Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, janvier 30, 2024


Cabaret-Théâtre L’étoile bleue,

107, bis Boulevard Jeanne d'Arc, Marseille,

Samedi 20 janvier 2024


S’adressant à un public peut-être averti, le spectacle n’avait pas de notice fournie sur cette grande dame des Lumières. Je l’ai toujours admirée et j’en offre ces lignes, tirées d’une causerie, à l’usage des lecteurs.

 

GERMAINE DE STAËL (1766-1817)

Elle naît à Paris, mais de parents suisses, protestants. Elle est la richissime, fille du ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker, qui se paie le luxe de payer le budget de la France ruinée, de prêter au Royaume une somme colossale que Germaine mettra presque toute une vie à récupérer. Elle est élevée dans un milieu de gens de lettres.

En 1786, à vingt ans, elle épouse —on lui achète un mari et un titre—le baron Staël, ambassadeur du roi de Suède auprès de la cour de France. Sans enthousiaste, avec esprit mais cruellement, elle dit :

 

« De tous les hommes que je n’aime pas, mon mari est celui que j’aime le mieux. »

 

Mariage de raison à la mode dans leur grand monde : les époux s’aiment sans doute un peu et se trompent beaucoup. Le baron a des aventures, Germaine, des passions tapageuses, dans les dangereuses liaisons libres d’une époque risquée traversée, après la chute de l’ancien Régime, de la Révolution et sa Terreur, du Directoire et du Consulat et d’un Empire autocratique qu’elle annonce et dénonce. Sa vie sentimentale agitée, orageuse avec Benjamin Constant, de Lausanne —auquel elle inspirera le personnage suicidaire à répétition d’Ellénore du roman Adolphe— la fixe dans ce couple tourmenté de Suisses, intransigeants donneurs de leçon républicaine à la neuve République française, la rendant indésirable, plusieurs fois forcée à l’exil à travers l’Europe, suivie de Benjamin qui, plus habile, s’arrangera avec tous les régimes, arrangeur même de la Constitution napoléonienne qui la révulse.

Elle divorce en 1800, épousera un homme plus jeune.

Femme généreuse, elle se mêle de tout. Favorable à la Révolution et aux idéaux de 1789, critique dès 1791, opposante à tous les extrémistes, elle est gênante à tous, un temps protégée par le statut diplomatique de son mari, elle doit se réfugier auprès de son père en Suisse à plusieurs reprises.

Fascinée par le jeune Général Bonaparte vainqueur des Autrichiens en Italie qui rentre en restaurant les finances d’une république appauvrie, elle le harcèle de questions, rapporte Talleyrand :

 

« Général, quelle est pour vous la première des femmes ? », demande-t-elle se posant sans doute imprudemment en première.

— Celle qui fait le plus d'enfants, Madame. », lui aurait répondu sèchement le misogyne Corse, tout dévotion pour sa Laetizia de maman.

 

Peut-être début ou symptôme d'une guerre répulsion/fascination entre eux. Mais, plus politiquement, elle le voyait en libéral, mais lucide, avec le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799), approuvé par l’opportuniste Benjamin Constant, elle voit qu’il signe la fin de la Révolution et que le Consulat, le faisant Premier Consul, en fait un dictateur à vie. La suite lui donne vite raison : le régime consulaire se transforme en empire héréditaire. Bonaparte est sacré empereur le 2 décembre 1804 et le régime se construit sur le modèle d’une monarchie que la Révolution avait abolie.

De son célèbre et bruyant salon de la rue du Bac où elle reçoit tout le gratin culturel et politique, républicains et émigrés, du haut de sa notoriété, voix hautement connue internationalement, au nom de la liberté, elle se répand contre lui. Napoléon dira avec humour mais non sans raison, 

 

« Mes plus grands ennemis en Europe ? L’Angleterre, la Russie et Madame de Staël. »

 

Revenue d’un de ses exils en mai 1795 avec Benjamin Constant, elle en est de nouveau exilée en octobre par le redoutable Comité de Salut public, au couperet toujours facile malgré la fin de la Terreur. Germaine acquise fidèlement aux idéaux de 89, sait la monarchie impossible désormais, rêve d’une république fondée « sur la justice et l'humanité » ; par sa voix, sa plume, sous son nom ou des pseudonymes transparents, elle s’élève contre tout despotisme, élevant contre elle monarchistes revanchards, révolutionnaires ultras.

Bannie de Paris (condamnée à en rester « à quarante lieues », 160 km), puis interdite de séjour sur le sol français, exilée en 1803 par Bonaparte, en résidence forcée et surveillée dans sa propriété de Coppet près de Genève ; elle y réunit toute l’Europe pensante, ce que Stendhal a appelé « les états généraux de l'opinion européenne ». Elle réussit à fuir, voulant rejoindre l’Angleterre. À cause du blocus continental qui ferme les ports, c’est une épopée terrestre.

Il y aurait de quoi sourire, si elle n’avait eu à tant endurer, à voir l’homme le plus puissant d’Europe, chasser bassement une femme et la poursuivre sur tout le continent alors qu’elle évite l’expansion de ses armées conquérantes jusqu’à la Russie juste avant l’arrivée des Français dans un Moscou en flammes, fuyant avec, sinon armes, bagages, enfants, et Benjamin Constant à ses côtés, à ses crochets (dont elle a eu une fille) pour trouver, passant par la Suède ex-matrimoniale, où va sagement régner Bernadotte, ancien Maréchal d’Empire qui se retournera contre l’Empereur, un asile en Angleterre. Elle y écrira De l’Allemagne en 1810, remettant juste un pied prudent en France pour en suivre de loin l’impression, dix-milles exemplaires, immédiatement saisis et pilonnés.

Talleyrand, « Le diable boiteux », l’Évêque d’Autun qui servira et trahira tous les régimes, qui l’a exploitée sentimentalement, financièrement et politiquement, qu’elle a sauvé peut-être de l’échafaud en le faisant rayer de la liste des émigrés à son retour en France, pour lequel elle avait arraché de vive force le ministère des affaires étrangères à Barras, alors Premier Consul, allant même lui faire l’article de ses vices utiles (« Il a tous les vices de l’Ancien Régime et ceux du nouveau : il est fait pour vous ! »), l’ingrat Talleyrand qui ne lui rendra jamais la protection qu’elle lui avait toujours prodiguée, dira d’elle avec un humour cruel :

« Cette femme avait toutes les vertus et un seul défaut : elle était insupportable. »

 

Sans doute à vouloir se mêler, avec une clairvoyance et une compétence que n’avaient sûrement pas nombre d’hommes qui, en politique même révolutionnaire, avaient prudemment exclu les femmes, ne leur accordant même pas le droit de vote. Pourtant, dans ce livre où elle soulignera n’avoir rien mis de ses idées qui pourraient fâcher encore le pouvoir, elle a cette étrange affirmation qui sonne comme un aveu désabusé, comme si elle insinuait qu’elle voulait rester enfin modestement à sa place, à l’ombre, sans conflit avec les hommes :

 

« On a raison d'exclure les femmes des affaires politiques et civiles ; rien n'est plus opposé à leur vocation naturelle que tout ce qui leur donnerait des rapports de rivalité avec les hommes, et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu'un deuil éclatant du bonheur. »

Et discutant du mariage, elle ne discute pas la primauté biblique de l’homme sauf pour le rappeler à ses devoirs, primordiaux en conséquence :

 

« Dieu a créé l'homme le premier comme la plus noble des créatures, et la plus noble est celle qui a le plus de devoirs. »

 

FÉMINISTE ?

