Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, avril 25, 2022

À CE TRAIN-LÀ…

 

 

Die Entführung aus dem Serail

l’Enlèvement au sérail

Singspiel en trois actes,

K 384de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

Livret de Goettlieb Stephanie Jr, d’après Bretzner Création : Vienne, Burgtheater, 16 juillet 1782

Opéra de Marseille,

21 avril 2022


À CE TRAIN-LÁ

…, qui n’est pas un TGV, en quelque trois heures, on passe de Marseille au Caire avec halte à Salzbourg, Budapest et Istanbul. Ce pourrait être un train de sénateur comparé au train d’enfer de la guère traînante fusée Satan dont nous menace Poutine, capable de nous anéantir en quelques minutes. Mais ici, si l’on meurt, c’est de plaisir de cette réalisation et interprétation de cette nouvelle coproduction des Opéras de Monte-Carlo et de Marseille qui nous en/traîne, littéralement, dans l’art du voyage à bord du mythique Orient-Express, cher au crime élégant d’Agatha Christie.

         Ah, ce train-là

Lancé en 1883, à l’initiative de l’ingénieur belge Georges Nagelmackers, ce train de luxe français, assura d’abord la liaison entre Paris et Vienne puis Venise, et au sortir de la Grande Guerre, en 1919, enfin Constantinople, en passant par Munich, Innsbruck, Bucarest, Belgrade. Mais, par la grâce de la mise en scène de Dieter Kaegi, la gare Saint-Charles de notre Marseille, oubliée la modeste à côté PLM (Paris-Lyon-Marseille) devient le départ de la ligne mythique, avec une halte mozartienne à Salzbourg. Autre magie, les décors et costumes de Francis O’Connor, nous plongent dans une encore Belle Époque des nantis, belles dames en costumes et amples manteaux libérés du carcan des corset grâce à Jacques Doucet et Paul Poiret, mais amplement chapeautées et, on en rêve, on retrouve, dans ce sérail ambulant, finalement aussi libre que libertin, ce chef-d'œuvre entre Art Nouveau et déjà Art Déco (comme notre Opéra) que fut l'Orient-Express agencé et orné par les meilleurs et les plus avancés des artistes de l’époque, des matières les plus luxueuses, des parois, tapisseries, maroquinerie jusqu’à la vaisselle, argenterie et cristallerie qui fut même confiée à Lalique. Les boiseries des couloirs, compartiments, ont la douce chaleur et couleur jaune doré du bois de sycomore du grand architecte belge Horta, d’un Modernisme lumineux facile et confortable à vivre tel que le voulut aussi le Catalan Gaudí.

On verra le train de nuit bleu nocturne, de front sur les quais des gares : il s’ouvrira magiquement en compartiments, somptueux wagon restaurant, cuisine, bar, s’inversera sur le dernier wagon et sa balustrade sur le vide de l’impossible évasion et, au-dessus de son impériale à rambarde métallique, autre rêveuse invitation au voyage, les vidéos de Gabriel Grinda font défiler, au rythme du rail, rais de lumière, de panneaux indicateurs, des paysages et images et villes traversées dont on reconnaît, par synecdoque, la partie pour le tout, des éléments symboliques : clochers autrichiens et Château perché de Salzbourg, ligne de crête des palais de Budapest, minarets des mosquées et Sainte Sophie de Constantinople, le Caire enfin, avec les pyramides. Mais le départ de Marseille, avec fumée, vapeur de trains d’autrefois, bruit métallique des roues sur les rails, fumée de locomotive, ce sont bien les grandes verrières de la Gare Saint-Charles, défilé précis des architectures jouxtant la gare, mais, joli pied de nez à la topographie de la ville, l’autant impossible à percevoir du train qu’à l’oublier : Notre-Dame de la Garde. Les lumières de Roberto Venturi créent poétiquement le passage des heures et des jours.

Turquerie

Les rapports entre l’Europe et la Turquie, qui nous occupent ou préoccupent encore aujourd’hui, ne sont pas d’hier. Dernière grande alerte ottomane, turque, en Europe, le siège de Vienne en 1682 : heureuse conclusion au moins d’un conflit, nous lui devons les « viennoiseries », les croissants (de lune), délicieuses pâtisseries de la victoire autrichienne et chrétienne, de la Croix sur le Croissant islamique et, un siècle plus tard, passé le danger, l’Enlèvement au sérail de Mozart (1782). Son premier singspiel, mêlant chant et parole, musique savante et populaire ; le second et dernier, sa Flûte enchantée situe dans l’Égypte, turque encore de son temps, le temple de l’humanisme maçonnique.

L’Orient était en vogue au Siècle des Lumières depuis la fin du siècle précédent. Venue d’une Espagne ayant chassé et pourchassé ses derniers maures et arrêté l’avancée turque en Méditerranée à Lépante en 1571, la mode orientale, à travers romans (Zaide, de Madame de La Fayette), avait eu un regain d’actualité en France avec l’ambassade turque ratée à Versailles des envoyés de la Sublime Porte (1669) dont Louis XIV voulut se venger en commandant la turquerie de Molière/Lully, Le Bourgeois gentilhomme (1670). Cette comédie ballet et le Bajazet tragique de Racine (1672) traduisent et trahissent le sentiment ambivalent de l’Europe pour la Turquie : on voudrait en rire mais on en a peur, on voudrait l’intégrer et on la redoute. Un siècle après, vaincu ou contenu, le Turc, l’Oriental, peut devenir le sage symbole inverse de nos folies chez Montesquieu et ses Lettres persanes, Voltaire, ou bien l’image de la magnanimité dans Les Indes galantes de Rameau et dans Mozart et son Égypte maçonnique que Bonaparte mettra largement à la mode avec sa campagne (1798) et sa cohorte de savants, dont Champollion. Les Orientales, dramatiques, de Victor Hugo ne sont pas loin avec les déchirements du soulèvement anti-turc des Grecs. Mais, au XVIIIe siècle,  la traduction par Antoine Gallant des Mille et Une Nuits (1704) avait mis à la mode un Orient sensuel et badin, alibi de l’érotisme libertin du Sopha de Crébillon (1742), des Bijoux indiscrets (1748) de Diderot, un peu plus édulcoré dans les opéras de Gluck La finta schiava (1744), Les Pélerins de la Mecque (1764) qui deviendra sagement bourgeois chez Boieldieu et son Calife de Bagdad (1800) et carrément bouffe avec le Rossini du Turc en Italie et de l‘Italienne à Alger. Fantasmes et chimères d’un Orient, désorienté (perdre l’orient), qui ne fait plus peur à l’Europe triomphante.

         Mozart avait déjà écrit la musique de scène de Thamos, König of Aegypten (‘Thamos, roi d'Égypte’, 1773) pour accompagner un drame d’inspiration maçonnique, un mélologue à la mode du temps, avec passages déclamés sur la musique. Mozart avait aussi manifesté son intérêt pour cet Orient alors aux portes de l’Autriche avec une autre turquerie allemande inachevée, Zaide (ou Das Serail, 1779), fondée déjà sur une histoire de sérail similaire, avec un personnage appelé aussi Osmin, une basse comme dans l’Enlèvement, et il compose également Le gelosie del Seraglio (‘les jalousies du sérail’ 1772), esquisse d’un ballet pour son opéra italien, situé dans la Rome antique Lucio Silla. L'Oca del Cairo (‘L’Oie du Caire’,1783), est un opéra-bouffe d’inspiration encore orientale, inachevé.

 

L’œuvre

Die Entführung aus dem Serail, ‘l’Enlèvement au sérail, de Mozart un opéra ou, plutôt, un Singspiel en trois actes de 1782, livret de Stephanie. Le Singspiel , ‘Jeu chanté’, est du théâtre musical joué et chanté en allemand. L’Espagne, depuis le début du XVIIe siècle, avait créé la zarzuela, alternant passages parlés et chantés, suivent les ballad operas anglais et l'opéra-comique français, pas forcément comique au sens de faire rire, mais avec ce mélange de lyrique et de « comique », c’est-à-dire relevant de la comédie, des comédiens. Carmen, rappelons-le, est un vrai opéra-comique, puisque les passages parlés sont très importants.

         Origine à tiroirs, le livret allemand est tiré d’une pièce tirée d’un roman anglais inspiré de traditionnels récits espagnols de captifs sur des pirates barbaresques enlevant et faisant esclaves des chrétiens, les belles femmes étant réservées au sérail, au harem du seigneur. Ici, c’est un enlèvement contre le rapt : le maître et son valet, Belmonte, noble espagnol et Pedrillo, vont tenter d’enlever, d’arracher du sérail du pacha Sélim leurs deux amantes enlevées, respectivement Constance et Blonde, sa soubrette anglaise, malgré l’eunuque ogresque et grotesque, Osmin.

 


Réalisation et interprétation

         À chaque station, de pittoresques personnages, joliment adaptés à la couleur locale, animent les quais de gare, vendeurs, nouveaux voyageurs, regardés avec curiosités par les autres aux fenêtres. L’intérieur du train s’ouvre indiscrètement à nous dans le compartiment somptueux de Constance, puis restaurant, cuisine où s’affaire une nuée de cuisinières en sobre uniforme élégant.

La nuit, après les ébauches d’idylles au bar, éméchées, s’ébauchent les débauches, le luxe et la luxure de ces fortunés du long voyage, le meublant d’intrigues érotiques : les portes de compartiments s’ouvrent se ferment discrètement sur des couples furtifs, chacun cherchant sa chacune ou chacun son chacun, sans refuser le troisième larron ou larronne dans cette foire au plaisir, qui remplit d’une certaine nostalgie humoristique au souvenir de nos plus modestes trains de nuit, mais réservant parfois de joyeuses surprises.

            Trop souvent, comme le rôle de Monostatos dans la Flûte enchantée, celui de Pedrillo, le picaresque et espiègle valet, est sacrifié en voix. Ce n’est pas le cas dans cette distribution qui l’offre à Loïc Félix, solide voix de ténor, avec un air héroïque bien projeté, rarement dévolu par la convention lyrique à un valet de comédie, tout en douceur nostalgique dans sa sérénade chanson sur la jeune fille en pays de Maures. Il fait couple avec la belle  Blonde brune d’Amélie Robins, toujours de mieux en mieux, de l’Odéon à Orange, piquante, virevoltante, dont le riche soprano est brillant, agile, facile, aigu piquant, pimpant, pittoresque et coquine, joliment troussée en soubrette accorte qui ne s’en laisse pas compter, esclave maîtresse, faisant trembler le redoutable gardien du sérail, lui donnant une cinglante leçon de galanterie, le mettant en boîte, plutôt le coiffant de la boîte de la marmite dans la scène bouffe de la cuisine à bonne bouffe,  non des anges mais des jolies diablesses issues du chœur, aux corps  dignes d’alimenter aussi bien des rêves dans ce voyage au long cours.


Osmin, coq en pâte empâté au milieu des cocotantes cuisinières stylées, c’est Patrick Bolleire, qu’on a déjà longuement entendu, et vu, depuis le début, sous toutes les coutures de tous les divers costumes, chef de quai, contrôleur du train, de wagon, toujours fanatiquement égal à lui-même : géante et tonitruante basse s’allégeant, se pliant aux mélismes orientalisants, dans une vélocité  déjà rossinienne, à une allure express râlant ses inénarrables menaces et ses rêves sadiques de tortures, de la force brutale neutralisée ici par le  comique.

Ni comique ni vraiment dramatique, le personnage de Belmonte est le ténor amoureux de convention qui annonce par son lyrisme élégiaque le Ferrando de Cosí fan tutte mais sans le déchirement de l’amour trahi : on n’aura ici que du traditionnel dépit amoureux entre les amants au pire moment de l’évasion, malentendu qui risque de tout faire échouer comme aussi dans le Barbier de Séville. Le ténor Julien Dran, déjà apprécié par ses précoces qualités au Cnipal, adoubé par Berganza en ses leçons, le représente de son élégante grande taille, d’un phrasé à la hauteur, et de son timbre lumineux et raffiné. Au mimodrame joliment troussé de la muette scène de vaudeville égrillard, des portes qui s’ouvrent et ferment sur des couples érotisés par le train, en quête de parties et partouzes, on reprochera seulement de distraire, par l’œil, l’oreille qu’on doit absolument prêter à son air émouvant, exigeant, risqué ; mais le chanteur et acteur, avec une impeccable tenue de souffle déroule l’implacable ruban des fleurs de vocalises et arrive à exister dans son imperturbable solitude perturbée, et il nous bouleverse, témoin apparemment philosophe, des plaisirs de ces mondains dont le monde cruel l’exclut jusqu’ici.

Sous la musique riante de Mozart et sous la souriante fable du texte affable, ce voyage en train de luxe vers un Orient de rêve, sans l’actualiser à notre exacte époque selon la mode des mises en scènes actuelles, gomme certes une sombre actualité de religions affrontées : Osmin est le fanatique religieux, le Pacha, un renégat chrétien, mais, finalement, plus généreux que le cruel père chrétien de Belmonte, gouverneur d’Oran. Bien sûr, en ce temps, Metoo, on pouvait souligner et dénoncer la régression du statut des femmes, rapts, rançons, viols et violence, guerre et menace de tortures dont la dignité exaltée de l’héroïne, femme fidèle de la fiction, saura se tirer, peut-être à l’inverse de la supposée moins constante Constance, femme de Mozart.  Mais l’œuvre se voulait un divertissement, génial parce que Mozart transcende tout, il est donc plaisant que la constance de Konstanze ne semble pas à toute épreuve, c’est sa fidélité qui est invraisemblable : dans la douillette couchette de ce wagon-lit de luxe, face à face proche d’un luxueux et fastueux Selim, digne par son allure et sa figure d’un oriental Pacha Hollywood de cinéma, Bernhard Bettermann, qui enchante sans chanter, strip Pacha, toujours prêt à ôter la veste et le reste, on la sent plusieurs fois prête à faillir, à défaillir, sensible aux marques d’amour présentes que lui manifeste son geôlier : admiration réciproque et signe, peut-être, d’un amour raté moins conventionnel que celui d’un Belmonte lointain, auquel la lie une promesse qui la tient prisonnière. Belle trouvaille de la mise en scène, souvenir peut-être des protestations de fidélité de Fiordiligi dans Cosí fan tutte, dont la fermeté semble démentie ironiquement par la musique, les virtuoses aigus affolés et affriolants de son grand air « Marten alle Arten », où Constance défie les menaces de tortures terribles du Pacha, semblent ici les cris de jouissance que lui procurent les caresses pressées et empressées de l’amant, qu’elle n’enverra qu’in extremis se rhabiller.  On admire toute la maîtrise de Serenad Uyar, admirée depuis les temps du CNIPAL, de tenir la distance, à distance l’amant, ce jeu scénique perturbant durant ce véritable air de concert, précédé d’un long prélude orchestral, où sa voix, onctueuse, pleine et agile, instrument virtuose, rivalise, et triomphe des vents et même trompettes. C’est le personnage le plus profond, noble, tragique, de l’œuvre, avec une palette de sentiments qui vont de la nostalgie du premier air, di portamento, de tenue de souffle, expressif et poignant, à l’héroïsme échevelé de vocalises de ce troisième,  déjoué malicieusement par la mise en scène : tout en plaidant pour la clémence du bourreau, tout en semblant aspirer avec une ivresse masochiste au martyre au nom de la fidélité à sa foi en l’amour, elle excite le Pacha transi, qui s’avoue encore plus  enflammé.


