LYRICOPÉRA
Concert du Nouvel An
Temple Grignan
12 janvier 2019
Eleonora de la Peña, soprano
Christian Mendoze, flûte
Corinne Bétirac, piano
LyricOpéra fêtait ses dix ans, ses
quarante concerts, sans subventions, sans autre soutien que les dons et le
dévouement sans faille de sa fondatrice Marthe Sebag. Avec son propre piano qui
reste à demeure, elle a fait du Temple Grignan un véritable temple intime du
lyrique et s’est gagnée le concours d’artistes dont beaucoup, jeunes, trouvent ou
ont trouvé en ce lieu, un premier public attentif et exigeant, avant de se
lancer à l’assaut de plus vastes scènes et auditoires. Beaucoup de ces
chanteurs honorent désormais des lieux prestigieux nationaux et internationaux,
mais fidèles et reconnaissants à l’accueil de cet écrin marseillais chaleureux,
ils y reviennent pour notre bonheur.
Ainsi, ce
premier concert 2019 recevait, avec un vétéran, Christian Mendoze, ancien danseur étoile, flûtiste virtuose, fondateur, il y a plus de trente ans, du premier ensemble baroque de la
région Musiqua Antiqua Provence qu’il
a promené avec succès dans toute l’Europe, jalonnant son itinéraire de festival
en festival de disques couronnés de prix prestigieux, Grand Prix de l’Académie
du Disque, Prix Radio Suisse International, ou distingués par la critique,
Recommandation Classica, Meilleur disque de l’année, etc. Le prochain, attendu
pour le printemps, consacré à la musique baroque espagnole, gravera la voix
hispano-française d’Eleonora de la Peña,
sa jeune mais déjà ancienne partenaire de ses concerts et de son festival varois
de Signes. Mais, ici, tous deux intervenaient comme solistes, avec la
complicité de la pianiste et claveciniste, Corinne
Bétirac, continuiste attitrée de l’ensemble Musiqua Antiqua, à la belle carrière et au riche palmarès
discographique.
La soprano Eleonora de la Peña, depuis ses
dix-huit ans ans se produit sur scène, abordant, d’une voix à la projection
naturelle, des rôles légers comme l’Ernestina de L’Occasione fa il ladro de Rossini, l’Eurydice d'Orphée aux Enfers, d’Offenbach ou plus dramatiques, telles l’Amélite du
Zoroastre de Rameau, ou la tragique
Didon de Dido and Aeneas de Purcell.
Travaillée avec finesse dans des ateliers lyriques et des masters classes de
grands professeurs, sa voix a gagné en agilité vocale lui permettant de se
confronter au chant baroque, au bel canto romantique sans perdre de ses
qualités naturelles. À vingt-quatre ans, on la trouve, chantant, entre autres,
Rossini (Berta du Barbiere di
Siviglia) aux fameux thermes de Caracalla. En 2016, elle participe à la
première édition de Fabbrica,
ambitieux spectacle monté par l’Opera Studio de l’Opéra de Rome, œuvre qui fait
autant appel aux qualités vocales que scéniques de jeunes chanteurs
soigneusement sélectionnés, intégralement mis en ligne. Engagée à Montréal au
Festival d'Opéra de Saint-Eustache, elle est aussi Yniold de Pelléas et Melisande en Espagne.
Et nous la
retrouvions avec bonheur à Marseille, dans sa première partie, d’abord dans
l’air rêveur et piquant de la Norina du Don
Pasquale (1843) de Donizetti. Comme Adina près
de dix ans plus tôt dans l’Elisir d’amor, qui se définissait au milieu
de ses paysans en femme cultivée leur lisant la légende de Tristan et Yseult, se
gaussant du philtre d’amour, Norina paraît lisant un chapitre d’un roman de
chevalerie inspiré de l’Arioste ou du Tasse (« Quel guardo il
cavaliere… ») sur le pouvoir du regard de la Dame qui réduit à ses genoux
le preux énamouré. Mais ici, le code courtois, chevaleresque, de la rêveuse en
apparence première partie est tourné en dérision par la malicieuse jeune fille
dans la seconde dans un insolent feu d’artifice vocal sur les artifices de
la séduction dont elle sait user, sans besoin de leçon livresque, ivresse
virtuose de vocalises papillonnantes, piquées, pour piquer, épingler, tels
des papillons, les hommes de sa collection. Et nous sommes captivés à notre tour
par cette adorable petite personne dans sa robe verte et son châle cachemire qui passe de
la faussement ingénue première partie câline pour cascader ses rires, se riant
des difficultés.
Du même
Donizetti, Linda di Chamounix (1841) est un étrange opéra mi-sérieux
mi-bouffe, une sorte de pastorale montagnarde et parisienne où l’héroïne perd
et retrouve la raison. Il en surnage l’air « O luce di quest’anima »,
récit obligé mélancolique, obligatoire prélude à un air lumineux, primesautier,
jubilatoire, gammes montantes, descendantes comme les alpestres pentes alpestres du
décor de l’histoire, mots brodés de vocalises, dans lequel Eleonora se lance
avec franchise, notes nettes, piquées comme les pics alpins, jamais savonnées,
dentelles de la ligne assumées, caressées, dessinées et trilles de cadences
d’oiseaux. Incursion dans le Puccini bouffe de Gianni Schicchi ,
elle entre dans la brève mais intense ligne de l’air de Lauretta,
« O mio babbino caro… » comme dans un gant ondulant, insinuant du chantage ému au suicide au
tendre papa.
Sa seconde partie sera espagnole. Je ne vais pas répéter ici tout ce que j’ai
dit et écrit sur la zarzuela, dont le vaste éventail embrasse de ce qu’en
France on appelle opérette et opéra-comique (avec passages parlés) au grand
opéra. À preuve cet air pimpant d’une coquette cocottante vocalement, « Me
llaman la primorosa », tiré de El barbero de Sevilla (1901), ‘le
Barbier de Séville’ de Gerónimo Giménez et Manuel Nieto Matán, une polonaise au
rythme effréné, semée de sauts périlleux, hérissée de vocalises et de cadences
de haute voltige qui n’ont rien à envier à la vocalité virtuose italienne, dont
Eleonora se tire encore avec une sorte de bagout souriant et hardi collant
parfaitement au personnage. De Las hijas del Zebedeo (1889) du
grand Ruperto Chapí, il n’est soprano qui, de Berganza à Los Ángeles, en
passant par toutes les cantatrices qui aujourd’hui découvrent la zarzuela,
comme Elina Garanca, n’ait voulu chanter les « Carceleras », avec la
condition hispanique d’une voix aisée, corsée dans le grave et assez agile pour
s’attaquer aux redoutables mélismes espagnols. Rythme et style flamenco, texte
andalou badin et populaire d’une amoureuse joyeusement jalouse, exaltant de
manière humoristique les charmes canailles de son amoureux. J’avoue mon
appréhension préalable mais, vite disparue avec la maîtrise absolue d’Eleonora
qui semble chez elle dans ce répertoire, médium solide et grave jamais forcé ni
poitriné, sachant donner toutes les couleurs espagnoles à cette musique
complexe, virtuose, mélismatique, avec ses cadences en roulades héritées du
flamenco, joliment perlées, port altier et œil aimablement aguicheur. Pour
clore la partie espagnole, la Canzonetta spagnuola de Rossini, si averti
en hispanité lyrique avec sa femme Isabel Colbrán et son interprète le
célébrissime ténor et compositeur Manuel García, père de la Malibran et de
Pauline Viardot, collaborateur du Barbier de Séville, dont nombre de
passages fleurent bon l’Andalousie. Un peintre, mis au défi par sa Muse de
peindre un sujet surhumain, ne peut que le décliner pour s’abandonner à rêver
de sa belle. Texte simple prétexte à la complexité vocale, commencé très
lentement, accéléré à une virtuosité véloce de strophe en strophe avec, chaque
fois des diminutions de plus en plus rapides et vertigineuses : un morceau
de bravoure gagné haut la main et la voix.
