Johann Sebastian Bach : Flauto accompagnato
Patrick Beuckels, Ensemble Café Miry, Élisabeth Joyé,
éditions Hortus
Mirifique comme un rêve de café, de bar, à bras ouverts non rideau baissé, qui semble d’autrefois alors qu’ils ne datent que d’hier…Le café, boisson et établissement venus du Moyen-Orient, d’abord importé en Serbie en 1522, à Belgrade, pour les soldats du Sultan Soliman le Magnifique après la prise de la ville, le café, un immigré infiltré ensuite à Venise, filtré à Vienne puis essaimant dans toute une Europe qui le croira né sur place tant il a fait la sienne dans les grandes capitales puis dans toutes les villes où il détrône cabaret et taverne, estaminet ou gargote comme salon public mais intime, lieu de sociabilité, de rencontre, de contacts et de conversation sur une table ou au bord du zinc. Je parle, bien sûr, des cafés d’autrefois, non des bars et restaurants d’aujourd’hui ou naguère où le volume de la sono est tel qu’il décourage la parole ou épargne de se mettre en frais de dialogue même avec sa toute proche voisine. Je parle d’un rêve de café où, justement, le brouhaha s’apaise, le silence se fait enfin pour écouter le programme musical gracieusement et généreusement offert par un génial musicien : le Café Zimmerman de Leipzig où Bach vient servir ses concerts.
En effet, de 1723 à sa mort en 1750, Bach assure à Leipzig le poste de Thomaskantor et de Director Musices, c’est-à-dire de responsable de l'organisation musicale des deux églises principales de la ville, par ailleurs enseignant la musique à Saint-Thomas, où il est le kantor, popularisé par le surnom de cantor de Saint-Thomas. Tâche écrasante : à chaque dimanche en l’église suffit sa peine en productions diverses pour accompagner le culte, ses diverses célébrations, ses fêtes. Mais, d’autre part, il organise des concerts gratuits, donnés avec les meilleurs de ses élèves, très courus, au Café Zimmermann. Au menu, ne tirant pas la couverture musicale à soi, non seulement de ses œuvres, mais certaines de ses fils, d’autres musiciens allemands ou d’ailleurs, dont Vivaldi, faisant connaître la musique de son temps à un public ravi. La Café Zimmermann est devenu un mythe pour les musiciens et un ensemble baroque, fondé en 1998 par Pablo Valetti et Céline Frisch en a pris le nom et l’a popularisé.
L'ensemble bien nommé, Café Miry (Elisabeth Joyé, clavecin, Romina Lischka, viole de gambe, Dirk Vandaele, violon, Toshiyuki Shibata, traverso, Patrick Beuckels, traverso et direction) belge mais à éventail international d’une musique sans frontière, sa phalange intégrant une violiste autrichienne, un flûtiste japonais, une claveciniste française, rêvant de ce café Zimmermann en 1738 l’ont recréé à Gand et nous font rêver, en le partageant avec nous avec ce disque, après avoir charmé l’auditoire du café, dans un enregistrement public où l’on entendrait voler une mouche sans perturber les vols et volutes de la flûte et du violon volant, oiseau ailé à l’aise dans l’air qui semble libre du Café Miry, dans l’adéquation exacte du volume instrumental au lieu et des instruments entre eux.
Dans l’article précédent, trois CD sur Bach, voir ci-dessous, (Odile Edouard, violon, et Freddy Eichelberger, orgues - Trios pour clavier et violon - Œuvres de Johan Sebastian Bach - Edition L'Encelade) je parlais de la nécessaire adaptation des volumes sonores entre la puissance de l’orgue et un instrument concertant avec lui, en l’occurrence le violon, qui parfois peut éclipser par son éclat l’effervescent ferraillement d’argent du clavecin. Ce disque du Café Miry donne une bonne image sonore comparative d’une autre dimension, intime, de la musique de Bach, de ce clavecin confidentiel mais jamais étouffé, qui converse concertant en volume égal, délicatement, avec une délicieuse flûte murmurante, un volubile violon aérien, sur la chaleur ombreuse de la viole de gambe.
Cinq pièces, de Bach exclusivement, composent ce programme bien organisé : d’abord la Sonate en mi mineur BWV 1034 pour flûte et basse continue, la Sonate en trio en Sol Majeur BWV 1039 pour deux flûtes et basse continue, la Toccata de la Partita n°6 pour clavecin en mi mineur BWV 830, comme articulation soliste, axe de la symétrie du concert qui se replie et ferme sur deux autres sonates, la Sonate en trio en sol Majeur pour flûte, violon et basse continue BWV 1038 et la Sonate en si Mineur pour flûte et clavecin obligé BWV 1030. Les sonates sont parfaitement symétriques avec leurs quatre mouvements, alternant les temps vifs, allègres, toniques, et des largos alanguis, rêveurs, nostalgiques.
Dans la première, on s’égaie, des piquantes et impertinentes ponctuations de la flûte sur les affirmations catégoriques du clavecin dans la vaporeuse brume de la viole de gambe, mais chaque sonate, chaque mouvement renouvelle ces bonheurs d’écoute, ces surprises baroques semées ou en embuscades auditives au détour de la ligne du chemin. On a plaisir à la course, la riante rivalité des deux flûtes entre autres, les instruments se poursuivent, se rattrapent, jouent de conserve, jouent à se concerter et déconcerter, se glissant dans les interstices respectifs de silence, chacun sa voix, chacun sa voie, et tous pour ce bonheur de converser, pour le nôtre. Il y a une légère ivresse, une griserie à suivre ligne zigzagante, capricante de la flûte, ruisselet doré sur le clair ruisseau d’argent du clavecin, crêtée de la ligne volante du violon.
Comme une soudaine paix entre les jeux singuliers et pluriels des instruments pour la première place, la Toccata de la Partita n° 6 pour clavecin en mi mineur BWV 830, par Elisabeth Joyé, est une claire page, une rayonnante plage de fraîcheur, avec son halo irisé, fine poussière lumineuse harmonique au-dessus d’un ruisseau, ou du ruissellement d’une lumineuse cascade traversée d’un rayon de soleil.
Comme on dégusterait non une lavasse dénaturée par la latitude mais un vrai café stretto 100% Arabica, c’est un Bach pur, bien servi, service compris, on en reprendrait une tournée sans craindre l’insomnie. En somme (non addition) un disque émouvant comme un café, un bar, un lieu de rencontre chaleureux, collectif et amical qui ne connaîtrait pas les affres solitaires du confinement.
Ensemble Café Miry, Flauto Accompagnato. Johann Sebastian Bach (1685-1750) 1 CD Éditions Hortus : Sonate pour flûte traversière et basse continue en mi mineur BWV 1034 ; Sonates en trio en sol majeur BWV 1039 et BWV 1038 ; Sonate pour flûte et clavecin en si mineur BWV 1030 ; Toccata de la Partita n° 6 pour clavecin en mi mineur BWV 830.
Ensemble Café Miry : Elisabeth Joyé, clavecin, Romina Lischka, viole de gambe, Dirk Vandaele, violon, Toshiyuki Shibata, traverso, Patrick Beuckels, traverso et direction.
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