Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

dimanche, juin 20, 2021

LA FORGE D'UN PEUPLE EN CHANSONS : L'ESPAGNE

 

 FESTIVAL MARS EN BAROQUE 2021

BENITO PELEGRÍN

Conférence concert dimanche 27 juin 2021, 15h30

Salle Musicatreize, 53, Rue Grignan, 13002 Marseille

Entrée libre

IMAGINAIRE HÉROÏQUE ET AMOUREUX

    Au Moyen-Âge, toute l’Europe connaît des chansons de geste, chantées et récitées, qui se fragmentent en courtes ballades. Mais l’Espagne est le seul pays à perpétuer la pratique de ces brefs romances castillans, à les conserver par l’imprimerie : le Romancero. Le Siècle d’Or porte ces romances théâtraux comme le romancero du Cid, sur la scène. Théâtre national et populaire où se retrouvaient toutes les classes de la société, unies ou uniformisées ainsi par une même idéologie contradictoire : religion catholique du pardon et religion de l’honneur et de la vengeance. Des héros exemplaires sont offerts à l’admiration et à l’identification du public. Dont des figures altières de femmes, telle Chimène, demandant au roi Ferdinand la tête de Rodrigue,

Roi qui ne fait la justice

Ne devrait jamais régner,

Ni manger sur nappe blanche,

Ni avec la reine coucher. […]

Ni voir grandir sa lignée.

 

Ou Rodrigue, refusant le baiser d’allégeance au roi Alphonse s’il ne jure solennellement en public et devant Dieu de n’avoir pas trempé dans l’assassinat de son frère dont il hérite la couronne de Castille :

         —Pour baiser la main d’un roi,

Je ne me sens honoré ;

Si mon père l’a baisée,

Je me sens déshonoré.

 

Parallèlement, les Cancioneros, avec un même succès, cultivaient des villancicos, des villanelles, verdoyant et ravissant versant populaire, souvent irrévérencieux, telle cette chanson qui, aux pressants galants de nonne oppose la nonnain aguicheuse :

—Ne me les montre plus

Car tu me tues !

La nonne était dans le parloir,

Ses blancs tétons sous le voile noir.

— Arrêtez !

Vous me tuez !

 

Ces refrains émaillaient aussi le théâtre qui offrait de la sorte, à l’Espagnol, des modèles de conduite, un code de l’honneur, un art de vivre et un savoir vivre héroïque et galant. Les chansons nobles perpétuaient le culte de l’amour courtois, qu’on appellera en Europe « L’amour à l’espagnole », que regrettent Mesdames de Sablé et de Sévigné, et dont témoignent des airs chez Molière, Campra, Hændel, Rameau. Sœur Juana Inés de la Cruz en exprime le paradoxe masochiste dans un sonnet à sa bien-aimée María Luisa, Vice-reine du Mexique :

J'idolâtre Lysi mais point je ne prétends

Que Lysi puisse un jour répondre à ma tendresse,

Car juger accessible le corps d'une déesse

Injurie son respect et l'ardeur que j'en sens.

 

Ne point prendre jamais est ce que j'entreprends

Car je sais qu'en regard d'une telle maîtresse

Nul prix ne suffirait ; et c'est grande faiblesse

Que d'agir à rebours de ce que je comprends.

 

Sa vertu est pour moi d'essence si sacrée,

Espérer la fléchir est une telle injure

Que, s'il devait un jour advenir que, moins pure,

 

Plus sensible à mes feux, elle cède, je crois,

En voyant sa beauté aussi mal employée,

Que j'aurais des regrets de la savoir à moi.

                                                                            (Traductions B. Pelegrín)

 

            La conférence sera illustrée d’extraits de romances et d’airs chantés par Victoria de los Ángeles, dont une chanson arabisante et un romance sefarade..

 

            Le soir, à 19 heures, en l’église Saint-Théodore, 3, Rue des Dominicaines, 13001-Marseille, Imaginario, concert de María Cristina Kiehr, accompagnée par Ariel Abramovich à la vihuela, dans des airs de la Renaissance espagnole.

