MARS EN BAROQUE
(2)
Le mois de mars s’en va mais Mars en Baroque est venu, nous en
laissant encore des échos émerveillés.
VÉNUS ET SES LIBATIONS
Dans l’auditorium comble des Archives Départementales Gaston
Defferre, la première soirée fut déjà une réussite. Forum mondial de l’eau
oblige, le programme, sans encore faire couler d’encre, faisait couler une eau
particulière : La Fontaine de Vénus, effluves amoureux, flots de musique voluptueuse et de paroles
licencieuses par l’Ensemble La Fenice de Jean Tubéry, agrémenté d’une chanteuse, Caroline Pelon et d’un conteur Christophe Gravouille. Sous des projections d’images galantes et
sensuelles de tableaux de grands peintres, Watteau, Fragonard ou autres Boucher,
débauche de rondeurs carnées féminines, de Vénus alanguies sur des couches
propices et complices, le concert régalait de musiques françaises du XVII e
siècle instrumentales et d’airs de cour de d’Anglebert, Lambert,
Bataille, Sicard, Boësset à la fausse naïveté, posant des cas d’amour ironique
(Il faut les aymer toutes deux),
proposant des conseils hédonistes ironiques sur les âges féminins et les quatre
saisons de l’amour (Depuis quinze jusqu’à trente). On goûta la saveur populaire de l’anonyme, Une
jeune fillette, l’irrévérence saine
de Il était une religieuse de de
Lassus. Instrumentalement, la Passacaille de M. Cazzati, sur un thème bien connu, était d’une grande séduction et
une belle émotion se dégageait de la Sonate à trois de F. Turini « sopra la monica »
La chanteuse Caroline Pelon, sans doute mal en forme par la perversité allergène du mars
marseillais, distillait ces airs
faussement ingénus, des bergerettes sur l’herbette fleuries d’agréments joliment
troussés et tressés, parfois toussotés
par la quinte, moins d’aigu que de fatigue sensible ; les contes
aimablement licencieux de La Fontaine, Christophe Gravouille les égrenait, gaillards, gaulois, goguenards, égrillards, avec leurs
faux paysans et leurs vrais cocus. Le mobile Jean Tubéry non seulement donnait la réplique chantée à la chanteuse
mais faisait pépier la flûte et chanter le cornet tout en dirigeant souplement
l’ensemble. La violoniste Anaïs Chen et
le gambiste Martin Bauer s’offrirent un
beau succès avec une superbe version lancinante de la fameuse Sonnerie de
Sainte-Geneviève de Marin Marais et Philippe
Grisvard, fit étinceler la grâce de son
clavecin toute la soirée.
CARAVAGE ET GESUALDO : GÉNIES CRIMINELS
Le cinéma les Variétés ayant déclaré
forfait faute de visionneuse pour les peintures, le petit auditorium de la
Bibliothèque de l’Alcazar, ne put ni accueillir tous les amateurs passionnés de
la conférence, ni endiguer le flot des mécontents refoulés de ce huis clos où Martine
Vasselin, spécialiste d’histoire de l’art
de l’Université de Provence et Jean-Marc Aymes, âme de mars en Baroque,
donnaient une causerie en duo sur deux génies criminels, le peintre et le
musicien, Caravage et Gesualdo, contemporains. Michelangelo Merisi da
Caravaggio (1571-1610), le peintre et le musicien Carlo Gesualdo (1566-1613),
Prince de Venosa fort vénéneux, furent deux créateurs révolutionnaires du début
de l’ère baroque dans leur domaine respectif. L’un renouvela la peinture par
son approche à la fois réaliste et allégorique (il s’inspire d’une noyée pour
peindre la Vierge agonisante) ; ses cadrages audacieux annoncent ceux du
cinéma, ses contrastes ténébristes et luministes ont marqué la peinture
européenne de son temps. Gesualdo écrivit une musique hors des canons acceptés
de son temps, pleine aussi d’antithèses, de dissonances, très moderne, comme en
purent juger les spectateurs du concert qui lui fut consacré. Ils eurent en
commun les lieux où ils vécurent, des amis prestigieux mais, aussi, des mœurs
scandaleuses : le Caravage était notoirement homosexuel, Gesualdo goûtant
le dolorisme sensuel du sadisme ; le premier, bagarreur et jouant
facilement du couteau, eut des morts sur la conscience, tandis que le Prince
fit tuer sa femme adultère et son amant.
