Frantisek Tuma, Motets, par Andreas Scholl contreténor,
Czech ensemble baroque, direction Roman Válek
Un CD Aparté
https://open.spotify.com/intl-fr/album/5XANVLqOwjfqt506l2iFF6?autoplay=true
Voici le type de disque que nous aimons : un grand artiste très connu mettant sa notoriété à défendre un compositeur inconnu ou méconnu, en l’occurrence le contre-ténor Andreas Scholl mettant la lumière de sa célébrité pour tirer de l’ombre František Tuma (1704-1774), compositeur baroque de Bohème enseveli dans les oubliettes du temps. Du moins dans nos contrées culturelles souvent enclose dans nos frontières culturelles nationalistes, en fait étroitement régionalistes au niveau de notre Europe.
Aujourd’hui âgé de cinquante-six ans, le chanteur allemand Andreas Scholl, né dans une famille de chanteurs, formé par les meilleurs maîtres de la tessiture et technique de contre-ténor, tels Richard Levitt et René Jacobs à la Schola Cantorum Basiliensis, haut lieu de l’enseignement de la musique baroque, Scholl, succédant à ses maîtres, enseigne le chant au Mozarteum de Salzbourg depuis 2019. Couvert de prix, invité dans les plus grandes scènes et festivals lyriques du monde, après avoir enregistré un nombre impressionnant de disques, il met sa gloire et son talent à nous faire découvrir ce musicien qu’il sert de toute sa science musicale, vocale et expressive.
František Ignác Antonín Tůma (1704-1774) naquit à dans un petit village tchèque dans une famille de musiciens : son père était kantor-organiste, comme Bach à Leipzig, seul moyen de survie d’un musicien et de sa famille, avoir un poste fixe de directeur musical et de professeur, salarié dans une église en y tenant l’orgue des offices et assumant aussi le rôle de maître de chœur. Après avoir étudié le chant à Prague, y tenant des parties de ténor pour gagner sa vie, de viole de gambe et de théorbe, František part pour Vienne, capitale musicale et culturelle de l’empire austro-hongrois y cherchant emploi et carrière, un mécène, un patron qui assurerait son présent sinon avenir.
Il les trouvera dans le comte Franz Ferdinand Kinsky, de la chancellerie de la cour de Bohème, qui en fait son chef d'orchestre et compositeur de 1731 à 1741. Il en profite pour approfondir ses études avec le directeur musical de la cour impériale Johann Joseph Fux, grand musicien, maître de la tradition contrapuntique ancienne de la musique allemande, dans une Vienne qui est aussi réceptacle et creuset de la musique italienne, y accueillant nombre de musiciens célèbres comme Caldara, dont l’empreinte sur la technique vocale est sensible.
Intercalé dans la musique essentiellement vocale du CD, pour nous donner une idée de la production instrumentale de Tuma, écoutons le troisième et dernier mouvement, allegro, de sa Sinfonia a quattro en sol majeur pour deux violons, alto et basse, qui situe bien le compositeur dans le courant galant à la mode du dernier baroque de la musique de cette seconde moitié du XVIIIe siècle avant l’avènement du classicisme. À la tête de son ensemble Czech, Roman Válek donne fougue et brillant à cette page allègre :
1) PLAGE 10
Après la mort du comte Kinsky en 1741, Tůma, par concours, devint directeur musical de la cour d'Élisabeth Christine de Braunschweig-Wolfenbüttel, veuve de l'empereur Charles VI. Dans la branche espagnole des Habsbourg, éteinte en 1700, les reines veuves, entraient pratiquement en religion dans quelque couvent, dont elles revêtaient l’habit jusqu’à leur mort. La branche autrichienne de la famille, moins sévère, leur réservait un sort plus doux. L'impératrice douairière et reine de Bohême se retire dans son palais d’Hetzendorf mais garde sa chapelle musicale privée et des moyens financiers assez confortables, avec l’unique restriction de ne plus engager de castrats italiens, comme à la cour de Vienne qui y avait aussi renoncé, pour des raisons économiques, car ces vedettes étaient bien trop chères sur le marché musical.
Même avec un orchestre plus réduit mais des musiciens instrumentistes virtuoses, Frantisek Tuma, forme des chanteurs, de jeunes garçons souvent, et des falsettistes, hommes chantant en fausset les voix aiguës des sopranos ou graves des altos, ce qui légitime ce disque du répertoire sacré, des motets en latin des offices liturgiques, parfaitement adéquats à la voix de contre-ténor, d’Andreas Scholl, alto solide, dont la male couleur sombre échappe au timbre parfois trop enfantin de ses congénères altistes, tout en restant vélocement virtuose. On peut en juger avec ce motet de tempore, comme une aria da capo à l’italienne :
2) PLAGE 7
Ou encore ici avec l’aria du motet Per ogni tempo dans lequel Scholl tire une ligne legato qui semble infinie qu’il brode d’ornements d’une légèreté de dentelle :
3) PLAGE 12
À la mort de d'Élisabeth Christine en 1750, la chapelle est fatalement dissoute et les musiciens naturellement forcés à se chercher emploi et nouveau maître. Cependant, l’impératrice douairière devait être assez satisfaite de son maître de chapelle, puisqu’elle lui laisse une pension à vie, suffisante pour nourrir sa nombreuse famille et la nouvelle impératrice, la fameuse Marie-Thérèse, augmentant sa rente, lui octroie même un appartement à la cour où, sans être un musicien officiel astreint à un service, il vit en musicien indépendant, théorbiste, gambiste et professeur, un luxe rare à l’époque.
Cependant, fait étrange mais qui témoigne sans doute de sa foi, bien que père de famille nombreuse, Tůma prononce ses vœux religieux au monastère des Prémontrés de Geras en 1768, où il se retire, y retrouvant nombre de ses anciens élèves.
Nous rendons grâce à ce disque qui rend hommage à ce musicien dont la musique vocale d’église, même dans la tradition italienne, dans les feux crépusculaires du baroque, ne manquera pas d’influer sur les proches Haydn et Mozart. Nous le quittons avec ce vertigineux et extatique Amen du même motet Per ogni tempo :
4) PLAGE 14
ÉMISSION N°717 DE BENITO PELEGRÍN
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