 

ÉMISSION: 

podcast :

                             

https://rcf.fr/culture/livres/conference-imaginaire-heroique-et-amoureux-la-forge-d-un-peuple-en-chansons


 

 

 

 

samedi, juin 19, 2021

LA DAME AU SAXO

 


Saxophonie   par le  Quatuor Ellipsos, 

Works by Fernande Decruck , 

NoMadMusic

        Créé à Nantes en 2004, le Quatuor Ellipsos, constitué de trois, disons quatre mousquetaires du saxophone, défend d’un quadruple souffle un répertoire original. Original car, le saxophone n’ayant guère de répertoire propre, autonome, les programmes de leurs nombreux récitals en France et à l'étranger (nous les avons entendus à Marseille, à la Criée) est forcément, la plupart du temps, composé de transcriptions, d'arrangements d'œuvres d’autres répertoires, classiques ou contemporains. Et je dis bien « composé », car une transcription d’une pièce musicale pour un instrument précis, ou une simple mélodie, élargie à un autre, ou à plusieurs autres instruments a fortiori, demande un vrai travail d’élaboration, de réécriture, bref, de composition. Mais, justement ici, le Quatuor Ellipsos, nous offre, je dirai pour la plupart d’entre nous, la découverte d’une œuvre spécifiquement écrite pour le saxophone et, encore mieux, par une compositrice bien oubliée qu’ils réhabilitent par cet hommage, Fernande Decruck. Un disque donc des plus originaux.

Mais présentons d’abord cet instrument, le saxophone dont tout le monde aura sûrement une image visuelle et sonore, instrument à vent en forme vaguement de point d’interrogation renversé, embouché comme une clarinette et le tube conique, trouée latéralement, s’évase vers l’autre bout, le pavillon. Le saxophone soprano, lui, est droit. L'instrument doit son nom à son créateur, le Belge Adolphe Sax, qui en dépose le brevet à Paris en 1846. Dont, relativement neuf dans l’orchestre pour avoir une longue histoire et une littérature musicale. Le saxophone, on le voit métallique, en laiton, en cuivre, en argent, plaqué or aussi, et, aujourd’hui, même en plastique. Et pourtant, le saxophone est classé dans les instruments à vent mais dans la famille des bois car l’embouchure est pourvue d’une anche, une petite languette en bois, en roseau, dont la vibration sous le souffle produit le son.

La tessiture de l’instrument s’étage selon l’échelle féminine et masculine de la voix humaine, ce qui nous permet de présenter les instrumentistes du Quatuor Ellipsos : Paul-Fathi Lacombe | saxophone soprano ; Julien Bréchet | saxophone alto ; Sylvain Jarry | saxophone ténor ; Nicolas Herrouët | saxophone baryton.

Avant de présenter la compositrice Fernande Decruck, écoutons un extrait de sa musique, une Pavane, très porteuse d’images, dont la saveur médiévale de son modalisme et  la tendresse de son rythme tendre installe une vaporeuse rêverie, évoquant, dans un cri, l’éveil en sursaut d’une princesse que va apaiser la chaleureuse voix, qui sait, d’une tendre  et rassurante nourrice ; puis l’intervention encore plus gave, masculine, de quelque héros, instaurant un babillage délicieux du timbre féminin avant un doux apaisement :plage 1.

Fernande Decruck, née Breilh, la tradition bourgeoise escamotant son origine sous le nom du mari, née à Gaillac en 1896, mourra  prématurément à Paris en 1954. Pianiste et organiste, elle compose d’abord pour l’orgue, son instrument, et, au cours d’une tournée aux États-Unis, rencontre Maurice Decruck, qui devient son mari, alors contrebassiste et saxophoniste au New York Philharmonic Orchestra sous la direction du célébrissime chef italien d'Arturo Toscanini. Le couple vécut plusieurs années à New York, y eut deux enfants, et Fernande compose alors pour son mari des œuvres pour saxophone, une quarantaine.

Composée en 1935 et dédiée au Soldat inconnu, Deux berceuses se compose de deux parties. La seconde, « Berceuse Héroïque », a la fausse douceur  endormante du thème lointain sur « Dodo, l’enfant do… », soudain travrsé traversé des stridences sinistres, acides, claironnantes, de la guerre : plage 11.