On se bousculait ensuite au cinéma les Variétés pour le film Caravaggio (1986) de Derek Jarman, prévu pour une projection
mais, devant le succès, repris deux autres fois, comme la conférence. Bref, le
dixième festival commençait par l'illustration de son intitulé de 2012 : Passion(s)
et débordements.
CASTRATS
Autre type d’excès que ne pouvait manquer d’illustrer Mars en
baroque, celui de la vocalité virtuose, vertigineuse
des castrats, du moins selon les témoignages que nous en avons par les musiques
qui leur furent consacrées. Le perfectionnement technique des castrats porta l’art du chant à des
sommets de virtuosité jamais atteints.
Rappelons que
l’Église, estimant indécentes les femmes sur scène, ne voyait nul inconvénient
à faire opérer de jeunes garçons à jolie voix, à les opérer, les châtrer pour,
s’ils survivaient, éviter leur mue et garder leur timbre d’enfant et leur
tessiture féminine de contralto ou de soprano. Et que chantaient-ils dans
un opéra? Indépendamment du sexe du personnage représenté, homme ou femme. Patrick
Barbier, au cours d’une
conférence très courue à l’Alcazar le 21 mars, devait en brosser le large
spectre et panorama.
Aujourd’hui, où fort heureusement, on ne châtre plus les jeunes
garçons pour en faire des rois de la scène lyrique, ce sont les femmes
travesties qui chantent leur rôle ou des contre-ténors, des hommes chantant sur
un registre de voix de tête. Le même soir, l
appartenait à un tout nouveau venu ici dans ce registre, Magid El-Bushra, d’en illustrer la technique
dans des Arie per un divo avec la
complicité de l’excellent ensemble Filigrane d’Étienne Mangot, tout en souplesse et nuance. Bononcini, Gasparini,
Händel furent à l’honneur et deux Vénitiens fameux, Marcello et surtout Vivaldi
ce qui peut relativement étonner puisque Venise employait peu les castrats et
le Prete Rosso écrivait surtout pour des altos féminins et non pour les
sopranistes et altos masculins castrés. La voix de Magid
El-Bushra est puissante, large, d’une belle et moelleuse couleur
boisée et use subtilement du registre de poitrine sombre. Il sait filer
des sons dans les arie di portamento sur la tenue du souffle. Cependant, envers de l’égale rondeur du timbre,
il manque de mordant et un peu d’éclat dans les airs de bravoure. Il fut
gentiment sage en excès annoncés de cette journée.
NICOLAU DE FIGUEREIDO
L’instrument omniprésent dans la musique baroque est assurément le
clavecin. Dans ce festival, il est certes illustré par Jean-Marc Aymes pour
Concerto soave et chaque ensemble invité a son claveciniste en titre.
Innovation, cette année, la place faite à de jeunes talents clavecinistes et
par l’invitation d’un grand aîné, déjà célèbre, le Brésilien et parisien Nicolau de Figuereido, qui a travaillé avec les
ensembles les plus prestigieux. Il offrit un jubilatoire récital de sonates de
Domenico Scarlatti.
Dans l’ombre douce de l’église
Saint-laurent, éclairée des vitraux géométriques oranges, roux et verdâtres,
comme un oiseau exotique aile déployée, posé simplement sur deux tréteaux, un
clavecin rouge historié, c’est-à-dire orné de motifs divers, d’oiseaux, de
coquilles, de nœuds, d’amours, de flammes et oriflammes aux écritures étranges,
de médaillons représentant des amis musiciens de son propriétaire, Freddy
Eichelberger , à la façon de célèbres tableaux détournés (Latour et sa
Bohémienne, Titien et le Concert à Vénus
devenu concert à un éphèbe nu), un voilier d’autrefois cinglant vers le large.