Recevant Lucile Pessey à la radio pour présenter ce spectacle, production de son association Intim'Opéra, qui a pour vocation de valoriser le matrimoine culturel si longtemps oublié ou négligé, je m’étonnais : pour un spectacle sur la combattive Madame de Staël, matière idéale, pionnière et aujourd’hui icône rêvée du féminisme par sa vie et son œuvre qui exalte des femmes victimes des contraintes sociales, aristocratiques chez Delphine (1802) ou maritales et artistiques dans Corinne ou l'Italie (1807 et 1808), image de la femme libre et poétesse, cette production nous la représente par le biais non de ses fictions socialement significatives sur le statut de la femme, mais de son fameux essai, De l’Allemagne (1810-1813).

La justification est que ce spectacle est bâti sur idée de Maria Kohler, comédienne de la riche colonie allemande de Marseille, pour fêter de la sorte la Journée franco-allemande —j’imagine la non citée commémoration du Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, signé par le Chancelier Adenauer et De Gaulle, qui scellait la réconciliation de l’Allemagne et de la France.

 

De l’Allemagne

France/ Espagne

La France, ignorante de la littérature espagnole, autant que de l’allemande comme le déplorait Madame de Staël, n’a pas vu que cette approche comparatiste avait un célèbre précédent hispanique, connu de toute l’Europe depuis deux siècles, La oposición y conjunción de los dos grandes luminares de la tierra o de la antipatía natural de franceses y españoles (‘L’opposition et conjonction des deux grands luminaires de la terre ou de l’antipathie naturelle des Français et des Espagnols’), un essai du Doctor García paru à Paris en 1615 à l’occasion du double mariage d’Isabelle de Bourbon et de Philippe IV et, d’autre part, d’Anne d’Autriche et de Louis XIII, dans un esprit de concorde entre les deux nations en guerre depuis un siècle. L’édition, bilingue, connaît un succès foudroyant, plus de quarante-sept éditions au XVIIe siècle et encore au XVIIIe et des traductions dans toute l’Europe, italiennne, anglaise, allemande, française en plus de la bilingue originale. García fait une étude physico-psychologique comparée des deux nations, des modes et vêtements, des habitudes, des mœurs, oppose la gravité de l'Espagnol à la légèreté et la volubilité du Français, constate le bruyant désordre des coqs gaulois dans la rue face au silence digne des Espagnols. Des clichés auxquels n’échappe pas le texte de Staël.

Naturellement, la comparaison cas par cas entraîne des paires de phrases brèves et des figures de symétries, antithétiques, enchaînant forcément stéréotypes nationaux, non sans humour, dans la simplification inévitable des poncifs. Mais le désir des deux auteurs est la concorde des deux nations par la connaissance de l’Autre et l’équivalence des qualités et défauts réciproques.

À García, il sera reproché une sympathie pour la France comme on fera, d’une sympathique germanophilie de Stahl, une antipathie française, fallacieux argument pour censurer et interdire le livre, alors que la bouillonnante, généreuse et curieuse Germaine, même si l’Allemagne n’est pas encore une entité politique, en visionnaire lucide, la perçoit dans une unité raciale et culturelle qu’elle s’emploie à faire connaître. Au sentiment de supériorité du Français, à une arrogante France impériale autocentrée, bien qu’impérieusement excentrée dans toute l’Europe, elle offrait le miroir, forcément réflexif, d’un autre pays, d’une autre culture, d’autres valeurs, qui, par la comparaison et non la confrontation, ne pouvaient que l’enrichir. Elle souligne avec finesse et humour le scientisme français, son culte des mathématiques, sa religion de la Raison, et l’oppose au goût allemand de l’Imagination, aux élans de l’enthousiasme, résumant les deux pôles opposés de l’esprit de « merveilleux » qui a le pas sur l’esprit de géométrie :

 

« L’univers ressemble plus à un poème qu’à une machine », répète-t-elle.

 

C’est avec justice qu’on fait de son essai une introduction, en France, du romantisme, déjà sensible chez son compatriote adoré, Jean-Jacques Rousseau, comme si la Suisse était un trait d’union avec les élans passionnels du Sturm und Drang germanique, ‘Tempête et Passion’, mouvement artistique et politique national révolté, au nom de l’intériorité, contre la superficialité abstraite des Lumières à la française : le Français parle, l’Allemand pense, résumera en quelque sorte Germaine.

« Un Français sait encore parler, lors même qu'il n'a point d'idées ; un Allemand en a toujours dans sa tête un peu plus qu'il n'en saurait exprimer. On peut s'amuser avec un Français, quand même il manque d'esprit. Il vous raconte tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a vu, le bien qu'il pense de lui, les éloges qu'il a reçus, les grands seigneurs qu’il connaît, les succès qu'il espère. Un Allemand, s'il ne pense pas, ne peut rien dire, et s'embarrasse dans des formes qu'il voudrait rendre polies, et qui mettent mal à l'aise les autres et lui. »

Évidemment, décréter l’Allemagne « la patrie de la pensée » ne pouvait être bien perçu dans une France se targuant d’être le pays de la Raison. Mais à cette raison qu’elle semble concéder à la France, trait déjà romantique, elle oppose le Sentiment.

Mais, surtout, cette farouche fille de la liberté qu’elle défend contre les oppresseurs, dénonçant inlassablement la trahison des idéaux de la Révolution par Bonaparte, à côté d’inévitables clichés, laisse percer son indépendance d’esprit et tombe juste quand, elle la retrouve et salue dans ce pays l’individualisme du jugement libéré des contraintes, si françaises des règles, c’est-à-dire des académies :

 

« En Allemagne, il n'y a de goût fixe sur rien, tout est indépendant, tout est individuel. L'on juge d'un ouvrage par l'impression qu'on en reçoit, et jamais par des règles, puisqu'il n'y en a point de généralement admises. »

 

Certes, l’on voit que, en dehors de quelques délicieux croquis paysagers ou urbains, quelque anecdote pittoresque sur les coutumes brassées, brossées avec la plaisante légèreté salonnarde française, l’Allemagne de la Baronne de Staël est celle de son monde, de son milieu : de son salon. Mais quel salon ! Même si elle n’a pu les connaître directement, puisqu’ils étaient morts autour de 1803/1804 elle parle du poète de la nature Klopstock, du dramaturge Lessing, du criticisme idéaliste de Kant mais aussi de Herder maître de Schiller et Goethe, qu’elle fréquente en personne dans le salon du duc de Weimar, de Schlegel. Comme dans son salon parisien, dans son château suisse de Coppet où elle réunit les beaux esprits européens, comme l’abeille va au miel, elle butine passionnément la culture, la philosophie, œuvre même pour l’abolition de l’esclavage.

Le poète Heinrich Heine (1797-1856), admirateur de Germaine, mitigera cependant son enthousiasme dans un ouvrage parallèle, De l'Allemagne (1835), axé surtout sur l’histoire de la religion et de la philosophie mais il pressent subtilement les dangers des nationalismes naissants. Les longues notes qu’il accumule pour un autre essai, De la France (1833/1857) laissent voir l’empreinte en lui de Madame de Staël.

