Christelle
ABINASR, piano,
El tango
Le Rouge
Belle-de-mai
47, rue
Fortuné Jourdan,
13003 Marseille, 04 91 07 00 87,
parking gratuit Place Cadenat
Ouverture
à 19h30 – Restauration 8€/10€
Concert à
21h – PAF 10€
DANSEURS BIENVENUS!
Astor Piazzola. La
musique de Buenos Aires
par Christelle Abinasr, piano,
Disques Fy et du Solstice.
On peut le
déplorer ou s’en réjouir : les commémorations, les anniversaires sont
parfois une manière de se racheter par une mémoire vaguement honteuse retrouvée
d’un oubli ingrat d’un artiste ignoré ou sous-estimé au présent. Ainsi, le vingtième anniversaire de la mort du
compositeur argentin Astor Piazzolla
(1921-1992) donna lieu à des célébrations élogieuses qu’il n’avait pas
forcément connues de son vivant, du moins pour une grande partie de son œuvre.
Fort
heureusement, un certain nombre de disques et de concerts attirèrent sur lui une
autre écoute, une approche nouvelle de son œuvre, dépassant le cantonnement
folklorique auquel on le tenait de compositeur de tangos ou de virtuose du pittoresque
bandonéon. Signe parlant : dans des concerts, des disques, on l’a couplé, mis
en regard avec d’autres compositeurs, même Monteverdi, lui cherchant des
patronages, les impératifs commerciaux primant toujours les artistiques, estimant sans doute qu’il ne suffisait pas, à
lui seul, à assurer le succès d’un programme, d’un disque.
En voici
enfin un, label Disques Fy et du
Solstice, intitulé Astor Piazzola, même s’il prend la
caution, ou précaution, du sous-titre aguicheur de La musique de Buenos Aires,
entièrement dévolu, voué, dévoué à Piazzola, rendu à sa seule musique, sans
autre alibi, et en dehors de toute commémoration opportuniste. Il est signé par
la pianiste Christelle Abinasr. Elle
enseigne dans notre Conservatoire à Rayonnement Régional, mène parallèlement
une belle carrière de soliste et de chambriste et s’est produite dans des lieux
prestigieux, et nous avons pu l’entendre au Gymnase et à l’Opéra. On peut
trouver d’autres éléments biographiques et discographiques dans le site qui lui
est consacré sur internet.
D’origine
libanaise, établie à Marseille, elle est Bordelaise : racine
méditerranéenne multiculturelle, transplantée dans deux villes ouvertes sur les
horizons lointains, sur la mer et l’océan, sur une diversité qui rend toute
naturelle, peut-être, l’assimilation d’une musique qui, même si elle appartient
à tous, pourrait, par son style, sembler exotique, lointaine. Mais, justement,
Piazzola, Argentin d’origine italienne, d’une famille émigrée dans ce lointain Buenos
Aires des migrants, a en lui cette âme d’éternel exilé mais qui a fait de la
musique et de la ville d’accueil où il est né, sa patrie : dans un pays
d’émigrés où les cultures diverses se fondent en une, c’est sans doute en
venant d’ailleurs à l’origine qu’on en dit plus, plus profondément, sur l’identité,
universelle, à partir d’un lieu particulier.
C’est,
au-delà des analyses musicologiques précises et savantes de la belle introduction
de Lionel Pons, qu’on lira avec
profit, ce qui me frappe, me touche le plus dans ce disque. Il sert, en effet,
un compositeur, mais disserte avec sensibilité, avec douceur, nostalgie, l’air
de rien, sur un air, celui de Buenos Aires, qui veut dire, les ‘Bons Airs’ en
espagnol. C’est l’expression d’une âme, d’un compositeur, d’un pays, d’une
ville : un éternel exil, dirais-je dans lequel nous pouvons nous
reconnaître, gens d’ici et d’ailleurs.
Quelques
simples mesures du fameux Libertango,
suffisent à donner la mesure je ne
dis pas de l’identité, mot suspect aujourd’hui, mais de l’identification de
Christelle Abinasr avec cette musique de la fièvre, de la nostalgie, pressée
d’une certaine angoisse et l’on peut écouter la plage 1.
De
Piazzolla, on sait en général qu’il a révolutionné, non sans polémiques, le
tango moderne dont il a voulu donner une épure, le libérant des contraintes de
la danse, le libérant : Libertango,
donc. Mais, compositeur classique également, il lui a donné de plus la dignité
de ce qu’on appelle la grande musique, du moins dans des recherches harmoniques
audacieuses propres de la musique savante de son temps, de Stravinsky à Bartok
en passant par le jazz mais avec Bach en arrière fond comme dans les Bachianas du Brésilien Villalobos.
À
huit ans, son père italien lui offre un bandonéon, ce petit accordéon
emblématique du tango. Astor s’intéresse alors au tango, se met à en composer
se mêle aux plus grands orchestres de Buenos Aires. Parallèlement, c’est la musique
classique qu’il cultive et prend des cours avec l’un des plus grands
compositeurs argentins de son temps, Alberto Ginastera qui a su faire une synthèse, dans la tradition hispanique, de
musique savante et populaire.
Lauréat d’un
prix de composition, avec une bourse, le voilà à Paris, chez la fameuse Nadia
Boulanger, qui a pour élèves nombre de compositeurs qui vont devenir célèbres. Elle
le pousse à approfondir ses racines musicales culturelles, dont le tango : cette
musique va devenir une source profonde d’inspiration. Le premier de ses Trois préludes pour piano, Leijia’s game, « Tango
prélude »est déjà un tango, un piano, déjà libérés du tango rituel (plage 8).
De
retour à Buenos Aires en 1953, il fonde un orchestre à cordes, un octuor et un
quintette, Quinteto tango nuevo. Les
traditionalistes reprochent violemment à Piazzolla de défigurer le tango. Il
intègre dans l’accompagnement, outre le traditionnel bandonéon, le violon, le
piano, la contrebasse, la guitare électrique. Il met, en musique de tango, des
poèmes du grand écrivain Jorge Luis
Borges, qui ne ravissent pas pour autant l’écrivain, auteur essentiellement
intellectuel mais se piquant de populisme dans ses poèmes. Cependant, Horacio Ferrer, librettiste de son
opérette María de Buenos Aires (1970),
lui offre le texte de deux tangos devenus aujourd’hui des classiques : Balada para un loco, ‘Ballade pour un
fou’ et Chiquilín de Bachín.
On sera
touché de l’hommage ému à son père mort, Adiós
Nonino, ‘Adieu Pappy’ de la plage 11.
Astor Piazzola, La
musique de Buenos Aires par la pianiste Christelle Abinasr, Disques
Fy et du Solstice.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire