Grands motets de Noël
LES FESTES D’ORPHÉE
Beau CD offert par l’ensemble aixois les Festes d’Orphée, qui poursuit inlassablement son travail de
recherche et de résurrection de la musique baroque provençale, dont voici le
volume III de la série « Un noël en Provence », plus précisément Grands
motets de Noël. On trouve à côté
du grand compositeur aixois André Campra
(1660-1744) bien connu, apprécié même à Versailles, deux musiciens
comtadins, des voisins et des contemporains, inconnus ou méconnus, mais à
connaître, Auphand et Dupertuys.
LES FESTES D’ORPHÉE
On ne se lasse pas de répéter que, depuis 1986, Guy Laurent a fondé et anime cet ensemble et se voue corps et âme à la redécouverte du patrimoine musical de la Provence baroque. Grâce à lui, plus de soixante et dix œuvres ont été, plus qu’exhumées rendues à la vie, de compositeurs oubliés, les Aixois Estienne, Pelegrin, Poitevin, etc, les Marseillais Audiffren, Belissen, Desmazures, Gautier, etc. Une dizaine de disques fixent à ce jour ces résurrections patrimoniales précieuses. Des conférences et des actions pédagogiques éclairent ces œuvres, analysées et ensuite rendues à la vérité du concert : l’action pédagogique précède la recréation artistique.
GUY LAURENT ET PARTIE DE SON ÉQUIPE |
Il faut le marteler encore car, à l’écoute cela n’apparaît bien sûr
pas, on s’habitue à la paresse d’une audition confortable et on l’oublie
l’énorme travail de recherche en amont, en bibliothèque, et d’étude
musicologique puis interprétative de tous ces compositeurs provençaux que mène
Guy Laurent qui les ramène à la lumière et à l’écoute pour un public
d’aujourd’hui.
On en donnera un premier exemple délicieux tiré de ce dernier disque
qui nous ramène un peu en arrière, à Noël, mais à un Noël très ancien et
pourtant redevenu d’aujourd’hui. C’est le « Retour des bergers »
extrait de la Nativité de Jésus-Christ, Noël de Campra. C’est touchant de proximité affective.
J’en suis encore à rappeler que, si Campra est loin d’être un
inconnu, bien de ses compositions le sont encore et dorment dans les archives des
bibliothèques et l’on doit à Guy Laurent de les avoir éveillées à une nouvelle
vie. Comme toutes celles des compositeurs précédemment cités, qui attendaient
que la baguette d’un bonne fée, disons d’un chef d’orchestre curieux, vienne
les réveiller, viennent amoureusement donner vie aujourd’hui à ces musiques
d’hier qui, malgré ce long sommeil, n’ont pas vieilli, et cette interprétation,
tintinnabulante de clochettes, leur conserve respectueusement une pâte, une
patine, une couleur rustique savoureuse.
On a donc plaisir à ces Noëls dont on aurait tort d’imaginer qu’ils
sont fixés dans une religiosité confite en dévotion, oublieuse du monde. La
pratique musicale de l’époque baroque prend son bien où elle le trouve.
Aujourd’hui, la religion s’est tellement éloignée de la pratique qu’on a
sacralisé justement, si je puis dire, à l’excès, le sacré lui-même : il y
a une paradoxale distance entre le croyant et une croyance dont il a perdu la
familiarité, le contact étroit. Silence, gravité, solennité même, par le manque
de cette intimité avec la religion, ont éloigné le dévot d’une dévotion
autrefois vivante, bruyante, proche en somme. Les cathédrales servaient de
marché par temps de pluie et même les prostituées officiaient sous leurs
arcades ombreuses. Pour la musique, aux époques de grande religiosité, il n’y
avait pas de hiatus entre le profane et le sacré : il suffisait de passer
le seuil d’une église pour qu’un « timbre, » un air connu de tous,
pour qu’une chanson à la mode, devienne, dans l’église, reprise puis variée,
avec des paroles adaptées, un chant religieux écouté ou entonné avec d’autant
plus de ferveur qu’il était aimé de tous : le motet, ce sont d’autre mots
sur une même musique. Évidemment, on connaît le célèbre Lamento d’Ariane de Monteverdi devenu celui de la Vierge en passant de
la scène profane à la religieuse.
La musique religieuse, même savante, gardait aussi sa saveur
populaire, et sa popularité. C’est ce que nous rappelle aussi ce CD des Festes
d’Orphée, sur les Noëls baroques provençaux.
Du compositeur Auphand,
on sait peu de chose sinon qu’il était chanoine de Saint-Siffrein, à
Carpentras, au XVIII e siècle. On recommande, de son Noël, un
passage un latin, un récit pour basse : « De torrente in via bibet,
propterea exaltabit caput » : ‘Il boira l’eau du torrent, et c’est
pour cela qu’il élèvera la tête’. On appréciera encore la simplicité bonhomme,
dansante de cette musique qui pourrait convenir aussi à l’extérieur de
l’église.
Ce n’est pas sans une
émotion souriante, un attendrissement, que l’on écoute, surgis du fond du temps
et de l’oubli grâce aux Festes d’Orphée, ces musiciens modestes dans l’histoire
de la musique souvent injuste. Pour la plupart, ils étaient à la tête de
maîtrises dans les cathédrales de
notre sud de la France, c’est-à-dire qu’ils occupaient l’emploi non négligeable
de maîtres de chapelle, en somme, directeurs de la musique. Avec obligation de
créer en permanence de la musique pour les offices et les musiciens de la
chapelle. On garde longtemps dans l’oreille des passages du Noël de Dupertuys dont on sait simplement qu’il fut « Maître de
musique de la métropole d’Avignon ». C’est un magnificat à la fois
grandiose et simple : populaire comme il convient.
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