ANDALOUSIE
OPÉRETTE EN DEUX ACTES
de Francis Lopez (1947),
livret de Raymond Vincy et Albert Willemetz
Dimanche 30 novembre 2025
Inépuisable Francis Lopez
(1916-1995), l’un des compositeurs les plus populaires du théâtre musical
français du XXᵉ siècle et inoubliable Luis Mariano,
son acolyte interprète et ami basque.
L’opérette Andalousie est créée à Paris, au Théâtre du Châtelet, en 1947. L’œuvre s’inscrit dans la grande veine hispanisante du compositeur, amorcée
avec La Belle de
Cadix (1945).
Si l’on ne peut discréditer la
musique de Lopez, de parents espagnols, du qualificatif d’espagnolade car sa
musique puise aux sources authentiques, on peut le dire de ses livrets à
intrigue espagnole, présentant sous de riantes couleurs, opérette oblige, une
Espagne idéalisée ou caricaturale, dont les passions s’expriment en chansons et
danses et où tout finit en fêtes dans un pays qui ne l’est guère, en fête, avec
la permanence du troisième dictateur fasciste, Franco, qui, aidé par Mussolini
et Hitler, a défait la République et règne impitoyablement sur un pays vaincu.
Il a tiré son épingle du jeu à cause de la Guerre froide qui a fait de
l’Espagne une pièce maîtresse américaine, stratégique, contre l’empire
soviétique. L’historiographie la plus récente estime à 200 000 le nombre de
fusillés après la fin de la Guerre Civile. Cela devait être dit en ce
cinquantième anniversaire de la mort de ce sanguinaire dictateur fasciste.
Le livret d’Andalousie
a la pudeur de ne pas le situer dans l’Espagne contemporaine franquiste, encore
au ban des nations, mais au XIXe siècle sous le règne d’Isabelle II,
1860.
Andalousie se passe près de Séville
et au Venezuela. Le fringant marchand d’alcarrazas, cruches d’eau en terre
cuite qui gardent la fraîcheur et se boivent à la gargoulette (et non les
petites cruches vernissées de la mise en scène, Juanito Pérez est la coqueluche de toutes les
filles. Mais il aime Dolorès, une bien aimable Julia Knecht, voix pleine
aux aigus percutants comme des uppercuts de fille à qui on ne la fait pas et
qui sait se battre, défiant sa mère donneuse de leçons, la digne Doña
Victoria, Anny Vogel qui sait aussi faire le coup (de poing) contre les alguazils.

Les amoureux rêvent, pour abriter
leur amour, de châteaux en Espagne, de celui qui se dresse concrètement sur la crête
de la colline. Juanito décide de faire fortune en devenant, toréador, torero, matador, donc qui signifie en
espagnol, tueur. Avec la facilité des carrières des opérettes, un succès aux arènes de Grenade lui amène un mirifique contrat pour le Venezuela. Habitué de cette scène, Jérémy Duffau, Juanito plein de prestance, a belle et solide voix, mais semble cependant
gêné dans les entrées en souples roulades à la flamenco d’un de ses airs.
Donc, conquistador en quête de
gloire et d’argent, le voilà parti, non pour Mexico, sinon pour Caracas. L’humble
marchand d’eau marche vers le succès et c’est sa fameuse marche, un pasodoble (qui est une marche au départ) qui fut le tube de l’opérette
« Ole, torero !», triomphe sur un pauvre animal que je ne partage
pas, même en goûtant la musique de Lopez.
Comme il se doit, loin des yeux mais
non du cœur de sa belle restée au pays et, près de lui, le cœur et les beaux yeux d’une diva
autrichienne, Fanny Miller, et quand elle est incarnée par la belle Laurence
Janot, allure et figure de reine—pas seulement de la valse viennoise— on
s’étonne que Juanito lui résiste. C’est le sombre sort d’un drame, mais les
ressorts d’une comédie : un politicien proscrit au Venezuela, Rodriguez
Valiente, aime Fanny qui ne l’aime pas, qui aime Juanito, qui ne l’aime pas,
qui aime Dolorès, qui trouve le temps long et le courrier trop lent ou absent,
intercepté subrepticement par la diva jalouse.
