Enregistrement
30/06/2014, passage, semaine du 14/07/2014
RADIO DIALOGUE
(Marseille : 89.9 FM, Aubagne ; Aix-Étang de Berre : 101.9)
« LE BLOG-NOTE
DE BENITO » N° 137
Lundi : 10h45 et 17h45 ;
samedi : 12h45
Fêter, célébrer, commémorer
Ne nous trompons pas
sur les termes. Comme aujourd’hui 14 juillet, on fête un anniversaire, on célèbre un événement joyeux, heureux, donnant lieu à une
fête, mais on commémore, on
rappelle au souvenir un événement pas forcément heureux ni joyeux, qui peut
donner lieu à des commémorations, à des célébrations, à des cérémonies pas
forcément festives ni joyeuses : ainsi, nous avons commémoré
en juin le D Day, le Jour J, le jour du
débarquement allié de la Seconde Guerre Mondiale et, en cette année 2014, nous commémorons le centième anniversaire de la Première Guerre
Mondiale de 14/18, déclarée début août 1914 pour la France.
La musique, dit-on,
adoucit les mœurs, c’est le
rêve de l’harmonie universelle, de la concorde des sons et des gens, de
l’accord entre les peuples. La guerre est donc antinomique, antagonique, le
contraire : c’est, musicalement parlant, la dissonance, la discordance, la
discorde. Soulignant ce tragique
hiatus entre le rêve pacifique de l’art
qui construit et le cauchemar de
la guerre qui détruit, les éditions discographiques Hortus, lancent une première série de trois CD d’une
audacieuse collection consacrée à cette terrible période, à cette horrible
déchirure de 14/18. La collection a pour titre général Les
Musiciens et la Grande Guerre ;
elle est labellisée par la Mission du
Centenaire. Trente enregistrements sont prévus jusqu’en 2018, centenaire de l’Armistice, pour cette collection
qui se donne pour but généreux et ambitieux, de faire découvrir ou
redécouvrir par cette extraordinaire
anthologie sonore des compositeurs, interprètes et musiciens ayant vécu et subi
cette guerre, mobilisés, immobilisés dans leur œuvre, souvent blessés, parfois tués, ou même, restés hors
du front à cause de leur âge, ou tentant vainement de se faire mobiliser comme
Ravel, finalement accepté comme ambulancier avant de tomber malade. C’est donc
une sorte d’hommage historique et artistique, un juste monument à ces oubliés de la grande
Histoire et de celle de la musique qui se retrouvent au champ d’honneur de ces
enregistrements avec d’autres plus illustres et plus heureux avec la postérité.
Ces trois premiers CD
sont élégamment mais sobrement présentés, comme il convient au sujet, dans une
pochette grise, ornée de photos d’époque, certaines saisissantes, piano dans
les ruines, ou maison incendiée de l’héroïque Albéric Magnard ; l’intérieur est
bleu horizon comme le second uniforme des poilus. On
regrettera seulement, sur le petit livret explicatif, le texte trop court et
trop petit en caractères pour être bien lisible sur fond gris.
Mains nous ne commencerons
pas par le premier de ces CD, mais par le second, puisque aussi bien,
historiquement, il est dans la marge heureuse d’avant-guerre, cette Belle
Époque encore pacifique, ou la seule guerre était esthétique. Il s’intitule, 1913 :
Au carrefour de la modernité.
Il nous présente trois compositeurs qui révolutionnèrent la musique de ce début du XXe siècle, un Italien, un Français et le Russe Igor Stravinsky. De ce dernier, nous écoutons un extrait de sa transcription pour deux pianos de son célébrissime ballet Le Sacre du printemps qui, par le scandale que causa cette musique, mit le feu aux poudres au théâtre des Champs Élysées. C’est joué, avec une belle dynamique, une dynamite rythmique mais inoffensive, par Jean-Sébastien Dureau et Vincent Planès sur un étrange piano historique à double clavier, un Pleyel sans postérité conservé au musée de la musique : la plage 2 est saisissante de cette célérité palpitante qu'apporte Stravinsky à la musique, une mécanique implacable qui, malgré le Primitivisme qu'il impose comme courant de retour aux sources du XX e siècle, semble aussi traduire ce Futurisme, ouvrant l'art aux techniques et aux industries du monde moderne, trains, usines, dont Marinetti avait publié le premier Manifeste le 20 février 1909 dans le Figaro. Primitivisme allié à la science la plus avancée du moment : le sommet de la technique des hommes pour s'entretuer avec barbarie, La Grande Guerre en somme.