Rentrée en France, Fernande Decruck enseignera au Conservatoire de Toulouse. À Paris, son mari crée une maison d’édition et publie des œuvres de sa femme, écrites entre les années 30 et 40 pour le saxophone. Cependant, peut-être à cause de leur divorce en 1950, sa musique postérieure n’est plus éditée et reste sous forme manuscrite.  Et c’est un autre grand mérite du Quatuor Ellipsos que d’avoir récupéré la plupart des quatuors de cet album dans les archives de sa maison familiale, publiés, ertsauvés de la sorte pour ce disque.

Fernande Decruck sera professeure-assistante d’harmonie au Conservatoire de Paris (dont elle avait remporté plusieurs Prix) et y forme de grands musiciens comme Olivier Messiaen. Mais elle n’a pas le loisir d’avoir un poste titulaire, emportée par une attaque à cinquante-sept ans.

Sa musique, dans le goût de son époque, mêle et combine les styles et les genres, des mélodies traditionnelles au jazz.

Le quatuor le plus long, Saxophonesca est de 1943. Les titres des parties jouent plaisamment du phonème f, Faunesque et Fantasmagorie. Et l’on imagine facilement un faune facétieux, fantasque, à la voix grave poursuivant une nymphe à volubile voix aiguë, dans un jeu de sons, de tons, de voix, de course poursuite, qui a quelque chose d’un théâtre de guignol guilleret, d’un dessin animé de cette époque, ou de cinéma  : plage 9.


Quatuor Ellipsos,  Saxophonie Works by Fernande Decruck , NoMadMusic

 

RCF.  Semaine 15 Émission N°518 de Benito Pelegrín

 

LE ROI DANSE ET JOUE

Étienne Richard, Professeur du Roy Soleil

par Fabien Armengaud, clavecin, 

L’Encelade

Versailles, contrairement à un cliché usé d’une France qui se croit classique, pour les spécialistes, est un haut lieu du Baroque. C’est à Versailles que, en tant qu’expert culturel à l’Unesco, j’avais participé à la création et au lancement de la décennie du Baroque qui culmina, en 1992, avec le cinq-centième anniversaire de la Découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, « Rencontre de deux mondes » comme nous l’appelâmes, évitant de parler de conquête et colonisation suivant la découverte ; on préférait souligner ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise. Ce qui nous unit : en effet, avec cette expansion coloniale espagnole et portugaise, un siècle plus tard, cet art baroque, né en Italie, devait essaimer dans le monde entier, des Amériques jusqu’à l’Inde et le Japon. Ce fut, comme je le disais, la première mondialisation : le Baroque devenait le plus grand facteur commun culturel universel, un art migrant adopté et adapté partout, un art de l’inclusion de l’Autre, donc un art métissé. Versailles devint alors le Centre de musique baroque française.

C’est en ce lieu symbolique donc, que le label discographique L’Encelade, du nom d’un bosquet, cabinet de verdure de Versailles, orné d’un beau bassin et jet d’eau, est créé en 2010. L’Encelade, ou Encelade est l’un de ces Géants révoltés contre l’Olympe qui furent punis de leurs audace, écrasés sous les rochers par Hercule. Encelade, fut enseveli sous une montagne de rocs, devint l’Etna, dont les tremblements et éruptions sont ses efforts pour se libérer. En Grèce, on continue d'appeler un tremblement de terre une « frappe d'Encelade ».

Même si le logo du label Encelade s’orne d’une tête de lion qu’on dirait en bronze et non de la statue du Géant de la fontaine de Versailles, il convient de le saluer par sa quête d’œuvres en général singulières, hors des sentiers battus, confiées à des artistes renommés ou débutants mais dans le plus grand souci musicologique. Ce disque, en est un parfait exemple, qui a laissé champ libre à Fabien Armengaud, claveciniste, entre autres activités, attaché au Centre de musique baroque française de Versailles depuis 2013 où il est chef-assistant de la Maîtrise dont il prend cette année la direction musicale et pédagogique.

