PASSION
Lully, Charpentier, Desmarets
Par Véronique Gens, soprano, direction Louis-Noël Bestion de Camboulas, Ensemble les Surprises, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles,
un CD label Alpha classic
Présenter ce disque de Véronique Gens, c’est sans doute voler au secours de la victoire tant il a été unanimement célébré. Mais ce serait aussi voler une information aux auditeurs de RCF ou lecteurs de La Revue marseillaise du théâtre qui n’en auraient pas eu connaissance si je n’en parlais pas parce qu’on en a trop parlé.
Véronique Gens, partie du chant baroque, devenue aujourd’hui une interprète de Mozart des plus prisées sur les scènes internationales les plus prestigieuses, se donnant le luxe d’une incursion chez Wagner, avec à son actif plus de 70 enregistrements, dont de nombreux ont été récompensés par des prix internationaux, revient, avec ce CD, à la musique baroque : elle la sert avec une voix puissante et légère à la fois, au timbre fruité, aux riches couleurs. Ici, en l’occurrence c’est l’opéra français baroque, dominé ou même écrasé au XVIIe siècle par le tyrannique Lully, qui figure avec des extraits de six de ses œuvres, mais on est heureux d’y trouver Charpentier, Desmarets et même un inédit, Pascal Collasse (1649-1709), tiré d’un injuste oubli. Centré sur de fortes héroïnes que la soprano incarne avec une passion qui justifie bien le titre du disque et le sens dramatique qu’on lui connaît et reconnaît sur scène.
Elle prend donc les rôles de ces chanteuses que, nous rappelle dans son intéressante préface historique Benoît Dratwicki du Centre de Musique baroque de Versailles, on appelait alors « premières actrices ». J'y vois la parlante étiquette version française du « prima la parola, dopo la musica », ‘d’abord la parole, ensuite la musique’, qui était l’esthétique de Monteverdi et du premier baroque Italien, qui voulait rendre le texte dramatique intelligible ; le baroque ultérieur inversera la hiérarchie en donnant le primat à la virtuosité vocale au détriment du texte. Le préfacier nous apprend que ces rôles dit de « grande représentation » étaient aussi nommés « à baguette », référence non à celle du chef, qui n’existait pas alors, mais à l’attribut accordé à ces fortes femmes, sceptre de reine ou baguette de magicienne, ou canne de femme âgée, encore que je n’en voie guère dans ces opéras héroïques à machines. Mais je pense personnellement que « première actrice » répond à la hiérarchie théâtrale générale du premier ou second rôle féminin, de première ou seconde dame, en somme, en italien « Prima donna » ou, encore chez Mozart, premier ou second soprano, selon, naturellement, l’importance du rôle, sa puissance vocale et sa couleur. En France, c’était aussi le « Grand dessus ».
Ce sont naturellement ces héroïnes grandioses qui font la chair vocale à laquelle Véronique Gens prête la sienne, ici, à rien moins que Junon, céleste épouse de Jupiter. À l’issue de la Guerre de Troie, l’ombre vengeresse d’Achille demande aux Grecs d’immoler sur son tombeau Polyxène la fille de Priam, amoureuse de lui, qui sera égorgée. Ce qu’on appelle le mariage de Polyxène. L’Andromaque de Racine mentionne ce sacrifice en évoquant la nuit horrible de la prise de Troie. C’est un extrait, inédit d’Achille et Polyxène, opéra inachevé de Lully qui mourut de la gangrène du coup qu’il se donna au pied en battant la mesure, non avec une inoffensive baguette, mais un bâton énorme, et qui fut achevé par son élève Pascal Collasse (1649-1709), dont voici un extrait :
1) PLAGE 3
Ce qui manque dans ce beau CD, c’est des éclairages sur ces œuvres et, surtout, sur ces héroïnes tragiques qui en sont la matière et restent des inconnues pour un public ignorant la mythologie et les personnages issus de la vogue des romans de chevalerie comme Amadis ou de l’épopée du Tasse. C’est d’autant plus dommage que le disque, composé d’extraits des opéras, Amadis, Proserpine, Atys, Persée, Alceste, Le Triomphe de l’Amour de Lully, d’Achille et Polyxène de Collasse, de Circé, de Desmarets, Médée de Charpentier, le CD donc est lui-même proposé comme un opéra en cinq actes, successivement titrés I. l’Appel des Enfers ; II. Malheureuse mère ; III. Cruel Amour ; IV. Tranquille sommeil funeste mort ; V. Médée furieuse. Si l’acte II. Cruel amour peut chapeauter inévitablement tous les autres, le connaisseur de ces héroïnes tragiques voit bien que Médée, à laquelle est consacré le cinquième acte, peut aussi figurer comme magicienne dans le premier des Enfers et, même, comme matricide, au second, de Malheureuse mère… Dans celui-ci on ne comprendrait rien aux lamentations de Cérès (Déméter des Grecs) si l’on ne savait que sa fille, Proserpine (Perséphone des Grecs), lui a été enlevée par Pluton (Hadès pour les Grecs), dieu des Enfers, qui en fait sa reine. Pour venger le rapt de sa fille, Cérès, déesse de la fertilité et des moissons, désole la terre, mais on concédera à son désespoir et au bonheur du monde, de lui rendre sa fille tous les six mois, ce qui fait que le retour sur terre de Proserpine en fait la déesse du printemps, de six mois de beau temps, et sa mère, apaisée, est celle du reste de l’année.
Mais nous écoutons un extrait de l’opéra de Charpentier sur la terrible Médée, magicienne, dont la Criée nous offrait, il y a peu, la pièce originale de Sénèque. Elle a aidé Jason à conquérir la Toison d’Or avec les Argonautes, découpant même son frère en morceaux pour en assurer la fuite en lançant des morceaux que les poursuivants, par piété, recueillent un à un pour lui assurer une sépulture. Trahie par Jason, elle tue la rivale en lui offrant une tunique de feu puis égorge ses propres enfants pour le punir dans ce qu’il a de plus cher :
2) PLAGE 19
On aime le sens du théâtre éminemment baroque de Louis-Noël Bestion de Camboulas à la tête de son Ensemble les Surprises, auquel les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles apportent un concours très expressif pour les passages choraux. Avec des plages instrumentales, parenthèses très réussies, c’est le somptueux décor musical qu’il déploie pour la voix et de Dominique Gens. Nous les quittons avec un extrait du célèbre monologue de l’Armide de Lully, la magicienne de la Jérusalem délivrée du Tasse, dont l’Opéra de Marseille vient de nous présenter la version de Rossini. Armide veut tuer Renaud endormi mais l’amour l’en empêche :
3) PLAGE 13
PASSION
Lully, Charpentier, Desmarets
Par Véronique Gens, soprano, direction Louis-Noël Bestion de Camboulas, Ensemble les Surprises, Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, un CD label Alpha classic
RCF ÉMISSION N°571 DE BENITO PELEGRÍN,
Semaine 45
Extrait Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=VpLn6-QXtkw
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