Aujourd’hui, avec d’autres moyens, on l’aurait qualifiée d’influenceuse. Mais on portera à son crédit la noblesse des causes qu’elle défend, la liberté et l’humanisme au-dessus de tout. En 1793, elle se fend même d’un texte adressé aux femmes, prudemment anonyme, pour tenter d’arracher Marie-Antoinette à la guillotine. La caisse de résonance de son salon parisien d’opposition libérale, agacera tellement Bonaparte en marche vers le pouvoir absolu, crispera tellement Napoléon devenu empereur, qu’il cherchera le mettre sous cloche, à la bâillonner, faire taire cette intransigeante opposante. En vain. Quelqu’un dira :

 

« Le salon de Madame de Staël est partout où elle se trouve. »

 

Et dans ce spectacle, certes un trio de dames, mais devant une salle pleine et vibrante qui leur fera un triomphe mérité —à quelques réserves près.

LE SPECTACLE : LECTURE ET MUSIQUE

         Un piano à jardin, à cour, une table basse, un fauteuil, deux guéridons à candélabres, un canapé de style ni Empire, ni Directoire, ni Louis XVI mais aux lignes voluptueuses galbées du rococo appelant la caresse qui justifieraient le mot de Talleyrand disant que, qui n’avait connu l’Ancien Régime, n’avait pas connue ce qu’était la douceur de vivre —pour certains, c’est sûr. Robe orange pour Corinne (nom du roman), bleu sombre pour Mirza la pianiste, et légère tunique beige, vaguement à l’antique Directoire pour Ellé(o)nore (Ellénore, nom de l’héroïne névrotique de l'Adolphe de Constant), qui vient avec la lettre reçue de son amie Germaine à Londres avec un exemplaire de son livre, De l’Allemagne dont la lecture qu’elle va en faire longuement est le cœur, lourd, du spectacle, plus oral que musical.

         En effet, cette longue lecture à une voix a la limite, au sens dramatique sinon artistique, d’exclure du jeu pratiquement les deux autres partenaires, puisque Marion Liotard, virevoltante et vibrante au piano, en soliste impatiente commentant ou ponctuant avec enjouement des effets du texte, et Lucile Pessey au chant, dans le peu qui leur est imparti, emplissent et occupent généreusement l’espace laissé plutôt vide par la voix au joli timbre et doux accent mais trop faible de la lectrice Maria Kohler difficilement audible, qui me contraint de revenir au texte même pour combler les lacunes de l’audition.

Faute d’une dramatisation des personnages, d’une théâtralisation du texte et musiques, d’élargir à d’autres textes de Staël, qui eût demandé d’autres moyens, le metteur en scène Yves Coudray meuble habilement l’espace des comparses auditrices par des déplacements, un peu forcés, requis par la tasse de thé, les biscuits offerts, la consultation de la partition, du texte : malgré tout, elles sont réduites à quelques mimiques, des exclamations de surprise, d’indignation ou à des gestes féminins de joyeuse ou tendre complicité ou consolation, se tenant par les main, ou parfois se partageant une page du livre ou entonnant en trio  « l’Hymne à la joie » de Schiller, coda de la IXe Symphonie de Beethoven. Cela en fait des silhouettes mais non des personnages.

         Pourtant, l’entrée d’Ellé(o)nore, lettre et livre en main de Germaine était une vraie entrée dramatique, avec l’anecdote, terrible pour la démocrate, du décret liberticide « sur la liberté de la presse » […] « qu’aucun ouvrage ne pourrait être imprimé sans avoir été examiné par des censeurs ».

         Il y a l’aveu poignant de l’exilée se risquant malgré tout à poser un pied en France :

         « Je vins à quarante lieux de Paris pour suivre l'impression de cet ouvrage, et c'est là que pour la dernière fois j'ai respiré l'air de France. »

         Puis l’annonce de la destruction officielle des dix-milles exemplaires, un vrai autodafé contre la pensée, l’obligation policière d’en remettre le manuscrit. Enfin, sommet de cruauté, de cynisme, il y a le courrier du ministre de la Police Savary commandité par Napoléon, justifiant censure et exil au nom d’un nationalisme étriqué :

« Votre dernier ouvrage n’est point français. Il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait point, et nous n’en sommes pas encore réduits à chercher des modèles dans les peuples que vous admirez. »

 Il se paie l’hypocrite politesse de lui désigner les ports par lesquels il lui est permis de quitter la France dans les vingt-quatre heures, dont on lui laisse ironiquement le libre choix —mais, avec obligation de les signaler avant son départ, tant on la surveille de près : bref, tant on la redoute.

C’était l’entrée, à coup sûr dramatique en scène, du drame tout de même réel vécu par cette indomptable femme. Peut-être eût-il mieux convenu pour une fin, après une connaissance du livre, faisant ressortir l’injuste tyrannie qui le et la condamnait. Mais la lecture consécutive du livre, anecdotique, en neutralise, en dilue aussitôt l’impact émotionnel personnel par le propos général et il n’y aura rien de particulier par la suite de ce niveau de tension réellement théâtrale. D’autre part, cette récitation univoque, à sensation monocorde par évaporation vocale, accuse, du moins quand on arrive à capter les paroles, le didactisme, parfois moralisateur du texte, écueil qu’épargne une lecture solitaire à rythme personnel.

         Alors, on attend la musique. Aucune n’est contemporaine, même si on veut peut-être considérer le lointain Bach intégré, et Mozart encore proche, ce dernier illustrant la juste observation de Germaine de son art d’allier texte et musique, avec évocation du Don Giovanni dont Lucile Pessey, dont la belle voix fruitée a muri, s’est élargie, colorée dans le grave sans perdre de sa légèreté, se paie le luxe de parodier l’air caverneux de l’entrée du Commandeur au dernier acte. L’hommage à Haydn dont Germaine entendit la Création à Vienne méritait peut-être quelque intervention de Liotard au piano. On aurait rêvé de quelque pièce de la marquise Hélène de Montgeroult, stricte contemporaine de Germaine de Staël, ayant traversé les mêmes affres révolutionnaires. Mais comment résister à An die Musik, cet hymne délicat à la musique salvatrice de Schubert ?

Les morceaux, sauf exception, ne semblent guère illustrer strictement le texte, une situation autre qu’affective des interprètes, comme la rageuse douleur de Corinne, déchirante dans un air de Mozart exaltant la fidélité à la mention du libertin Benjamin Constant qui fut le tourment amoureux de Germain/Ellénore. Sans être contemporain, car postérieur à la mort de Madame de Staël, l’Ode, ou « l’Hymne à la joie » de Schiller, coda chorale de la IXe Symphonie de Beethoven est pleinement justifié par l’admiration que Germaine voue au poète connu. C’est devenu à juste titre notre hymne européen puisque l’on y chante les valeurs supranationales, morales, des peuples harmonieusement unis que prône effectivement et affectivement Madame de Staël : « Alle Menschen werden Brüder », ‘Toues les hommes deviennent frères’.

C’est un sommet grandiosement naïf et sentimental de l’idéologie des Lumières.