Brillant timonier de cet instrument, Figuereido nous plongea dans l’univers hispanique du Napolitain
Scarlatti qui, laissant sa Naples encore espagnole, fit carrière au Portugal et
en Espagne, imprégnant sa musique des rythmes populaires espagnols les plus à
la mode alors, séguedilles, fandangos, polos, tiranas, etc. Scarlatti
s’inspirait des tonadillas, petits spectacles parlés, chantés et dansés
« à l’espagnole », en opposition avec la mode française et italienne,
et qui fixèrent ces danses, et non, comme on dit d’un flamenco apparu bien
postérieurement, qui utilisera
simplement cette terminologie.
Alternant à la façon baroque tempi lents et vifs, ceux-ci d’une
grande variété (Allegro, Presto, Vivo), mêlant les tonalités majeures et
mineures, Figuereido, avec une fibre, une fièvre,
une fougue toute hispanique avec une verve vertigineuse, nous élève
et enlève, nous porte, transporte dans la folie de ces rythmes soyeux et
joyeux, jubilatoires. Sous ses doigts agiles s’égrènent les grappes diaboliques
des ornements ; il nous fait sentir le rasgueado et le punteado de la guitare espagnole, entendre les castagnettes,
les palmas (battements frénétiques des mains) et ces parados, ces arrêts incisifs, comme coupés au couteau, de la
danse espagnole. En bis, il rendit hommage au Padre Soler, digne continuateur
espagnol du Scarlatti hispanisé. Un grand moment.
Ultime grand moment et couronnement de mars en Baroque, la création,
en l’abbaye de Saint-Victor, de la Passion selon Marie de Zad Moultaka avec la chère María Cristina Kiehr, notre Jean-Marc Aymes et
son Concerto soave, avec le chœur de chambre Les Éléments de Joël Suhubiette.
Puisque nombre de gens n’ont pu entrer à la conférence de Martine
Vasselin sur le Caravage, voici une suggestion de jolie promenade de Semaine
sainte dans le joli village de la Tour d'Aygues. Dans
le beau château Renaissance, le vendredi 30 mars à 18h30, entrée libre, elle
offrira une causerie illustrée sur une forme de dévotion populaire, les mises
au tombeau sculptées et polychromes, des cryptes, des chapelles. Mais rien de morbide en ces pratiques dévotionnelles : peindre la Vierge, le
Christ ou les saints, pour les peintres d'autrefois, c'était peindre des gens
qu'ils aimaient et admiraient, faisant partie de leur univers concret, pour lesquels ils se réjouissaient ou
pleuraient, selon les paroles de l’érudite conférencière.
Photos : quelques disques des fondateurs de Concerto soave (Aymes, Kiehr) :
1. Girolamo Frescobaldi : Fantasie (1608) | Recercari e Canzoni Franzese (1615) | Fiori Musicali (1635) ;
2. Claudio Monteverdi : Pianto della Madonna ;
3. Girolamo Frescobaldi : Il Secondo Libro di Toccate | Canzoni alla Francese (1615) ;
4. Alessandro Scarlatti : Bella madre de’ fiori ;
5. Girolamo Frescobaldi | Il Primo Libro di Capricci ;
6. Barbara Strozzi : Sacri Musicali Affetti ;
7. Concerto soave au complet (Phot. Pinchène)
Photos : quelques disques des fondateurs de Concerto soave (Aymes, Kiehr) :
1. Girolamo Frescobaldi : Fantasie (1608) | Recercari e Canzoni Franzese (1615) | Fiori Musicali (1635) ;
2. Claudio Monteverdi : Pianto della Madonna ;
3. Girolamo Frescobaldi : Il Secondo Libro di Toccate | Canzoni alla Francese (1615) ;
4. Alessandro Scarlatti : Bella madre de’ fiori ;
5. Girolamo Frescobaldi | Il Primo Libro di Capricci ;
6. Barbara Strozzi : Sacri Musicali Affetti ;
7. Concerto soave au complet (Phot. Pinchène)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire