Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, décembre 20, 2022

CHAUVE-SOURIS SANS VIRUS

 

 

 

La Chauve-souris

(Die Fledermaus, Vienne 1874)

de Johann Strauss fils,

version française de Meilhac et Halévy

0déon, 17 décembre

         Absente de Marseille depuis 2016, à l’Opéra, l’opérette viennoise La Chauve-souris est revenue à l’Odéon poilante, ébouriffante, virtuose virevoltante et sans virus.

Textes drôles pour drôle de contexte

Die Fledermaus, en français ‘La Chauve-souris’ dans le dernier tiers du XIXe siècle, a fait un plaisant va et vient entre Vienne et Paris qui se disputent alors, pacifiquement, la place de capitale musicale de l’Europe, à peine trois ans après l’écrasement du Second Empire français par les Prussiens qui ont créé le Second Reich, l’Empire germanique dont est dépossédée l’Autriche, encore indépendante mais englobée dans la Confédération des états de langue allemande.

      Malgré ce contexte politique peu favorable aux échanges avec l’autre rive du Rhin, les fameux duettistes librettistes Meilhac et Halévy, qui ont adapté Carmen pour Bizet et offert à Offenbach ses meilleurs livrets, décident d’adapter vingt ans après, une pièce berlinoise comique de 1851, Das Gefängnis (‘La Prison’) de Röderich Benedix (1811-1873), sous le titre Le Réveillon (1872), fondé sur une fête folle, loufoque fiction de déguisement. Les masques du sujet, le travestissement des sources allemandes honnies, évite de soulever sans doute l’opprobre revanchard d’un patriotisme français exacerbé par l’annexion allemande de l’Alsace et la Lorraine.

         C’est de la version française de la pièce allemande que deux auteurs de Vienne, le Polonais Richard Genée et l’Autrichien Karl Haffner, tirent à leur tour un livret que mettra en musique Strauss en 1874 sous le titre Die Fledermaus, et qui triomphe. À l’inverse, revenue en France, créée en français à Paris en 1877, sous le titre La Tzigane, dans une version remaniée de Delacour et Wilder, elle ne rencontre pas le succès sans doute à cause de ses origines germaniques douteuses. Il faudra attendre 1904 pour que, dans une adaptation de Paul Ferrier, la célèbre opérette dont on a heureusement oublié les multiples auteurs, adaptateurs français et germaniques géniteurs d’un art sans frontières ni hostilités, trouve un écho favorable en France, les tensions franco-allemandes à peine peut-être un peu apaisées…avant d’exploser encore dix ans plus tard avec la Grande Guerre.

 

         Le compositeur

Du compositeur, Johann Strauss (1825-1899), il est impossible que l’on ignore, sinon le nom, la musique : il signe Le Beau Danube bleu, la plus célèbre des valses viennoises, mais ses autres valses ont fait le tour et tourner le monde : Sang viennois, la Valse de l'Empereur, Aimer, boire et chanter, Histoires de la forêt viennoise, etc. Musiques soyeuses, joyeuses, vivantes, toutes associées, pour les Viennois, à la joie de vivre dans cette capitale encore heureuse qui vient pourtant de connaître l’année précédente un krach financier retentissant, mais qui s’étourdit encore en rose pendant le crépuscule morose  de la dynastie des Habsbourg qui va voir le suicide, avec sa jeune maîtresse, de l'archiduc Rodolphe, l’héritier et, après l’assassinat de l’Impératrice Élisabeth, Sissi, la proche fin tragique de l’Empire autrichien avec la fin de la Grande guerre.

Ce n’est pas, pour rien qu’on appelle « Roi de la valse » ce Johann Strauss II, car il est fils de Johann Strauss I, dit le Père, et ses frères Josef et Eduard sont également compositeurs. Mais lui, Johann II, sera le plus célèbre de la famille. Et pourtant, son tyrannique de père, qui voulait faire de lui un employé de banque, lui refusait l’accès à la musique. Ce n’est que grâce à l’aide de sa mère qu’il étudie clandestinement le piano et, ce père parti de la maison et le divorce consommé, il pourra librement s’adonner à la musique, éclipser père et frères et devenir le plus célèbre de la famille Strauss. Un autre célèbre compositeur aussi d’opérettes, Oscar Straus (1870-1954), enlèvera un s final à son nom pour n’être pas confondu avec l’illustre dynastie qui le précède.

Chauve-souris

L’histoire, vaudevillesque, est simple mais compliquée par les quiproquos causés par des déguisements. Le titre en est un,  de chauve-souris.  Deux joyeux fêtards, après un bal costumé, s’apprêtent péniblement à rentrer chez eux, au domicile conjugal à l’heure discrète entre chien et loup (de carnaval), où tous les chats sont gris. L’un d’eux, Duparquet, plus que gris et grivois, éméché qui ne veut vendre la mèche de ses plaisirs nocturnes, s’endort et l’autre, Gaillardin, pour lui faire une blague, ne le réveille pas : le grave et sérieux notaire et notable bien connu, qui rêvait d’incognito, est contraint de rentrer chez lui en plein jour dans son accoutrement ridicule guère anonyme de chauve-souris, au grand rire des passants. Il rêve de se venger du coup de la chauve-souris.

Dans la version française, Gaillardin avait invité Duparquet, quatre ans auparavant, à une soirée mondaine chic qu’il lui donne pour un bal costumé à thème animal : il s’y présente donc en déguisement de chauve-souris, tombant sur des invités en tenue de cérémonie, robes d’apparat pour les dames, frac pour les hommes, dont le seul signe animalier est peut-être la queue de pie des habits élégants. Désireux de se venger de la farce, Duparquet s’en donne l’occasion : Gaillardin, pour insulte à fonctionnaire, doit passer huit jours en prison, et laisser au domicile sa femme Caroline, qui, en attente fiévreuse de son ancien amant Alfred qui lui donne la sérénade, joue l’épouse éplorée. Il s’apprête à partir pour la prison de Pontoise, département de l’Oise, où se passe l’action, le fin fond, apparemment, moqué, du provincialisme bourgeois d’alors. Mais Duparquet l’invite auparavant, à l’insu de sa femme, à la fête costumée du Prince Orlovsky à Paris. Avant d’aller en prison, Gaillardin s’y rendra incognito, déguisé en marquis.  C’est la recette du vaudeville : tout le monde se retrouve en même temps où il ne faut pas, pour l’heure travesti : Arlette la soubrette, en grande dame, parée d’une robe de sa maîtresse, moquant son maître, le faux marquis prétendant la connaître ; sa femme Caroline, avisée par sa servante de la fugue de son frivole époux, déguisée en comtesse hongroise ; Tourillon le nouveau Directeur de la prison qui avait arrêté à domicile l’amant Alfred, le prenant pour le mari Gaillardin, qui fera la cour à sa femme sans la reconnaître, lui donnant sa montre en gage. Pas de trouble-fête dans cette fête du champagne où chacun joue son double rôle. Puis tout le monde se retrouvera encore dans la prison où se trouvait l’amant Alfred pris pour le mari, où enfin les masques, après d’autres quiproquos seront joyeusement levés.

Réalisation et interprétation

         Sur un fond bleu, entre deux insolites colonnes de pierres brutes, sur l’estrade à six degrés de l’Odéon, de face, une petite crédence Louis XIII à pieds joliment torsadés, avec un énorme bouquet de fleurs et un broc à eau luxueux ; à jardin, une autre desserte simple ne sert à la vue qu’un pauvre renard empaillé sur fond d’un tableau sur chevalet de chasse au cerf. Sur la scène, un beau canapé, un fauteuil et deux chaises Louis XV autour d’une petite table à longue nappe et un buffet à cour :  assez sans doute, avec ces quelques simples accessoires imposés par la nécessité économique étroite de notre époque, pour dire le large confort d’une bourgeoisie replète, en une époque du syncrétisme, de l’éclectisme culturel qui prend ses signes de diverses époques, bien commode, bon point et bon goût pour Art Musical qui signe astucieusement ces accessoires, décors et costumes. Les deux colonnes seront closes de la grille de la prison du dernier acte, projection de l’ombre de barreaux, intelligente économie de moyens où la nécessité fait force. De loi.

         À l’exception du gendarme, cape, képi, intemporels, les costumes sont d’époque mais la sobre robe de Caroline, sur des tons de blanc et gris, sous un soyeux surtout vaporeux, est d’une élégance raffinée.

         Acte deux : deux fauteuils Louis XVI, deux Lions d’or en hauteur aussi comme sièges et, une chaise curule romaine ; en fond immense Le déjeuner sur l’herbe de Manet (et un collage semble-t-il d’une autre toile d’époque que je ne distingue pas de ma place), un déjeuner où, entre deux hommes habillés, la femme nue semble avoir été au menu, mais avec un regard de défi et une liberté consentante qui choqua les contemporains bourgeois comme aujourd’hui le néo-puritanisme féministe ; l’autre femme sortant de l’eau déshabillée, rappelle que le tableau s’appelait d’abord, ouvertement sexuel,  La Partie carrée.

         Cela en dit aussi suffisamment pour la luxueuse et luxurieuse salle et sarabande sardanapalesque du satrape Prince Orlofsky où, à l’exception du gladiateur musculeux dénudé qui semble jouir, et réciproquement, de ses faveurs, les corps, prêts à être déballés pour le bal, sont pour l’heure emballés de toges antiques bacchiques et offenbachiques orphiques, faciles à dépouiller.

         Le Prince, la femme travestie de la tradition lyrique mais aussi du décadentisme transsexuel de l’époque, inversion lit(térale), joli clin d’œil de « genre », est cette fois un homme qui, sans changer de sexe, prise le sien, celui de son bel esclave sexuel. Avec allure, il a la figure du ténor Alfred Bironien, couronné de lauriers, drapé d’un somptueux manteau cape chamarré, dont l’ample mouvement accentue sa noblesse et lui, son accent russe, affable et ineffable mais neurasthénique slave, de tout blasé, biaisé en virilité par celui qu’on devine son méga mignon et vice versa.

         D’abord gendarme voleur, subtilisant couverts et même assiettes chez les Guillardin où il vient, avec le directeur de la prison, arrêter le mari, puis intarissable et inénarrable geôlier Léopold, Jacques Duparc, qui signe cette mise en scène légère mais au cordeau sur la scène exiguë de l’Odéon, qui exige précision avec tant de monde sur le plateau, lors d’une longue scène comique bourrée de clins d’œil littéraires, de La Fontaine à Molière (« Le petit chat est mort ») enfile les jeux de mots sans lourdeur. Bidard, avocaillon, avocat, à vocation procédurière prolixe comme son air de liste de la tradition bouffe dont da Ponte et Mozart signent le chef-d’œuvre, « le Catalogue » de Leporello, c’est l’ineffable Dominique Desmons qui, de jouer à chanter, sait tout faire, donc aussi homme à tout faire pressé, empressé, chez Orlovsky.

         Alfred, l’amant trahi et transi, c’est Christophe Berry, dandy donneur de sérénade, gandin aussi élégant dans son chant et sa mise que sa muse, rêvant de faire mumuse adultère avec elle, sortant ou entrant non de l’armoire du vaudeville mais par la fenêtre quand on le chasse par la porte, chaussant sinon les pantoufles, la robe de chambre de l’époux dont il prend, à tant pousser non plus la sérénade mais le rôle, la place en prison. Une prison dont le Directeur, apparemment austère, campé avec drôlerie par Jean-François Vinciguerra, voix à faire trembler et tomber les murs des cachots, tonitruant Tourillon du tour d’écrou qui se dévisse aux vices tolérés de la prétendue haute société pour tomber dans les chaînes amoureuses et les menottes menues d’Arlette. Celle-ci, Ève Coquart, caquetante et piquante dans son jeu, est moins cocottante dans son chant aux notes piquées. Davina Kint est sa sœur Flora, fleur épanouie, la danseuse, leveuse de jambe pour ces messieurs, ronde, couronnée d’une ébouriffante chevelure d’Angela Davis blonde. Sa maîtresse Caroline, élégamment incarnée par Perrine Madoeuf, a une voix avec ce qu’il faut de médium fruité pour le moment de poésie qu’est sa czardas à la fois nostalgique, vaporeuse, voluptueuse, sensuelle dans le mouvement lent, puis d’une véloce ivresse presque désespérée du tempo rapide.

