Die lustige Witwe (1905)
LA VEUVE
JOYEUSE
Opérette en 3 actes DE
FRANZ LEHÁR
Livret de Victor LÉON et Léo STEIN
Livret de Victor LÉON et Léo STEIN
d’après
L'Attaché d'ambassade (1861) d’Henri Meilhac
Oui, vive la
Veuve ! On ne criera pas pour autant « Mort aux
maris ! » par prudence, presque chacun l’étant, l’ayant été ou le sera.
Encore que la disons Pension de réversion
que le vieux Palmieri de Marsovie laisse en mourant élégamment très vite à sa
jeunesse d’épouse Missia, plus que le budget restauré de la petite
principauté d’Europe centrale ruinée, une constellation de millions, ferait le
bonheur d’une myriade internationale de prétendants, soupirants aspirant à sa
main pour restaurer leur fortune, ou la faire, pour la dilapider en restaurants
chics parisiens avec champagne à gogo et gogo girls en campagne, dans cette
capitale du monde et de la fête qu’est ce Paris de la fin du XIXe
siècle où tout le monde se retrouve, mondains comme fripouilles, entre le Maxim’s
cher déjà à tel Président d’hier, cher à faire rire jaune même un gilet d’aujourd’hui, et lieux de plaisirs racaille
et canaille des hauteurs de la Butte à putes de Pigalle et Montmartre. Mais,
pour éviter l’évasion fiscale de la Veuve, fatale aux finances de la Marsovie,
l’Ambassadeur à Paris complote pour lui donner pour époux un Marsovien non venu
de Mars, le Prince Danilo, attaché d’Ambassade, peu gourmé gourmet, gourmand
d’affriolantes gourgandines parisiennes, apparemment peu tenté par la tentante
Veuve, dont on apprendra que son cœur battit autrefois pour elle, avant que
celui du mari n’en claqua d’amour.
Bref, léger, très léger argument du
vaudeville initial d’Henry Meilhac (1830-1897),
prolifique auteur, viveur et noceur, fréquentant réellement le monde de la fête
du Gai (pas encore officiellement
gay) Paris qu’il décrit. Avec son
complice Ludovic Halévy, rencontré un an avant cette pièce, en 1860, il commencera
une intense collaboration de près de vingt ans, semée de chefs-d’œuvre, les livrets
érudits et comiques des plus célèbres opérettes de Jacques Offenbach, La Belle Hélène (1864), La Vie parisienne (1866), La Grande-duchesse de Gérolstein (1867)
et La Périchole (1868) et,
naturellement, Carmen de Georges
Bizet (1875), etc. Une œuvre prolifique, rentable, qui permettait à ce
célibataire endurci de vivre sa vie sans veuve à laisser ni à désirer pour son
argent.
Ici, l’argument est bien mince, encore
aminci par la nécessité d’une adaptation pour la musique, qui allonge toujours
le temps des textes. Mais cette pauvreté dramatique est habillée, enrichie
d’une musique qu’on a beau connaître semble-t-il depuis toujours tant elle a
une sorte d’évidence intemporelle de la mémoire collective et individuelle,
qu’on est toujours étonné de la redécouvrir dans la fraîche beauté de sa
paradoxale et déjà ancienne éternité.
On retrouve donc l’Odéon, seule maison
en France entièrement vouée et dévouée à l’opérette et, dans le foyer, à des récitals
d’airs d’opérettes (Une heure avec…
un ou deux grands chanteurs) hors des pièces de théâtre en tournée. C’est avec un plaisir à la fois enfantin et
érudit que l’on découvre de simples décors en carton peint d’un temps où le
théâtre s’acceptait humblement comme théâtre, avec ses voyants artifices, et
l’on se dit que Mozart, notamment avec sa miraculeuse Flûte enchantée populaire, devait en connaître de semblables. Ici,
de symétriques colonnades à boulons d’architecture industrielle du temps, et,
en fond de lumières changeantes, une Tour Eiffel contemporaine, chef-d’œuvre
métallique d’industrie, illuminée par le miracle aussi contemporain de la
« Fée électricité ». Les costumes, de l’Opéra de Marseille, comme
toujours, seront élégants, d’époque aussi mais avec, dans les scènes de liesse
nationale, d’un folklore imaginaire d’Europe centrale de fantaisie pour cette
fantasque Marsovie, une minuscule parcelle imaginaire du vaste Empire
austro-hongrois qui va bientôt voler en miettes : comme les fastes du
Titanic, ceux de cette Belle Époque feront aussi naufrage avec cette folie suicidaire
d’une Europe en Guerre de 14-18. Mais la musique, elle, surnagera et vivra pour
notre bonheur.
À la direction musicale Bruno Membrey
la traite amoureusement, la
caresse, suivi avec une effusion affective par un Orchestre de l’Odéon
au mieux de son engagement et l’on apprécie la finesse des timbres mis en
relief de certains pupitres. Le Chœur phocéen de Rémy Littolf
fait plus que jouer le jeu : il joue avec un contagieux plaisir dans le
rythme très musical, sans temps mort qu’Olivier Lepelletier, autre
spécialiste de ce répertoire respectueusement servi, donne à sa mise en scène,
avec une distribution où, du dernier comparse aux rôles principaux, chacun,
sans s’économiser, contribue avec bonheur au nôtre par son engagement et son
talent. D’ailleurs, les « Bis ! » qui fusent de la salle et les
généreuses reprises par toute la joyeuse troupe des couplets de la fin, à n’en
plus finir, sont une gratitude, une reconnaissance par le public, de tout ce
travail élaboré à la fois individuellement et collectivement.
Même des figures, de simples silhouettes sont
campées avec une précision loufoque, ainsi les comparses Pritschitch (Jean-Luc Épitalon) et Bogdanovitch (Michel
Delfaud), paire devenue trio avec le Kromski d’Antoine
Bonelli qui n’a même pas besoin de chanter : il lui suffit de ralentir
une syllabe, de dénouer lentement le ruban de la missive, pour déchaîner les
rires, tous en peine d’épouses encanaillées. Dans ce domaine, sans non plus
chanter, Simone Burles est une, lubrique Praskovia lancée à l’assaut sexuel
du Prince Danilo. Dans un finale festif endiablé, Carole Clin est
une Manon menant Maxim’s
de main de maître, pardon, de maîtresse, et
à la cravache !
Avant de reprendre dans ce lieu même sa Gaby Deslys
marseillaise qu’il a ressuscitée, Christophe Born est un Guatémaltèque
haut en couleurs et timbre de voix de ténor, duo avec la voix de baryton du D’Estillac
de Frédéric Cornille, remarqué à l’Opéra dans Traviata, joyeuse paire de compères prétendants intéressés de
Missia.
Dans la catégorie mari aveugle, stentor à grande
gueule tonitruante sur ventre trônant et moustaches avantageuses, Olivier
Grand est un Baron Popoff inénarrable de suffisance et de naïveté face à sa
femme. Et quand celle-ci est la piquante Caroline Géa, qui fut aussi ici
une digne et remarquable Fille de Madame
Angot, l’Ambassadeur marsovien a intérêt à veiller à ses quartiers de
noblesse : la belle Nadia, jouant les mutines, câlines et coquines
Zerlina, allusion musicale de la pièce à Don
Giovanni, veut et ne veut pas, ne veut pas et veut, très lyriquement en
forme, finit tout de même, comme dans les
Noces de Figaro, autre clin d’œil, par entrer dans le propice « joli pavillon » que lui chante et ouvre, d’une superbe voix
d’amant postulant, Camille de Contançon, un élégant, romantique et ardent
ténor Christophe Berry. Il est
vrai que ledit pavillon a la forme d’un éventail qui, comme dans Tosca, a
sa part dans l’intrigue.
Fort heureusement, la
générosité de Missia, la Veuve, la sauvera du déshonneur conjugal dans
lequel elle veut et ne veut pas sombrer mais on sent bien qu’elle succombera un
jour. À moins qu’elle ne soit vite veuve de son pouffant Popoff d’époux.
Voulant et ne voulant pas non plus succomber, lui aux charmes de la
Veuve, du moins l’affirme-t-il, Danilo, le Prince décadent, est incarné par Régis Mengus, qui fut
ici un superbe Ange Pitou dans la Fille de Madame Angot. Il lui prête sa prestance et un
beau timbre de baryton large et chaud, et un talent d’acteur qui sait donner
comme une distance même en chantant son crédo libertin, nimbant sa voix d’un
grain de mélancolie : vanité, vacuité de cette vie ou chagrin secret de
l’amour désintéressé raté dans sa jeunesse avec Missia : « Manon, Lison, Ninon… » ne sont
sans doute que la ronde des figures interchangeables, même dans leur sonorité qui riment, mais ne riment à rien, de l’amour sûrement avec un
grand tas mais non de l’Amour avec un grand A de la Missia perdue, pauvre,
retrouvée riche mais perdue pour le sentiment, qui ne s’achète pas.
