Critiques de théâtre, opéras, concerts (Marseille et région PACA), en ligne sur ce blog puis publiées dans la presse : CLASSIQUE NEWS (en ligne), AUTRE SUD (revue littéraire), LA REVUE MARSEILLAISE DU THÉÂTRE (en ligne).
B.P. a été chroniqueur au Provençal ("L'humeur de Benito Pelegrín"), La Marseillaise, L'Éveil-Hebdo, au Pavé de Marseille, a collaboré au mensuel LE RAVI, à
RUE DES CONSULS (revue diplomatique) et à L'OFFICIEL DES LOISIRS. Emission à RADIO DIALOGUE : "Le Blog-notes de Benito".
Ci-dessous : liens vers les sites internet de certains de ces supports.

L'auteur

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Agrégé,Docteur d'Etat,Professeur émérite des Universités,écrivain,traducteur,journaliste DERNIÈRES ŒUVRES DEPUIS 2000: THÉÂTRE: LA VIE EST UN SONGE,d'après Caldéron, en vers,théâtre Gyptis, Marseille, 1999, 2000; autre production Strasbourg, 2003 SORTIE DES ARTISTES, Marseille, février 2001, théâtre de Lenche, décembre 2001. // LIVRES DEPUIS 2000 : LA VIE EST UN SONGE, d'après Calderón, introduction, adaptation en vers de B. Pelegrín, Autres Temps, 2000,128 pages. FIGURATIONS DE L'INFINI. L'âge baroque européen, Paris, 2000, le Seuil, 456 pages, Grand Prix de la Prose et de l'essai 2001. ÉCRIRE,DÉCRIRE L'AMÉRIQUE. Alejo Carpentier, Paris, 2003, Ellipses; 200 pages. BALTASAR GRACIÁN : Traités politiques, esthétiques, éthiques, présentés et traduits par B. Pelegrín, le Seuil, 2005, 940 pages (Prix Janin 2006 de l'Académie française). D'UN TEMPS D'INCERTITUDE, Sulliver,320 pages, janvier 2008. LE CRITICON, roman de B. Gracián, présenté et traduit par B. Pelegrín, le Seuil, 2008, 496 p. MARSEILLE, QUART NORD, Sulliver, 2009, 278 p. ART ET FIGURES DU SUCCÈS (B. G.), Point, 2012, 214 p. COLOMBA, livret d'opéra,musique J. C. Petit, création mondiale, Marseille, mars 2014.

lundi, mars 12, 2007

Die Entührung aus dem Serail, Marseille

Die Entührung aus dem Serail
L’Enlèvement au sérail de Mozart
Opéra de Marseille



L’Europe et l’Orient
Dernière grande alerte ottomane en Europe, le siège de Vienne en 1682 : nous lui devons les « viennoiseries », les croissants (de lune), délicieuses pâtisseries de la victoire autrichienne et chrétienne et, un siècle plus tard, passé le danger, l’Enlèvement au sérail de Mozart (1782). Son premier singspiel, mêlant chant et parole, musique savante et populaire, ; le second et dernier, sa Flûte enchantée situe dans l’Égypte, turque encore de son temps, le temple de l’humanisme maçonnique.
Mozart avait déjà écrit la musique de scène de Thamos, König of Aegypten (‘Thamos, roi d'Égypte’, 1773, remanié en 1779) pour accompagner le drame de Tobias Philipp von Gebler, d’inspiration maçonnique, avec deux airs de basse et des chœurs, un mélodrame, un drame avec musique, mélologue à la mode du temps, avec passages déclamés sur la musique, pièce que Schikanader, l’auteur du livret de la Flûte, portera à la scène en 1781. Mozart avait aussi manifesté son intérêt pour cet Orient alors aux portes de l’Autriche avec une autre turquerie allemande inachevée, Zaide (ou Das Serail, 1779), fondée déjà sur une histoire de sérail similaire, avec un personnage appelé aussi Osmin, une basse, comme dans l’Enlèvement et Le gelosie del Seraglio (‘les jalousies du sérail’ 1772), esquisse d’un ballet pour son opéra italien, situé dans la Rome antique Lucio Silla. L'Oca del Cairo (L’Oie du Caire’,1783), enfin, est un opéra bouffe d’inspiration encore orientale, inachevé.
L’Orient était en vogue au Siècle des Lumières depuis la fin du siècle précédent. 
Venue d’une Espagne ayant chassé et pourchassé ses derniers maures et arrêté l’avancée turque en Méditerranée à Lépante en 1571, la mode orientale, à travers romans (Zaide, de Madame de La Fayette), avait eu un regain d’actualité en France avec l’ambassade turque ratée à Versailles des envoyés de la Sublime Porte (1669) dont Louis XIV voulut se venger en commandant la turquerie de Molière/Lully, Le Bourgeois gentilhomme (1670). Cette comédie ballet et le Bajazet tragique de Racine (1672) traduisent et trahissent le sentiment ambivalent de l’Europe pour la Turquie : on voudrait en rire mais on en a peur, on voudrait l’intégrer et on la redoute. Un siècle après, vaincu ou contenu, le Turc, l’Oriental, peut devenir le sage symbole inverse de nos folies chez Montesquieu, Voltaire, ou bien l’image de la magnanimité dans Les Indes galantes de Rameau et dans Mozart et son Égypte maçonnique que Bonaparte mettra largement à la mode avec sa campagne (1798) et sa cohorte de savants, dont Champollion. Les Orientales, dramatiques, de Victor Hugo ne sont pas loin avec les déchirements du soulèvement anti-turc des Grecs. Mais, au XVIII e siècle, la traduction par Antoine Gallant des Mille et Une Nuits (1704) avait mis à la mode un Orient sensuel et badin, alibi de l’érotisme libertin du Sopha de Crébillon (1742), des Bijoux indiscrets (1748) de Diderot, un peu plus édulcoré dans les opéras de Gluck La finta schiava (1744), Les Pélerins de la Mecque (1764) qui deviendra sagement bourgeois chez Boieldieu et son Calife de Bagdad (1800) et carrément bouffe avec le Rossini du Turc en Italie et de l‘Italienne à Alger. Fantasmes et chimères d’un Orient, désorienté (perdre l’orient), qui ne fait plus peur à l’Europe triomphante.

L’œuvre
Livret allemand de J. G. Stephanie, tiré d’une pièce tirée d’un roman anglais inspiré de récits espagnols : œuvre européenne et musique universelle de Mozart. Enlèvement contre rapt, le maître et son valet, Belmonte, noble espagnol et Pédrillo, vont tenter d’enlever du sérail du pacha Sélim leurs deux amantes enlevées, Constance et Blonde, sa soubrette anglaise, malgré l’eunuque ogresque et grotesque, Osmin : clémence du pacha (rôle parlé), amoureux respectueux de la jeune héroïne, mais cruauté –comique- de l’esclave, sadique gardien obsédé des tortures les plus barbares. La comédie y frôle la tragédie, le rire, les larmes mais la musique, de la chansonnette dévolue au couple de serviteurs, aux grands airs, naturellement chantés par les maîtres, est d’une confondante beauté, d’un grand humour orchestral.
Les personnages sont dans la pure convention : couple d’amants fidèles, mais traversés par le doute, nobles et beaux sentiments chez les aristocrates, traduction comique chez les valets. La soubrette, délurée, revendicatrice et rebelle, ouvre la galerie mozartienne des caméristes typées de Mozart ; la douceur élégiaque de Belmonte annonce celle de Tamino, mais Constance, le personnage le plus fouillé déborde le stéréotype, est déjà une Fiordiligi qui n’aurait pas flanché, une Pamina tentée par le suicide pour éviter l’infamie, héroïque, tendre et désespérée.

La réalisation.
Sur un sablonneux plan incliné inégal, agréable aux spectateurs mais parfois incommode aux chanteurs, une immense grille de fond, un treillis de moucharabiehs, à structure carrée répétée, à motifs géométriques arabes (étoiles, cercles) et en arabesques. Ce mur ajouré monte, barrant l’horizon, ou descend et devient balustrade de terrasse ou jardin orné d’un banc et d’une fontaine : l’espace de la liberté au-delà de son enceinte, l’air filtré du dehors et la pénombre du sérail et des âmes encloses. Cette belle barrière, mais terrible et implacable clôture, a son pendant tel un rideau de devant de scène : la claustration terrible du harem et la femme, papillon éperdu derrière son grillage luxueux ; montant, presque horizontal il pèse sur sa tête comme une fatalité toujours présente, pas d’hier : au présent encore, aujourd’hui. Ce simple mais somptueux décor (Michel Pastore) laisse passer les lumières radieuses et changeantes (Roberto Venturi) qui projettent sur le sol l’ombre des moucharabiehs en fastueux tapis persan. C’est d’une sobre et sombre beauté, ombre et lumière, angoissante. Les costumes de Graziella Vincenti semblent tirés de gravures anciennes représentant des Turcs, harmonie de beige, grège, safran, orangé, doré et une touche de bleu, d’une grande beauté.