Mais puisqu’il est question de pédagogie, d’enseignement, il a eu la bonne idée de consacrer ce disque au maître inconnu d’un monarque absolu, le professeur de clavecin jusqu’ici à l’ombre du Roi Soleil, Étienne Richard (1621-1669). Écoutez la « Courante » si brève, de sa Suite de danses en ré mineur de la plage 4 : une minute et dix secondes, courte comme ces bonheurs à saisir au vol.

Brève comme une sentence, un aphorisme dans le goût concis du temps et c’est trop court ce qui reste de l’œuvre de ce musicien auquel Armengaud veut rendre justice. Il complète donc le CD par des œuvres de musiciens contemporains, des pièces pour clavecin et des transcriptions de Louis CouperinMarin Marais , Jean-Henri d’AnglebertJacques HardelLuigi RossiPierre de La BarreJacques ThomelinHenry Du Mont, Monnard, René Mézangeau Germain Pinel. Ils donnent ainsi le paysage et la mesure du mystérieux Étienne Richard qui devait être assez réputé pour devenir, à trente-six ans, le professeur, d’un Louis XIV de dix-neuf. Il faut rappeler que le jeune roi ne gouverne pas encore, il attendra ses vingt-deux ans. Son enfance, très menacée par les Frondes, a été protégée et son état préservé des ambitions des Grands, par un couple extraordinaire, sa mère, l’Espagnole Anne d’Autriche, et le Cardinal Mazarin, Italien, son parrain, qui sauvent pour lui une France déchirée par les guerres civiles internes et la guerre extérieure : leur éducation conjointe en fera le futur grand roi. Louis joue de la guitare espagnole, sans doute héritage de sa mère et, de sa grand-mère italienne, Marie de Médicis, ainsi que des goûts lyriques de l’esthète Mazarin, il aime le chant et chante (très mal dans ses appartements rapporte Saint-Simon) des airs à sa gloire. Nous apprenons avec ce disque qu’il apprenait aussi le clavecin grâce à Étienne Richard, on goûtera une « sarabande », d’origine espagnole, de la Suite en la mineur de la plage 11. La sarabande, danse picaresque réprouvée par l'Inquisition en Espagne,  assagie en Europe, perdit lentement son caractère vif et canaille dont nous gardons pourtant l'expression : "faire la sarabande".

                                                         Carrousel 1662

Nous savons que Louis XIV, surtout, était un grand danseur, vrai roi baroque, se mettant en scène dans des spectacles allégoriques centrés sur lui, sa cour gravitant autour, et c’est d’un ballet où il parut en Apollon, en Soleil qu’il garda et cultiva l’étiquette de Roi Soleil, avec la devise « Ne piu ne par » (‘ni plus haut [que lui] ni pareil’ [à lui], sans égal donc). À la mort de Mazarin, son parrain et mentor en 1661, Louis XIV commence à gouverner seul. L’année suivante, pour fêter la naissance de son premier enfant, le Dauphin, face au palais des Tuileries, sur la place qui prendra depuis ce nom, les 4 et 5 juin 1662, il organise un extraordinaire Carrousel, grandiose spectacle à cheval de cinq quadrilles de cavaliers somptueusement habillés à l’antique ou de façon exotique, le roi lui-même paré en empereur romain, en habit d’or ruisselant de rubis, casque d’argent couvert de pierreries avec un panache nébuleux, fabuleux, de plumes rouges, à grand renfort de trompettes. Spectacle aussi de politique externe et interne : près de quinze-mille personnes, assistèrent à ce spectacle fascinant qui asseyait le faste et la puissance d’un roi vraiment Soleil qui voulait éblouir ces Parisiens qui, dans son enfance, avaient soutenu la Fronde contre lui, l’obligeant à une fuite humiliante en pleine nuit et à dormir à Saint-Germain sur la paille avec son frère, protégés par leur mère et Mazarin. Nous saluons encore le label Encelade qui pare ce disque des fameuses et fastueuses illustrations qu’en fit Israël Silvestre pour en immortaliser l’événement.

Par le « Prélude » de la Suite en ré mineur, nous quitterons ce disque en admirant le toucher de Fabien Armengaud, qui possède tout l’art des agréments du clavecin, pincés simples ou doubles, des tremblements, des batteries de croches, trilles, notes vertigineusement rapprochées, toute une palette de nuances qu’on dénie à tort à cet instrument, dont on goûte les doux scintillements satinés, diaprés, chatoyants, moelleux, vaporeux :à preuve, la plage 1.

 

Étienne Richard, Professeur du Roy Soleil,

par Fabien Armengaud, clavecin,

L’Encelade

 

RCF. Semaine 8 : émission N°515 de Benito Pelegrín

 

 

vendredi, juin 18, 2021

BAROQUE ÉTOILÉ

Parla, canta, respira,

 Madrigaux de Barbara Strozzi, poèmes d'Erri de Luca, 

Lise Viricel (soprano), 

Peter de Laurentiis (récitant), Le Stelle, label Seulétoile

         Dans la foisonnante Florence au tournant des XVIe et XVIIe siècles, autour du salon, la Camerata de’ Bardi, naît la nouvelle musique, la monodie accompagnée, favellare in armonia ('parler en musique')  recitar col canto ('jouer en chantant'), la musica rappresentativa, la musique théâtrale, de ce qui sera nommé plus tard l’opéra. Les plus connus des représentants sont Monteverdi et, avant lui, Giulio Caccini (1551-1618), le chanteur, compositeur et théoricien, dont la fille Francesca Caccini (1587-1641), chanteuse et instrumentiste de sa troupe, est la première femme à avoir composé, entre autres musiques, un opéra fastueux, la Liberazione di Ruggero dall’ Isola d’Alcina. Une génération plus tard, cette musique théâtrale installée dans la culture et la géographie italiennes, la Vénitienne Barbara Strozzi (1619-1677) s’inscrit magistralement dans ce paysage musical féminin, d’instrumentistes et interprètes, muses qui s’émancipent pour voler sur les ailes de leurs propres  œuvres. Francesca Caccini demeure injustement mal connue, alors que Barbara Strozzi est bien servie au disque depuis les années 80, devenue un emblème triomphant d’un féminisme créateur trop occulté par la culture patriarcale.

         Mais c’est à cette dernière que consacre son premier disque le tout jeune ensemble Le Stelle, dont la fondatrice et directrice est Lise Viricel, soprano très appréciée dans notre marseillais Mars en Baroque. Ces jeunes musiciens nous offrent une transcription de seize pièces, extraites des huit volumes de madrigaux publiés sur vingt ans, entre 1644 et 1664 par Barbara Strozzi, initialement écrits pour voix et la rituelle basse continue baroque. On aurait aimé en connaître les dates de composition pour suivre une évolution de la compositrice. Ce minimum d’accompagnement est judicieusement élargi par une riche et expressive palette d’instruments tissée des cordes pincées d’une harpe, d’un lirone, et des cordes frottées de violes de gambe, d’un violon, d’un orgue, et de vents, un cornet à bouquin, de saqueboutes et un basson. Des passages instrumentaux dessinent un paysage poétique musical où, parfois, le basson semble assumer une voix masculine dans un grave fond brumeux d’orgue, cuivré de sacqueboute, adouci du miel ombreux et ambré  des violes, auréolé des cordes aiguës. Là aussi, nous manquent le nom de l’auteur et les options des transcriptions, dont on nous dit que l’improvisation ludique a une part, sans dire laquelle. Quoiqu’il en soit, la plage 5 est particulièrement belle, gamme descendante d’un lamento émouvant.

Des textes amoureux de l’écrivain italien Erri di Luca sont un contrepoint contemporain à ceux mis en musique par Strozzi.  Ils ne sont pas lus, pas récités, mais sobrement interprétés par Peter de Laurentiis d’une belle voix grave, confidentielle. Ils sont d’une simplicité directe, murmurée, qui contraste avec les poèmes baroques déclamatoires, encore qu’ici relativement sages grammaticalement et métaphoriquement. Les mètres sont traditionnels : heptasyllables (sept pieds) et endecasyllabes (onze pieds) pour les vers nobles, trois sonnets, dont un avec strambotto, estrambot, un vers de plus. Signalons, ce que ne dit pas le livret, que ces poèmes sont de Giulio Strozzi, le père, officiellement adoptif mais sûrement vrai, de Barbara dont il fera sa légataire.

