LE DERNIER SORCIER
Musique de Pauline Viardot,
livret d’Ivan Tourgueniev
Pourrières, 19 juillet
L’OpérA/uvillage
Tous comptes faits, c’est pratiquement un conte de fées concret que, sans baguette magique autre que le travail, l’enthousiasme et l’imagination, il faut mettre à l’actif de la sympathique équipe de L’Opéra au Village, un groupe de villageois de Pourrières qui, depuis quelques années a fondé ce petit festival qui, désormais, implanté dans l’adorable couvent des Minimes, semble y avoir pris ses racines et dont on salue encore la féconde floraison.
Un dynamique trio, Jacques Hercelin, Ingrid Brunstein, Suzy Delenne, un responsable artistique, Jean de Gaspary, peintre et maître des lieux, un directeur musical, Luc Coadou, et un metteur en scène directeur artistique, Bernard Grimonet, donnent la cohérence à des programmations originales, subtilement adaptées de grandes partitions (comme Djamileh de Bizet l’an dernier) ou intelligemment adoptées en fonction du lieu comme ce Dernier sorcier aux prestigieuses signatures. Les chanteurs sont sélectionnés à Pourrières et au Cnipal (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques) de Marseille, par un jury de professionnel, ce qui en explique la qualité, et les choristes sont recrutés avec le même soin dans la région. Les costumes s’y font aussi sur place. Mais ce noyau initial et initié a su faire graviter autour de lui, avec le même enthousiasme rayonnant, des villageois qui, sous les marronniers, le long des remparts du couvent, préparent, en prélude au spectacle, un convivial repas en rapport avec le sujet, arrosé des crus du cru offerts par les vignerons locaux. L’OpérA/uvillage, c’est donc aussi cette atmosphère amicale et festive autour d’une œuvre montée sans trop de prétention mais avec une belle ambition : la rareté. En effet, en France, une seule représentation de cette opérette depuis 1890… Elle est donnée ici en célébration du centenaire de la mort de Pauline García, épouse Viardot (1821-1910.
Pauline Viardot
Magnifique destin de cette femme, sœur puînée de la Malibran trop tôt disparue, digne héritière de son talent et de sa technique, inculquée férocement par leur grand et tyrannique père Manuel, chanteur compositeur, dont on commence en Espagne à redécouvrir l’œuvre, interprète de prédilection de Rossini, et même collaborateur du Barbier de Séville dont il créa l’Almaviva. Contralto aux aigus faciles, elle devient vite célèbre dans l'Europe entière, créant nombre d’œuvres de grands compositeurs de son temps qu’elle inspire (Meyerber, Berlioz, Gounod, Brahms, Saint-Saëns…), mais gardant jalousement la virtuosité espagnole héritée du baroque et des castrats par son père, en déclin face aux assauts du romantisme tardif, du wagnérisme puis du vérisme balbutiant. Pianiste et compositrice tout aussi talentueuse, élève et amie de Liszt, de Chopin, de Sand qui s’en inspire pour son roman Consuelo, polyglotte et cultivée, muse et égérie, elle épouse le directeur du Théâtres des Italiens, Louis Viardot. Il est plus âgé, hispaniste et traducteur remarquable de Cervantès, belle image de père, et sera aussi l’introducteur de la littérature russe en France, traduisant Gogol et Pouchkine, aidé de Tourgueniev connu lors d’une tournée de Pauline en Russie. Le Russe s’attachera jusqu’à sa mort aux pas de la cantatrice jusqu’à habiter le pavillon de sa maison de Bougival. C’est à Baden-Baden où le couple républicain fuyant la dictature de Napoléon III, escorté de l’écrivain russe, que sera créé cette opérette, dans la demeure Viardot devenue un haut lieu musical européen visité même par les monarques.
L’Œuvre
Le Dernier sorcier, pour bien le situer, est une pochade fantaisiste et familiale, qui ne vaut guère par le livret naïf pour les enfants Viardot, premiers interprètes, mais qui contient des pages musicales remarquables, notamment des chœurs d’une polyphonie assez complexes, non exemptes de clins d’œil à d’autres compositeurs. L'œuvre eut assez de succès. Seule la guerre de 1870 entre la Prusse et la France interrompit une belle carrière. Oublié en France depuis 1889, en Russie, par contre, Le Dernier Sorcier demeure au répertoire de troupes locales et l’on aimerait savoir si c’est en langue russe, puisque Tourgueniev, comme la plupart de aristocrates et personnes cultivées de son temps en Russie, s’exprimait et écrivait aussi en français. Ni le livret ni la partition n’étant accessibles en France, il faut porter au crédit de l’équipe artistique d’avoir mené une véritable enquête en quête de l’orchestration originale de Pauline Viardot, ensuite orchestrée par Edouard Lassen pour la représentation à la cour de Weimar sous la direction de rien moins que de Liszt. C’est finalement à New York, à l’Université de Harvard et à l’Université de Calgary, au Canada, qu’elle a déniché respectivement le livret et la partition, une orchestration pour six musiciens, réalisée par le Professeur Zékulin, spécialiste de l’ouvrage.