Le courrier
est lent, mais les nouvelles rapides dans la presse : Dolorès se croit
trahie et oubliée par le fiancé lointain devenu célèbre quand elle découvre dans
le journal un article qui relate les relations entre le torero et la
cantatrice, des people, dirait-on aujourd’hui, qui alimentent la gazette
des chaumières jusqu’en Espagne.
Mais une opérette ne le serait pas
sans l’amour contrarié, les dépits amoureux, les jalousies, les désirs de vengeance,
et un couple de seconds, Fanny/ Valiente, qui deviennent premiers dans
l’intrigue contre les jeunes premiers, avec le lot de rivalités artistiques, de
quiproquos. Dolorès jalouse, fière et vindicative, miracle de l’opérette a
eu une carrière fulgurante aussi : sous le nom de la Estrellita, ‘petite étoile’,
elle est devenue une grande étoile dans un cabaret de Séville où tout le monde
se retrouve comme dans les vaudevilles.
Valiente, le digne Sébastien Lemoine,
à la voix parlée aussi noble que la chantée, désireux de se venger de Juanito, qu'il croit l'amant
de Fanny, courtise Dolorès qui feint d’accepter ses avances ; Juanito,
sans accepter celles de Fanny, accepte tout de même un dîner avec elle, parallèle
à celui de Dolorès et de Valiente, sinon face à face, balcon à balcon.

Couple de jeunes premiers, couple de
seconds, et troisième couple, comique, de notre inégalable et espiègle Julie
Morgane, Parigote devenue andalouse Pilar, qui trouve dans le Pepe de Nicolas
Soulié un égal partenaire inénarrable, que ses dédains font passer par tout
un éventail, andalou, d’émotions et de recours cocasses aux sortilèges au poil
(barbe) dictés par une narquoise gitane, Christine Tumbarello. L’accorte
soubrette, escorte autrichienne de Fanny, Perrine Cabassud, une
habituée de l'Odéon, fait couple ou sangsue avec Pepe ou l’insolite Baedeker de Didier
Clusel. Avec eux, une floppée de personnages, flippant, comiquement, comme le
Carracho de Cédric Brignone, les nécessaires commissaire tremblant et aubergiste de
Jean-Luc Épitalon, les consommateurs et alguazils Rémi Chiorboli
et Jean-Michel Muscat, qui alimentent l’intrigue de leur présence.

On saluera la qualité poétique de la
voix de Damien Barra dans sa mélopée du rôle pourtant si bref du Sereno,
mais indispensable à l’intrigue puisqu’il est le témoin de l’heure du repas
chez Dolorès de l’enquête policière. Le Sereno était le gardien, le
vigile d’une ou plusieurs rues, drapé dans une cape, une lanterne à la main et
une lance dans l’autre qui, s’y promenant toute la nuit, chantait l’heure, le temps
qu’il faisait, quelque événement notable, armé d’un sifflet pour une alerte. Il
avait aussi les clés des immeubles qu’on lui demandait pour rentrer chez soi. Il
était parfois aussi chargé d’allumer et d’éteindre les réverbères. Sous le
franquisme, agent d’état, il servit aussi à signaler aux autorités les groupes de
gens soupçonnés de réunions clandestines dans un pays où presque toute la
population, on l’a découvert aujourd’hui dans les archives, était fichée…
Mais
tout finira bien dans le meilleur des mondes de l’opérette, et chaleureusement
bien pour un spectacle donné devant un théâtre surchauffé où pas un strapontin
n’était inoccupé d’un public enthousiaste. À juste titre.
