandoline reine au milieu des cordes frottées consacrées, un moment silencieuses comme un
signe, sinon de vassalité, de respect admiratif.
Comme le nôtre.
Prodig'Art est partenaire du Festival
Comme le nôtre.
Prodig'Art est partenaire du Festival
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