Il nous présente trois compositeurs qui révolutionnèrent la musique de ce début du XXe siècle, un Italien, un Français et le Russe Igor Stravinsky. De ce dernier, nous écoutons un extrait de sa transcription pour deux pianos de son célébrissime ballet Le Sacre du printemps qui, par le scandale que causa cette musique, mit le feu aux poudres au théâtre des Champs Élysées. C’est joué, avec une belle dynamique, une dynamite rythmique mais inoffensive, par Jean-Sébastien Dureau et Vincent Planès sur un étrange piano historique à double clavier, un Pleyel sans postérité conservé au musée de la musique : la plage 2 est saisissante de cette célérité palpitante qu'apporte Stravinsky à la musique, une mécanique implacable qui, malgré le Primitivisme qu'il impose comme courant de retour aux sources du XX e siècle, semble aussi traduire ce Futurisme, ouvrant l'art aux techniques et aux industries du monde moderne, trains, usines, dont Marinetti avait publié le premier Manifeste le 20 février 1909 dans le Figaro. Primitivisme allié à la science la plus avancée du moment : le sommet de la technique des hommes pour s'entretuer avec barbarie, La Grande Guerre en somme.
On trouve aussi dans ce disque en plus de cette la transcription du Sacre du
printemps la suite En blanc et noir de Claude Debussy et la Fantasia
contrappuntistica de Ferrucio Busoni,
autant d’œuvres qui ouvrent la modernité comme, malheureusement, ou bonheur
dans le malheur, les progrès techniques et sociaux qui seront le résultat de la
guerre.
Cependant, la guerre, si elle a permis des avancées
scientifiques et techniques, est un désastre pour tout le monde. La tombe du
Soldat Inconnu symbolise par l’unité le pluriel incommensurable du deuil, des
morts. Mais, autre symbole individuel qui affecte la mémoire collective, les
artistes connus et aimés de tous qui en furent d’exemplaires victimes :
l’écrivain prometteur Alain-Fournier, auteur du Grand Meaulnes, tombé au champ d’honneur à 28
ans, le poète Charles Péguy mort d’une
balle dans le front à la veille de la bataille de la Marne, Guillaume
Apollinaire, trépané. Mais qui se souvient
de la mort héroïque, dès les premiers jours de la guerre, à 49 ans, du
compositeur Albéric Magnard
(1865-1914). C’est ce que vient nous rappeler avec émotion le second CD e la
collection :
Une mort
mythique, Albéric Magnard, Sonate
pour violoncelle et piano, oeuvres pour piano |
Réédition d'un CD de 2012, Editions Hortus.
Mort mythique, certes, mais hélas bien réelle,
déclinée à l’époque en cartes postales patriotiques, reproduites sur le
disque : le 3 septembre 1914, pour défendre sa maison dans l’Oise, il tue
deux soldats allemands (dont la propagande nationaliste nous dit qu’il lui
interdisaient de jouer La Marseillaise). Il est fusillé sur place
et sa maison, avec nombre de ses œuvres, brûlée. Mais ne nous trompons pas, ce
n’est pas son héroïsme, son courage politique
qui le placent ici dans ce catalogue d’honneur : féministe avant
l’heure, il consacra une symphonie à cette cause, et un Hymne à la justice en faveur de Dreyfus, après avoir démissionné de
l’armée. C’est donc la beauté de son œuvre tronquée par la mort, vingt et une pièces
dont trois opéras, quatre symphonies et de la musique de chambre, dont
l’intégrale pour piano est ici enregistrées pour la première fois qui lui valent et honneur centenaire. Pour nous en convaincre, écoutons, la plage 2, un extrait
de sa Sonate pour violoncelle et piano, défendue par le pianiste Philippe
Guihon-Herbert et le violoncelliste Alain
Meunier.
Le troisième CD de la
collection est un Hommage à Maurice Maréchal rendu par ce même Alain Meunier, accompagné par la pianiste Anne Le
Bozec, à son maître violoncelliste disparu en 1964, mais qui connut l’enfer des
tranchées. Ses camarades d’infortune lui construisirent un instrument de
fortune surnommé "Le Poilu" dans une caisse de munitions pour qu’il
leur jouât de la musique : l'harmonie du monde humain dans le vacarme inhumain des canons. Le CD contient des pièces de Brahms, Debussy,
Honegger. Nous nous quittons sur les accents poignants de l’Élégie de Fauré, déjà une déploration déchirante. Peut-être un pressentiment de la bêtise et de la douleur humaine cultivant la haine au lieu de l'amour issu de la musique.
Je rappelle : Les Musiciens et la Grande Guerre, trois CD Hortus. Une commémoration qui invite à une méditation profonde.
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