On ne s’attardera pas sur ce livret enfantin, les tribulations de l’acariâtre Krakamiche, sorcier en deshérence ou dégénérescence qu’on dirait génétique comme les vieilles dynasties régnantes alors en Europe, flanqué du fainéant farfadesque et farfelu Perlinpinpin, son valet avili, car son gigantisme ancien est aussi perdu qu’éperdu le vieux magicien aux pouvoirs en perdition dans une forêt habitée par des elfes, ou plutôt des elfettes coquettes et coquines, des fées qui lui feront sa fête, se payant la tête du vieux bougon prétentieux. Ajoutons Stella, la fille du sorcier et Lélio, un jeune prince en amoureux, aux amours contrariées par le fâcheux, dans une ambiance qui n’oublie pas le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, ni, en musique, la version de Mendelssohn.
Réalisation et interprétation
On est gêné, dans un préambule parlé qui présente la généalogie de l’œuvre, de la gêne sensible de Pierre Villa-Loumagne qui se révélera, par ailleurs, un excellent Krakamiche chantant et jouant avec une grande expressivité dans le cœur de l’opérette. Le texte sans relief aurait dû laisser la place à l’évocation davantage musicale de Viardot à Baden-Baden, partie dans laquelle Luc Coadou lui-même, qui dirigera délicatement et efficacement l’œuvre, paie de sa personne en interprétant avec humour un air de Papageno.
Bernard Grimonet est devenu maître du plateau et de ces lieux auxquels il sait astucieusement adapter ses mises en scène dont les moyens, forcément limités, sont compensés –ou soulignés- par l’humour et un certain sourire kitsch : des dentelles très néo-rococo fin XIX e siècle, font un dais ajouré jusqu’à la branche du marronnier ombrelle et parapluie de la cour du cloître, tissage de la filature féerique des elfes et farfadets ou toiles d’araignées couvrant la poussiéreuse décrépitude de la « macha » datcha du sorcier, fin d’un monde, celui de la suprématie virile, incarnée par le barbon barbichu et bourru, costume de moujik ou uniforme Napoléon III en paradoxal casque à pointe bismarckienne de Guillaume 1er : contre l’offensive des femmes, un en deux de la force masculine guerrière soulignée par Perlinpinpin casqué, en treillis, fusil à l’épaule et tank jouet aux pieds. Les fées, les elfes, en vaporeuses tuniques, sinon couronnées « de thym et de marjolaine », ont de jolies couronnes et parures de fleurs diverses : l’harmonie et la douceur féminine triomphant de la dissonance brutale des hommes.
Cela est sensible dans la musique : ainsi, Laury Littolff, soprano, est une jolie fée Verveine sans fade camomille et Camille d’Hartoy a un fin filet de fée fragile et fraîche en voix pour ses jolis airs. Céline Laly, de sa voix pure, excellente comédienne, incarne une cocasse Stella tentée par l’impur de la désobéissance au père radoteur et par le charme de son beau prince, mezzo en travesti, une Bérangère Mauduit au timbre et voix bien conduits, se tirant avec beaucoup de maîtrise vocale et scénique d’un rôle bien conventionnel. Ici, à sa place de bon baryton, Villa-Loumagne est non seulement drôle en dindon traditionnel de la farce, mais laisse percer un peu du pathétisme humain qui niche toujours dans la cruauté bouffe. Quant à Cyril Costanzo, baryton, c’est une révélation scénique et comique, jouant de sa voix et de son physique, efflanqué, ébouriffé, fantasque Perlinpinpin grand benêt, sorte de Puck distrait et endormi.
Les musiciens dirigés par Coadou, la toujours et attentive Isabelle Terjan au piano, Sarah Friedmann, Elsa Mionnet aux violons, Florent Huc à l’alto, Virginie Bertazzon au violoncelle et Camille Roux à la harpe poétique, sont excellents.
Une œuvre certes peu sérieuse mais traitée très sérieusement par cette équipe qui, de l’ouvrage pour une petite famille a fait une œuvre pour la grande famille d’un village et de ses amis .
Pourrières, couvent des Minimes
Le Dernier sorcier, de Pauline Viardot, Livret Ivan Tourgueniev.
15, 17, 19, 21 et 23 juillet
Direction musicale : Luc Coadou.
Piano : Isabelle Terjan ; violons : Sarah Friedmann, Elsa Mionnet ;
alto : Florent Huc ; violoncelle : Virginie Bertazzon ; harpe : Camille Roux ; chœur de chambre des Minimes.
Chorégraphie : Colette Bollini
Mise en scène : Bernard Grimonet.
Décors : Gérard Méliani et son équipe.
Costumes : Mireille Caillol et son équipe.
Bande son : Marie Rachel Audier (Cefedem) ; régie : Sylvie Maestro
Accessoires : Gérard Nauguet
Illustrations : Radka Malinova
Distribution :
Pierre Villa-Loumagne : Krakamiche ; Cyril Costanzo : Perlinpinpin ; Céline Laly : Stella ; Bérangère Mauduit : Lélio ; Camille d’Hartoy : Reine des elfes ; Laury Littolff : Verveine.
Les elfes :Ambre Monray, Elise Monray, Caroline Rancelli, Ita Graffin, Laurine Martinez, Manon Gleize, Bérangère Cauquil, Janina Mattolat, Charlotte Welti.
Photos festival :
1. Un irritable sorcier ;
2. Fille et papa ;
3. De bien jolies fées ;
4. Sous le marronnier, un public ravi.
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