Sans en rajouter de la couleur à la couleur locale turque percutante de l’ouverture à grand renfort de percussions renforcées, Paolo Arrivabeni, baguette agile, jamais lourde, donne une pulsation parfois haletante en ses tempi mais sans jamais mettre en danger les chanteurs, sachant ménager les silences humoristiques de pas de loup de certains moments. Le Chœur, heureusement épars dans le jeu de scène mais jamais dispersé ni perdu, est un véritable acteur de l’action.

Die Entführung aus dem Serail

l’Enlèvement au sérail

Singspiel en trois acte de Mozart

Livret de Gottlieb STEPHANIE d’après une pièce de BRETZNER

Création en Autriche, au Burgtheater de Vienne, le 16 juillet 1782

Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 13 mars 2007

NOUVELLE COPRODUCTION OPÉRA DE MONTE-CARLO / OPÉRA DE MARSEILLE

Direction musicale : Paolo ARRIVABENI

Assistant à la direction musicale :  Néstor BAYONA

Mise en scène : Dieter KAEGI

Assistante à la mise en scène : Stephanie KUHLMANN

Décors / Costumes : Francis O’CONNOR

Lumières :  Roberto VENTURI

Vidéos : Gabriel GRINDA

Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER

Second régisseur : Jacques LE ROY

Régisseuse de figuration : Alexandra BEIGNARD

Surtitrage : Richard NEEL

Régie de surtitrage : Qiang LI

Pianiste / Chef de chant : Fabienne DI LANDRO

 

Constance : Serenad UYAR

Blonde : Amélie ROBINS

Belmonte : Julien DRAN

Pedrillo : Loïc FÉLIX

Osmin : Patrick BOLLEIRE

Selim Bassa : Bernhard BETTERMANN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

 

PHOTOS : CHRISTIAN DRESSE

1. Final : Félix,  Bolleire, Uyar, Arrivabeni, Dran, Robins, Bettermann;

2. Wagon restaurant : le Pacha et Constance;

3.  Les deux couples : Blonde, Pedrillo, Constance, Belmonte;

4. Osmin, coq parmi les poulettes;

5. Luxe et luxure;

6. Tentative d'évasion;

7. Le Pacha magnanime.

Teaser du spectacle

https://www.youtube.com/watch?v=7uJ1dQJSskA

 

 

jeudi, avril 21, 2022

INVENTER LA NUIT

 

Nocturnes de John Field,

Florent Albrecht, pianoforte

 label Hortus

 

    Nous aimons ces artistes qui nous promènent sur des sentiers peu fréquentés, notamment ceux de la musique, qu’ils défrichent et déchiffrent pour nous. Ainsi, pour son premier enregistrement de soliste, Florent Albrecht, pianiste, et chercheur aussi en musicologie, nous présente les Nocturnes de John Field (1782-1837), un compositeur qu’on ne dira pas inconnu mais à coup sûr méconnu, peu joué, peu enregistré. Non seulement Florent Albrecht nous en offre ici l’intégrale, mais il l’augmente d’un Nocturne inédit, opus posthume, édité en 1829 par la Revue musicale de Moscou, qu’il a découvert à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg. Il s’agit dune gravure en première mondiale de ce nocturne.

Liszt, appréciait ce compositeur mais regrettait sa désinvolture bohème envers ses œuvres ; il s’employa à faire, en 1873, une édition des œuvres de Field. Florent Albrecht a non seulement consulté cette édition mais l’a aussi corrigée en regard de ses propres recherches des sources et la confrontation des manuscrits.  Il s’est par ailleurs attaché à retrouver le style de jeu de ce pianiste précurseur, qui préfigure Chopin, qu’on interprétait à la lumière de celui-ci, alors que c’est Field qui explique et anticipe Chopin. C’est toute sa culture de claviériste divers et nuancé qu’il met au service de ce compositeur dont il nous livre une lecture très convaincante.

En effet, Florent Albrecht, s’est formé au piano moderne auprès des meilleurs maîtres, tout comme au pianoforte et au clavecin : donc, il a une maîtrise adaptée à la touche de divers types de claviers. Il a été lauréat de la Fondation Royaumont en 2018. Pour ce premier album, par souci d’authenticité instrumentale et stylistique, Florent Albrecht a choisi le pianoforte de Carlo de Meglio, à mécanisme viennois, fabriqué en 1826 à Naples que Field aurait pu jouer lors de son séjour dans cette ville en 1834.

    Fils d’un violoniste de l’orchestre du théâtre de Dublin, en Irlande, John Field naît dans cette ville et devient un pianiste précoce. En 1793, avec sa famille, il s’installe à Londres. On confie son éducation pianistique à un célèbre professeur et musicien, l’Italien Muzio Clementi, le premier compositeur ayant composé exclusivement pour le piano. Non seulement le jeune John Field en devient un élève favori, mais aussi l’employé et représentant de la fabrique Clementi & Co de facture de pianos que le musicien a créée. Ayant fait son premier concert public à l’âge de dix ans, le jeune prodige virtuose accompagne son professeur et patron à travers l’Europe, un voyage promotionnel de la marque de pianos, donnant avec succès des concerts. En 1803, à la faveur d'un passage à Moscou, il décide de se fixer en Russie.  Il a vingt et un ans. Il y fait une brillante carrière de virtuose et de professeur de piano tout en parcourant l’Europe en nomade aventureux, avec toujours un grand succès pour ses concerts. Il meurt au retour d'une tournée à Naples.

Écoutons quelques mesures de son Nocturne N°1 en mi bémol majeur, « molto moderato », qu’il signe à Saint-Pétersbourg en 1812, exemplaire d’une simplicité élégante, avec sa mélodie cantabile, chantante, claire, à la main droite, soutenue d’une simple formule d’accompagnement à la gauche :

1) PLAGE 4

C’est le schéma général de ces Nocturnes qui n’ont pas une forme définie, sauf deux parties : l’une expose un thème chantant, une véritable cantilène d’opéra, avec des ressources discrètement lyriques, des gammes montantes, descendantes, des trilles, avec un développement assez bref, et un accompagnement ondulant d’arpèges. Toute cette musique, sans en prendre et gloser des thèmes, des airs précis d’opéras de son temps comme le fera Liszt —c’était un moyen de les faire connaître et populariser dans les salons— la musique de Field, sans aucune citation reconnaissable d’ouvrage particulier, semble tissée de souvenirs lyriques, donne un fond, un horizon, l’impression vague, délicate, d’une réminiscence de quelque aria ou ariette entendue et oubliée qu’on cherche vainement à retrouver tout en sachant qu’elle est là. Chopin, qui voulait faire chanter son piano comme les ineffables cantabile, mélodie continue de Bellini, en retiendra la leçon. Un extrait parlant, plutôt chantant, du Nocturne IV en la majeur :

2) PLAGE 5

 Tous ces morceaux sont dans un tempo généralement modéré, Lento, Adagio ou Moderato, plus rarement Andante ou Andantino, qui leur donne cette douceur poétique, qui convient à cette musique supposée de la nuit comme leur nom de nocturne l’indique. Mais des nuits paisibles, plus tendrement rêveuses que traversées de rêves et encore moins de cauchemars, dans des tonalités majeures sereines, seuls trois nocturnes sur dix-sept sont en mode mineur. John Field, qui en composera dix-sept entre 1812 et 1835, outre le posthume, passe pour l'inventeur de ce genre pianistique du nocturne, nébuleuse méditation, petit poème musical sans paroles de quelques minutes, sept pour le plus long, au lyrisme intime, tendrement confidentiel, sans grande effusion mais qui va devenir une forme libre prolifique du romantisme naissant. 

 Field est l’auteur d’une œuvre considérable, très diverse, essentiellement au service du piano.  Il est un maillon brillant entre le classicisme et la jeune école de piano romantique qu’il annonce et influence. Sa musique accompagne et illustre aussi les progrès techniques du piano, qui assuré de gagner en puissance sur le pianoforte qui avait détrôné le clavecin, se donne le luxe délicat de rivaliser avec la voix en vibration lyrique et émotion, dont Chopin deviendra le grand maître.

Ainsi, il faut rendre à Field ce que l’on prête à Chopin qui le lui emprunte et porte au sommet. Mais on s’y tromperait à écouter, pour le quitter, le Nocturne VI en fa majeur, avec ces dentelles aériennes, ces guirlandes tressées ces grappes roulées et déroulées à la main droite.

         3) PLAGE 12

 Émission N° 584 de Benito Pelegrín


mercredi, avril 20, 2022

SOLIDARITÉ UKRAINE

 

Annonce LyricOpéra

LyricOpéra vous annonce un concert exceptionnel qui sera donné le dimanche 24 avril à18h , dans le Temple Grignan, 15 rue Grignan 13006 .

« NOS VOIX POUR L’UKRAINE »

7 jeunes talents de la classe de Magali Damonte, au Conservatoire de Marseille, uniront leurs voix pour apporter leur soutien aux réfugiés ukrainiens.

Ils sont les talents de demain, ils viennent de Colombie, de Syrie, d’Ukraine, de Chine, du Cameroun, du Guatemala, ils interprèteront les grands airs du répertoire de l’Opéra avec Purcell, Haendel, Mozart, Bizet, Puccini , et ils vous feront découvrir des airs traditionnels de leur pays.

Réservation : 06 32 94 65 40 Tarif unique 20 €
La totalité de la billetterie sera reversée à l’association franco-ukrainienne Victor Orly. Merci de faire circuler cette annonce.

La totalité de la billetterie est reversée à l'Association franco-ukrainienne de Victor ORLY.

Bonjour à tous! vous aimez l'Opéra? vous aimez les musiques traditionnelles?
Alors , venez nombreux (après avoir voté...)) dimanche 24 avril à 18h dans le Temple Grignan 15, rue Grignan 13006 pour écouter 7 jeunes talents qui présenteront un joyeux répertoire haut en couleurs et en émotions

dans un concert de soutien aux réfugiés ukrainiens à Marseille: Nos Voix pour l'Ukraine durée du concert 1h15.

Voici les chanteurs qui participent, ils sont tous en cycle spécialisé et perfectionnement dans la classe de Magali

Damonte au conservatoire de Marseille.

Maurel Endong baryton-basse Dmitro Voronov baryton Hassan Memmou baryton Katherine Serrano soprano Nicole Franco mezzo-soprano Shan Guo soprano Wenhua Yuan soprano

Au piano Anne GUIDI

Au programme, des grands airs du répertoire lyrique, Purcell, Haendel, Mozart, Bizet, Puccini... des duo et trio. Une deuxième partie avec des airs moins classiques tirés du répertoire de musique traditionnelle des pays d’origine des chanteurs (Colombie, Syrie, Ukraine, Chine, Cameroun, Guatemala) C’est au profit de l’association Franco- ukrainienne Capitale de Victor Orly que ces jeunes talents uniront leur voix le dimanche 24 avril à 18h, dans le Temple Grignan 15, rue Grignan 13006.