On est un peu déçu que le metteur en scène Vincent Vittoz, qui signe aussi cette scénographie, n’en tire pas un parti plus complexe et plus ambitieux. Il y a de jolies trouvailles (les pots de fleurs sur tréteaux), la corde à linge, la superbe désinvolture de Constance se drapant dans le linge étendu comme un défi, son doigt gourmand dans le gâteau. Mais il en reste à un premier degré, qui ne jure certes pas avec l’œuvre, mais on ne sent pas une ligne de force directrice. Le tempo est ralenti par les passages parlés en allemand, avec des temps morts, un certain statisme, qui nous font attendre la musique avec impatience. D’autant que, dès l’ouverture, Thomas Rösner lui donne son incisive jeunesse son irrésistible dynamisme euphorique dans ces timbales, cymbales, percussions et triangles joyeux de la « musique turque », ciselant les cordes, caressant la chaude tendresse des bois et la couleur nostalgique des touches de cor, attentif aux chanteurs, tonique avec le chœur e quatuor vocal bien préparés (Pierre Iodice).
On saura gré à Juha Riihimäki, qui remplace au pied levé le ténor prévu, malade, de sauver la représentation, sans sauver pour autant le personnage musical. Bonne idée que ce Pédrillo de Loïc Félix, léger et agréable ténor, agile, vif, souple, de « couleur », ce qui justifie les terribles reproches et la haine, même comique de l’eunuque, le délit de faciès, le crime d’être étrange et étranger aux yeux d’Osmin, son antithèse vocale et corporelle, lourd, massif, basse profonde devant tenir des graves soutenus assez redoutables dont le wagnérien Jyrki Korhonen se tire plutôt bien malgré des graves un peu atones. Brigitte Fournier est une piquante et coquette Blondchen revendicatrice féministe, timbre fruité discrètement sensuel, léger mais non éthéré coloré et corsé. Le rôle de Constance, à quelques graves près quelle gagnera, semble écrit pour Jane Archibald : sur deux octaves, elle déploie une voix égale, large, un timbre riche, lumineux, onctueux, d’une vertigineuse virtuosité dans la pyrotechnie de ses vocalises mais d’une ligne, d’une tenue admirable, d’une couleur modelée sur l’affect en grande tragédienne dans son air bouleversant de la tristesse, coupé de soupirs, de sanglots soulignés par la lame déchirante des cordes, d’une typologie stéréotypée dans la convention du temps mais que Mozart transcende par son génie et que la jeune chanteuse recrée pour nous.
Allure et figure, le Pacha de Nick Monu existe au milieu de ces grands chanteurs simplement en parlant.

11 mars 2007

Photos Christian Dresse, légendes, B. P.
1. L'ombre du sérail;
2. Blonde et Constance;
3. Constance et le Pacha.

vendredi, mars 09, 2007

Disques

SÉLECTION DE CD


BEETHOVEN : Concert pour violon et orchestre ; les 2 romances.
Régis Pasquier, violon. Baltic Chamber Orchestra, direction Emmanuel Leducq-Barôme. Disque Calliope.
Si toute la musique de Mozart disparaissait, ce serait, certes, un cataclysme culturel, le monde serait plus sombre : la musique serait à jamais mutilée. Mais cela ne changerait rien à l’histoire de la musique. En effet Mozart s’est plié à toutes les conventions de son temps, n’a pratiquement pas innové : mais son génie a sublimé tous les genres canoniques qu’il a touchés, les a tous dépassés en sorte que, malgré la profusion musicale de son temps, le nombre de grands musiciens qui l’entoure, à les entendre et à l’écouter, on a le sentiment qu’il y a Mozart et les autres. Un autre génie de la musique, Haydn, ne s’y trompait qui disait à Léopold Mozart, le père, : « Ton fils nous dépassera tous. » Il en va autrement avec Beethoven : admirateur de Mozart, bien sûr, s’il part souvent de lui, des mêmes cadres formels, il dépasse aussi tous les genres, mais en les brisant, en les transformant, au grand désarroi des auditeurs de son époque, en créant, par sa révolte contre les moules étriqués, une révolution qui ouvre, dès le début du XIX e siècle, toute la musique de l’avenir.
C’est ce que vient nous rappeler opportunément le grand violoniste Régis Pasquier, couvert de lauriers, de récompenses. Ce Concert pour violon et orchestre, ébauché entre 1790-1792, part donc d’une esthétique encore mozartienne, sensible dans sa claire architecture. Mais, achevé en 1806, on a déjà tout le devenir orchestral beethovénien, entre douceur et violence, impatience de secouer les carcans des habitudes d’écoute. Beauté chaleureuse du thème, passion des élans orchestraux, tout cela est rendu avec bonheur dans ce disque dans la lumineuse clarté des plans dessinés par le chef, par le ciselé amoureux de la ligne du violon, l’ivresse virtuose des cadences, et cet impétueux et généreux essor musical jamais débordé par un inutile pathos.
Les deux romances pour violon, solaires et sereines, font du violon une voix humaine auréolée de la grâce d’un effectif orchestral plus léger : léger drapé sur le charme rêveur d’une diva, le violon.

