Névrotik Hôtel
Comédie musicale de chambre
Comédie musicale de chambre
Chambre,
oui, d’hôtel et rose comme un bonbon ou un smashmallow qui, s’il ne dégouline pas
des murs, c’est qu’ils ont la rigidité du carton-pâte rigidement découpé et peint
tels les décors de Picasso pour les Ballets russes ou de Cocteau sous l’Occupation. Pompeuse
entrée de rideaux de vrai ou faux théâtre, de guingois, mur de traviole pour
un lit et appliques murales en simili style Louis XV stylisé, fétiche épate-bourgeois,
ou plutôt Louis Caisse Lévitan pour la sous-catégorie populaire d’un peuple
qui, pour avoir guillotiné un roi, ne s’en remit jamais, béatement admiratif et
nostalgique des fastes de la royauté. Le tout abondamment, hyperboliquement fleurdelysé
au pochoir pour que nul n’en ignore. Un angelot baroque doré sur la table de
nuit et, de l’autre côté, un téléphone rose hollywoodien. Deux chaises aux
pieds de biche de même faux style viennent compléter la chambre.
Fait
irruption, éruptive, une dindonnante dondon, plantureuse plante plus à
craquer qu’à croquer dans sa robe végétarienne, Marylinisée comme on dirait
caramélisée, blond plus filasse que mousseux, escarpins dorés, embagouzée et
emperlouzée : tous les voyants attributs multipliés de la vieille star
trop tard durée, de la diva déchue de sa divinité, aussi branlante malgré son
armature apparente que ces lignes déclinantes du décor. Gestes et prolifiques formes
impériales et voix impérieuse, restes d’une majesté et autorité perdues, capricieuses
et tyranniques exigences exercées désormais sur les sans grade, l’invisible standardiste
de la réception ou le groom grimé, mince moustachu, cintré dans son uniforme
rose de petit soldat de plomb, dont elle va faire, à son corps défendant, ou
défendu, sinon un souffre-douleur, un mercenaire acteur de jeux de rôle de ses
fantasmes apparemment jusque-là inassouvis, peut-être, faute encore d’atouts,
comme un va-tout de la dernière chance, vaisseaux
brûlés d’un dernier voyage sans retour.
Gestes
et générosité théâtralement larges, elle offre pourboires et contrat comme elle
jouerait les restes de sa fortune à la roulette, sûrement russe dans on ne sait
quel désespoir qui perce sous les discours emphatiques, déclamatoires, d’abord
sur la laïcité, contre le communautarisme, avec une revendication zinzin de zen
bouddhique à la mode et, plus tard, une belle tirade sur le préavis avant licenciement
ou démission. Pleine d’effets, la voix fait défiler des registres, de tête, de
poitrine, dans une rhétorique stylisée du mélange des genres sexuels, mais sans
caricature, adhérant au personnage et non visant une personne.
Puis
Lady Margaret, puisqu’il faut l’appeler par son nom, Lady Margarine pour le
groom, son « boy » facétieux, se lance dans une chanson sur la mer
visible de la fenêtre de cet hôtel normand à la Proust, loin de celle de Trénet
mais qu’on ne peut manquer d’avoir pour horizon mémoriel. Le texte est intéressant
par ses trouvailles mais difficile à suivre dans ses jeux verbaux, et à mémoriser
par une musique qui, en revendiquant ce répertoire n’en a pas pour autant la
simplicité musicale qui accroche et reste. Les deux personnages, tour à tour, seront
solistes ou duettistes dans des airs dont les vers, difficiles à retenir, sont pleins
de fantaisie, avec des rives, des dérives phoniques parfois oulipiennes, et œdipiennes, telles les
déclinaisons de « mer » en « mère », allusion au rapport maternel inconsciemment incestueux entre les deux, où le son vague,
divague, extravague, ou bien la logique des rimes fatalement en —ex du Printemps au Sussex (clin d'œil sexuel grivois?) , ou encore le Syndrome de Stockholm.
C’est
intelligent, subtil, peut-être trop pour être bien perçu, comme les clins d’œil
ou allusions dont est semé le texte, Barrage
contre le Pacifique de Duras ou son Amant asiatique,
qui révèle soudain, après l’hystérie du tableau du Mont Blanc, la faille du
personnage d’amour blessé par un amant indien mythifié dans l’Himalaya de sa
perte. Ce qui explique
peut-être le nom de Lady Marguerite, autre Marguerite Duras, dont le couple
final avec le jeune Yann Andrés modèle implicitement celui sadomasochiste avec
le groom.
Les
deux acteurs sont remarquables, Michel
Fau laissant entrevoir le vrai sous le faux, la fragilité désespérée sous
le masque de la matrone autoritaire et, sous l’apparente fragile raideur du
groom, Antoine Kahan s’avère un athlète
tout muscle qui peut, appuyé sur deux avant-bras, jouer l’angelot cambré des rêves
de la finalement touchante Lady Margaret , sans doute une grande âme trahie par
la vie. Plus que chanter à proprement parler si en termes lyriques sérieux on
parle, tous deux jouent à chanter, et bien, variant intentions, intonations et
couleurs.
À
jardin, les trois musiciens, piano, violoncelle qui tapisse les airs, accordéon
aux envolées parfois symphoniques, s’amusent parfois à meubler les scènes d’effets
dramatiques dignes d’accompagnements de films muets expressionnistes. Les musiques
des chansons, il faudrait les réécouter pour formuler un jugement plus fondé,
toujours belles dira-t-on globalement, mais on n’a rien retenu pour accrocher,
du premier coup, l’oreille. Par ailleurs, comme les divers rôles du jeu contraint,
hégélien de la maîtresse et de l’esclave, avec son inévitablement renversement dialectique,
on n’en perçoit pas la logique dramatique et la continuité, scènes décousues,
juxtaposées, de même les chansons, enfilées comme des perles auxquelles,
paradoxalement, manquerait le fil.
Névrotik Hôtel
La Criée,
Du 23 au 26 jnvier
Avec Michel Fau, Antoine Kahan
Piano : Mathieu
El Fassi. Accordéon : Laurent
Derache. Violoncelle : Lionel
Allemand
Mise en scène Michel Fau
Trame et dialogues : Christian Siméon. Chansons : Michel
Rivgauche, Julie Daroy, Pascal Bonafoux, Jean-François
Deniau, Christian Siméon, Hélène Vacaresco, Claude
Delecluse et Michelle Senlis Musiques Jean-Pierre Stora Décor
Emmanuel Charles Costumes David Belugou Lumières Joël Fabing.
Maquillages Pascale Fau. Perruque : Laure Talazac. Assistant
à la mise en scène : Damien Lefèvre. Collaboration artistique :
Sophie Tellier
Production
ScenOgraph, Scène conventionnée théâtre et théâtre musical - Figeac,
Saint-Céré - Festival de Figeac / Production déléguée C.I.C.T. - Théâtre
des Bouffes du Nord
Photos : Marcel Hartmann
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