Belle moisson
printanière de disques ! D’abord,
Mélodies de
Francis Poulenc « du côté
d'Apollinaire » par David Lefort, ténor,
Philippe
Guilhon-Herbert piano, un disque SAPHIR
productions.
Judicieuse réédition
ou tirage nouveau de ce disque de 2004 en cette année où l’on commémore le
cinquantième anniversaire de la mort de Francis Poulenc (1899-1963). Compositeur et pianiste, Poulenc est
auteur de près de deux cents mélodies ou chansons, accompagnées pour la plupart
au piano. Lui-même écrivait
ceci :
« Si l’on mettait
sur ma tombe : ‘‘ci-gît Francis Poulenc, le musicien d’Apollinaire et
d’Éluard’’, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire. »
Excessive affirmation
sans doute si l’on considère l’abondance et la qualité de sa production
instrumentale, son opéra mondialement célébré Le Dialogue des carmélites, sa lyrique Voix humaine sur un texte de Cocteau, mais vraie sans doute par
son évidente passion pour la poésie avec ces deux références, Apollinaire, dont
il mettra en musique Les mamelles de Tirésias, un opéra-bouffe (sous-titré par le poète
« drame surréaliste »), et une cantate sur des poèmes d’Éluard :
en somme, un poète qui illustre une première modernité surréaliste pendant la
Première Guerre mondiale jusqu’à celui qui en sera une incarnation à l’orée de
la Seconde.
Néanmoins, le choix de
ce disque se place « du côté d’Apollinaire » qui se taille la part du
lion avec quatorze poèmes mis en musique sur trente-deux mélodies retenues par
le CD, pratiquement la moitié. Mais l’on y trouve aussi Max Jacob avec deux
poèmes (Parisiana), un brévissime texte
de Raymond Radiguet, le tout jeune auteur du scandaleux Diable au
corps, un Portrait en prose de Colette, le Dernier poème de Robert Desnos, d’autres de Maurice Carême, pour
finir six poèmes de Ronsard. Bel éventail poétique et musical dont nous
signalons, en particulier, l’émouvant poème Bleuet d’Apollinaire. Le poète est au front pendant la
Grande guerre, sans doute dans une tranchée où il recevra une blessure à la
tête en 1916 et, affaibli, il mourra pratiquement deux jours de l’Armistice du
11 novembre 1918. Loin de s’attendrir sur lui, il s’adresse, dans une rêverie
mélancolique, à ce « jeune homme de vingt ans/ Qui a[s] vu des choses
affreuses », qui ne sait « pas ce que c’est que la vie », qui
connaît « mieux la mort que la vie ».
Bouleversante interprétation faite de simplicité du
ténor David Lefort, accompagné au piano par Philippe Guilhon-Herbert. Cette voix qui sonne si jeune, au timbre clair et doux, se plie
sensiblement au texte d’Apollinaire et à la musique de Poulenc. Venu
tardivement au chant, le ténor David Lefort a justement remporté en 2001 le Prix Francis
Poulenc au Concours Le Triptyque, s’étant mérité par ailleurs une mention
spéciale en 2002 au concours Pierre Bernac, grand mélodiste français qui reste
un modèle. On apprécie la clarté, l’intelligibilité de la diction, qui ne
se démentiront pas tout au long de ces trente-deux mélodies.
Avec le lieu commun
usé de « style français », pour ce qui est de la mélodie française,
on a l’habitude d’interprétations salonardes, précieuses et affétées, d’une
vocalité affectée confinant à la fadeur. On ne dira pas que David Lefort y échappe complètement ne serait-ce qu’avec ces r
roulés et ces e muets un peu trop audibles qui donnent quelque chose de désuet,
une patine d’époque, de Belle époque révolue en arrière-plan de son
interprétation. Pourquoi pas ?, puisque, justement, le clin d’œil du
titre, « du côté d’Apollinaire » renvoie aux « Du côté de chez
Swann » et « Du côté des Guermantes » du contemporain Proust de À
la recherche du temps perdu. Cependant, s’il n’est pas toujours
celui qu’on a l’habitude d’entendre dans ce répertoire aux trop nombreuses
références, le ténor, tout en évitant évanescences et déliquescences, crée un
climat bien personnel fait de fraîcheur, d’une certaine naïveté touchante qui
le sauve des maniérismes agaçants, glacés de ce « bon goût » qui
serait prétendument l’apanage de la France, mais qui réduirait alors sa musique
à un provincialisme à l’échelle mondiale, contredisant son universalité. Au
contraire, la couleur du timbre, élégiaque souvent, la douceur de ses attaques,
la palette pastellisée de ses nombreuses nuances, demi-teintes, voix mixte,
sans appui excessif —au risque parfois d’un certain sentiment d’instabilité
vocale— prêtent à l’ensemble une vraie cohérence et une personnalité
attachante. Le piano de Philippe Guilhon-Herbert a l’amicale complicité de ne pas rivaliser de présence avec le ténor
au risque, lui, de sembler au second plan parfois. Cependant encore, il y a une
jolie connivence et cohérence de niveau qui fait que le disque tire son charme
d’une certaine fragilité qui sied bien à la poésie en musique ici servie.
Le second disque, THE
CHIVERS COLLECTION, Masterpieces
for guitar, chefs-d’œuvrs pour la guitare,
a une triple originalité : il met en parallèle deux grands compositeurs du
XXe siècle, le Catalan Federico Mompou (1893-1987), connu surtout tour son œuvre pianistique, le
Britannique Benjamin Britten (1913-1976), honorant de leur musique un instrument insolite dans leur
œuvre : la guitare. Dans ce CD, ils font trio de haut niveau avec Manuel
Ponce le Mexicain (1882-1948) et, à leur service, le guitariste classique
virtuose et producteur Dana Chivers.
Conseillant ce beau disque, on invitera à une écoute attentive
« Cuna », tiré de la Suite compostelana de Mompou
composée en 1962, douce berceuse d’un ascétisme musical minimaliste, une
note et un écho arpégé, que Chivers produit avec un simplicité monacale.
Beau parcours de Dana
Chivers, Californien universel : étudiant en Espagne la guitare auprès des
meilleurs maîtres, se perfectionnant en France auprès de la grande Nadia
Boulanger, plié à tous les styles de musique, de la baroque (Monteverdi) à la contemporaine
(Penderecki et Boulez), il est désormais établi près d’Aix d’où il rayonne par
ses concerts auxquels s’intègre souvent son fils David, violoniste virtuose,
formant le Duo Chivers. Ils ont signé
trois disques originaux encore, révélant des musiques et des compositeurs
inconnus ou mal connus. Ici, c’est la surprise du magnifique Nocturnal op.
70 (1962) de Britten, toujours
poétique, qu’on n’attendait pas dans cet instrument si marqué par l’Espagne.
Les deux composteurs
hispaniques, Mompou et Ponce, ont en facteur commun leur travail avec
l’illustre guitariste Andrés Segovia (1893-1987), à qui l’on doit le renouveau de la guitare classique au XXe
siècle. Il est le commanditaire et le conseiller de Ponce pour ces 21 Variations sur la Folie d’Espagne,
thème fameux pendant les XVII e et XVIIIe siècle qui
revit ici sous les doigts délicats et puissants de Dana Chivers.
Un reproche, les
plages du disques ont une numérotation par œuvre et non continue, ce qui ne
facilite pas la réécoute.
Rappelons d'autres disques de Chivers, l'un en soliste, l'autre, avec son fils David :
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