LA NAISSANCE D’OSIRIS. Jean-Philippe Rameau. La Simphonie du Marais, direction Hugo Reyne. Éditions : Musiques à la Chabotterie.
Avec ce nom de conte de fées, la Chabotterie, (chat botté ?) avec son Festival qui en est à fêter ses 10 ans, créée son propre label discographique, heureuse initiative qui nous permet de goûter, sur le vif, sinon sur le vivant de notre absence, les moments féeriques de ce magique lieu, ce château où la musique a trouvé son cadre enchanteur. En tous les cas, on ne se plaindra pas de voir et d’entendre inaugurer avec Rameau une série de disques, tant la richesse de ce compositeur cartésien et philosophe demeure encore largement méconnue. Par la volonté d’H. Reyne, qui dirige La Simphonie [sic] du Marais, augmentée des remarquables Solistes et du chœur du Marais, voici donc le premier numéro d’une collection vouée à Rameau, compositeur des Lumières. Il s’agit ici d’une œuvre reconstituée musicologiquement dans son intégrité par Reyne, restituant des scènes omises lors de la création, à l’occasion de la naissance de Louis XVI, en 1754, de La Naissance d’Osiris. Sur un livret de Cahusac, encyclopédiste, spécialiste de danse et plusieurs fois collaborateur de Rameau, il s’agit d’un ballet allégorique dans le goût déjà égyptien du temps et on pense à l’invocation à Isis et Osiris du Sarastro franc-maçon de La Flûte enchantée. Mais, à connaître le sort de ce dieu, découpé en morceaux (même s’il est reconstitué par sa sœur Isis), on ne peut s’empêcher à la coupure fatale du cou du futur roi dont cette légende célèbre la naissance. Quoiqu’il en soit, nous avons ici tout le charme élégant et un peu fou de Rameau dans cette bergerie, ces tambourins, ces musettes, ces airs tendres ou exaltés, enguirlandés et fleuris de vocalises voluptueuses par le timbre fruité de Stéphanie Révidat, entourée de la brillante phalange vocale des Solistes du Marais. Après les heureuses prémices de ce régal gourmand, on attend impatiemment la suite.

Benito Pelegrín

jeudi, mars 08, 2007

LES PÊCHEURS DE PERLES, Avignon

JOYAUX

Les pêcheurs de perles
Livret de Cormon et Carré, musique Georges Bizet
Opéra d’Avignon

En 1863, lorsque Bizet, à 25 ans, compose cet opéra, la mode est encore à l’orientalisme de Félicien David. Les XVIIe et XVIIIe siècle aiment les turqueries, le XIX e, un Orient plus lointain, plus mystérieux, plus exotique, comme Lakmé de Léo Delibes, goût qui débordera le XXe avec Madame Butterfly de Puccini, annoncée par les Madame Chrysanthème, de Loti et Messager, avant sa Turandot finale. Figures de femmes emblématiques : la sacrifiée et la sacrificatrice, celle qu’on viole et celle qui castre. Car le XIX e siècle bourgeois est fasciné par l’image ambivalente de la femme, qu’on goûte et qui dégoûte, la courtisane -la pute- et la nécessaire vierge dont la pureté permet d’exalter et de dénoncer la souillure de l’autre. De la Vestale de Spontini à Norma, voilà encore la femme vouée à l’autel et aux gémonies, à la mort si elle manque à la virginité imposée par la loi de l’homme. Pas de pitié pour les gardiennes obligées du temple masculin.

L’œuvre
C’est l’histoire de Leïla, prêtresse indienne voilée, dont le beau visage doit être caché aux yeux profanateurs des hommes, possession exclusive d’un dieu jaloux : « Vierge pure et sans tache », même à Ceylan, c’est la même exigence qu’en Occident d’une femme intouchable, divinisée, dépouillée de son identité humaine, sensible et faillible, de son corps. Elle est tenue par des serments, « soumise à la loi » et « Malheur à toi ! » lui hurle-t-on, si elle y manque. Bref, aux Indes comme ici, à tout ce qu’on exige des femmes il y aurait peu d’hommes qui mériteraient de l’être.
Il y en a au moins deux, qui se sont épris de la déesse, deux amis, l’un plus privilégié que l’autre, le ténor, il va de soi, qui se retrouvent sur une plage, la retrouvent, y perdant pratiquement l’amitié et la vie pour un, en compagnie de la malheureuse prêtresse descendue par l’amour de son piédestal. Tout finira bien, l’amour triomphe de dieu et des hommes, sans qu’on y croie trop.
Le sujet n’a d’autre portée que celle-là et la musique de Bizet est inégale, surtout dans l’orchestration, mais géniale dans l’invention mélodique d’une bouleversante beauté. Bien sûr, chacun connaît, sans même savoir que c’est tiré de cet opéra rare, la romance de Nadir, d’une sublime simplicité. Mais les autres airs sont d’une grande qualité (« Comme autrefois… ») et sur quatre duos magnifiques, au moins deux sont des chef-d’œuvres mélodiques « Ton cœur n’a pas compris le mien… » et le célèbre duo des amis, « Oui, c’est elle, c’est la déesse » qui devient le motif de Leïla sans cesse répété jusqu’à la fin de l’œuvre sans guère plus qu’une variation. Les chœurs sont nombreux, beaux, et les danses annoncent déjà la suite de l’Arlésienne.

La réalisation
Avec un tel sujet, la femme sacrifiée, et la réalité de la violence conjugale aux Indes, qui va jusqu’au meurtre maquillé en accident par les maris pour garder les dots obligatoires, on pouvait craindre une relecture à la mode déjà vieille qui afflige les scènes depuis quarante ans. Plus sagement, dans un opéra habillé et sonorisé agréablement aux couleurs de l’Inde, ouvreuses et autre personnel compris, ambiance musicale de Farshad Soltani et de Didier Marteau, Nadine Duffaut, nous offre un nostalgique voyage dans le temps, aux couleurs tendrement fanées : un cadre de scène orientalisant, une vaste estampe ancienne en toile de fond, des femmes indiennes au bain parmi des arbres immenses d’un romantisme stylisé. Latéralement, des panneaux de vague plage nue (décor Emmanuelle Favre). Les costumes indiens de Danielle Barraud, turbans, voiles, beige, sable, grège, marron clair, se pastellisent aux délicates lumières de Jacques Neyeta.
Dans ce cadre, la masse des choristes bien dirigés (Stefano Visconti) se forme et se reforme en masses très plastiques, animées d’une gestique unanimiste des mains d’un rituel stylisé, sans solution de continuité avec les danses chorégraphiées avec bonheur par Éric Belaud et Maria Kiran, par ailleurs troublante danseuse indienne soliste.
Dans ce superbe ensemble qui mériterait une tournée pour se rôder au-delà des deux seules représentations, le plateau est de rêve. Que dire de Patrizia Ciofi sans se répéter? Même grippée, elle est toute présente, petit Tanagra indien, légère comme un oiseau dont elle a les vocalises et les trilles dans un air vertigineux qui anticipe celui de Lakmé vingt ans plus tard, un peu moins aigu, voix d’une rare musicalité, tendre, moelleuse et délicate, toujours à fleur d’émotion : un bonheur. À ses côtés, Antonio Figueroa, ténor canadien, ne démérite pas avec une voix pas très large mais au timbre raffiné, admirablement conduite et sa romance est éclairée par des demi-teintes lunaires d’une grande poésie et d’une émotion communicative. Le Zurga de Marcel Vanaud, baryton, a la rudesse tonitruante d’un chef, une belle vaillance dans une tessiture tendue ; malgré parfois un vibrato excessif, il est convaincant dans le rôle. Nicolas Teste, dans le rôle trop bref de Nourabad, déploie une belle étoffe de basse qu’on voudra réentendre. La direction de Vincent Barthe est limpide comme cette musique et sait en faire briller amoureusement les joyaux.
On saluera la petite Inés Bakir, l’Enfant élue voulue par la metteur en scène, dans son bel habit de prêtresse, qui prend la relève de Leïla délivrée, image poignante d’une perpétuation féminine sans doute de la grâce, mais aussi du sacrifice.
27 février 2007

Photos ACM

Le Trésor des chemises noires, Marseille

Le Trésor des chemises noires

Comédie policière de Gilles Barba
Théâtre de Lenche, 25 février 2007

Éclats de Scène et le Théâtre de la Brante, en avouable et honorable association, amicale et non mafieuse, présentaient en co-production cette « comédie policière » de Gilles Barba, mise en scène par Frédéric Flahaut, située en Sicile, mais bien ancrée dans la réalité et les racines italiennes de Marseille et sur la scène intime mais profonde du théâtre de Lenche.
Un commissaire de police sicilien donne rendez-vous à divers personnages, liés par le sang, la parenté et sans doute le meurtre, dans un théâtre de Palerme, ici la scène du Lenche, première mise en abîme, entre la capitale phocéenne et la capitale sicilienne, théâtre dans le théâtre. Les citations de Molière, les Fourberies de Scapin, sont déjà matière à rappeler les liens du dramaturge français avec la commedia dell’arte, à tisser ce réseau, culturel et délictueux, ouvert et ombreux, entre les habitants d’ici et de là-bas, avec le facteur commun de la pieuvre, de la pègre, qui n’a pas de patrie, partout chez elle. Et le charme d’un théâtre de tréteaux d'hier et d'aujourd'hui.
Au détour de l’enquête, pleine de rebondissements, de surprises bien agencées, bien amenées, les masques de la comédie tombent, sous les paroles anodines, les personnages dévoilent les personnes, les replis cachés inavouables des personnalités. L’astuce théâtrale, avec une belle économie de moyens, fait endosser aux divers acteurs d’un drame, un crime, cœur de l’enquête, les vêtements symboliques des protagonistes morts : travestissements, jeux de rôles assumés, à tour justement de rôle, par les comédiens amenés à être plusieurs en un, psychodrame littéral, le déguisement faisant advenir la vérité. Beaucoup d’habileté et de dextérité dans ce jeu de miroirs du texte auquel répond ingénieusement la mise en scène.
Sous le jeu perpétuel, sous les multiples reflets, parfois des réflexions, historiques ou politiques (fascisme, mafia, argent sale émigration, racisme) rarement innocentes, malgré des facilités, mais toujours traitées légèrement, en passant, au détour d’une phrase, avec une connaissance subtile d’un certain Marseille et de l’Italie, avec l’accent parfait des supposés italiens (Barba lui-même, remarquable). Les costumes sont sobrement stylisés à l’élégance italienne de convention, sportif pour le footballeur, voyants pour le ou la trans. Les clins d’œil aux romans policiers sont nombreux et plaisants, dont la rituelle confrontation presque mondaine de tous les suspects réunis en huis-clos avant la révélation finale de l’inattendu coupable et coup de théâtre de la fin.
On regrette l’absence d’une distribution détaillée dans le programme pour savoir qui est qui mais, à des titres divers, tout le monde est digne d’éloges.
25 février 2007

Photo Éclats de Scène : G. Barba

L'Heure du thé, Marseille




L’heure du thé
Récital des solistes du CNIPAL,
Opéra de Marseille

Charmante Heure du thé, offerte déjà à Bordeaux avec succès, à trois dramatiques opéras près consacrée à des œuvres plus légères, bouffes ou opérettes. Cinq jeunes chanteurs trois déjà bien connus et deux autres, Eugénie Danglade et Marc Callahan, déjà entendus en ensembles pour elle et dans un petit rôle de Colombe pour lui, pour la première fois en en solo et dans des duos ici.
D’emblée, deux stagiaires déjà appréciés, le ténor argentin Manuel Núnez Camelino, et le baryton français Virgile Frannais, nous embarquaient dans une des « Soirée musicales » de Rossini, « Les Marins » : prélude onduleux, ondoyant dans les basses du piano, onde, vague large des voix, lumineuse écume de l’aigu du ténor sur la crête de la vague sombre du baryton ; longues tenues de notes comme un horizon lointain angoissant, quelques gestes des bras, appels dans la tempête, avant de voguer, dans la seconde partie, dans les vaguelettes guillerettes du calme retrouvé d’un Rossini moins orageux.
On retrouve Virgile Frannais avec le même plaisir, toujours en progrès. Ce baryton a un rapport franc et direct avec son public, oui, son public, tant il semble immédiatement à l’aise dans ce rapport chaleureux entre la scène et la salle qu’il capte en sympathie. Sans lourdeur, il est l’avantageux militaire Belcore et bel canto de l’Elisir d’amore de Donizetti, bouffe et bouffonnant, martialement claironnant, plein d’entrain, voix drue de drille joyeux, aux larges et pleines vocalises qu’il assouplira, comme il s’y essaie dans son second morceau.
Son comparse, Manuel Núnez Camelino, dans leur duo plein d’apartés, est, vocalement et scéniquement, un élastique et plus malicieux que mélancolique Nemorino, l’amoureux transi, plein de charme ingénu. On tourne la page, l’opéra, et, dans le Gennaro de Lucrèce Borgia du même Donizetti, avec la même vérité vocale et expressive, le même engagement, il est l’amoureux romantique, dramatiquement épris, sans le savoir, de sa mère inconnue. Sa voix ductile sert ensuite sa flexible fantaisie charmeuse dans un duo d’Offenbach et c’est une vertigineuse veine et une verbeuse verve sans bavure qu’il déploie, avec une élocution parfaite, dans l’air du Brésilien (Argentin ici) de La Vie Parisienne.
Entendu fugitivement sur la scène de l’Opéra, le baryton américain Marc Callahan se présente ici pour la première fois : physique fringant, regard bleu intense et extraordinaire mobilité et souplesse d’expression, le visage semblant d’avance modeler les mots et moduler la musique. Deux airs d’opéra français, lui offrent l’occasion de montrer sa diction presque impeccable dans notre langue. Sa « Ballade de la reine Maab », du Mercutio de Roméo et Juliette de Gounod a une juvénile espièglerie, un charme primesautier et poétique, et du Lescaut de la Manon de Massenet, il fait un élégant libertin et non un gras viveur, devenant agréable et toujours expressif conteur dans la Mascotte d’Audran. La voix est large, égale sur toute sa tessiture, chaleureuse, et on en sent toutes les possibilités encore de développement dans l’éclat brillant de l’aigu et la beauté sombre du grave.
On l’imagine dans le Guglielmo de Cosí fan tutte, en duo avec la charmante Eugénie Danglade en Dorabella, mezzo qui possède le même type de vocalité en prometteur devenir : souplesse, tessiture homogène, aigus assurés et graves non poitrinés, timbre brillant d’une riche couleur, harmoniques rubis dans le grave et émeraude dans l’aigu. Du travesti plein d’aisance de Lucrezia Borgia, elle passe à la féminine Dulcinée de Don Quichotte de Massenet, sensualité sans insistance, chantournée des si particulières roulades espagnoles, dont elle se tire avec brio. Jolie Belle Hélène, coquine et coquette, elle est une piquante et picaresque Périchole d’Offenbach avec la complicité fantasque de Manuel Núñez.
L’humour va bien à la dramatique voix de Mihaela Komocar déjà bien connue ici et hautement appréciée. Revenue de son Amelia tragique du Bal Masqué de Verdi à Zagreb, elle démasque son tempérament comique irrésistible dans un air grandiose de la migraine d’Offenbach. Ensuite, avec Frannais, ils nous régalent d’un inénarrable duo de la Mascotte. Ils y mettent une fraîcheur et un naturel badin et joyeux, avec une générosité de voix qui arrache ce morceau usé aux interprétations chichiteuses et cucufiantes dont on l’affadit si souvent.
Ce fut enfin, par la grâce inventive de Patrick Visseq au piano et à la composition, l’ébouriffant Duo bouffe pour deux chats de Rossini devenu miaou en meute des trois matous et deux minettes (si les chats hérissés ne n’effarouchent du chien) toutes griffes dehors. Au poil et désopilant.
22 février 2007


Photos M@rceau, légendes B. Pelegrín
3. Heure du thé mérité : Callahan, Núñez, Komocar
2. Niña Eugénie et niño Manuel (Périchole)
1. Glou-glou, bê, bê (La Mascotte) : Frannais, Komocar.

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