UNE CERTAINE IDÉE DE L’EUROPE

Belle idéal plutôt, que caresse le rêve de la généreuse baronne, et son credo en faveur du mélange fraternel des peuples, des savoirs, bref, contraire à l’exclusion qui menace ou agit actuellement. On pourrait opposer à certains, aujourd’hui même, rêvant de frontières mentales et culturelles, au risque de l’asphyxie du confinement intellectuel, cette superbe sentence de Madame de Staël, et ses déclinaisons qui semblent s’adresser à tels de nos contemporains qui redoutent frileusement les dangers des courants d’air extérieures, rêvant de barrières, de frontières sanitaires, raciales, intellectuelles :

« nous n'en sommes pas, j'imagine, à vouloir élever autour de la France […] la grande muraille de la Chine, pour empêcher les idées du dehors d'y pénétrer.[…]

On se trouvera donc bien en tout pays d’accueillir les pensées étrangères. […] Les nations doivent se servir de guide les unes aux autres, et toutes auraient tort de se priver des lumières qu'elles peuvent mutuellement se prêter. »

Comment ne pas partager aussi son plaidoyer pour le mélange et l’enrichissement des cultures et langues par le brassage harmonieux. Elle est Suisse de France, donc maîtrisant français, sûrement italien et l’alémanique, l’anglais étudié, polyglotte en somme. Ouverte à l’Autre. Passant par la Russie elle voulait écrire un autre essai, De la Russie.

Stendhal touche juste en voyant dans ses rencontres de Coppet « les états généraux de l'opinion européenne ». Elle l’exprime explicitement :

« il reste encore une chose vraiment belle et morale, c'est l'association de tous les hommes qui pensent d'un bout de l'Europe à l'autre. »

Certes, issue d’un milieu favorisé, privilégié. Mais n’y a-t-il pas encore plus grand mérite de dépasser ses égoïsmes de classe pour s’ouvrir généreusement à l’Autre, du dehors, pour l’accueillir comme une richesse ? Elle a cette belle formule à son image :

« l'hospitalité fait la fortune de celui qui reçoit. »

Aux frémissements de la salle, on sent que ce message, d’une actualité politique et humaine si contemporaine, passe très bien, peut-être un peu trop surjoué par un jeu d’optimisme solidaire souriant des trois dames sollicitant notre sympathie. On regrette d’autant plus, en tant que dramaturge, que l’on n’ait pas placé en cette fin l’épisode initial de la brutale destruction de ce livre généreux par un pouvoir despotique qui menace toujours nos valeurs humanistes, nos libertés de dire, d’écrire, de penser.

FRANCE/ALLEMAGNE

À l’évidence, avec le recul du temps, on ne peut embrasser cet ouvrage, mû par un désir de rapprochement de deux nations, qu’avec le sentiment qu’elles furent toujours des ennemies traditionnelles. Il n’en était rien à l’époque de Madame de Staël : après deux siècles de rivalité avec l’Espagne, c’est la Grande-Bretagne qui était devenue l’ennemie traditionnelle de la France. Cet antagonisme ne cédera qu’en 1904 avec la signature à Londres de l’Entente cordiale avec la République Française. Après la cuisante défaite française de 1870, la proclamation à Versailles du Reich allemand, l’annexion de l’Alsace et la Lorraine, puis les deux Guerres mondiale, c’est l’Allemagne qui occupera ce rôle, et il faudra attendre l‘embrassade historique entre le Chancelier Adenauer et De Gaulle qui scelle en 1963, « l’accord durable », la réconciliation, des deux peuples ennemis depuis près de cent ans.

         Et l’on rendra encore cet hommage à Madame de Staël, Européenne visionnaire, qui autant encore que l’Italie, unifiée aussi en 1871, voit de façon globale ces deux peuples, mais comme facteurs culturels d’une même Europe. Dont elle est un juste emblème.

        Après cette réussite féministe et musicale, on espère avec impatience et sympathie un autre spectacle d'Intim'Opéra de Lucile Pessey qui a la générosité de ne pas tirer à soi la couverture artistique et amicale.

Lucile Pessey, soprano

Marion Liotard, pianiste

Maria Kohler, comédienne

Mise en scène : Yves Coudray.

Costumes : Mireille Doering-Born

Teaser spectacle Paris (autorisation Intim'Opéra)

https://www.youtube.com/watch?v=VtZzsdyOzFw

 

 

 

 

vendredi, janvier 12, 2024

BOHÊME BAROQUE/ A. SCHOLL


Frantisek Tuma, Motets, par Andreas Scholl contreténor,

Czech ensemble baroque, direction Roman Válek

Un CD Aparté

https://open.spotify.com/intl-fr/album/5XANVLqOwjfqt506l2iFF6?autoplay=true

         Voici le type de disque que nous aimons : un grand artiste très connu mettant sa notoriété à défendre un compositeur inconnu ou méconnu, en l’occurrence le contre-ténor Andreas Scholl mettant la lumière de sa célébrité pour tirer de l’ombre František Tuma (1704-1774), compositeur baroque de Bohème enseveli dans les oubliettes du temps. Du moins dans nos contrées culturelles souvent enclose dans nos frontières culturelles nationalistes, en fait étroitement régionalistes au niveau de notre Europe.

Aujourd’hui âgé de cinquante-six ans, le chanteur allemand Andreas Scholl, né dans une famille de chanteurs, formé par les meilleurs maîtres de la tessiture et technique de contre-ténor, tels Richard Levitt et René Jacobs à la Schola Cantorum Basiliensis, haut lieu de l’enseignement de la musique baroque, Scholl, succédant à ses maîtres, enseigne le chant au Mozarteum de Salzbourg depuis 2019. Couvert de prix, invité dans les plus grandes scènes et festivals lyriques du monde, après avoir enregistré un nombre impressionnant de disques, il met sa gloire et son talent à nous faire découvrir ce musicien qu’il sert de toute sa science musicale, vocale et expressive.

František Ignác Antonín Tůma (1704-1774) naquit à dans un petit village tchèque dans une famille de musiciens : son père était kantor-organiste, comme Bach à Leipzig, seul moyen de survie d’un musicien et de sa famille, avoir un poste fixe de directeur musical et de professeur, salarié dans une église en y tenant l’orgue des offices et assumant aussi le rôle de maître de chœur. Après avoir étudié le chant à Prague, y tenant des parties de ténor pour gagner sa vie, de viole de gambe et de théorbe, František part pour Vienne, capitale musicale et culturelle de l’empire austro-hongrois y cherchant emploi et carrière, un mécène, un patron qui assurerait son présent sinon avenir.

Il les trouvera dans le comte Franz Ferdinand Kinsky, de la chancellerie de la cour de Bohème, qui en fait son chef d'orchestre et compositeur de 1731 à 1741. Il en profite pour approfondir ses études avec le directeur musical de la cour impériale Johann Joseph Fux, grand musicien, maître de la tradition contrapuntique  ancienne de la musique allemande, dans une Vienne qui est aussi réceptacle et creuset de la musique italienne, y accueillant nombre de musiciens célèbres comme Caldara, dont l’empreinte sur la technique vocale est sensible.