On regrette les nombreuses maladresses des traductions. La presque seule hyperbate baroque, inversion, pourtant pas très forcée ici, donne lieu à un contresens :  

Cuando deluso e escluso errar di fuori

L’ira mi fa d’un Demone adorato

Devient :

Quand exclu et déçu par un Démon adoré,

La colère me fait errer dehors,

 

Alors qu’il faut comprendre : L’ira d’un Demone adorato/ mi fa errar di fuori , ‘la colère d’un démon adoré (la « très cruelle Dame » du titre même) me fait errer dehors ’, victime de cette colère, puisque le malheureux se dit ‘baigné de pleurs’ (« di lagrime bagnato»), car elle lui refuse l’entrée, faisant errer dehors l’amant dédaigné, qui frappe et martyrise en vain ce heurtoir de sa porte, son seul interlocuteur (Al battitor…).

    Au-delà des langues, la poésie baroque est aussi un langage formulistique international et les images sont presque exactement transposables d’un idiome à l’autre et il convient d’en connaître les presque exactes équivalences. Ainsi, La Belle Dame, même sans Merci, ne peut avoir des « yeux méprisants » envers l’amant qui la prise : ce serait se mépriser elle-même. Ils ne sont que « dédaigneux », ne daignant pas descendre, condescendre du piédestal où il l’a placée et le choisir. De même, on voit mal une belle abandonnée d’un amant vainqueur lui crier : « Interromps ton pas ! » quand un « Arrête ! » ou « Ne pars pas ! »  suffit bien ; « Profiter dans le temps de la jeunesse » pour Godere in gioventú, (‘Jouir de la jeunesse’) est bien lourd quand la soprano Manon chante tout simplement : « Profitons bien de la jeunesse » et « d’un court matin bref le beau temps » est bien long pléonasme par cette maladroite juxtaposition de termes synonymes par ignorance de l’antéposition de l’adjectif « È d’un corto mattin//breve  il sereno »  et de l’inversion : ‘d’un court matin le beau temps  éphémère’. D’autant que la musique sépare parfaitement les syntagmes, accordant la broderie d’une longue vocalise à « breve » en ironique jeu comme si l’on voulait éterniser, par le souffle inépuisable de la voix, cette brièveté de la joie, passage jubilant de virtuosité heureuse de Lise Viricel qui allège avec une gracieuse ivresse ce groppo, trille à la Caccini, la même note martelée.  

On est donc déçu que la connaissance si juste que ces jeunes musiciens manifestent de cette musique, de sa technique et style, soit beaucoup moindre pour les textes, d’autant que nous sommes ici en plein dans l’esthétique du premier Baroque, de la musica rappresentativa, destinée à la scène, où la musique est serve de la parole («  prima la parola, doppo la musica », la mode du chant virtuose des castrats inversera bientôt la hiérarchie).

 Ces maladresses textuelles, fort heureusement, n’affectent en rien l’interprétation vocale par une femme, de ces poèmes d’amour ardent, presque tous masculins, adressés à une dame, à l’exception du cri douloureux, inlassablement répété, fatigué de supplier, tentant vainement de retenir le pas de l’amant en partance inéluctable, l’homme, cruelle exception, insensible à cette voix amoureuse qui va s’éteindre de chagrin. Lise Viricel sait se glisser dans la chair délicate du texte et en traduit dans toutes les nuances de la voix, les effets, les affects, du murmure au cri, du grave à l’aigu, la théâtralité ou la confidence, la pudeur ou l’éclat. La voix est limpide et sa fraîcheur juvénile brille dans la joie et déchire dans la douleur, laissant pressentir une future puissance tragique.

La plage 15, La Riamata da chi amava, qu’on pourrait dire ‘Retour de flamme’ est d’une pudeur sensible, dans un doux, un vaporeux recours, appel au sommeil pour apaiser la souffrance, dans une brumeuse et presque déjà baudelairienne supplique à mi-voix : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille… »

 

Barbara Strozzi (1619-1677) : seize airs des livres de madrigaux opus 1, 2 et 8. Erri De Luca (né en 1950) : poèmes. Peter de Laurentiis, récitant ; Ensemble Le Stelle, direction et chant : Lise Viricel. 1 CD, label Seulétoile.