Pour les visuels nous avons utilisé, avec son autorisation, la photo que le photographe JR a déployée sur la place de Lviv, sur une toile géante, en signe de soutien à l’Ukraine. La petite fille s’appelle Valeria, elle a 5 ans, sa photo a fait le tour du monde (libre)...

VEUVE SANS RIDE


Die lustige Witwe (1905)

LA VEUVE JOYEUSE

Opérette en 3 actes  de

FRANZ LEHÁR

Livret de Victor LÉON et Léo STEIN

d’après L'Attaché d'ambassade (1861) d’Henri Meilhac

L’Odéon, 16 avril 2022 

L’Odéon en reprend, à trois chanteurs et deux danseurs près, l’heureuse production de 2019. Trois ans déjà, c’était le monde d’avant, et on dirait presque une autre époque, une belle époque sinon exactement la belle époque du sujet, qui ignorait la pandémie, qui n’imaginait pas non plus une guerre, même dans cette principauté imaginaire d’Europe centrale, la Marsovie, dont l’ambassadeur en France s’appelle Popoff et qui ressemble, mais en version comique, à ces pays aujourd’hui tragiques et martyres, dont on pouvait encore rire innocemment. L’opérette fut créée à Vienne en 1905 et nul n’imaginait pas non plus, alors, que cette Europe de l’est exploserait en Première Guerre Mondiale à peine une décennie après, emportant à jamais la Belle époque de l’Art Nouveau d’un siècle qui se lançait avec enthousiasme dans la modernité.

       Sacrée Veuve ! Largement centenaire et pas une ride, pas plus que cette reprise dont je saluerai, on me le pardonnera, presque avec les mêmes mots, ce qu’on n’hésitera pas à appeler réussite si on la mesure, il ne faut pas l’oublier, aux craintes et contraintes que nous subissons encore du covid, surtout ces artistes malheureusement plus exposés, pour notre plaisir et bonheur dans notre confortable fauteuil sans grand risque, par la nécessité des évolutions serrées de la troupe sur la scène restreinte, sans compter les étreintes, évidemment sans distance autre qu’amoureuse. Donc, amis chanteurs et comédiens, et vous danseurs, avant tout, un immense merci à votre générosité, à votre professionnalisme qui ne fait pas sentir le manque de répétitions en amont pour deux simples séances pour tant de travail.

         Mais tout de même un mot différent : dans le changement de distribution, le beau Danilo, beau pied de nez en pleine actualité politique délétère, dépassant droit du sol et de naissance dont rêvent des esprits étriqués et des cœurs desséchés, n’est pas un freluquet blondinet qu’on supposerait jolie plante de ces pâles terres sans doute slaves de Marsovie, mais un bien planté bel homme de couleur, noir de peau, d’Afrique, des île ou d’ailleurs, peu importe, sa patrie est le chant et la scène et il forme, avec la blonde Charlotte Despaux, supposée Américaine dans l’intrigue, un magnifique couple à faire enrager Trump et tous ses disciples d’ici et d’ailleurs : c’est un aussi bon chanteur qu’acteur, le baryton Anas Séguin, Révélation Artiste Lyrique de l'ADAMI, qui se révèle à nous.

         Oui, comme je disais dans mon premier texte, vive la Veuve ! Sans crier pour autant « Mort aux maris ! » par prudence, presque chacun l’étant, l’ayant été ou le sera. Encore que la disons Pension de réversion que le vieux Palmieri de Marsovie laisse en mourant élégamment très vite à sa jeunesse d’épouse Missia, plus que le budget restauré de la petite principauté d’Europe centrale ruinée, une constellation de millions, ferait le bonheur d’une myriade internationale de prétendants, soupirants aspirant à sa main pour restaurer leur fortune, ou la faire, pour la dilapider en restaurants chics parisiens avec champagne à gogo et gogo girls en campagne, dans cette capitale du monde et de la fête qu’est ce Paris de la fin du XIXe siècle où tout le monde se retrouve, mondains comme fripouilles, entre le Maxim’s cher déjà à tel Président d’hier, cher à faire rire jaune même un gilet  d’aujourd’hui, et lieux de plaisirs racaille et canaille des hauteurs de la Butte à putes de Pigalle et Montmartre. Mais, pour éviter l’évasion fiscale de la Veuve, fatale aux finances de la Marsovie, l’Ambassadeur à Paris Popoff complote pour lui donner pour époux un Marsovien non venu de Mars, le Prince Danilo, attaché d’Ambassade, peu gourmé gourmet, gourmand d’affriolantes gourgandines parisiennes, apparemment peu tenté par la tentante Veuve, dont on apprendra que son cœur battit autrefois pour elle, avant que celui du mari n’en claqua d’amour.

