ESPRIT D’ENFANCE
(I)
PATRIMOINES POPULAIRES À L’ODÉON
MARSEILLE
Si le nationalisme est
odieux et dangereux, qui enferme l’esprit et le corps dans des frontières qui
fort heureusement n’existent ni physiquement ni culturellement, s’il faut
malheureusement des drames nationaux pour que l’idée de Patrie retrouve un sens
noble et contribue à redresser la colonne vertébrale de l’identité et à rester
debout face à l’absurde adversité, c’est dans le local, comme disait García
Lorca, qu’il faut chercher l’universel et il faut se garder de mépriser avec
hauteur ou snobisme des manifestations culturelles dont le succès populaire est
de mauvais aloi pour certains, pour ceux qui établissent des hiérarchies, bref,
des frontières, à l’intérieur des genres artistiques, entre ce qui serait le
grand et petit, voire le « mauvais » genre, la grande et la petite
musique, alors qu’il n’y a que la bonne et la mauvaise, chacune à juger, bien
sûr, dans son texte et contexte, sans les affronter abusivement entre elles. Boileau,
avec morgue, pouvait écrire ce méprisant distinguo dans la production de
Molière :
Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.
Or, nous pouvons
adorer Le Misanthrope sans déchoir de notre esprit critique à rire des Fourberies de
Scapin, d’un autre
registre, mais du même génial dramaturge et acteur, qui jouait les deux.
Nécessaire Odéon
Le théâtre de l’Odéon,
que certains ont vu en souriant avec condescendance comme une excroissance
parasite de l’Opéra de Marseille : à ce dernier le sérieux, à l’autre, le
négligeable, avec des programmations d’opérettes apparemment tombées en
déshérence, est en train de devenir un lieu où se cultive et refleurit une
culture populaire, qui demeure un patrimoine commun en danger.
Un de la Canebière
(22 novembre)
Même créée à Paris en
1935, Un de la Canebière, livret d’Alibert, Sarvil et Vincy, musique de Vincent Scotto, est un typique patrimoine
marseillais de l’opérette.
L’opérette
marseillaise, genre spécifique, a eu son heure de gloire entre les deux guerres
et demeure encore une parenthèse de bonne humeur ensoleillée et rose dans la
grisaille et le sinistre vert de gris de, l’Occupation. Pour les textes d’une
fausse naïveté, René Sarvil (1901-1975) et, pour une irrésistible musique, Vincent
Scotto (1874-1952) déjà connu, même internationalement, pour ses célèbres
chansons (La Petite Tonkinoise, J’ai deux amours, Prosper, hop la boum, Sous les ponts de Paris, etc…). Avec leur interprète
privilégié Alibert
(1889-1951), qui intervint aussi dans les textes, ils produiront et même
exporteront leurs œuvres à partir des
années 30 : Au Pays du Soleil et La Revue Marseillaise, en 1932, Trois de la Marine en 1933 puis, en 1935 leur coup
d’éclat, Un de la Canebière. Le relais sera repris par les productions d’Emile Audiffred pour les paroles et Georges
Sellers pour la
musique, Au Soleil de Marseille, 1936, Ma belle Marseillaise, 1937, Marseille mes Amours, 1938. Avec la trilogie de Pagnol, qui les précède de peu, ces
opérettes fixeront pour le meilleur, et souvent le pire, jusqu’à la caricature,
la galéjade marseillaise, pas toujours de bon goût et ne serviront pas toujours
l’image de Marseille, figée, fixée dans des clichés réducteurs au long cours. Mais, bon, à choisir, il vaut mieux
la galéjade à rire, même lourde, que la trop légère kalach à tuer aujourd’hui.