Cette Veuve que l’on dit joyeuse, toute
riche qu’elle soit de feu son mari, ne l’est pas plus qu’il ne faut et garde le
sourire et la tête froide au milieu des assauts galants de galants par l’odeur
du fric attirés. Ils ont beaux jouer les boys empressés de comédie américaine
lui offrant, espérant plus, des joyaux dans une scène où elle est érigée en
Marylin Monroe, elle ne chante pas pour autant Diamants are girl’s best friends, Danilo, l’amour de jeunesse étant pour elle un trésor d’une
autre trempe. Elle n’est même pas coquette, c’est plutôt lui le coquet caquetant
comme un coq dans le poulailler de ces dames vénales qu’il n’a même pas eu à
conquérir mais à prendre ou même à ramasser. Pourtant, que d’atouts déploie,
sans outrancière ostentation, la Missia de Charlotte Despaux ! Bonne actrice, blonde, belle sans
agressivité, physique de poupée, elle a une voix facile, ample, au médium fruité, aux aigus
chaleureux, menée avec un art consommé du chant : sa ballade de la légende de Vilya, « la
dryade aux yeux mystérieux », est un moment de poésie, un appel, un rappel
au passé d’un amour vivant à Danilo.
La musique déroule, dans un enchaînement
voluptueux, airs solistes, duos, ensembles, danses, d’une grande beauté. Le
septuor « Ah, les femmes,
femmes, femmes ! » y est le plaisant couplet d’une misogynie
neutralisée par son excès même, scandé avec un grand dynamisme. La danse ne pouvait
manquer, marquée du sceau d’Offenbach dont le souvenir passe aussi dans l’œuvre
avec ses satiriques politiques cancaniers et les érotiques cancans et
french-cancan. Mine de rien, avec sa
mine naïve et sa candide chevelure, le Figg de Jacques
Lemaire entre dans la danse avec des transes de trans ou travesti
levant la jambe, déchaîné au milieu du déchaînement chorégraphique réglé par Esmeralda
Albert où Adonis Kosmadakis est un Valentin le Désossé plus souple et
démantibulé que nature. À s’en démantibuler les mâchoires de rire.
La Veuve joyeuse de Franz Lehár
Marseille, Théâtre de
l’Odéon,
19 et 20 janvier 2019
Direction musicale : Bruno
MEMBREY
Mise en scène : Olivier LEPELLETIER
Chorégraphie : Esmeralda ALBERT
Mise en scène : Olivier LEPELLETIER
Chorégraphie : Esmeralda ALBERT
Missia
Palmieri : Charlotte DESPAUX
Nadia : Caroline GÉA
Manon : Carole CLIN
Praskovia : Simone BURLES
Nadia : Caroline GÉA
Manon : Carole CLIN
Praskovia : Simone BURLES
Prince
Danilo : Régis
MENGUS
Baron Popoff : Olivier GRAND
Camille de Contançon : Christophe BERRY
Figg : Jacques LEMAIRE
D’Estillac : Frédéric CORNILLE
Lérida : Jean-Christophe BORN
Kromski : Antoine BONELLI
Pritschitch : Jean-Luc ÉPITALON
Bogdanovitch : Michel DELFAUD
Baron Popoff : Olivier GRAND
Camille de Contançon : Christophe BERRY
Figg : Jacques LEMAIRE
D’Estillac : Frédéric CORNILLE
Lérida : Jean-Christophe BORN
Kromski : Antoine BONELLI
Pritschitch : Jean-Luc ÉPITALON
Bogdanovitch : Michel DELFAUD
Danseurs :
Esmeralda Albert, Doriane Dufresne, Léha Henry, Adonis
Kosmadakis, Mathilde Tutialis.
Photos : Christian Dresse
1. Deux prétendants et l'Ambassadeur (Born, Cornille, Grand );
2. Le coq et ses poulettes (Mengus et girls);
3. Missia et Danilo (Despaux, Mengus);
4. "Vorrei e non vorrei…", mais j'y vais (Berry, Géa);
5. "Diamants are girl’s best friends" (Veuve et prétendants);
6. Dignitaires marsoviens (Grand, Lemaire, Bonelli);
7. "Heure exquise…" (Missia, Danilo);
8. Cancan final.
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