Deux
simples arches rouge brique comme décor praticable sur fond de toiles peintes :
l’Alhambra et le Palais de Charles Quint de Grenade ; la Place d’Espagne du
Parc María Luisa de Séville ; une ruelle andalouse en perspective, la
superbe toile peinte, fontaine, guitare monumentale et éventails, déjà utilisée
dans la Belle de Cadix, et une verdoyante perspective tropicale pour
Caracas. Et en toile de fond, la puissance tellurique des taureaux sans doute de Goya.
Les
costumes, dont certains déclinés de la couleur des arches, ocre, tabac, sont
nombreux, variés et tous remarquables, évitant la caricature coloriste d’une fausse
Espagne festive pour touristes nordiques épris de coloriage exotique. On admire
les sobres robes rouges ou noires des belles danseuses de la troupe (Annabelle Richefeu, Sophia Alilat, Lorena
Debray, Sabrina Llanos) menées de main et pieds de zapateado
du maître chorégraphe Felipe Calvarro, digne du mythique maître à
danser de Cadix, Luis Alonso, héros de deux fameuses zarzuelas, dont, sans le dire, on emprunte ici, la
musique, l’élégant fandango de l’intermède de
La Boda de Luis Alonso de Gerónimo Giménez (1897), qui
nous vaut un magnifique tableau, zapateado et castagnettes, mais sans citer le
vrai compositeur, abusivement intégré à la musique de Lopez, qui en pâlit du coup.

Mais
Didier Benetti, à la tête de l’Orchestre et chœur de l’Opéra de
Marseille, joue loyalement le jeu et la joie de servir, en un, deux compositeurs,
apportant avec grâce, aux oreilles françaises, le compositeur d’Espagne auquel rendait
grâces, depuis la France, le compositeur espagnol de France qui nous prodigue avec
bonheur boléros, séguedilles, habanera et pasodobles.
Carole
Clin est chez elle à l’Odéon et, à la tête de cette troupe,
qui semble après tout la sienne, elle règne et règle la mise en scène à la
baguette. Elle signe encore un succès et, avec cette harmonieuse qualité, je
pense qu’on pourrait parler, sans emphase, pour cette salle unique en France pour
l’opérette, d’un label Odéon.
ANDALOUSIE
OPÉRETTE EN 2 ACTES
NOUVELLE PRODUCTION
Direction musicale : Didier BENETTI
Mise en scène : Carole CLIN
Chorégraphie : Felipe CALVARRO
Décors : Ateliers Sud Side
Costumes : Opéra de Marseille
Régisseuse de production : Isabelle DOLIVET
Dolorès :
Julia KNECHT
Fanny Miller : Laurence JANOT
Pilar : Julie MORGANE
Doña Victoria : Anny VOGEL
Greta : Perrine CABASSUD
La Gitane : Christine TUMBARELLO
Juanito : Jérémy DUFFAU
Pepe : Nicolas SOULIÉ
Valiente : Sébastien LEMOINE
Sereno : Damien BARRA
Le commissaire / L’aubergiste : Jean-Luc
ÉPITALON
Baedeker : Didier CLUSEL
Caracho : Cédric BRIGNONE
1er Consommateur / 1er alguazil : Rémi CHIORBOLI
2ème Consommateur / 2ème alguazil : Jean-Michel MUSCAT
Orchestre et chœur de l’Opéra de Marseille
Chef de Chœur : Florent MAYET avec Astrid Marc
(répétitrice piano)
Pianiste répétitrice : Astrid MARC
Danseuses :
Annabelle RICHEFEU, Sophia ALILAT, Lorena DEBRAY, Sabrina
LLANOS
Photos Christian Dresse
1. Un marchand d'eau dont les groupies boivent les paroles ;
2. Place d'Espagne de Séville ;
3. Calvarro et Knecht ;
4. Fanny en fleur ;
5. Soulié et Morgane ;
6. Tablao flmenco ;
7. Le sereno.