Sonne, sonne, cor de
postillon !
Es ruft das Posthorn !
La musique des missives au temps de la poste à cheval
Par Alice Julien-Laferrière et l’Ensemble Artifices
Éditions Seulétoile
Qui ne peste contre la poste ? Aujourd’hui en déshérence, ce service autrefois public, avec la fermeture des petits bureaux de proximité, ne garde désormais de public que celui qui s’allonge à la porte des grands bureaux non fermés et de leurs guichets réduits : les files, les queues aggravées par les contraintes et distances sanitaires. Dans ce monde du rendement économique chiffré, on nous explique que la Poste n’est plus rentable, que le courrier par lettres s’est raréfié avec la pratique de la communication par internet, mails, courriels, textos par téléphone. Ainsi, nous voyons de moins en moins la silhouette autrefois familière du facteur, sac au dos, figure amicale, sauf pour des chiens méfiants de la grosse sacoche, attendu sur le pas de la porte pour un brin de causette par des grands-mères isolées, selon la tournée, à pied, à bicyclette, en fourgonnette jaune canari. Autrefois journalière, la distribution de courrier est officiellement réduite à tous les deux jours aujourd’hui et nos boîtes à lettres se remplissent surtout de publicités parasites et meurtrières de la nature par tant de papier arraché aux arbres et volant chez nous au vent de déchets pollueurs des rues et de la mer.
Ce sont les premières réflexions que m’inspire cet élégant coffret noir en forme de lettre, orné de trois postillons dorés, des toujours originales Éditions Seulétoile animées par la violoniste baroque Alice Julien-Laferrière et son Ensemble Artifices, consacré au cor de postillon. Il n’existe plus et l’on a dû reconstituer ce petit cor enroulé, dont la percutante sonnerie annonçait l’arrivée du porteur de courrier, ancêtre de la poste, qui se frayait ainsi un passage au galop pour arriver et délivrer sa missive.
C’est un CD accompagné de cartes documentaires anciennes, de fort belles illustrations, d’un poster de la carte de 1711 du réseau postal du Saint-Empire romain germaniques et de ses provinces, de deux marques-pages avec deux lignes de portée musicale d’époque, la Diligence de Louis de Caix d’Hervelois et le Courrier, de Michel Corrette, titres, termes assortis au verso d’une pédagogique définition selon la tradition intelligente de Seulétoile qui s’adresse aux enfants sans infantilisme bêtifiant. Les cartes, en carton, reproductions de tableaux et gravures des XVII et XVIIIe siècles pour faire imaginer la poste du temps, sont si belles qu’en les encadrant, on pourrait en faire de jolis tableautins mais, on perdrait alors les textes explicatifs au verso, en français et allemand, avec renvoi vers les pistes, les plages du CD. Il y a même une lettre, apocryphe, bien sûr, de Jean-Sébastien Bach à l’Ensemble Artifices pour le féliciter de ce travail, à laquelle je me joins plus modestement en signant et contresignant ouvertement cette illustre missive pour louer ce patient travail de recherche pour ce magnifique résultat.
C’est près d’une heure de musique autour de celles inspirées par ce pittoresque cor de postillon, instrument annonciateur de ce facteur à cheval à l’échelle d’un pays, dont l’appel urgent lui ouvrait même les portes des villes. Sa sonnerie de deux notes était si caractéristique sur les routes d’Europe, qu’on la retrouve chez nombre de musiciens et pas des moindres : Bach, Beer, Duval, Keiser, Telemann, Veracini, Vivaldi, une cantate de Johann Samuel Endler, chantée ici par Romain Bockler, et même un extrait des Chansons de mon village du dessinateur Jacques Nam (1881-1974) que l’on découvre ici compositeur.
Écoutez l’explicite Courrier de Michel Corrette avec ses notes reconnaissables sib deux fois :
1) PLAGE 1
Le coffret/lettre offre, comme un jeu, dix-sept pièces numérotées avec un ordre de lecture pour ne pas s’y perdre. Cela peut paraître un peu ardu pour de trop jeunes enfants, mais les parents seront là pour les aider, encore que je pense que ce sont plutôt les enfants de notre époque, qui naissent avec internet et autres casse-têtes, qui peuvent souvent aider les parents dans des domaines qui échappent encore trop aux aînés. Des liens vers des vidéos ouvrent vers un concert spectacle monté par les musiciens du Cd avec en prime un clown joueur de ce cor qui réjouira petits et grands.
C’est par ailleurs un instructif parcours de l’histoire de la poste aux XVIIe et XVIIIe siècles à partir des postillons à cheval qui changeaient de monture, en prenant une fraîche dans les relais dits de poste, d’où ils tirent leur nom. On en remonterait l’origine aux Mongols de Gengis Khan, qui serait le premier à organiser sur une très longue distance des relais de poste pour ce peuple de cavaliers des steppes qui occupaient toute l'Asie centrale jusqu’à la Russie.
Échelle des distances
Pour donner une échelle des voyages autrefois, que j’ai étudiés, dont nous n’avons plus idée aujourd’hui, je signale que la nouvelle de la mort du roi Philippe IV d’Espagne, surnommé Le Roi-Planète pour l’immensité de son empire, qui eut lieu en septembre 1665, n'arriva au Mexique qu’en mai de l’année suivante, près de huit mois après. Le galion espagnol du courrier qui partait d’Acapulco une fois par an, pour arriver à Manille aux Philippines, autre colonie espagnole, mettait près d’une année à traverser le Pacifique, quand il arrivait malgré les tempêtes et la piraterie. Et que dire du fameux « Camino indio », ‘Chemin indien’ des Incas ? Quelque 6000 km du nord au sud de leur empire, une route pavée que les messagers parcouraient à pied, à la course, le cheval y était inconnu avant l’arrivée es Espagnols, par étapes d’un jour. Je signale encore que la première ambassade de Chine vers la Russie, en 1687, mit trois ans pour parcourir la distance Pékin-Moscou…
Voilà donc de quoi situer l’échelle des courriers de nos postillons à cheval de notre petite Europe, ce qui n’était pas forcément non plus un mince exploit sans danger sur des routes infestées de brigands et il pouvait s’annoncer aussi joyeusement au son de son cor, comme ici chez Bach :
2) PLAGE 9
Voici de Reinhard Keiser, La poste impériale de la paix, qu’on voudrait au présent en ce terrible temps de guerre, mais qui est l’annonce de celle, déjà européenne, de 1715, chantée par Romain Bockler :
3) PLAGE 15
Et nous quittons cette belle réalisation sur Le Postillon de 1921 de Jac Nam, par le même baryton :
4) PLAGE 22
ÉMISSION N° 594 DE BENITO PELEGRÍN
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