         Bref, léger, très léger argument du vaudeville initial d’Henry Meilhac (1830-1897), prolifique auteur, viveur et noceur, fréquentant réellement le monde de la fête du Gai (pas encore officiellement gay) Paris qu’il décrit. Avec son complice Ludovic Halévy, rencontré un an avant cette pièce, en 1860, il commencera une intense collaboration de près de vingt ans, semée de chefs-d’œuvre, les livrets érudits et comiques des plus célèbres opérettes de Jacques Offenbach, La Belle Hélène (1864), La Vie parisienne (1866), La Grande-duchesse de Gérolstein (1867) et La Périchole (1868) et, naturellement, Carmen de Georges Bizet (1875), etc. Une œuvre prolifique, rentable, qui permettait à ce célibataire endurci de vivre sa vie sans veuve à laisser ni à désirer pour son argent.

         Ici, l’argument est bien mince, encore aminci par la nécessité d’une adaptation pour la musique, qui allonge toujours le temps des textes. Mais cette pauvreté dramatique est habillée, enrichie d’une musique qu’on a beau connaître semble-t-il depuis toujours tant elle a une sorte d’évidence intemporelle de la mémoire collective et individuelle, qu’on est toujours étonné de la redécouvrir dans la fraîche beauté de sa paradoxale et déjà ancienne éternité. 

     Après les affres de la pandémie, On retrouve donc l’Odéon, seule maison en France entièrement vouée et dévouée à l’opérette C’est avec un plaisir à la fois enfantin et érudit que l’on retrouve de simples décors en carton peint d’un temps où le théâtre s’acceptait humblement comme théâtre, avec ses voyants artifices, et l’on se dit que Mozart, notamment avec sa miraculeuse Flûte enchantée populaire, devait en connaître de semblables. Ici, de symétriques colonnades à boulons d’architecture industrielle du temps, et, en fond de lumières changeantes, une Tour Eiffel contemporaine, chef-d’œuvre métallique d’industrie, illuminée par le miracle aussi contemporain de la « Fée électricité ». Les costumes, de l’Opéra de Marseille, comme toujours, seront élégants, d’époque aussi mais avec, dans les scènes de liesse nationale, d’un folklore imaginaire d’Europe centrale de fantaisie pour cette fantasque Marsovie, une minuscule parcelle imaginaire du vaste Empire austro-hongrois qui va bientôt voler en miettes : comme les fastes du Titanic, ceux de cette Belle Époque feront aussi naufrage avec cette folie suicidaire d’une Europe en Guerre de 14-18. Mais la musique, elle, surnagera et vivra pour notre bonheur.

         À la direction musicale, Bruno Membrey la traite toujours amoureusement, la caresse, suivi avec une effusion affective par un Orchestre de l’Odéon invisible mais sensiblement présent. Le Chœur phocéen de Rémy Littolf fait plus que jouer le jeu : il joue avec un contagieux (on a peur aujourd'hui du mot!) plaisir dans le rythme très musical, sans temps mort qu’Olivier Lepelletier, autre spécialiste de ce répertoire respectueusement servi, donne à sa mise en scène, avec une distribution où, du dernier comparse aux rôles principaux, chacun, sans s’économiser, contribue avec bonheur au nôtre par son engagement et son talent. D’ailleurs, les « Bis ! » qui fusent de la salle et les généreuses reprises par toute la joyeuse troupe des couplets de la fin, à n’en plus finir, sont une gratitude, une reconnaissance par le public, de tout ce travail élaboré à la fois individuellement et collectivement. Rien à enlever de ces anciennes lignes de 2019.


Même des figures, de simples silhouettes sont campées avec une précision loufoque, ainsi les comparses Pritschitch (Jean-Luc Épitalon) et Bogdanovitch (Michel Delfaud), paire devenue trio avec le Kromski de notre Antoine Bonelli, tous en peine d’épouses encanaillées. Dans ce domaine, sans non plus chanter, Simone Burles est une, lubrique Praskovia lancée vampiriquement à l’assaut sexuel du Prince Danilo. Dans un finale festif endiablé, Carole Clin est  toujours une Manon menant Maxim’s de maximale main de maître, pardon, de maîtresse, et à la cravache !

Chantre infatigable de sa Gaby Deslys marseillaise qu’il a ressuscitée, Christophe Born est  encore un Guatémaltèque haut en couleurs et timbre de voix de ténor, duo avec la voix de baryton du D’Estillac de Florent Leroux Roche, joyeuse paire de compères prétendants intéressés, évincés, de Missia.  

Dans la catégorie mari aveugle, stentor à grande gueule tonitruante sur ventre trônant et moustaches avantageuses, Olivier Grand reste un Baron Popoff inénarrable de suffisance et de naïveté face à sa femme. Et quand celle-ci est la piquante Caroline Géa, l’Ambassadeur marsovien a intérêt à veiller à ses quartiers de noblesse : la belle Nadia, jouant les mutines, câlines et coquines Zerlina, allusion musicale de la pièce à Don Giovanni, veut et ne veut pas, ne veut pas et veut, dans la plénitude de ses formes et de sa voix, finit tout de même, comme dans les Noces de Figaro, autre clin d’œil, par entrer dans le propice « joli pavillon » que lui chante et ouvre, d’une superbe voix d’amant postulant, Camille de Coutançon, un romantique et ardent Samy Camps, la voix mûrie, mâle et ardente : magnifiques duos des amants manqués qui ne manqueront pas la prochaine occasion. Il est vrai que ledit pavillon a la forme d’un éventail qui, comme dans Tosca, a sa part dans l’intrigue. Fort heureusement, la générosité de Missia, la généreuseVeuve, la sauvera du déshonneur conjugal dans lequel elle veut et ne veut pas sombrer mais on sent bien qu’elle succombera un jour avec le sus-dit ou -un inédit. À moins qu’elle ne soit vite veuve de son pouffant Popoff d’époux.