 RCF : émission N°533 de Benito Pelegrín. Semaine 25

LOUISE VIRICEL ET L'ENSEMBLE LE STELLE ANIMERONT DEUX SOIRÉES DU FESTIVAL MARS EN BAROQUE :

1) Cabaret baroque, l, Èolienne , vedredi 25 juin, 20h30 ;

2) Parla, canta, respira, Église Saint-Théodore

Renseignements :

WWW.MARSENBAROQUE.COM

 

mercredi, juin 09, 2021

ROMANTIQUE NOCTURNE

 

Trio Talweg – Schubert, Trio No. 1 D.898, Notturno D.897, Auf dem Storm D. 943,  NoMad Music

 

         Sébastien Surel, violoniste, Eric-Maria Couturier, violoncelliste et Romain Descharmes, pianiste, ont uni leurs instruments et talents pour former un trio classique auquel ils ont donné un nom qui est définition et  déclaration d’intention, vocation et désormais pratique et caractéristique.  En effet Talweg unit deux termes topographiques allemands tal (vallée) et weg (voie, chemin), dont l’association bien trouvée, dans cette langue agglutinante, signifie littéralement , expliquent-t-ils, « chemin de la vallée », je dirais plutôt pour jouer musicalement sur les sonorités, l’allitération en  v : « voie de la vallée », pour faire aussi résonner, mettre en écho, forcément sonore voie e et voix x.

Quoiqu’il en soit, ils se sont bien nommés car le terme désigne la ligne de confluence des courants venus des sommets déValant Vers la cuVette de la Vallée. Bon, ne pensons pas aux aValanches ! Mais aux beaux ruissellements de diverses sources qui donnent le flux, le flot ou fleuve musical enrichi de ses différences. En effet, le Trio Talweg, sans renier la tradition classique et romantique, noue, renoue des liens contemporains entre les cultures et les styles, sans renier jazz, tango, rock ou musique contemporaine de compositeurs tels Peter Eötvös, Rebecca Saunders, Mikel Urquiza.

Cela donne à leurs interprétations une liberté, une fraîcheur dont ce disque est un séduisant exemple, nous offrant une écoute renouvelée de deux œuvres très ou trop connues de Schubert, le Trio No. 1 D.898, et le Notturno D.897 et d’une pièce absolument inconnue, et pour cause, puisque c’est leur transcription instrumentale du lied Auf dem Storm D. 943, ’Sur la rivière’, originalement pour ténor cor et piano, dont le poème intégral de Ludwig Rellstab (1799-1860) nous est donné dans le livret.

 Le Trio No. 1 D.898 en B flat major (je traduis : en ‘si bémol majeur’) a sans doute été composé par Schubert en 1827 après la mort de Beethoven qui en avait laissé un modèle exemplaire avec son Trio à l’Archiduc en 1811. Schubert le compose, comme toujours pour des amis, deux amis qui avaient été les créateurs de celui de Beethoven qui tenait le piano. Schubert admirait, bien sûr, Beethoven, qui n’accepta jamais de le rencontrer. Sans doute la mort de ce terrible père fouettard, écrasant, libère-t-il ce fils œdipien frustré, qui mourra l’an d’après, à trente et un ans. Toujours est-il que son Trio est largement à la hauteur du maître vénéré.

Mais, si Schubert n’a pu ne pas songer à Beethoven, en tous les cas, ce n’est pas à sa mort. Dans sa musique si souvent mélancolique, ce morceau est souriant d’un bout à l’autre, à quelques notes près du second mouvement, Andante un poco mosso, joué avec une élégante nonchalance par les Talweg, avec un piano qui déroule ses notes sous un violon ailé. Le premier mouvement, Allegro, sonne on ne peut plus allègre, plein d’allégresse lumineuse. De forme sonate avec deux thèmes, le second, à peine plus sage, ne fait pas d’ombre au premier dans cette interprétation qui en sait rendre toute la fougue légère, tout le jeu espiègle, ludique, juvénile, avec ce violon railleur, assévératif, affirmatif, joyeusement têtu, dans un triomphalisme d’enfant qui gagne au jeu tandis que ce piano guilleret égrène des gammes jamais gommées, toujours limpides sur le velours du violoncelle (Plage 1).

Le troisième mouvement, Scherzo, allegro, jeu, encore allègre, ne dément en rien ce caractère enjôleur de l’ensemble et le dernier, Rondo vivace, est plein de malice souriante. Un régal.

 Le Notturno D. 897 (E flat major, ‘mi bémol majeur’) est mystérieux par sa date et l’on pense qu’il devait figurer dans le Trio D.897, qu’il précède par le numéro du Catalogue Deutsch. Sans doute Schubert le retira-t-il car il est vrai que son caractère nocturne, sombre, ne convenait pas avec cette joie qui illumine le trio.  Mais nous en goûtons la mélancolie romantique (plage 5).

La troisième pièce du CD (E major, ‘mi majeur’) est donc la transcription instrumentale du lied Auf dem Storm D. 943, ‘Sur la rivière’, magnifique surprise, ce ruissellement de vaguelettes du piano, ses petites crêtes sur les ondes du violoncelle, sous la brise légère du violon qui devient écharpe agitée d’un adieu. On s’y embarque avec bonheur pour naviguer sur ce superbe disque (plage 6).

 

Trio Talweg – Schubert, Trio No. 1 D.898, Notturno D.897, Auf dem Storm D. 943, NoMad Music

 

RCF. Semaine 10,  émission N°515 de Benito Pelegrín. 

Podcast sur le site de RCF Dialogue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vendredi, juin 04, 2021

FLAMBANT FLAMENCO

 


 
Le festival continu sa programmation au fil de l'eau...
Soutenez notre initiative et venez vibrer avec nous en ce mois de juin !
 

Vendredi 11 et samedi 12 juin | 20h30 | Centre Solea

FRANCIA FLAMENCA
avec Anne-Lise COSTES et Kuky SANTIAGO
*Ouvert à tous sur réservation*
Jauge réduite | Strict respect des gestes barrières

 
 
Le talent des artistes de France est arrivé aux oreilles des spécialistes andalous. Et c'est bien grâce à eux que le flamenco s'est enraciné par chez nous et avec une touche bien particulière. Aussi, Flamenco Azul a décidé de les mettre en lumière et de leur rendre hommage à Travers le cycle : «FRANCIA FLAMENCA».
 
Réservation et inscription : 06 14 55 54 52 | solea.centre@gmail.com
 
En savoir +
 

Dimanche 13 juin | 10h | Centre Solea

ATELIER BULERIA
 avec Kuky SANTIAGO

 
 
Kuky Santiago nous révèlera ses secrets qui font de ses «patás por bulerías» de véritables bombes qui enflamment le public.
 
Réservation et inscription : 06 14 55 54 52 | solea.centre@gmail.com
 
En savoir +
 

A destination des journalistes

Mercredi 9 juin | 10h30 
Centre Solea 68 rue Sainte 
13001 Marseille


Pour présenter la troisième édition qui se poursuit... au fil de l'eau...
Qui s'adapte aux circonstances et monte en puissance jusqu'au 10 juillet !
Réservation : 06 14 55 54 52 | solea.centre@gmail.com 
 


INSCRIPTIONS OUVERTES
06 14 55 54 52 | solea.centre@gmail.com
 


Du lundi 5 au vendredi 9 juillet


MASTER CLASS | Centre Solea 13001 Marseille

 
 
José Manuel Alvarez
 
Un danseur encré dans son époque, à la fois visionnaire et fin connaisseur des racines du flamenco.
 
Juan Manuel Cortés
 
Profond et intraitable sur la tradition, Juan Manuel est un orfèvre du « compas », capable d’enchaîner avec finesse et subtilité tout l’éventail du répertoire flamenco.
 
Maria Perez
 
Fondatrice du Centre Solea et pionnière du flamenco à Marseille, sa danse se nourrit de la pluralité de son expérience et des talents qu'elle a rencontrés.
 
 
En savoir +
 

Vendredi 2 et samedi 3 juillet


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