Intercalé dans la musique essentiellement vocale du CD, pour nous donner une idée de la production instrumentale de Tuma, écoutons le troisième et dernier mouvement, allegro, de sa Sinfonia a quattro en sol majeur pour deux violons, alto et basse, qui situe bien le compositeur dans le courant galant à la mode du dernier baroque de la musique de cette seconde moitié du XVIIIe siècle avant l’avènement du classicisme. À la tête de son ensemble Czech, Roman Válek donne fougue et brillant à cette page allègre :

1) PLAGE 10

Après la mort du comte Kinsky en 1741, Tůma, par concours, devint directeur musical de la cour d'Élisabeth Christine de Braunschweig-Wolfenbüttel, veuve de l'empereur Charles VI. Dans la branche espagnole des Habsbourg, éteinte en 1700, les reines veuves, entraient pratiquement en religion dans quelque couvent, dont elles revêtaient l’habit jusqu’à leur mort. La branche autrichienne de la famille, moins sévère, leur réservait un sort plus doux. L'impératrice douairière et reine de Bohême se retire dans son palais d’Hetzendorf mais garde sa chapelle musicale privée et des moyens financiers assez confortables, avec l’unique restriction de ne plus engager de castrats italiens, comme à la cour de Vienne qui y avait aussi renoncé, pour des raisons économiques, car ces vedettes étaient bien trop chères sur le marché musical.

Même avec un orchestre plus réduit mais des musiciens instrumentistes virtuoses, Frantisek Tuma, forme des chanteurs, de jeunes garçons souvent, et des falsettistes, hommes chantant en fausset les voix aiguës des sopranos ou graves des altos, ce qui légitime ce disque du répertoire sacré, des motets en latin des offices liturgiques, parfaitement adéquats à la voix de contre-ténor, d’Andreas Scholl, alto solide, dont la male couleur sombre échappe au timbre parfois trop enfantin de ses congénères altistes, tout en restant vélocement virtuose. On peut en juger avec ce motet de tempore, comme une aria da capo à l’italienne :

2) PLAGE 7

Ou encore ici avec l’aria du motet Per ogni tempo dans lequel Scholl tire une ligne legato qui semble infinie qu’il brode d’ornements d’une légèreté de dentelle :

3) PLAGE 12

À la mort de d'Élisabeth Christine en 1750, la chapelle est fatalement dissoute et les musiciens naturellement forcés à se chercher emploi et nouveau maître. Cependant, l’impératrice douairière devait être assez satisfaite de son maître de chapelle, puisqu’elle lui laisse une pension à vie, suffisante pour nourrir sa nombreuse famille et la nouvelle impératrice, la fameuse Marie-Thérèse, augmentant sa rente, lui octroie même un appartement à la cour où, sans être un musicien officiel astreint à un service, il vit en musicien indépendant, théorbiste, gambiste et professeur, un luxe rare à l’époque.

Cependant, fait étrange mais qui témoigne sans doute de sa foi, bien que père de famille nombreuse, Tůma prononce ses vœux religieux au monastère des Prémontrés de Geras en 1768, où il se retire, y retrouvant nombre de ses anciens élèves.

Nous rendons grâce à ce disque qui rend hommage à ce musicien dont la musique vocale d’église, même dans la tradition italienne, dans les feux crépusculaires du baroque, ne manquera pas d’influer sur les proches Haydn et Mozart. Nous le quittons avec ce vertigineux et extatique Amen du même motet Per ogni tempo :

4) PLAGE 14 

ÉMISSION N°717 DE BENITO PELEGRÍN


 

 

 


 

 

vendredi, janvier 05, 2024

SOMPTUEUX THÉSÉE

 

(ÉMISSION II)

Jean-Baptiste Lully (1632-1687) :

Thésée, tragédie en un prologue et cinq actes.

Christophe Rousset | direction
Les Talens Lyriques

Chœur de chambre de Namur | direction Thibaut Lenaerts

Un coffret de 3CD, Aparté, Notice en anglais et en français. Livret complet avec traduction anglaise.


https://open.spotify.com/intl-fr/album/1e8G1mT4NdgoRZVxtQLcqm

            Dans l’émission précédente, j’avais présenté cet opéra de Quinault, mis en musique par Lully. Notons que cette œuvre n’est pas appelée « opéra » mais « tragédie en musique », pratiquement traduction de l’italien « dramma per musica », puisque opera, en italien signifie simplement ‘œuvre’ et c’est plus tard que le mot prendra son sens lyrique actuel, que nous reprenons ici par commodité, d’autant que ce n’est pas une tragédie au sens où nous l’entendons aujourd’hui puisque, malgré des péripéties dramatiques, personne n’y meurt à la fin, du moins des héros.

Cet opéra fut créé à St-Germain-en-Laye, le 11 janvier1675, juste après l’annonce d’une victoire décisive de Turenne lors de la guerre franco-hollandaise au terme de laquelle, trois ans plus tard, le Traité de Nimègue fait alors de la France, avec le déclin de l’Espagne, la première puissance européenne.

Le Prologue, allégorie à la gloire de Louis XIV, en dehors de l’action, se déroulait dans des jardins merveilleux, pleins de petits Amours, de Ris, de Plaisirs et de Jeux, personnages dansants et chantants dans les chœurs comme les mythologiques Sylvains et Bacchantes. Il s’y donne même une justification lucide de célébrer, encore en pleine guerre, un tel divertissement, par les voix de Mars et de Vénus :

               Au milieu de la guerre,
               goustons les plaisirs de la paix.

Le décor de ce Prologue figurait la façade du palais de Versailles, certes, non point le château tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais celui que, respectueux de son père Louis XIII, le futur Roi-Soleil, avait conservé avant de l’agrandir et de l’aménager et de l’habiter à partir de 1682. La résidence royale était alors, dans ce Paris que le roi détestait, le Louvre. Tout enfant, avec sa mère Anne d’Autriche et son jeune frère, en pleine nuit, menacés par la Fronde, il avait dû fuir ce palais, pour trouver un refuge relatif à Saint-Germain-en-Laye, mal aménagé, dormant dans le froid sur de la paille. C’est dans ce château que fut créée, entre autres, cette œuvre.

Mais cette présence visuelle à St-Germain d’un Versailles à peine en travaux, dans ce décor d’un opéra donné dans la grande salle des ballets, devant la cour et un parterre d’invités internationaux prestigieux, montre bien l’ambition présente et future d’un monarque victorieux qui s’installe et installe avec assurance, aux yeux du monde, les monuments à sa gloire, dont la pièce maîtresse serait cet immense château en travaux qu’il voit déjà en grand, en grandiose, même. si n’en figure encore ici, en simple décor de théâtre, que la modeste façade initiale. Sous ce règne, les arts, la musique, ostentatoires, sont favorisés et participent aussi au rayonnement de ce futur Roi Soleil, notamment dans le faste imposant, frappant les yeux e l’esprit, de l’opéra baroque.

Car il faut oublier les clichés, les poncifs scolaires imposés par la IIIe République paradoxalement obnubilée par le Siècle de Louis XIV et ce théâtre dit classique de l’économie aux trois unités, asservi aux règles de temps, de lieu et d’action, faussement tirées d’Aristote. Le sous-titre de Thésée est explicite :

         « Tragédie en musique ornée d’entrées de ballet, de machines et de changements de théâtre », c’est-à-dire de décors pour des lieux très différents : jardins et château du Prologue, Temple de Minerve à Athènes, Palais du roi Égée, Palais magique de Médée, etc. Les ballets sont clairement des ornements féériques, quant aux machines, ce sont ce que nous appellerions la technique des effets spéciaux : apparitions de monstres, d’êtres et chars volants, apparition et disparition des décors, embrasement du palais, c’est le magique, le merveilleux.

         Les actions guerrières violentes, par les lois de la bienséance théâtrale se passent en coulisses, mais on entend les cris de combattants, comme ici : « Avançons, avançons, il faut vaincre ou périr ! » :

1) DISQUE I PLAGE 15 

         Mais dans leur parenthèse en rondeau, bribes d’airs revenant comme des refrains, elles sont suivies de scènes d’intimité amoureuse, même de comédie comme dans l’Acte I, scène 5, entre Cléone et Arcas, couple non de jeunes premiers mais de seconds dans la tradition du théâtre espagnol, avec l’inévitable dépit amoureux, la méprise,

Je ne veux point avoir d'époux

         Qui soit jaloux,

         Ny d' amant qui soit sans courage.

         Les jeunes premiers, amoureux avec toute la préciosité scénique de l’expression des sentiments de leur temps, sont le héros éponyme, Thésée, encore inconnu, et la princesse Églé que le tuteur barbon, roi d’Athènes, Égée, comme dans une comédie, veut épouser alors qu’il avait promis sa main à Médée, qui aime en secret Thésée qui aime Églé. Jeunes contre vieux, un quadrille avec tout un quatuor de conflits sentimentaux avoués ou cachés. Nous sommes dans la Grèce mythologique dans un monde de dieux, demi-dieux, de héros, mais dont les passions, amour, jalousie, rage, sont tout simplement humaines. Par la voix tendre, ronde de Karine Deshayes, écoutons la douce plainte de Médée, (ACTE 2, SCENE 1), rêvant d’innocence, de paix :  

2) DISQUE II, PLAGE 1 

         Qui ne souscrirait et ne s’émouvrait à ce rêve pieux si magnifiquement exhalé ? Mais le spectateur moins innocent, cultivé, en surplomb des personnages, sait qui est Médée, la magicienne : pour aider Jason son amant à conquérir les pommes d’or du jardin des Hespérides, elle a démembré son frère, jetant les morceaux sur l’eau pour retarder leurs poursuivants, qui les ramassent pour donner une digne sépulture au malheureux. Pour se venger de Jason qui l’abandonne, elle tuera ses deux enfants et brûlera sa rivale Créuse en lui offrant une tunique en supposé cadeau de paix… Quant au jeune Thésée, ce n’est pas encore l’héroïque tueur du Minotaure, aidé par Ariane qui lui tend le fil du labyrinthe et qu’il abandonne lâchement dans une île pour épouser sa sœur Phèdre, qui le définit chez Racine :

« Volage adorateur de mille objets divers

Qui va du dieu des morts déshonorer la couche. »

         À sa naissance, il a été exposé, c’est-à-dire abandonné par son père le roi Egée, cruel eugénisme, que subit Œdipe : et l’on s’étonne du complexe freudien qui pousserait le fils à vouloir tuer le père ? Thésée sur la fausse accusation de la suivante de Phèdre, fera tuer son fils Hippolyte par Poséidon. Mais tout finira bien ici, sauf pour Médée, toujours malheureuse en amour malgré ses pouvoirs, ses dragons, sur quoi nous quittons ce CD magnifique où l’expressivité dramatique de la musique dirigée par Rousset le dispute à la somptuosité sans faille des voix diverses pliées à la réussite de l’ensemble :

3) DISQUE 3, PLAGE 19 FIN

ÉMISSION N°712 DE BENITO PELEGRÍN :

https://www.rcf.fr/culture/la-culture-en-provence

 


lundi, janvier 01, 2024

MISOGYNIE JOYEUSE


LA VEUVE JOYEUSE

Die lustige Witwe

opérette en trois actes de FRANZ LEHÁR

Livret de Victor LÉON et Léo STEIN, d’après L'Attaché d'ambassade (1861) 

d’Henri Meilhac.

Opéra de Marseille

Vendredi 29 décembre

 

Pour les fêtes fleurissent les veuves joyeuses, soyeuses, tant cette opérette festive centenaire n’a pas pris une ride mais nous déride par sa joie de vivre d’une époque qui ne fut la Belle époque, comme toute époque, que de certains, qui n’imaginaient pas, à l’orée d’un siècle nouveau, qu’il risquait d’être le dernier à cause de la catastrophe proche d’une guerre qui faillit tout balayer.

Elle fut créée à Vienne en 1905 et nul n’imaginait non plus, alors, que cette Europe de l’est exploserait en Première Guerre Mondiale à peine une décennie après, emportant à jamais dans son vent la dite Belle époque de l’Art Nouveau d’un siècle qui se lançait avec enthousiasme dans la modernité. Guerre qui fit le plus grand nombre de veuves que le monde ait connu et qu’on n’imagine pas forcément toutes très joyeuses.

Et encore moins dans cette principauté d’opérette par définition, imaginaire, d’Europe centrale (ou des Balkans), la Marsovie, dont l’ambassadeur en France s’appelle Popoff et qui ressemble, mais en version comique, à ces pays tragiques aujourd’hui, dont on pouvait encore rire innocemment alors, comme des clichés tranquillement misogynes qui nourrissent l’œuvre.

MISOGYNIE JOYEUSE DU VIEUX PATRIARCAT

         Même sous les joyeux apprêts du comique du genre, cette célébrissime opérette du début du XXe siècle, contemporaine des premières grandes manifestations à Vienne revendiquant le suffrage universel —dont le droit de vote des femmes— donne, en toute bonne conscience, avec sa traditionnelle et tranquille misogynie institutionnelle, la mesure de la distance qui nous en sépare avec notre brûlante actualité d’un féminisme revendicatif qui donne aujourd’hui  mauvaise conscience au patriarcat, à l’éternel pouvoir masculin au détriment de la femme.

         Vision des femmes

         Grisettes en goguette

Or, en l’absence d’un féminisme alors balbutiant, cette œuvre m’apparaît comme une innocente représentation de l’apogée du machisme d’une époque, belle pour certains, les hommes, bourse(s) bien pleine(s), les femmes n’étant là que pour leur service —et de services à sévices, il n’est que d’une lettre— la fastueuse galerie d’hommes fêtards fardant mal la galère des femmes.

Dès le premier air, d’entrée l’Attaché d’ambassade, le Prince Danilo Danilovitc, héros en état d’ébriété, gourmet peu gourmé, gourmand d’affriolantes gourgandines parisiennes, donne le ton et la place des femmes, chantant la philosophie du noceur, du viveur, son credo libertin, « voltigeant à la ronde, /De la brune à la blonde », distillant sa donjuanesque liste, roucoulant avec délice les noms des filles faciles interchangeables :

« Manon, Lison, Ninon, Suzon, Fanchon, Toinon,

 C'est tout un demi-monde où jamais on n'dit non. »

 

Si la belle Veuve ne sera même pas coquette (sa fortune tient lieu d’appas), c’est plutôt lui le coquet caquetant comme un coq dans le poulailler de ces dames vénales qu’il n’a même pas à séduire, à conquérir ni simplement à prendre, mais juste à ramasser.

C‘est l’univers de ce Gai Paris si joyeux pour les gens fortunés comme le disait déjà le Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach.

Les « p’tites femmes » à la fête du mâle louées, allouées, filles du petit ou demi-monde qui ont intégré en conscience et consentement toute l’idéologie machiste du monde, de leur monde, dont elles vivent, entrent consciemment dans le stéréotype, le cliché masculin, se définissant allègrement en levant la jambe et la voix :

 « Nous sommes les p'tites femmes frivoles ! »

Les épouses

Certes, c’est la troupe des danseuses mais le troupeau des autres, dames du monde, épouses de diplomates et d’aristocrates, ne présente guère un tableau flatteur : toutes prêtes ou déjà faites à cocufier leur digne et grotesque mari comme le prouve l’épreuve de l’éventail compromettant perdu, même si la femme de l’ambassadeur n’a pas encore franchi le pas, sauvée in extremis par la généreuse Veuve qui prendra sa place dans le proche pavillon bien près pour l’adultère. Le couple de jeunes premiers, pris dans leur double jeu de dépit sans répit amoureux, d’amour et désamour, avoué, démenti, est décliné, décalqué comiquement dans deux autres couples, celui de l’ambassadeur Popoff, croyant aveuglement en l’amour de sa femme Nadia qui, cela crève les yeux, ne rêve que d’adultère avec le fringant et pressant Camille de Coutançon, et celui du jaloux Kromski se jurant de trucider son infidèle de femme Olga qui n’en a cure, une sorte de mise en abyme, j’ose dire en précipice, des mariages convenus, convenant mal aux désirs des femmes, comme l’irrésistible érotomane Sylviane Bogdanovitch, nobles dames s’estimant trop haut pour s’abaisser à la vulgarité bourgeoise de la fidélité.

 

L’éternel féminin ?

L’acte III et son dynamique septuor masculin satirique et condescendant, « Ah, les femmes, femmes, femmes ! », délivre clairement la vision de la misogynie du temps —pas si lointain— où l’on aimait la facile gaudriole et tous les clichés misogynes d’un supposé « éternel féminin », de diabolique origine chez les filles d’Ève, impossible tirade contre laquelle on tirerait à boulets rouges aujourd’hui : 

 

« Le jour qu’elle écouta le Malin,

Commença l’éternel féminin… »

 

         Mais c’est irrésistible de gaîté et, quel que soit le glacial puritanisme qui s’abattrait aujourd’hui sur de tels propos, ce galop digne d’Offenbach est si diablement entraînant, que toute la salle, hommes et femmes confondus (on respire !) en accompagne le rythme en le scandant des mains.

 

La Veuve

         Ni rieuse ni joyeuse, la Veuve, Missia, seul personnage échappant à la caricature, héritière de son banquier de mari, est la preuve flagrante de la misogynie du temps : courtisée tous azimuts pour ses millions actuels, elle fut jadis rebutée, orpheline et pauvre, par la noble famille de Danilo refusant la mésalliance, un prince pouvant violer mais non épouser une bergère. Sa fortune l’ayant anoblie, changé la donne, elle pardonne et revient, midinette au cœur fléché par cet ancien amour, espérant réparation matrimoniale, mais affrontée à l’affront d’un amoureux réticent et jouisseur, dont la devise est : « fiancé, toujours, marié, jamais », même s’il drape son refus dans la dignité de ne pas vouloir la main, désormais prodigue en richesse, de celle que, pauvre, il refusa.

Et même lorsqu’enfin convaincu, ils convolent, les millions s’envolent : par testament, le banquier Palmieri, sans doute jaloux de sa jeune et jolie femme au-delà de la mort, sans doute pour s’en conserver la fidélité, avait disposé qu’en cas de remariage, la fortune de la Veuve irait au mari. En somme, belle somme : sans l’autorité d’un père, la femme, toujours mineure, est passée du mari au mari. Et les millions aussi.

        

         INTRIGUE POLITICO-FINANCIÈRE

Je m’étais écrié, à une belle version à l’Odéon,« Vive la Veuve ! », tout en conseillant de ne pas crier pour autant « Mort aux maris ! » par prudence, puisque presque chacun l’étant, l’ayant été ou le sera. Mais ce vieil époux en question, le banquier Palmieri de Marsovie, qui a l’élégance de mourir très vite, laisse à sa jeune épouse Missia un héritage fabuleux, bref, qu’on dirait en termes bourgeois une belle Pension de réversion : cinquante millions de dollars et autant de raisons à la Veuve de n’être, sinon joyeuse, pas trop marrie de la perte du mari. Le montant suffirait à restaurer le budget de la petite principauté de Marsovie ruinée, mais assiégée par une myriade internationale de prétendants, des soupirants intéressés aspirant à la main de la Veuve pour établir ou rétablir hors frontière leur fortune, pour la dilapider en restaurants chics parisiens avec champagne à gogo et gogo girls en goguette et campagne, dans cette capitale du monde et de la fête qu’est ce Paris de la fin du XIXe siècle où tout le monde se retrouve, mondains comme fripouilles, entre le Maxim’s cher déjà à tel Président d’hier, cher à faire rire jaune même un gilet d’aujourd’hui, et autres lieux de plaisirs racaille et canaille des hauteurs de la Butte à putes de Pigalle et Montmartre.

Mais, pour éviter l’évasion fiscale de la Veuve, fatale aux finances de la Marsovie, l’Ambassadeur à Paris, Popoff, complote pour lui donner pour époux un Marsovien non venu de Mars, le Prince Danilo Danilovitch attaché d’Ambassade, très attaché, on l’a vu, aux dessous, très féminins, de ce Paris, apparemment bien remis de la lointaine blessure amoureuse qu’il infligea à la récente Veuve, apparemment peu tenté par la tentante Missia pour laquelle son cœur battit autrefois avant que celui du mari n’en claquât.

La jeune femme, entourée, sollicitée, assiégée, garde le sourire et la tête froide au milieu des assauts galants de galants en frac par l’odeur de son fric attirés. Ils ont beaux jouer les boys empressés de comédie américaine lui promettant —espérant plus— des trésors d’amour, celui de jeunesse pour le joyeux et facile Danilo, reste pour elle un joyau d’une autre trempe, même perdu.

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

Beauté d’épure d’un fond bleu nuit d’où se détachent des dignitaires en habit, le torse ceint d’une écharpe rose jouant avec l’uniforme d’une nuée de serviteurs, de grooms en uniformes du même rose, couleurs et teintes élégamment déclinées dans tous les costumes et tableaux. D’une scène centrale à degrés, comme un temple, sous un immense cœur fléché par un prodigue archer Cupidon, surgira au sommet, comme un rêve, arborant un long fume-cigarette, telle une future Marlène Ange bleu, en smoking masculin et haut de forme, Missia, la Veuve, impériale en sa descente théâtrale, très café-concert du temps, des escaliers. Des basques de sa veste, coulent les vastes pans d’une volante jupe de ce même bleu fondamental, semé de floconneuses fleurs, roses, rouges, bleues, qui envahiront au dernier acte l’espace, les murs, les portants, la volière du pavillon d’amour, et cet onirique manteau sur robe à volants roses, comme le rêve prolifique expansif d’un Mucha semant au vent les cadres de ses filles-fleurs ou les ornements floraux de ses affiches pour Sarah Bernhardt. Sans débauche d’amas de signes Art Nouveau, Liberty ou Tiffany, c’est esthétiquement très beau, comme les plastiques groupes sculpturaux détachés sobrement sur cet immuable bleu sombre contrastant.