     Voulant et ne voulant pas non plus succomber, lui aux charmes de la Veuve, du moins l’affirme-t-il, Danilo, le Prince décadent, est donc incarné par le nouveau venu Anas Séguin. Il lui prête sa prestance, beau timbre de baryton large et chaud, chantant son donjuanesque crédo libertin : vanité, vacuité de cette vie d’ivresse artificielle, ou chagrin secret de l’amour désintéressé raté dans sa jeunesse avec Missia. Ses « Manon, Lison, Ninon… » et autres Fanchon ne sont sans doute que la ronde des figures interchangeables, même dans leur sonorité  qui riment, mais  ne riment à rien, de l’amour sûrement avec un grand tas mais non de l’Amour avec un grand A de la Missia perdue, pauvre, retrouvée riche mais perdue pour le sentiment, qui ne s’achète pas.

         Cette Veuve que l’on dit joyeuse, toute riche qu’elle soit de feu son mari, ne l’est pas plus qu’il ne faut et garde le sourire et la tête froide dans une affaire chaude, les assauts galants de galants par l’odeur du fric attirés. Ils ont beaux jouer les boys empressés de comédie américaine lui offrant, espérant plus, des joyaux dans une scène où elle est érigée en Marylin Monroe, elle ne chante pas pour autant Diamants are girl’s best friends, Danilo, l’amour de jeunesse étant pour elle un trésor d’une autre trempe. Elle n’est même pas coquette, c’est plutôt lui le coquet caquetant comme un coq dans le poulailler de ces dames vénales qu’il n’a même pas eu à conquérir mais à prendre ou même à ramasser. Pourtant, que d’atouts déploie encore, sans outrancière ostentation, la Missia retrouveé avec bonheur de Charlotte Despaux ! Bonne actrice, blonde, toujours belle sans agressivité comme je disais, physique de poupée inaltéré, elle a une voix facile, ample, au médium fruité, aux aigus chaleureux, menée avec un art consommé du chant, avec de très belles demi-teintes :  sa ballade de la légende de Wilya, « la dryade aux yeux mystérieux », est un moment de poésie, un appel, un rappel au passé d’un amour vivant à Danilo.

         La musique déroule, dans un enchaînement voluptueux, airs solistes, duos, ensembles, danses, d’une grande beauté. Le septuor « Ah, les femmes, femmes, femmes ! » y est le plaisant couplet d’une misogynie neutralisée par son excès même, scandé avec un grand dynamisme et une conviction appuyée. La danse ne pouvait manquer, marquée du sceau d’Offenbach dont le souvenir passe aussi dans l’œuvre avec ses satiriques politiques cancaniers et les érotiques cancans et french-cancan. Mine de rien, avec sa mine de malin averti, mi-figue, mi-raisin, le Figg de Grégory Juppin entre dans la danse avec des transes de trans ou travesti levant la jambe en vrai acrobate qu’on connaît, déchaîné au milieu du déchaînement chorégraphique réglé par Esmeralda Albertle blond Stanley  Riddick, serti parmi les dames, véritable élastique, multipliant des grands écarts à couper le souffle aux souffreteux arthrosiques, est un Valentin le Désossé plus souple et démantibulé que nature. À s’en démantibuler les mâchoires de rire.

  La Veuve joyeuse de Franz Lehár

Marseille, Théâtre de l’Odéon,

19 et 20 janvier 2019

Direction musicale : Bruno MEMBREY 
Mise en scène Olivier LEPELLETIER
Chorégraphie :  Esmeralda ALBERT 

Chœur phocéen de Rémy Littolf

Costumes : Opéra de Marseille

Missia Palmieri  : Charlotte DESPAUX
Nadia : Caroline GÉ
Manon :  Carole CLIN

Olga : Sabrina KILOULI

Sylviana : Rosanne LAUT
Praskovia : Simone BURLES 

Prince Danilo : Anas SEGUIN
Baron Popoff : Olivier GRAND
Camille de Coutançon : Samy CAMPS
Figg : Grégory JUPPIN
D’Estillac Florent LEROUX ROCHE

Lérida : Jean-Christophe BORN 
Kromski : Antoine BONELLI 
Pritschitch : Jean-Luc ÉPITALON 
Bogdanovitch :  Michel DELFAUD

Danseurs : Esmeralda Albert, Doriane Dufresne, Lola Le Roch, Nathalie Naranjo, Stanley  Riddick

Photos : Christian Dresse

1. Missia et Danilo (Despaux, Séguin);

2. Un prince bien entouré ; 

3. Deux prétendants et l'Ambassadeur (Born, Leroux Roche, Grand) ;

4. Maîtresse femme à la cravache (Caroline Clin);

5. Figg et Popoff (Jupin, Grand);

6. "Vorrei e non vorrei…" (Camps, Géa);

5.  "Diamants are girl’s best friends" (Veuve et prétendants);

6. Dignitaires marsoviens (Grand, Lemaire, Bonelli);

7. "Heure exquise…" (Missia, Danilo);

 

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