A la maîtrise technique du chant et des
styles, Eleonora de la Peña joint le charme ardent de son physique, de son
tempérament scénique : sans aucune gesticulation, quelques gestes et
l’expressivité naturelle du visage lui suffisent, sobrement, à évoquer un
sentiment, un personnage : à l’être dans la musique.
Johann
Joachim Quantz (1697-1773), musicien
élève de Zelenka, parcourut l’Europe comme flûtiste virtuose, rencontrant tous
les grands compositeurs baroques italiens. Professeur de flûte de Frédéric le
Grand, il restera auprès de lui, facteur de flûte, auteur d’un traité pour l’instrument, et compositeur prolifique
de centaines de sonates et concertos. Christian Mendoze avait choisi
d’interpréter un Caprice, menuet avec dix variations pour flûte solo
traversière qu’il avait lui-même adapté à sa flûte à bec : une véritable
recréation.
Le thème est joli, se pose doucement puis, sur la simple architecture,
Mendoze impose, dessine et tisse une fine texture qui évolue et se rénove progressivement
en rythme et ornements dès la seconde variation, éveillant des nids d’oiseaux, et
jamais flûte à bec—bien nommée— aérienne, ailée, ne fut plus justement affûtée
à dire, chanter, ces envols d’oisillons gazouillants qui volètent volubiles mais
sans jamais perdre le repère de cet instrument comme un perchoir ami d’où ils
fusent sans fin dans une fausse fuite
gracieuse vers un ciel azuré infini ; l’infini, horizon de la
variation, variation de la variation qui se peut enchaîner sans fin. Et les
notes-oiseaux se poursuivent, se rattrapent, se fuient, il y a comme des
brouilleries, des disputes piano et forte, des dissonances, toujours
harmonieuses, dans une transparence légère de ramure printanière fleurie
flottant sur le zéphyr impalpable du souffle sans fin, vrilles et trilles
frissonnants, floraisons dans l’espace.
Miracle et volupté de la virtuosité, l’oreille et l’œil unissent leurs
sensations aux images mentales : à regarder et entendre l’instrumentiste
dialoguant abouché à son instrument, la fascinante prestidigitation de ses
doigts, on croit le voir auréolé d’une impalpable nuée de croches, un
brouillard de doubles croches tourbillonnant comme un essaim doré d’amicales d’abeilles
babillardes. Oui, on comprend, à l’enchantement de ce jeu, qu’on prête à la flûte,
instrument premier sinon primitif, un pouvoir hypnotique, magique, fascinant
sur les sens, les gens.
Dans le seconde partie, le piano entrait en jeu avec la flûte, se partageant,
toujours de Quantz, la Sonate en trio, réduite encore par Mendoze, à deux.
Sonate baroque mais dans le canon classique de sa construction en trois
mouvements, un somptueux adagio central entre deux allegros. Corinne Bétirac,
avec sa souplesse stylistique d’accompagnatrice avertie, manifestait ici son
talent de partenaire pratiquement à plein, dialoguant à égalité avec la flûte
virtuose, mais lui disputant, parfois, dans la logique concertante, de son
martellement terrien, la prééminence aérienne même d’une flûte sûrement destinée
à un monarque.
En bis, Mendoze et de la Peña interprèteront un air charmant de Juan
Hidalgo, ¡Ay que sí, ay que no ! qui figurera dans leur disque sur
le baroque espagnol sous presse. Puis la soprano et la pianiste donneront fin à
ce concert passionnant par le boléro passionné Bésame mucho, autre genre
mais toujours musique, de la belle, et magnifiquement jouée et chantée.
LyricOpera
Marseille, Temple Grignan
Concert du Nouvel An
Temple Grignan
12 janvier 2019
Eleonora de la Peña, soprano
Christian Mendoze, flûte
Corinne Bétirac, piano
Donizetti, Puccini, Quantz, airs
de zarzuelas
Photos :
1. Eleonora de la Peña
2. Corinne Bétirac et Christian MendozePhotos :
1. Eleonora de la Peña
Eleonora de la Peña
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