         Duparquet, l’ancienne « chauve-souris » humiliée, qui va rendre au fauteur Gaillardin la monnaie de sa pièce en montant celle du bal où joueront la comédie travestie soubrette, épouse et Directeur de prison, c’est Philippe Ermelier, puissante voix, dominée dans sa conduite. C’est lui qui lance le magnifique ensemble vocal « Ô douceur d’être frères, d’être sœurs… », rêve idyllique, sans doute éthylique dans la griserie du champagne, d’une humanité où il n’y aurait enfin que des fils d’Adam, sans smoking ni feuille de vigne, et des filles d’Ève sans voiles dans une pureté paradisiaque, sur l’illusion d’un soir de fête où, au milieu des travestis carnavalesques, dans l’anonymat égalitaire des toges, se mêlent en apparence les classes sociales, les aristos et les danseuses, les maîtres et les esclaves. Littéralement, la cellule de dégrisement, des utopies, sera celle de la prison où chacun se retrouve.

          Gaillardin, auteur de la première farce et moteur involontaire de la seconde dont il sera le dindon, c’est Florian Laconi. On a beau connaître et apprécier ce magnifique ténor, on croit le découvrir tant il fait montre de facettes de jeux et de voix irrésistibles de vérité scénique. Sous le costume apprêté de la réussite sociale bourgeoise au ventre autosatisfait, sous ses tons de voix variés, de la noble dignité offensée aux accents de tribun de la Troisième République, il laisse percer le rustaud sinon rustique de l’alors campagnarde Pontoise, département de l’Oise, saisi par la bamboche et la débauche, craignant de jeûner en prison, se commandant un pantagruélique dîner, typique bâfreur et viveur digne d’Offenbach,  d’une époque de bombance de classe : de sa grande voix, il fait la grande gueule d’un vrai personnage de comédie.

         Quant à la musique, elle est menée de main de maître par Emmanuel Trenque, à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, pétillant, tenu à la baguette : ouverture étincelante, ciselée. Tout s’enchaîne sans un trou, et la mise en scène suit sans un temps mort : suites de danses, polkas, galops, valses bien sûr mais trame musicale semée des duos aux ensembles plus complexes, airs solistes et beaux chœurs d’une grande qualité de facture et d’un beau rendu scénique et musical. Bon et beau spectacle pour seulement deux jours…

La Chauve-souris

de Johann Strauss fils,

version française de Meilhac et Halévy

0déon, 17 décembre

Direction musicale : Emmanuel TRENQUE
Cheffes de chant :  Laura CARAVELLO et Anne GUIDI

Mise en scène : Jacques DUPARC
Décors, costumes et accessoires ART MUSICAL

Distribution

Caroline : Perrine MADOEUF

 Arlette : Ève COQUART
Flora :  Davina KINT

Gaillardin :  Florian LACONI

Duparquet :  Philippe ERMELIER

Tourillon : Jean-François Vinciguerra
Alfred : Christophe BERRY

Orlowsky :  Alfred BIRONIEN

 Léopold Jacques : DUPARC

 Bidard : Dominique DESMONS

Orchestre de l’Odéon

Alexandra JOUANIÉ, Benoit SALMON, Marie-Laure ROCCA, Yann LEROUX-SÉDÈS, Hélène CLÉMENT, Isabelle RIEU, Julien LEENHARDT, Alina FAIRUSHINA, Nicolas PATRIS de BREUIL, Tiana RAVONIMIHANTA, Frédéric LAGARDE, Pierre NENTWIG, Bernard CHAPPE, Virginie ROBINOT, Soizic PATRIS de BREUIL Stephan BRUNO, Xavier BAPELLE, Benoit PHILIPPE, Luc VALCKENAERE, Marianne BILLAUD, Alexandre RÉGIS

Chœur Phocéen

Caroline BENOIT, Sneji CHOPIAN, Mathilde FONVILLARS, Sabrina KILOULI, Davina KINT, Rosanne LAUT, Esma MEHDAOUI, Whenhua YUAN, Damien BARRA, Pierre-Olivier BERNARD, Patrice BOURGEOIS, Simon BRUNO, Sylvio CAST, Corentin CUVELIER, Daniel IZZO, Clément PONS

Chef de Chœur : Rémy LITTOLFF
Cheffes de chant : Laura CARAVELLO et Anne GUIDI 

Photos Christian Dresse 

1. Le mari (Laconi) faisant la cour à sa femme déguisée (Madoeuf);

2. Le mari, la femme, pointant sa tête, l'avocat (Desmons); 

3. La Femme, le gendarme (Duparc), Tourillon (Vinciguerra), l'amant (Berry);

4. Arlette (Coquart), Flora (Kint), Duparquet (Ermelier);

5. Gallardin, Orlovsky (Bironien), Duparquet (Ermelier);;

6. Chez Orlovsky.

 

Aussi, émission N°646 de Benito Pelegrín

 

mardi, décembre 13, 2022

PRIX DE L 'ACADÉMIE DE MARSEILLE

 

 Prix de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille


L’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille est la plus vieille institution culturelle de notre ville. C’est une société savante fondée en 1726 par Louis XV. Elle réunit quarante membres, des personnalités issues des arts et lettres et des sciences de Marseille. Depuis sa fondation, l’Académie décerne des prix et, cette année, ce sera le 15 décembre à 17 heures dans le magnifique salon Eugénie du Palais du Pharo, devant le spectacle tout aussi magnifique de Marseille et de l’entrée de son port. C’est une séance ouverte à tous, suivie d’un vin amical.

Une quinzaine de prix sont attribués à des ouvrages récents sur Marseille et la Provence, dont les auteurs sont résidents, éventuellement, en rapport avec l’Académie. Certains prix couronnent une activité scientifique ou artistique remarquable à Marseille ou dans sa région. D’autres sont dédiés à une action de bienfaisance, particulièrement au bénéfice de la jeunesse en difficulté. Ces prix de bienfaisance reçoivent d'une dotation financée soit par l’Académie, soit par un mécénat, ou un fonds privé.  Les autres prix sont honorifiques et reçoivent un diplôme et une médaille.

Un comité a sélectionné et voté les prix en octobre ; des académiciens « rapporteurs », qu'on ne citera pas ici pour alléger le texte, présentent les choix en un bref exposé.

        1) Prix du maréchal de Villars, Grand Prix historique de Provence. Le maréchal Claude-Louis-Hector de Villars (1653-1734), gouverneur de Provence, membre de l’Académie française, protecteur de l’Académie de Marseille au moment de sa fondation en 1726, créa en 1727 le plus ancien prix de ceux qu’elle décerne. C’est ainsi son prix le plus prestigieux.  

Décerné à Thomas Sertillanges, pour son livre Edmond Rostand, les couleurs du panache, Atlantica, le père, marseillais, de Cyrano.

2) Prix du duc de Villars. Le duc de Villars Honoré-Armand, fils du maréchal, protecteur de l’Académie depuis 1734, favorisa l’intégration des Sciences à l’Académie de Marseille. Le prix qu’il a fondé en 1767 est décerné à un ouvrage scientifique sur Marseille et la Provence. Cette année :  

 

La Ligue de Protection des oiseaux pour son livre collectif La Faune des Bouches-du-Rhône, éd. Biotope.

  

Prix de la classe des Sciences

         3) Prix Henri Fabre : décerné en partenariat avec l’Union régionale Provence des ingénieurs et scientifiques de France (IESF Provence) qui l’a fondé. Il porte le nom de l’ingénieur marseillais concepteur du premier hydravion qui a décollé de l’étang de Berre le 28 mars 1910. Au 

            Laboratoire d’Astrophysique de Marseille

 

Prix de la classe des Lettres

       4) Prix Mr et Mme Amphoux : couronne une œuvre d'un auteur né ou domicilié en Provence :

          Jérémie Foa, maître de conférences HDR en Histoire moderne à Aix-Marseille Université, pour son livre Tous ceux qui tombent, Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, La Découverte.

    5) Prix Edouard Saman, du nom d’un membre correspondant de l’Académie de Marseille, né en 1912 à Beyrouth, décerné à un ouvrage d’Histoire ou d’imagination portant sur les échanges culturels entre Marseille et la Méditerranée : 

     Rémi Duchêne, pour son livre L’Escale des géants, Marseille et les écrivains 1850-1900, Presses universitaires de Rennes.

    6) Prix Jean Tourette, pour un ouvrage retraçant un moment de l’Histoire de Marseille ou de la Provence :  

      Judith Aziza, pour Une Histoire de Marseille en 180 lieux, Gaussen, 2021.

    7) Prix Constantin Casteropoulos du nom d’un poète marseillais né au Pirée (1915-1989), fondateur, en 1979 du mouvement de la nouvelle École romane, décerné à une œuvre poétique :  

      Tricio Dupuy, pour son dictionnaire provençal-français, Di Pescaire, de la pesco et di pèis d’eici, Edicioun dóu C.I.E.L. d’Oc, 2021. ex aequo avec  Carles Diaz, pour son livre Polyphonie landaise, précédé de Paratge,  Gallimard, 2022. 

 

Prix de la classe des Arts

    8) Prix Pierre Barbizet (1922-1990) du nom d'un des grands pianistes de sa génération, directeur du Conservatoire de Marseille de 1963 à sa mort, membre de l’Académie, ce prix est décerné à un musicien, créateur, interprète ou critique musical marseillais :  

     Olivier Bellamy, Dictionnaire amoureux de Chopin, Plon, 2021.

 

     9) Prix des arts visuels Albert Detaille. En hommage à Albert Detaille (1903-1996), peintre et photographe, membre de l’Académie, ce prix a été fondé par ses fils Gérard Detaille, membre de l’Académie. Il est destiné à un ouvrage ou une œuvre en rapport avec Marseille ou sa région mettant en valeur la photographie ou relevant de ses techniques. Il est attribué à l’équipe ayant réalisé la restitution de la Grotte Cosquer :

Laurent Delbos, chargé de mission Restitution et ses collaborateurs, Gilles Tosello et Bernard Tofoleti (Atelier Création Décor), Alain Dalis (Atelier Art et os), Stephane Kyles et Romain Senatore (Atelier Perspective(s). 

    10) Prix d’encouragement Marie Bouffier. Ce prix fut fondé en 1920 par Marie Bouffier, co-fondatrice avec l'abbé Dassy, son beau-frère, membre de l’Académie de Marseille, de l'Institut des jeunes aveugles de Marseille, aujourd'hui IRSAM, sur la colline de La Garde, institut dont elle fut pendant quarante ans la Supérieure générale. Selon la volonté de la fondatrice, ce prix est décerné chaque année à un élève particulièrement méritant de l'un des établissements de l'Institut, alternativement un mal voyant et un mal entendant. Il est décerné à

       Monsieur Yann Chane-Fui, qui reçoit un chèque de l’Académie.

 

    11) Prix Mr et Mme Gravier à une œuvre d’utilité publique.

    l’Association « La Bourguette », La Tour-d’Aigues. 


    12) Prix de l’Ecole de la Deuxième Chance. Depuis plusieurs années, l’Académie de Marseille s’est rapprochée de l’École de la Deuxième chance de Marseille (E2C) et soutient son action par un prix financé par le Crédit Industriel et Commercial décerné à un groupe d’élèves ayant réalisé un travail particulièrement remarquable au cours de sa scolarité à l’E2C. Le choix des lauréats est fait par le CIC en accord avec l’Académie sur proposition des enseignants de l’E2C.  (Lauréats en cours de sélection) (remise d’un chèque du CIC)

    13) Prix Etienne Zafiropulo. Ce prix, créé par un important industriel et banquier, représentant des entrepreneurs transméditerranéens issus de la diaspora grecque qui ont basé leur activité à Marseille, Etienne Zafiropulo (1817-1894), bienfaiteur de l’Académie, a été remis à l’ordre du jour par ses descendants. Attribué à

     l’Association L’Abri maternel , Marseille (remise d’un chèque) 

 

    On se quitte sur quelques mesures du Carnaval op. 9 de Schumann par Pierre Barbizet

https://www.youtube.com/watch?v=I-4zkELqYtI 

 

15 décembre à 17 heures, Palais du Pharo, Prix de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille, séance publique

Les lauréats (derrière, les académiciens) sous le regard d'Eugénie de Montijo
 (©Michèle Clavel)

 

ÉMISSION N°643 DE BENITO PELEGRÍN, 10/12/2022


vendredi, décembre 09, 2022

HEUREUSE ERREUR

 

La Sorella mi fa fallare

Par l’ensemble Ozio Regio

Label Seulétoile

          Titre étrange : ‘ma sœur me fait tromper’, nous l’expliquerons, par Ozio Regio, ‘loisir royal’. C’est, en fait, la musique instrumentale de Marco Uccellini (v.1603-1680).

         Anaëlle Blanc-Verdin, violoniste, signe un livret avec un enthousiasme juvénile pour ce XVIIe siècle tourné vers les étoiles, son vertige émerveillé des découvertes scientifiques et de folles inventions, auxquelles, avec raison, elle raccorde la musique. Je suis heureux que des jeunes découvrent ce que j’ai exposé depuis très longtemps déjà dans mes ouvrages sur le Baroque, qu’on me pardonnera de citer, notamment Figurations de l’infini. L’Âge baroque européen, (Seuil, 2000) dont au moins la seconde partie, Les Chemins du ciel, explore cette fascination du Baroque, « entre ciel et terre », comme je le définis (Troisième Partie), où la « musique [est] conquise sur le ciel » comme je l’explique (p. 254-273).  Elle faisait partie, je le répète, du cursus universitaire du quadrivium, l’étude des mathématiques, arithmétique, géométrie, astronomie, musique.

         Il n’est pas étonnant que Marco Uccellini, violoniste et compositeur, comme tant d’autres artistes et compositeurs de son temps, participe de cette effervescence, de ce culte baroque de la nouveauté, de l’invention, que j’ai aussi longuement étudié dans un autre ouvrage[1]. Paradoxalement, c’est une approche intellectuelle de la composition de la musique mais dont l’effet immédiat, par le rythme, les sons, les sensations, s’adresse, plus qu’à la tête, au corps, comme toutes les musiques, même les plus primitives, dont les effets somatiques peuvent aller jusqu’à la transe. Quant aux plus élaborées, les plus sophistiquées des musiques, elles passent tout naturellement, du physique à la métaphysique, à l’extase spirituelle, religieuse, mystique : c’est J. S. Bach qui a inventé Dieu, disent des incroyants confessant par là-même que sa musique les élève à des sphères qui ne semblent pas de ce monde ; on pourrait aussi invoquer le sentiment de la sacralité de la musique chez Wagner et d’autres.

         Je souscris donc volontiers à la sympathique découverte que semble faire Anaëlle Blanc-Verdin de cette inventivité scientifique et musicale du Baroque, me contentant d’aller dans le sens de ce jeune ensemble en lui apportant des arguments de ma vieille expérience et culture en ce domaine. Mais, sans évoquer de métaphysique, écoutons la simple joie physique qui se dégage de ce morceau de la Sonate 11, la Leona, la « Lionne », où les volutes du violon doré d’Anaëlle Blanc-Verdin semblent enrubanner la voix de miel du violoncelle de Jean-Baptiste Valfré, avec les commentaires ironiques du cornet à bouquin de Sarah Dubus, ce lointain cousin des cornes d'animaux percées de trous, instrument en bois paradoxalement classé dans les cuivres :

1) PLAGE 3 

         Né en 1603 à Forlimpopoli, l’antique Forum Popili, la ville aux amphores, Marco Uccellini passe toute sa vie dans le nord de l'Italie, attaché d’abord à la cathédrale de Modène puis à Parme, à la grande famille princière des Farnèse. La majeure partie de son œuvre est perdue. Seules vingt-deux sonates pour violon nous sont parvenues dans des éditions d’époque publiées à Venise, mais également Amsterdam et Anvers, qui prouve son audience européenne, tout comme l’écoute en ces lieux de l’Italie septentrionale, de la musique des proches pays germaniques.

         Uccellini passe pour un précieux précurseur de la tradition instrumentale du Baroque italien. Violoniste réputé, il perfectionne la technique de l’archet, introduit l'usage de la sixième position pour jouer les notes aiguës qui piquètent et auréolent souvent ses partitions. Comme son nom Uccellini signifie en italien « petits oiseaux », on a pensé que ces notes aiguës venaient de ce jeu onomastique bien baroque (on sait que Bach jouait aussi de son nom puisque les noms des notes, dans les pays anglo-saxons sont des lettres).  En tous les cas, on peut en juger en écoutant un extrait de la Sonate 9 opus 5 qui permet d’entendre, par le même violoncelliste et la même corniste et flûtiste, le second violoniste de l’ensemble, Jérôme van Waerbeke, sur un rythme obstiné de chaconne, un gazouillis, un pépiement joyeux d’oiseaux de son violon ailé :

2) PLAGE 8

         Maître de chapelle de la cathédrale de Modène pendant vingt ans, malgré sa prédilection pour la musique instrumentale, on sait qu’à Parme, attaché à la cour des Farnèse, il donna plusieurs spectacles scéniques dont on ne conserve malheureusement que les livrets et les titres, ballets et opéras aux sujets inévitablement mythologiques. En revanche, sur une trentaine d'années (de 1639 à 1669), il a écrit près de trois cents œuvres, sept recueils de pièces instrumentales (sonate, sinfonie, arias con variazioni et toccatas) qui nous sont parvenus jusqu'à nous. Le violon y règne en maître. Cela fait de Marco Uccellini une étape importante dans la constitution d'un répertoire spécifique pour le violon, préfigurant Tartini au XVIIIe et Paganini au siècle suivant.

         Sa musique est comme un condensé du Baroque : contrastes, jeux de tonalités, dissonances savoureuses, subtiles harmonies, belles mélodies horizontales approfondies d‘un contrepoint vertical raffiné, brodées de virevoltants et virtuoses ornements toujours variés. Exemplaire, sa Sonate 16 opus 3 à trois, violon, violoncelle et vents :

3) PLAGE 13 

         Pour savante que soit la musique d’Ucellini, il ne dédaigne pas de sublimer la musique populaire en exploitant des chansons. Il y a aussi ce jeu plaisant du titre de sa Sonate 15 à trois, dont le titre énigmatique, la sorella mi fa fallare ‘la sœur me fait fauter, ou tromper’ s’éclaire syllabiquement en notes : la, sol, ré, mi, fa, fa la, ré, le thème même de la sonate répété trente-deux fois. Et c’est avec elle que l’on quitte ce beau CD dont on apprécie l’excellente prise de son, l’équilibre entre tous les instruments et les instrumentistes chaleureusement inspirés, sans oublier les jolies illustrations astronomiques et géographiques du temps :

4) PLAGE 6 

         On a encore plaisir à saluer ces jeunes ensembles qui sortent des allées trop rebattues, trop balisées de la musique, pour nous promener, avec leur enthousiasme communicatif, sur des chemins de traverse, sans travers, pleins d’heureuses surprises.

Ensemble Ozio Regio

Anaëlle Blanc-Verdin & Jérôme van Waerbeke, violon | Sarah Dubus, cornet à bouquin et flûte à bec | Mathieu Valfré & Arnaud De Pasquale, orgue et clavecin | Jean-Baptiste Valfré, violoncelle | Nicolas Vazquez, saqueboute

 

 



[1] D’un temps d’incertitude 

        ÉMISSION NUMÉRO 644 DE BENITO PELEGRÍN
 

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