Déroute des couples

Imposant comme une évidence théâtrale, voix puissante, sans un air à chanter, Marc Barrard a bel air, des airs et une grande gueule pour courte vue face aux velléités adultères de sa femme Nadia, la belle Perrine Madœuf qui, telle Zerline, veut et ne veut pas céder même si elle cèderait volontiers son potentiel et séduisant amant, le Français Camille de Coutençon, dans le lit nuptial de Missia pour s’en protéger, ou protéger son mariage, ou plutôt sa position sociale, quitte à faire capoter les plans capitaux de son diplomate d’époux qui cherche à conserver le capital de la Veuve dans la nécessiteuse Marsovie. Le couple d’amants ratés est gratifiés d’airs enjôleurs où la voix ronde et tendre de Madœuf se marie, sublimant l’adultère, avec la fièvre débordante en aigus puissants de l’amant frustré, le ténor Léo Vermot-Desroches.

À Figg, autre personnage sans air, Jean-Claude Calon sait donner de l’éloquence comique, même dans son silence. Quant à Simone Burles, comme une prédestination, elle donne un burlesque coquin à Sylviane par d’ardeur érotique saisie, et non par son mari, Jean-Luc Épitalon. Rivaux dans leur prétention à conquérir la riche main de la Veuve, l’avantageux D’Estillac de Matthieu Lécroart et l’exotique Lérida d’Alfred Bironien forment un couple hilarant de parfaits prétentieux prétendants ratés. Autre couple en partance et souffrance sous l’humour, et non l’amour, de la couverture vaudevillesque,  finalement amère, celui de Kromski, Jean-Michel Muscat et de sa femme, incarnée par Perrine Cabassud,  dont un seul geste expressif traduit l’agacement ou la haine de l’époux sûrement imposé et non choisi.

Le couple central est campé par le baryton Régis Mengus, plein d’allure, voix sûre et pleine, sans peine un séduisant Danilo au timbre viril, rien de vil dans ce débauché dont les nobles scrupules financiers rachètent finalement la crapule finance d’autrefois sous prétexte de noblesse opposée au mariage avec la roturière pauvre. Missia, c’est Anne-Catherine Gillet, voix pure et limpide comme ce personnage blessé mais n’en gardant pas rancune, au contraire obstinée à faire du passé table rase. Au milieu du chœur follement féminin du bon plaisir des hommes, elle a même sagement convoqué les « P’tites femmes » de Maxim’s pour complaire au client Danilo et lui faire fête. La Veuve dite faussement joyeuse chante une nostalgique ballade, la légende de Vilya, « la dryade aux yeux mystérieux », la nymphe des bois, dont un jeune chasseur tombe amoureux, amour impossible qu’il ne cessera de chercher, de chanter comme elle espère sans doute chez l’homme aimé. C’est un moment de poésie, un appel, un rappel au passé d’un amour vivant adressé à Danilo. Tout en se gardant des pianissimi dangereux, Gilet exprime cet air avec une infinie douceur, pleine de mélancolie.

       Et l’on peut rester sceptique sur le happy end. Dans cette œuvre où je vois, sous le comique, la faillite du couple, celui si joliment formé par les héros, est-il finalement mieux loti que les autres ? On peut se demander si Missia, jeune fille autrefois blessée dans son amour, pourra jamais, même en récupérant Danilo, cicatriser sa blessure de jeune femme rejetée. Même sous couvert d’ironie, elle rejoint l’opinion de Danilo pour qui le mariage est « un point de vue très dépassé ». En effet, quand elle feint d’épouser le Français Coutençon, tout en affectant d’embrasser les mœurs conjugales de son nouveau pays et mari, c’est une règle générale qu’elle détaille. Sommet cynique et satirique de l’œuvre sur, ce fond d’adultère généralisé, elle donne ainsi une amère définition du mariage à la mode de Paris (où Danilo est finalement chez lui) : « un ménage sans contrainte » où chacun vit sa vie :

 

« On s’aimera un peu, on se trompera beaucoup », comme on fait à Paris ! 

 

Bref un mariage « avec aller-retour », en rien figé dans une prétention de durée. Et n’est-ce pas ce que chante la mélancolie de la valse finale de l’accord qui dit l’« Heure exquise… », « la promesse du moment » mais ne semble pas viser à l’éternité.

 


Éternité de l’œuvre

Ce qui est indiscutable, si le sujet a vieilli, c’est que la musique reste toujours jeune. On goûte la beauté concise mais prenante, entêtante, des airs, l’entraînante gaîté des différentes danses traditionnelles d’époque valse, polka, mazurka, galop, et ces pas de kolo (danse folklorique des Balkans), on s’agite  et claque des mains à  l’irrésistible fougue du cancan servi par une merveilleuse troupe de danseurs acrobates.

À la direction musicale, Didier Benetti mène l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille tambour battant mais tout en respectant la finesse de cette musique à l’habile harmonie : les plages musicales reprenant les thèmes des airs jamais alourdis de glose, cela fait un délicat tapis roulé et déroulé avec verve et douceur et l’oreille ne perd jamais la référence, d’un air à l’autre, même à distance comme l’amorce  mystérieuse du refrain de la chanson de Vilja est déjà celle de « Heure exquise. »

 

Die lustige Witwe

Opérette Franz Lehàr

Opéra de Marseille

Vendredi 29 déc | 20h
Dimanche 31 déc | 20h
Mardi 2 janv | 20h
Jeudi 4 janv | 20h
Dimanche 7 janv | 14h30

PRODUCTION Opéra de Saint-Etienne
Création le 29 décembre 2022 à l'Opéra de Saint-Etienne
Décors, costumes et accessoires réalisés dans les ateliers de l'Opéra de Saint-Etienne

Direction musicale Didier BENETTI
Mise en scène Jean-Louis PICHON
Réalisée par Jean-Christophe MAST
Décors et costumes Jérôme BOURDIN
Lumières Michel THEUIL
Chorégraphie Laurence FANON

 

Missia Anne-Catherine GILLET
Nadia Perrine MADOEUF
Olga Perrine CABASSUD
Sylviane Simone BURLES

Danilo Régis MENGUS
Le Baron Popoff Marc BARRARD
Camille de Coutançon Léo VERMOT-DESROCHES
Figg Jean-Claude CALON
D’Estillac Matthieu LÉCROART
Lérida Alfred BIRONIEN
Kromski Jean-Michel MUSCAT
Bogdanovitch Jean-Luc ÉPITALON
Pritschitch Cédric BRIGNONE

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

 

Photos Christian Dresse 

1. Apparition de Missia ;

2. Le cœur et les flèches;

3. Danilo et Missia ;

4. Nadia et Coutençon,

5. Popoff et Missia;

6. Le pavillon;

7. Cancan.

 


 

 

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