On s’épargnera l’exagération
marseillaise (du moins celle postulée et exagérée par ces œuvres) en disant que
c’est un chef-d’œuvre. Le sujet repose sur un ressort théâtral bien
connu : la double imposture, et la double inconstance qui a aussi ses
lettres de noblesse. Deux modestes pescadous du Vallon des Auffes, le temps
d’un bal, se font passer pour de gros industriels de la pêche pour appâter deux
belles, simple vendeuses de légumes, qui elles-mêmes se font passer pour des
stars de cinéma. En parallèle, le double adultère d’un couple mal assorti et
les jeux du je t’aime et tu ne m’aimes plus, les dépits amoureux et le défi de
maintenir l’imposture d’une usine de sardines fantôme avec les coups de théâtre
à tiroir d’un faux-vrai héritage non d’un oncle d’Amérique mais d’une tante de
Barbentane pour soutenir le mirage de l’entreprise.
Le Plus beau tango du monde |
Autour de ce mince
canevas circulent de minces, minces héros et le texte rame bien bas. Et pourtant,
avec un décor qui se ressent des misères du temps, Jacques Duparc (incarnant par ailleurs pittoresquement Girelle),
réussit l’exploit de remplir pleinement une œuvre un peu creuse,
essentiellement grâce à des comédiens qui remplissent de façon étourdissante
des personnages assez vides, donnant vie, dynamisme et une gaîté contagieuse à cette folle
farandole, inconsistante sans eux. Tous sont à citer : seule vraie voix de
la troupe, Caroline Géa charme d’un timbre aussi joliment fruité que les fruits qu’elle est
supposée vendre, avec sa juvénile complice Virginy Fenu ; Simone Burles est une Margot d’un abattage
exalté, un tempérament de feu et Carole Clin est la sereine adultère délurée
pleine d’allure, de vaudeville. Leurs partenaires masculins se répartissent en
un duo des deux séducteurs séduits, Duparc en solide Girelle baryton, Grégory Juppin, ténor jeune premier, suivis, comme
leur ombre par un lumineux Florian Cleret qui est un Pénible innocent (aux mains pleines),
inénarrable travesti de Tante Clarisse, d’un naturel irrésistible dans le faux
du personnage. La distribution des acteurs plus ou moins chanteurs est complétée
par Antoine Bonelli un Bienaimé des Accoules impayable (il paiera la facture vraie de la
fausse usine), Michel Grisoni, cocasse cocu, Guy Bonfiglio, poutinesque Garopouloff, et Jean
Goltier moussaillon
et maître d’hôtel. Un quatuor de danseurs du ballet de l’Opéra Grand Avignon (Bérangère
Cassiot, Aurélie
Garros, Anthony
Beignard, Alexis
Traissac) donnent
vie aux jolies danses et deux figurants Marc Piron et Bruno Simon ferment le ban.
Dominique Trottein, avec entrain, dirige cette musique
légère avec dix musiciens et l’on goûte, il est vrai, avec une saine naïveté,
des airs, des danses datées, fox-trots, charlestons, tangos, javas, au charme
désuet mais prenant : J'aime la mer comme une femme, Les Pescadous...!, Le plus beau tango du monde, Vous avez l'éclat de la rose, Un petit cabanon, refrains, crincrins qui hantent
encore la mémoire, du moins, sans doute, de la dernière génération à les
connaître. Ce public fredonne, d’abord presque timidement, à mi-voix, ce qui
devrait être un hymne marseillais festif affirmé, triomphant de joie : Cane...
Cane... Canebière,
en chœur. Et le cœur se serre : cette partie du folklore marseillais, qui
vit encore dans la mémoire des
plus anciens, qui les connaissent sans qu’ils en connaissent forcément les
auteurs, anonymat marque du succès qui a marqué une époque, semble un
patrimoine, naïf et populaire, en déshérence. Puisse l’Odéon le revivifier pour
lui donner, avec un regain de jeunesse, une seconde vie.
Théâtre de l’Odéon, Marseille,
Un de la Canebière,
De Vincent Scotto
21 et 22 novembre
Orchestre du Théâtre de l'Odéon : direction de
Dominique Trottein
Mise en scène : Jacques Duparc.
Distribution :
Caroline GÉA, Simone BURLES, Virginy FENU, Carole CLIN,
Grégory JUPPIN, Jacques DUPARC, Florian CLERET, Guy BONFIGLIO, Antoine BONELLI,
Michel GRISONI, Jean GOLTIER.
Photo Christian Dresse
:
G. Juppin et Caroline Gea .
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire