Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

Ma photo
Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

mardi, octobre 30, 2018

UN COMTE PAS TRÈS À LA NOCE



LE NOZZE DI FIGARO
Opéra-bouffe en quatre actes
Livret de Lorenzo da Ponte
d’après Le Mariage de Figaro de Beaumarchais
musique de Wolfgang Amadeus Mozart


L’ŒUVRE : Le Roman de la famille Almaviva

Le nozze di Figaro, ‘Les noces de Figaro’ de Mozart, opéra bouffe créé à Vienne en 1786, est avec Don Giovanni (1787) et Cosí fan tutte (1790), l’un des trois chefs-d’œuvre que le compositeur signe avec la collaboration du génial Lorenzo da Ponte pour le livret, poète officiel de la cour de Vienne. Il s’inspire de La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro (1785), volet central de la trilogie théâtrale de Beaumarchais, Le Roman de la famille Almaviva, qui comprend Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile, 1775, ce Mariage de Figaro donc et  L'Autre Tartuffe ou la Mère coupable, 1792, en pleine Révolution française, située à Paris.
         Dans ce Mariage de Figaro, on retrouve les mêmes personnages que dans le Barbier de Séville :  pour les secondaires, don Basile, le professeur de musique intrigant et vénal, pour les principaux, le Comte Almaviva, grand seigneur andalou qui, grâce à l’ingéniosité du barbier Figaro, a enlevé puis épousé la pupille de Bartolo, Rosine devenue la Comtesse délaissée du Mariage de Figaro. Ce dernier, encore héros en titre, devenu valet de chambre du Comte, va épouser le jour même Suzanne, nouveau personnage, camérière et confidente de la triste Comtesse, et l’on trouve la vieille Marceline, obstacle à ces noces car elle prétend épouser Figaro sur la promesse de mariage qu’il lui a faite contre un prêt d’argent qu’il ne peut rembourser. Enfin, un autre personnage essentiel à l’intrigue paraît, Chérubin, un jeune page turbulent et amoureux qui sème involontairement le trouble sur son passage.
         Pièce prérévolutionnaire
       Écrite dès 1781, la pièce de Beaumarchais n’est créée que trois ans plus tard, mais censurée pendant des années. Car c’est bien une pièce prérévolutionnaire, dont les répliques contondantes font mouches, comme le féminisme de Marceline, insurgée contre la dépendance des femmes qui ne pouvaient même pas administrer leur fortune, et s’indigne :
« Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! » 
Si, dans le Barbier, Figaro avait deux sentences d’une spirituelle impertinence contre les nobles : « un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » et déclare impunément au Comte : « Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ? », dans le Mariage, on trouve la fameuse phrase  de Figaro devenue la devise du journal éponyme, de même nom : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »
         Il y a, surtout, dans le second volet du triptyque, la révolte argumentée du valet Figaro, parfait et loyal serviteur du Comte, qu’il aida à séduire et enlever Rosine. Mais Suzanne lui découvre que son maître ingrat le trahit, veut rétablir le « droit de cuissage » qu’il avait aboli, droit du seigneur de posséder avant lui la fiancée de son serviteur, prétend coucher avec celle qu’il doit épouser le jour même. Car, tout comme Le Barbier de Séville précédent, c'est aussi une comédie à l’espagnole avec des parallélismes entre les maîtres et les valets, mais ces derniers deviennent aussi premiers, les valets disputent la première place aux maîtres et donnent même le titre de la pièce. Ils entrent en conflit avec eux, pour le moment en secret, avec la ruse, force des faibles. Et c’est la fameuse tirade, le monologue de Figaro, qui annonce la Révolution en dénonçant la noblesse :  
« Parce que vous êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus... »
Terrible réquisitoire d’un plébéien, d’un Tiers état, qui rue dans les brancards et demandera bientôt l’abolition des privilèges indus de la noblesse  
L’empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, despote éclairé, favorable à Mozart, écartelé entre libéralisme et conservatisme royal, avait interdit à Vienne la pièce de Beaumarchais, mais pas sa lecture. Il approuva le livret de da Ponte, purgé de ses audaces, du moins la tirade finale impitoyable de Figaro contre la noblesse, qui devient simplement un air convenu contre les ruses des femmes quand il croit que Suzanne a cédé aux avances du Comte. Cependant, sous la trame d’une ingénieuse comédie aux rebondissements incessants fous et loufoques de cette « folle journée », le conflit entre peuple et noblesse demeure latent et même avoué et ouvert : Figaro, découverts le désir et projet du Comte, décide de le déjouer et le noble, joué, désire se venger sans pitié de ses domestiques. C’est une lutte des classes, dont la franchise est cependant feutrée par le rapport des forces entre le maître tout-puissant et ses serviteurs contraints à jouer les renards contre le lion, la ruse contre la force. S’ajoute l’alliance de la femme humiliée par l’homme (pourtant perdante, en France, de la proche Révolution qui lui refusera le droit de vote mais pas celui de mourir sur l’échafaud…)
RÉALISATION
 
         C’est sans doute l’une des lignes subtiles de la mise en scène de Stephan Grögler : un éclairage, ténébreux (Gaëtan Seurre), paradoxal pour cette pièce des Lumières mais d’un temps obscurément tenté et teinté par les noirceurs gothiques, une trouble lumière sur le statut de la femme, statue idolâtrée en paroles, mais abandonnée sur son piédestal de courtoisie : la femme, on en joue, on en jouit, on la jette.
D’entrée, durant l’ouverture animée, une nuée de corbeaux masculins en frac à la poursuite de caillettes défroquées à consommer sur canapé, en guépière, fuyant la virée survoltée de la meute virile, image répétée de harcèlement des oies pas forcément blanches, de chasse au sexe, répétée, mais sans doute inutilement tirée, par les costumes, vers notre actualité féministe alors que l’histoire prouve que cela n’a pas d’époque, sujet même de la pièce. Pareillement, en lever de rideau du dernier acte, dans une pénombre favorable aux forfaits, déplorant son épingle perdue, c’est sans doute sa virginité que pleure Barbarina probablement violée de dos par le Comte, honteusement, qui fuit furtivement, fatalité de l’oppression masculine. Même notre héros, Figaro, héraut de la révolte des femmes et faibles contre le Comte, ne s’embarrasse guère de manières pour jeter sans façons, sa chère Suzanne au sol. Quant au Comte, il ne compte en rien la politesse courtoise de son rang pour gifler la Comtesse. Chérubin, malgré son charme juvénile, est bien rejeton de la même engeance qui ne déroge pas à la règle, s’arrogeant tout pouvoir sur toutes les femmes, Comte et Don Juan en puissance : les libertés qu’il prend même sur la Comtesse sont déjà celles du libertin, le consentement sensuel de la dernière semble anticiper la troisième pièce du volet, La Mère coupable, où, effectivement, elle lui aura cédé, enceinte même de ses œuvres (Figaro, figurant un soldat blessé lors de l’air sur Chérubin à la guerre annonce sans doute aussi cette pièce où Chérubin est mort au champ d’honneur).
Plus évidente, signés aussi de Grögle, la ligne de force des décors sans décorum de ces aristocrates qui vont prochainement être déménagés par l’Histoire : un bric-à-brac de bric et de broc sur une scène, encombrée de tous les dérangements d’un vrai déménagement, paquets, meubles et une échelle, servant parfois de tribune aux harangues triomphante des personnages. C’est bien justifié puisque l’on sait que le Comte, nommé ambassadeur par le roi, s’apprête à partir pour Londres, avec armes et bagages. Sensation de labyrinthe dont se tireront sans doute les malins dans un jeu de chat et souris,  Figaro emménageant avec volupté, aménageant son avenir avec Suzanne, mais sentiment de monde en ruines, de chaos, qu’il faudra bien réordonner un jour, et l'on voit ici les prémices de la révolte des gueux contre le maître, guère à la noce,; près de rendre compte, le Comte. Dans les meubles, un incongru fauteuil blanc moderne, avec d’autres signes, au milieu de justes et jolis costumes XVIIIe siècle (Véronique Seymat), ceux décalés au XXe,  clin d’œil avoué au bal masqué de  La Règle du jeu de Jean Renoir, mais sacrifice au mélange des époques lassant d’être tant ressassé depuis les années 70 de Chéreau et autres, comme si un spectateur contemporain était incapable de lire l’aujourd’hui dans une œuvre d’hier, semant la confusion historique, déjà bien grande par les temps qui courent, chez les « primo arrivants » à l’opéra, notamment les jeunes. Un étendage impromptu de draps rideaux, permet un jeu de cache-cache théâtral plaisant au piquant duo entre Suzanne et Marcelline. 
INTERPRÉTATION
Dès les premières mesures, nerveuses, fiévreuses de l’ouverture, qui annonce cette Folle journée, la direction musicale de Carlos Aragón s’impose par une battue ferme mais souple, maintenant un tonus implacable et impeccable, admirable dans les longues scènes de conversation chantée de l’acte II, un continuum musical à couper le souffle, mais non celui des chanteurs solidairement soutenu. Les finales concertants sont éblouissants de précision sans rien oblitérer du jeu scénique de cette musique faite théâtre en chacune de ses notes. Il cisèle le fandango (que Mozart emprunte à Gluck) et donne à cette danse toute sa fière noblesse populaire, d’une sensualité sobre, sans bavure. On s’étonne de l’absence du nom, dans la distribution, du continuiste si plaisamment inventif, faisant rebondir les récitatifs de ses ponctuations humoristiques, avec des échos des airs de Figaro, de Chérubin.
Tous les chanteurs sont de la nouvelle génération d’interprètes, capables d’être d’excellents acteurs, et l’on sent le plaisir, communicatif, qu’ils ont eu à se plier aux subtilités de leur metteur en scène et aux impératifs du chef. La cohésion est sensible et leur plaisir, communicatif.

Eric Vignau est un insinuant Basilio, pervers à souhait, ironique, campant aussi Don Curzio lors du jugement. Yuri Kissin incarne un solide et sombre Bartolo vengeur au début puis l’ivrogne et obstiné Antonio. On regrette que sa digne compagne Marcellina, personnage très intéressant, vraie féministe de la pièce, se voit amputée de son air à l’ancienne car la voix cocasse de Jeanne-Marie Lévy lui donne une belle caractérisation. Il semble que la Barbarina de Sara Gouzy, elle, se voit gratifiée d’une petite scène supplémentaire qu’on ne regrette pas tant sa voix et jolie et touchant son air de lever de rideau, « L’ho perduta… ». Le Cherubino d’Albane Carrère remporte tous les cœurs, de la scène et du public. Si, perché sur l’échelle, le tout juste début de son premier air fiévreux, éperdu, est perdu pour les paroles, la suite et sa célèbre chansonnette à la Comtesse sont d’un galbe élégant et, en même temps, expressif. Déshabillé, habillé, c’est un poupon, un homme encore objet et jouet pour les dames, mais la mise en scène, plus que souligner le trouble sensuel qu’il sème chez elles, le montre déjà enhardi, adolescent passant déjà à l’acte avec la Comtesse dont on sent qu’elle ne pourra rien lui refuser.
D’autant, que, dans l’incarnation de María Miró, le désir de vengeance contre l’infidèle et déjà lointain époux se joint sûrement à la frustration sexuelle. Voix large, pleine, d’une grande beauté, on ne sait si dans l’optique féministe du metteur en scène, elle est plus dans le combat que dans la résignation mélancolique. En tous les cas, dans ses deux airs sublimes de noblesse et de dignité trahie, elle semble plus une vengeresse Donna Ana que la Rosine triste et nostalgique, sans jamais de piani ni de demi-teinte des clairs-obscurs sentimentaux de l’héroïne. Son Comte d’époux, le baryton David Lagares est un géant prêt à tout écraser de son impitoyable botte sous de lénifiantes paroles de grand seigneur pas méchant homme, éclairé sous ses nobles atours, mais retors et sombre dans ses détours et les tours qu’il entend jouer à ses valets avant d’en être joué. Il arrive à être effrayant et son air est bien de fureur mordante dans sa vocalise jubilatoire à l’idée de vengeance, avec un fa éclatant de victoire et de morgue, note d’ultime hauteur pour de basses pensées : sa noblesse révélée.
Objet du désir et enjeu du conflit entre le maître et son valet, la Susanna de Norma Nahoun est d’une ravissante fraîcheur, pépiante et scintillante : une incarnation de la triomphante féminité, non par les charmes du physique mais par les armes de l’intelligence. Son air final du jardin est un moment de grâce. À Son digne compagnon Figaro, Yoann Dubruque prête une silhouette et un jeu tout en finesse : ce n’est pas le robuste roturier, fort en gueule, auquel on est habitué : il est plus pétillant que pétulant, et son allure et sa figure, finalement, justifient le coup de théâtre de sa noble naissance selon le cliché, bien sûr, que l’on applique à l’aristocrate et au plébéien, notamment au théâtre. Il n’a pas une voix tonitruante de tribun (mais toutes ici sont bien harmonisées en volume entre elles), et il sait donner à son premier air toute l’intériorité, son caractère de soliloque après la révélation de la trahison du Comte qui convoite la femme avec laquelle il s’apprête à convoler. Ses nuances éclairent le personnage dans son premier air et, dans le dernier, se croyant trahi, il est émouvant, beau symbole chantant de cette folle comédie si proche souvent des larmes. Comme cette musique si joyeuse, d’une beauté à pleurer d’émotion.

Opéra Grand Avignon
Opéra Confluence
21 et 23 octobre
Le nozze di Figaro
Da Ponte/Mozart

En co-réalisation avec l’Opéra de Roue -Normandie
En collaboration avec le Festival d’Avignon, le Théa
̂tre du Capitole de Toulouse et l’Opéra de Nice Côte d’Azur.
Direction musicale : Carlos Aragón
Direction du Chœur : Aurore Marchand.  Études musicales Hélène Blanic
Mise en scène et décors :  Stephan Grögler ; Assistante Bénédicte Debilly.
Costumes : Véronique Seymat
Création lumières : Gaëtan Seurre. Peintre-décoratrice : Phanuelle Mognetti
-
Distribution
Contessa Almaviva : Maria Miró
Susanna :  Norma Nahoun
Cherubino :  Albane Carrère
Marcellina  : Jeanne-Marie Lévy
Barbarina :  Sara Gouzy
Conte Almaviva :  David Lagares
Figaro : Yoann Dubruque
Dottore Bartolo / Antonio : Yuri Kissin
Don Basilio / Don Curzio : Eric Vignau
Contadine (paysanne) : Runpu Wang, Ségolène Bolard (artistes du Chœur) -
Orchestre Régional Avignon-Provence.
Chœur de l’Opéra Grand Avignon, direction :  Aurore Marchand.
Photos : © Cédric Delestrade
1. Un sensible Figaro :  Yoann Dubruque ;
2. Le comte arrogant harangue ses gens ;
3. Apprêts du procès ;
4. La nuit de toutes les méprises.


lundi, octobre 29, 2018

SOLEIL ANDALOU POUR FROIDE HEURE D'HIVER


LA BELLE DE CADIX

OPÉRETTE EN 2 ACTES ET 10 TABLEAUX
de Francis Lopez
Marseille, théâtre Odéon
27 et 28 octobre


"La grisaille est là, le froid arrive. Courez à l'Odéon trouver le soleil et la chaleur avec cette opérette aux rythmes toujours neufs, espagnols ou jazzy. "
C’était mon conseil de samedi sur Facebook, effacé d’un coup de gomme des mystères informatiques et reproduit approximativement dès que je m’en suis aperçu. Mais le réchauffé ne remplace jamais le goût de l’immédiate chaleur. Tant pis. Juste ici quelques mots de plus pour saluer toute la troupe si vivante, vibrante, choristes et musiciens compris, sous la férule légère de Bruno Conti, et la mise en scène pleine de légèreté joyeuse de Jack Gervais. À retrouver les mêmes noms d’artistes, salués par des applaudissements du public reconnaissant qui les reconnaît dès leur entrée en scène, on retrouve pratiquement le sens d’autrefois de « troupe », qui assure une cohésion et une complicité à un spectacle qui se joue joliment de lui-même, dans la bonne humeur et la connivence de tous.


Certes, sans invoquer les auspices de l’Arte povera des années 60 qui défiait la surabondance tapageuse de l’industrie culturelle, je ne plaiderai pas pour la pauvreté des moyens à quoi réduit les spectacles vivants une « culture » plus économique qu’artistique qui risque de les faire mourir en en exigeant toujours plus en leur donnant toujours moins. Et ce n’est pas parce qu’on rachète par l’humour et une nostalgie enfantine d’autrefois des toiles peintes, des décors en carton-pâte qu’on dira que cela suffit : l’Art et les artistes ont besoin de moyens pour vivre. Mais disons tout de même que l’Odéon de Marseille, seule maison de France qui voue entièrement une saison à l’opérette créée sur place (en plus de l’accueil de théâtre de boulevard), à défaut de décors complexes, dignifie ses productions par une impressionnante et luxueuse collection de costumes (Maison Grout) toujours justes et de bon goût, et offre à une grande quantité d’artistes, un orchestre et un chœur spécifique, et des solistes choisis remarquables de s’y produire dignement.



Certes, on ne va pas disserter sur un sujet et des dialogues guère relevés ; bien sûr, on ne va pas invoquer, même en connaissance de cause, le vrai hispanisme musical à propos de la musique de Lopez (tout de même espagnol) et disserter sur Espagne et espagnolade : il suffit que cette musique jaillisse et emplisse joliment sa mission, même au-delà de l’impossible pour d’autres, de rester gravée, qu’on le veuille ou non, dans l’oreille, dans la mémoire collective. Il n’y a pas injure à en éprouver le plaisir immédiat, et médiat : puisqu’on le garde, sans honte, dans un recoin du cerveau, signe de son efficacité. Et je le redis, on a le droit, quand elle est portée par ces artistes, de se sentir transporté de plaisir. Ils pardonneront l’évocation rapide mais sincère de leur beau travail, que j’ai par ailleurs tant de fois salué déjà.




Un régal que la piquante et pimpante Caroline Gea en "Belle" (de Cadix ou d'ailleurs), voix ronde et fruitée, qui n’a qu’à se mouvoir à peine, élevant ses bras, pour que cette Madrilène esquisse la danse flamenca qu’elle a pratiquée. Le héros, est un ténor élégant et sensible, Jérémy Duffau, maîtrisant admirablement les demi-teintes, auquel on reprochera seulement sa prononciation indûment française du nom de l’héroïne, Maria-Luiza, au lieu de María LuiSSa, un comble face à l’Espagnolissime Caroline. Pour une fois, la tiers-exclue n’est pas l’empêcheuse d’aimer en rond, mais, au contraire le deus es machina du happy end, une star glamour digne de Broadway et d'Hollywood, Estelle (Es/toile) Danière, somptueusement habillée (Stars and stripes USA pour le corsage !) et déshabillée habilement sur des jambes de Cyd Charisse.


Julie Morgane égale à elle-même : tons de voix, mimiques, regards, gestes et mouvements, danse, acrobatie, tout est théâtre en elle, déchaînée et enchaînée à défaut de son habituel Grégory Jupin, à un hilarant Claude Deschamps à la hauteur et du jeu et, nous le découvrons, des acrobaties qu’il lui fait subir. On retrouve, remarqué il y a longtemps, un superbe baryton Gilen Goicoéchéa, qui n’a qu’un air archaïsant qu’il chante avec émotion. Et l’on n’oublie pas la digne troupe de comédiens chanteurs qui les escorte, un méconnaissable mais reconnaissable à son intelligence à jouer les nigauds, Dominique Desmons qui nous fait la surprise d’être chevelu et brun, et pour couronner ces figures essentielles, en deux apparitions, l'inénarrable Antoine Bonelli en roi des gitan et reine des travestis, impérieux marieur et impériale mariée muette.

Par ailleurs, toujours justement intégré et remplissant les changements de tableaux, mais spectacle dans le spectacle, le quadrille de danseurs de Felipe Calvarro, Sophie Alilat, Valérie Ortiz et Clément Duvert, qui passent du flamenco à la danse espagnole, avec notamment, une magnifique utilisation des tambours basques, et, a palo seco, sans musique littéralement, une danse avec des palos, des bâtons, qui nous épargne l’allusion à la pique barbare des corridas : élégance racée des zapateados masculins, grâce volante des sévillanes des femmes et l’on apprécie, à l’hybridité sans doute nationale des danseurs combien le flamenco est devenu universel et sans frontières comme le jazz. Ils sont accompagnés magnifiquement par la guitare et le chant sobre et profond de Jesús Carceller (farruca, bulerías, sevillanas rocieras, etc), aux coplas poétiques bien choisies, incluant Anda, jaleo, de très vieille tradition lyrique, qu’on attribue à tort à Federico García Lorca, qui n’a pas écrit de chansons mais les a simplement harmonisées au piano, sa notoriété » les sauvant sans doute de l’oubli.


Une débauche de costumes magnifiques même nouveaux pour les saluts, sur fond de naïfs décors en cartons et toiles peintes, on l’a dit, et un grinçant rideau tiré (on en est à l’attendre en riant !) digne d'une affiche ciné ou d'un roman photo d'autrefois : style sans effet de style souriant d'hier par une troupe pétaradante d'aujourd'hui. Un bonheur au présent.


La Belle de Cadix
De Francis Lopez,
Théâtre Odéon, Marseille,
27 et 28 octobre 2018

Direction musicale : Bruno CONTI
Chef de chant :  Caroline OLIVEROS
Mise en scène :  Jack GERVAIS
Chorégraphie :  Felipe CALVARRO
Assistant mise en scène :  Sébastien OLIVEROS
Décors :  Théâtre de l’Odéon . Costumes : Maison GROUT

DISTRIBUTION
María Luisa : Caroline GÉA
Miss Hampton :  Estelle DANIÈRE
Pépa :  Julie MORGANE
Laurence / La gitane : Caroline BLEYNAT ; Christine :  Sabrina KILOULI ;
Une journaliste Agatha MIMMERSHEIM ; Jenny : Sneji CHOPIAN
Carmen :  Sylvia OLMETA
Carolina : Maryline FAUQUIER
Carlos :  Jérémy DUFFAU
Manillon :  Claude DESCHAMPS
Dany Clair :  Dominique DESMONS ;
Ramirès : Gilen GOICOÉCHEA
Roi des gitans : Antoine BONELLI
Boy, Le garçon de café : Angelo CITRINITI ; Antonio : Anthony AGOSTINI
Juanito :  Patrice BOURGEOIS
Clapman / Antonio :  Damien RAUCH
Orchestre de l'Odéon
Cécile JEANNENEY, Chantal RODIER, Isabelle RIEU, Alexia RICHE-GUILHAUMON, Cathy BENOIST, Stéphanie BENVENUTI, Tiana RAVONIMIHANTA, Jean-Florent GABRIEL, Sylvain PECOT, Claire MARZULLO, Flavien SAUVAIRE, Patrick SEGARD, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Thierry AMIOT, Yvelise GIRARD, Caroline OLIVEROS, Alexandre RÉGIS.
Chœur Phocéen
Caroline BLEYNAT, Sneji CHOPIAN, Emmanuel GEA, Sabrina KILOULI, Maryline FAUQUIER, Agatha MIMMERSHEIM, Sylvia OLMETA, Jean-François BERTRAND, Patrice BOURGEOIS, Jacques FRESCHEL, Damien RAUCH.
Chef de Chœur : Rémy LITTOLFF
Danseurs
Sophia ALILAT, Valérie ORTIZ
Felipe CALVARRO, Clément DUVER .
page3image13424
Guitariste / Chanteur
page3image14112
Jésus : CARCELLER 


 Photos Christian Dresse :
1. Duffau, Gea ;
2. Miss Hamton (Danière) et ses boys ;
3. Pépa à l'endroit, à l'envers : renversante Morgane et inversant Deschamps ;
4. Baryton perdu, éperdu : Goicoéchéa ;
5. Mariage pas pour rire! Bonelli, roi des Gitans et les héros ;
6. Charme andalou (les danseurs).

Rechercher dans ce blog